Messe du jour de Pâques par P. Claude TASSIN (Spiritain)

 

Actes des Apôtres 10, 34a.37-43 (Les Apôtres témoins de la résurrection)

Pierre a déjà annoncé la résurrection du Christ à des Juifs, au jour de la Pentecôte (cf. Actes 2 – 4). Ici, il s’adresse pour la première fois à un païen, un officier romain de Césarée, capitale de la Judée-Samarie. Là résidait le gouverneur romain, tel Pilate, qui ne venait résider à Jérusalem que lors des pèlerinages, afin de parer à d’éventuelles agitations populaires.

Pierre résume l’Évangile qui commence par le baptême conférant au Christ la force prophétique de l’Esprit saint. Il ne s’attarde pas sur les faits et gestes de Jésus : il lui suffit de dire que les apôtres ont été témoins de son œuvre de libérateur, qu’il y a une continuité entre son ministère et la passion et la résurrection.

Les Juifs ont « pendu Jésus au bois », allusion à Deutéronome 21, 23, un texte que l’on interprétait alors comme une malédiction des crucifiés : Jésus a pris sur lui le destin des maudits, comme le rappellera saint Paul en Galates 3, 10. Mais « Dieu l’a ressuscité *le troisième jour », c’est-à-dire selon la symbolique juive ancienne, la résurrection générale de la fin des temps. Les apôtres en sont témoins. Les paroles de Pierre laissent entendre que des objections ont cours parmi les Juifs : s’il est vivant, pourquoi ne l’avons-nous pas vu ?

L’essentiel tient en ceci : Jésus est désormais le « Juge des vivants et des morts », la référence ultime de notre histoire, parce que Dieu lui a rendu justice contre la condamnation prononcée à son égard. « Quiconque croit en lui », Juif ou païen, se voit libéré de ses péchés parce qu’il reconnaît la justice de Dieu dans les relèvement du Christ.

* Le troisième jour. Le Nouveau Testament ne dit pas que Jésus s’est ressuscité, mais que Dieu l’a ressuscité, rendant par là justice à l’accomplissement de sa mission. D’autre part, la mention du « troisième jour » est moins chronologique que théologique. Dans la Bible, nombre d’événements importants se passent « le troisième jour », et, dans le judaïsme, l’expression en vint à désigner, sur la base d’Osée 6, 2, l’espérance de la résurrection finale de tous. Dans la résurrection de Jésus, c’est la nôtre qui commence.

Colossiens 3, 1-4 (Vivre avec le Christ ressuscité)

L’Apôtre vient de s’en prendre, en Colossiens 2, 8-23, à des déviations qui dénaturent la foi chrétienne de ses lecteurs. Il s’agit apparemment de l’influence de pratiques juives, d’un culte des anges mêlé de spéculations grecques sur les puissances cosmiques. Peut-être même certains rites d’initiation font-ils concurrence au baptême. Aux yeux de l’auteur, tout cela insulte à la place centrale due au Christ dans l’existence chrétienne.

Baptisés, nous sommes morts à ces fausses sécurités d’hier et d’aujourd’hui. Nous devons nous en dégager, parce que seul le Christ est « notre vie » et, selon le psaume pascal (109, 1), il siège auprès de Dieu. Nous sommes donc orientés désormais vers « les réalités d’en haut ». « Nous sommes ressuscités. » Le verbe est au passé : c’est chose faite ! Mais, dans le gris du quotidien, nous voyons mal les effets de cette nouveauté encore « cachée » dans le secret de Dieu. D’où notre difficulté à oser décoller, à oser nous élever. Mais viendra le jour de la manifestation du Christ et, en belle et pleine lumière, la révélation de notre être profond, pourvu que nous n’ayons pas laissé se briser notre élan vers *« les réalités d’en haut ».

* Les réalités d’en haut. Ici, nul mépris des réalités terrestres, puisque, selon l’auteur, Dieu a voulu « tout réconcilier » par le Christ « sur la terre et dans les cieux » (Colossiens 1, 20). Il blâme seulement les idéologies et autres discours religieux qui asservissent le monde à des intérêts inavouables. Ces perversions empêchent la terre de tendre vers sa réalisation authentique dans le Christ, dans la lumière de la Pâque du Christ. Victor Hugo racontait qu’en son enfance, il aimait se cacher dans les arbres parce que les adultes… ne regardent jamais en haut.

2e lecture, au choix :

1 Corinthiens 5, 6b-8 (La Pâque, exigence de renouvellement)

Paul écrit cette lettre depuis Éphèse, aux environs de la célébration de Pâques (cf. 1 Corinthiens 16, 8). Nos deux versets reprennent sans doute un passage de l’homélie qu’il a prononcée à l’occasion de la fête de Pâques et qu’il adapte ici à un problème précis (voir 1 Corinthiens 5, 1 ss.) : Un membre de l’Église de Corinthe a mal compris la liberté chrétienne prônée par Paul. Il a épousé sa belle-mère, contre la Loi mosaïque (Lévitique 18, 8) et contre le Code romain. La communauté n’a pas réagi, admirant peut-être l’audace de l’individu (à Corinthe, il fallait s’attendre à tout, semble-t-il). Mais, pour Paul, ce cas est le *levain qui corrompt la pâte de façon malsaine.

