Dimanche des Rameaux et de la Passion par P. Claude TASSIN (Spiritain)

 

 

Commentaires des Lectures du dimanche 29 mars 2015

Entrée messianique du Seigneur à Jérusalem

au choix

Marc 11, 1-10

Après une brève description du cadre, tout se met à bouger, avec l’envoi de deux disciples pour préparer un cortège qui culminera dans l’acclamation de la foule.

Le pèlerinage

Jésus accomplit le pèlerinage juif de la Pâque. Les deux villages ici nommés font partie de l’itinéraire des pèlerins venant de Jéricho. Mais le mont des Oliviers, dont Jésus va descendre la pente, rappelle aussi Zacharie 14, 4. Pour ce prophète, c’est là que viendrait le Seigneur au terme de l’histoire.

Le petit âne

L’ordre donné aux émissaires et son exécution (à Bethphagé, sans doute) se correspondent exactement. Ainsi s’affirme la prescience prophétique du Maître au seuil de sa Passion. Si Jésus a voulu le mime de l’entrée du roi dans sa Ville, le scénario entend rappeler et accomplir les Écritures. En effet, « l’ânon attaché » évoque Genèse 49, 11, et l’on songe aussi à Zacharie 9, 9. Pour la tradition juive, à partir de ces deux textes, l’ânon était la monture du Roi Messie espéré, à la différence des rois autoritaires juchés sur un cheval, monture de guerre à l’époque. Et si, selon Marc, personne n’a encore chevauché l’animal, c’est que la Providence l’a réservé au Seigneur.

Les chefs de l’Antiquité ne se privaient pas de réquisitions en tout genre, comme le montre 1 Samuel 8, 17. Mais, juste et modeste, le Roi Jésus renverra l’âne à ses propriétaires. Que ces derniers laissent faire les disciples, souligne la notoriété du Maître.

Le cortège

Jésus « s’assoit » sur l’âne en une posture royale. On honorait le roi en étalant les manteaux comme un tapis (ainsi en 2 Rois 9, 13). Le feuillage cueilli rehausse la solennité. On pense à la fête juive des Tentes, la plus royale des célébrations où, « rameaux en mains », on chantait le Psaume 117 (118). C’est ce psaume que reprend ici la foule. Ceux qui crient ne sont pas les gens de Jérusalem, mais les pèlerins venus avec Jésus de la province.

Hosanna

Le mot « hosanna » signifie « sauve donc ». Mais les Juifs en avaient fait un cri de louange pour « celui qui vient au nom du Seigneur », c’est-à-dire le Messie envoyé par Dieu. La foule explicite le sens : avec Jésus, arrive le Règne de paix et de bonheur, ce Règne autrefois promis au Roi David (comparer Marc 10, 47-48). Pour finir, toute grâce est rendue à Dieu lui-même, lui qui habite « au plus haut des cieux ».

Au reste, ces quatre vers viennent peut-être des liturgies de l’Église de Marc, et nos messes en gardent l’essentiel. Dans nos eucharisties, ce n’est pas un triomphe sans lendemain que nous commémorons. Nous adorons celui qui a donné sa vie ; à lui, Dieu a conféré la royauté en le ressuscitant d’entre les morts.

Ou bien

 

Jean 12, 12-16

Marc (ci-dessus) donne une version très ancienne de l’entrée royale à Jérusalem. Jean, lui, simplifie le récit, l’inscrit dans un nouveau cadre, et en creuse le sens.

L’acclamation de la grande foule

Ce n’est plus, comme chez Marc, un cortège de pèlerins qui entre avec Jésus dans Jérusalem. Ce sont les pèlerins, déjà arrivés, qui sortent à la rencontre de Jésus, comme on le faisait pour la visite d’un souverain, en une manifestation qu’on appelait une « parousie ». Certes, lors des fêtes juives, on célébrait l’espérance de la venue du Messie avec des branches de palmier. Mais les palmes illustraient aussi les victoires politiques et militaires.