Dans les rites de la Pâque juive aujourd’hui encore, on débarrasse la maison de tout levain, en signe de renouveau (cf. Exode 12, 15). L’Apôtre transpose l’image : la communauté doit devenir ce qu’elle est réellement, une nouvelle pâte pascale. Chaque jour est Pâques, puisque le Christ, « notre agneau pacal, a été immolé », comme le nouvel ageau pascal libérateur. Il faut nous libérer des traces « de la perversité et du vice », en l’occurrence un usage vicié et égoïste de notre liberté, et nous engager dans une « droiture » et une « vérité » de tous les instants : voilà le premier pas de notre renouveau, de notre résurrection avec le Christ.

* Le levain. L’image positive du levain vient de la parabole (Matthieu 13, 33) dans laquelle, par paradoxe, Jésus compare la puissance du Règne de Dieu à l’infime pincée de levain qui fait lever une quantité de pâte incroyable. Mais d’ordinaire, dans le Nouveau Testament, le levain apparaît comme un agent corrupteur. Songeons à l’exclamation de Jésus : « Méfiez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens » (Matthieu 16, 6).

 

Jean 20, 1-9  (« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts»)

L’épisode de la course au tombeau, connu par un célèbre tableau, met en relief le disciple «que Jésus aimait», qui court plus vite que Pierre, mais qui, comme par déférence institutionnelle, s’efface derrière lui.

Le premier jour de la semaine

Jésus a été enseveli le vendredi soir, avec les honneurs dus à un roi, selon la mise en scène de saint Jean. Marie Madeleine laisse passer le repos du sabbat, puis elle se rend au tombeau pour pleurer le Disparu. C’est « le premier jour de la semaine », manière pour l’évangéliste d’annoncer une création nouvelle, « de grand matin », à l’aube de la vie – « c’était encore les ténèbres », car cette vie est encore cachée. Ainsi s’ouvrent les quatre épisodes dans lesquels Jean présente les manifestations du Ressuscité : la découverte du tombeau ouvert, l’apparition à Marie Madeleine, l’apparition aux disciples le soir du même jour et l’épisode de Thomas (2e dimanche de Pâques). L’évangile de Jean s’achèvera par un appendice plus tardif dans la composition de cet évangile : la rencontre au bord du Lac (Jean 21).

La course au tombeau

Quelle nouvelle peut faire courir un adulte sérieux ? Tout le monde court dans l’évangile de ce jour, à commencer par Marie Madeleine qui s’imagine qu’il y a eu rapt du corps, un fléau de l’époque. Sous sa désolation se profile l’émoi de la Bien-aimée du Cantique des Cantiques (3, 2) : « Je veux chercher celui que mon cœur aime ; je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. »

C’est ensuite la course entre Pierre et « le disciple que Jésus aimait ». Ce dernier va plus vite, parce que, suppose-t-on, il aime davantage. Mais il laisse à Pierre, le chef des Douze, la primeur de la découverte des lieux.

Il vit et il crut

Le Disciple entre à son tour : « il vit* et il crut. » Il voit la parure funéraire soigneusement déposée : il ne s’agit donc pas d’un rapt précipité ; le Seigneur est sorti de la mort et n’a plus besoin de la vêture des morts. Le Disciple croit que, dans le secret de la nuit, Dieu l’a ressuscité. Il est en cela le premier des disciples qui croiront à leur tour, qui n’ont pas encore lu l’Écriture (l’Ancien Testament) correctement et n’y ont pas vu inscrit un plan de Dieu annonçant la résurrection du Seigneur. Il faut prendre le temps de se souvenir des paroles du Christ. Il avait annoncé que serait relevé « le Temple de son corps. » « Aussi quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela : ils crurent aux prophéties de l’Écriture… » (Jean 2, 22).

Pierre et l’autre disciple

Cet épisode de la course au tombeau, l’évangéliste l’a composé en reprenant la tradition de la visite de Pierre au sépulcre (cf. Luc 24, 12) et en introduisant le personnage du « Disciple que Jésus aimait », celui qui, lors de la Cène, « se penchait sur la poitrine de Jésus » (Jean 13, 25). L’évangéliste n’établit pas une rivalité entre Pierre et l’autre Disciple ; il souligne dans la découverte du Ressuscité, la primauté de l’amour sur la légitime solidité de l’Institution, représentée par Pierre. Plus nous aimons le Jésus des évangiles, plus nous croirons qu’il ne peut être que le Vivant, « le Juge des vivants et des morts » (1ère lecture).

* Voir n’est pas une simple opération des globes oculaires ; c’est aussi comprendre les choses, leur donner un sens. Ne dit-on pas :  «je vois ce que vous voulez dire»?  L’évangile de Jean accorde une grande importance à ce verbe. Jésus pose des signes pour que les humains puissent voir ce qu’il faut voir, c’est-à-dire que Dieu est à l’œuvre en lui. Au tombeau, le Disciple bien-aimé découvre une absence. Mais cette absence atteste pour lui une résurrection correspondant à ce qu’il a su voir finalement dans les Écritures. Notre foi consiste en un regard en profondeur des signes qui, au jour le jour, disent la présence active du Vivant.

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