Il y a donc, sous la plume de Jean, des équivoques délibérées. Celui qui vient au nom du Seigneur est salué comme « le roi d’Israël ». En Jésus, Nathanaël avait salué d’emblée le Fils de Dieu, le roi d’Israël (Jean 1, 49). Devant Pilate, Jésus se dira roi, mais d’un royaume qui n’est pas de ce monde (Jean 19, 33-38). Après la multiplication des pains, confondue avec la solution économique, il s’était dérobé pour qu’on ne le fasse pas roi (6, 14-15).

Ici, le malaise est de même nature. La grande foule qui se porte vers Jésus se compose de gens qui ont vu le prodige de la résurrection de Lazare, ainsi que le relève l’évangéliste (Jean 12, 17-18). Leur acclamation s’entache de l’engouement pour un Messie posant des « signes » sensationnels. Jésus va réagir.

Le Roi sur l’ânon

Jean omet tout l’épisode de la recherche de la monture. Ici, simplement, Jésus « trouve » un âne dans les parages. Puis l’évangéliste prend lui-même la parole. De l’anecdote, il retient qu’elle accomplit l’Écriture, qu’elle donne son plein sens à la prophétie de Zacharie 9, 9 – un texte qu’il cite en le résumant. Bref, contre la foule à la recherche d’un Messie spectaculaire, Jésus s’installe sur l’âne, monture des humbles, aussi peu royale que possible.

Le cheminement de la foi

Depuis la citation de l’Écriture, rappelons-le, c’est l’évangéliste lui-même qui exprime sa pensée. En Jésus chevauchant un ânon, dit-il, c’est l’Écriture, la promesse de Dieu, qui s’accomplissait. Mais elle s’accomplissait encore en image : on ne pouvait pas comprendre. Il fallait que Jésus soit « glorifié », pleinement révélé, dans le mystère du Golgotha et de la résurrection.

Alors seulement les disciples que nous sommes peuvent saisir que Jésus est roi parce qu’il révèle, en son humilité royale, jusqu’où va la puissance divine, dans le don de soi total qui donne la vie. Alors aussi, avec Jean l’évangéliste, nous savons que la royauté de Jésus ne s’exprime pas dans des œuvres spectaculaires.

Messe de la Passion

Isaïe 50, 4-7  (« Je n’ai pas c&ché ma face devant les outrages, je sais que je ne serai pas confondu »)

Ce passage d’Isaïe est le troisième *Chant du Serviteur du Seigneur. Dans le style des confessions de Jérémie (cf. Jérémie 11, 18), le prophète prend la communauté à témoin de son obéissance à la mission reçue et se confie à Dieu. En fidèle disciple, le Serviteur est à l’écoute du Seigneur qui lui donne chaque jour sa Parole pour « soutenir celui qui est épuisé », à savoir l’Israël exilé à Babylone qui doit se préparer à un nouvel Exode libérateur. Mais ce message dérange certains Juifs, partisans de Babylone, qui ne souhaitent pas le changement annoncé et veulent faire taire le gêneur.

Le Serviteur ne se dérobe pas à la persécution, car elle fait partie de sa mission : c’est le projet de Dieu que l’on conteste à travers lui. Le Seigneur assistera sûrement celui qu’il a envoyé et qui, dans la ligne de ses prédécesseurs (cf. Ezékiel 3, 8-9), se contente de « rendre son visage dur comme pierre » pour supporter l’épreuve.

Si les évangélistes insistent sur les coups et les crachats dans les récits de la Passion (cf. Marc 14, 65 et 15, 15), ce n’est point par goût du pathétique. Ils veulent nous renvoyer à ce Serviteur en qui ils voient déjà Jésus, prophète persécuté et confiant jusqu’au bout en son Dieu.

* Les quatre Chants du Serviteur, dans le livre d’Isaïe, dépeignent une figure énigmatique : Le 1er chant (Isaïe 42, 1-7 – lundi saint) présente sa vocation initiale de prophète. Le 2e (Isaïe 49, 1-9 – mardi saint) réaffirme sa vocation de « lumière des nations », ses luttes intérieures pour assumer sa mission difficile. Le 3e (50, 4-11 – Rameaux) montre le personnage persécuté. Le 4e (52, 13 – 53, 12 – vendredi saint) évoque le martyre du Serviteur s’offrant en sacrifice pour les pécheurs. À qui l’auteur pensait-il ? Les interprétations sont nombreuses. L’essentiel tient dans la fréquence avec laquelle les évangélistes recourent à ces quatre poèmes pour éclairer la destinée et la mission de Jésus. Peut-être Jésus lui-même a-t-il abordé sa Passion dans l’esprit du quatrième poème.

Philippiens 2, 6-11  («Il s’est abaissé : c’est pourquoi Dieu l’a exalté»)

Paul a peut-être pris, en la modifiant légèrement, dans le livre de chants de l’Église d’Antioche, cette hymne qui célèbre le Christ abaissé et glorifié. Deux figures se profilent entre les lignes : celle d’Adam qui voulut se faire l’égal de Dieu à l’instigation du tentateur (« vous serez comme des dieux », Genèse 3, 3), et celle du Serviteur souffrant qui « s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort » (Isaïe 53, 12). Le texte ne s’arrête pas à l’idée que le Christ est mort « pour nous », ce que Paul fera en d’autres textes. L’hymne contemple ici quel homme fut Jésus devant Dieu, quel type d’homme il a plu à Dieu d’élever. Le chant comprend deux parties.

L’abaissement

Jésus, nouvel Adam, *« ayant la condition de Dieu », ne revendiqua rien pour lui. Sa vie fut une opération vérité : il est allé jusqu’à la mort la plus humiliante réservée aux esclaves ou jugés comme tels, et cela, par solidarité avec l’histoire humaine tombée en esclavage par le péché. À la différence des pécheurs révoltés, il a compté que Dieu seul pouvait lui rendre justice.

L’élévation

« C’est pourquoi », se voyant compris par cet homme, Dieu l’a placé au sommet de l’univers. Désormais, quand nous disons « Jésus », nous devons dire aussi « Seigneur », le Nom même de Dieu dans l’Ancien Testament. Et nous disons « Seigneur », « pour la gloire du Père », pour que Dieu soit fier de nous voir reconnaître son œuvre dans le mystère de Pâques.

* « Ayant la condition de Dieu », littéralement : « lui qui était en forme de Dieu. » Certains traducteurs proposent, avec raison : « alors qu’il était l’image même de Dieu. » L’expression, en effet, ne vise pas la nature divine du Christ, mais, en son humanité, un anti-modèle du premier Adam qui, lui aussi, avait été créé « à l’image de Dieu » (Genèse 1, 26-27), mais voulut ravir à son profit la condition divine (Genèse 3, 4).

 

Marc 14, 1 – 15, 47 (La Passion du Seigneur)

La Passion selon Marc, au moins en sa première édition, a servi de base pour les autres évangélistes. Visitons les sept séquences de son récit, suivies de l’épilogue.

Le film de la Passion

Séquence 1. L’onction de Béthanie honore Jésus comme Roi. Mais celui-ci interprète cet honneur comme un rite funéraire anticipé. Car c’est par la mort que se réalisera la royauté du Christ. En contrepoint, la scène est encadrée par les menées hostiles des autorités juives et de Judas.

Séquence 2. Jésus prépare la Pâque «où l’on immolait l’agneau pascal». Il agit en prophète qui prévoit et accepte son destin, jusqu’à prévoir les détails du dernier repas.

Séquence 3. Au centre, l’institution de l’eucharistie, prophétie du sens de la mort de Jésus :  la source de la vie, c’est son corps voué à la mort et son sang qui nous unit. En contrepoint, la scène s’encadre de l’avertissement de ce qui nous menace, nous aussi : la trahison (Judas) et le reniement (Pierre). Soulignons l’adieu : «Je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le rouaume de Dieu.» Participer à l’eucharistie, c’est participer à la foi et à l’espérance de Jésus, foi et espérance, en cette heure tragique, dans l’heureuse issue des valeurs du règne de Dieu qu’il avait proclamé.

Séquence 4. Au domaine de Gethsémani, Jésus, en sa faiblesse humaine, combat pour s’accorder au plan de son Père. C’est la concrétisation et l’accomplissement du Notre Père ‘bien non transmis par Marc) : «Que ta volonté soit faite», en opposition à la défaillance des disciples qui nous représentent. En prophète, Jésus se livre sciemment à ses agresseurs. Marc a en propre l’épisode du *jeune homme qui s’enfuit tout nu.

Séquence 5. Devant les autorités juives et pour sa perte, Jésus confesse la vérité de son identité : il est bien le Messie, Fils de Dieu. En contrepoint, la scène s’encadre de la mention de Pierre qui renie son attachement à Jésus de Nazareth. Judas, à Gethsémani, avait encore salué Jésus comme son « rabbi ». Pierre, lui, déclare : «Je ne connais pas cet homme.» En langage populaire d’aujourd’hui : «ce mec, je le connais pas.»

Séquence 6. La comparution devant Pilate souligne l’identité royale de Jésus, repoussé par son Peuple. Les outrages perpétrés par le grand conseil (séquence 5) moquaient le Prophète, le Serviteur (cf. 1ère lecture). Ici, la dérision des soldats met ironiquement en relief la dignité du Messie, roi des Juifs.

Séquence 7. L’inscription « le roi des Juifs » est la seule chose qu’on ait écrite sur Jésus de son vivant. Elle souligne l’antijudaïsme de Pilate : voici le prétendu souverain que méritent les Juifs. La scène du Golgotha est tissée d’allusions aux psaumes qui chantent le Juste persécuté et sauvé par Dieu. Jusqu’au bout, Jésus refuse un coup de théâtre miraculeux, bien qu’il soit le Messie et le Prophète que Élie pourrait secourir. Le rideau du Sanctuaire se déchire, signant la fin du culte ancien et l’accès de tous les hommes auprès de Dieu. Toute la passion culmine dans l’acclamation du centurion païen : « Cet homme était le Fils de Dieu ». Ici commence l’ère nouvelle de la foi.

Épilogue. La scène de l’ensevelissement s’encadre de la mention des saintes femmes. Alors que les disciples ont fui, elles sont les fidèles qui assurent le lien entre la vie de Jésus, sa mort et sa résurrection.

Choisir son camp

Le Fils de Dieu a choisi d’assumer le chemin de l’épreuve et de la mort. Marc, selon l’ironie qu’on lui connaît, trace un sombre portrait des disciples attitrés qui se signalent par la trahison, le reniement, la désertion. D’autres personnages interpellent notre foi : Simon de Cyrène, entraîné malgré lui à participer à la Passion, les saintes femmes qui attendent encore quelque chose après cette mort incompréhensible, et l’officier païen qui proclame le mystère du Crucifié. Le Fils de Dieu n’a pas choisi un salut à grand spectacle. Sa puissance est pourtant là qui nous tient debout dans les épreuves.

* Le jeune homme. Cette anecdote est propre à l’évangile de Marc. Longtemps, on a pensé qu’il s’agissait d’un trait autobiographique de l’évangéliste. En réalité, Marc n’a pas connu Jésus. En fait, la scène joue sur un symbole pascal. Le personnage est un disciple : « il suivait Jésus. » Il ne porte pas « qu’un drap », selon le lectionnaire. Il est, littéralement, « enveloppé d’un linceul ». Le même mot s’applique à l’ensevelissement de Jésus, en Marc 15, 16. L’homme s’enfuit nu. À travers le double signe du linceul et de la nudité, il représente le baptisé qui échappe à la nudité de la mort (2 Corinthiens 5, 3-4), grâce au Christ qui est mort pour lui et lui a donnné de quitter « le vieil homme » (Romains 6, 5-6). Le seul autre jeune homme (le même ?) dans cet évangile se retrouvera, « enveloppé d’un vêtement blanc » (Marc 16, 5), annonçant aux femmes, dans l’ombre du tombeau, le message de Pâques. Voir, ci-dessous, notre commentaire : évangile de la Veillée pascale B.

 

 

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