1er Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

SI TU ES LE FILS DE DIEU …

désert1« Jésus fut conduit au désert pour y être tenté ». Frères et sœurs, qu’entendons-nous par tentation ? Quelles sont les images qui se présentent spontanément à notre esprit ? Le gamin au bord d’une vitrine de pâtisserie, devant les éclairs au chocolat ? La jeune femme devant une vitrine de prêt-à-porter, convoitant une robe à la mode ? Ou bien encore le monsieur qui regarde le dernier modèle automobile d’une marque trop chère pour lui ? Pour nous, la tentation désigne toujours une certaine complicité avec le mal. Alors pour le Christ, la tentation au désert est-elle aussi une complicité avec le mal ? Pour ma part, je pense que non, je pense que le Christ n’a pas été tenté comme cela.
D’abord entre gens bien, ce serait choquant. Mais surtout si on y réfléchit, les tentations du démon ne portent pas du tout sur des choses mauvaises. Prenez la première tentation : changer des pierres en pain, allez demander aux responsables du Secours Catholique si c’est une mauvaise chose que de pouvoir changer des pierres en pain pour nourrir tous les pauvres de la terre, ils vous diront que s’ils en avaient le pouvoir, ils ne se gêneraient pas. Prenez la troisième tentation : se jeter du haut du Temple, mais c’est quand même une publicité tout à fait légitime, un slogan publicitaire du style : « Je vis entre ciel et terre grâce à Jésus », ce n’est pas si mal. En réalité il semble même que le Seigneur, à d’autres moments, s’est montré beaucoup moins réservé sur les prodiges et les miracles. Quand Il avançait à pied à quatre heures du matin sur le lac de Tibériade agité par la tempête et que ses disciples le prenaient pour un fantôme, c’était une promesse tout à fait comparable à celle de se jeter du haut du pinacle du Temple. Il n’y a pas de mal à cela. Quant à la deuxième tentation, je suis bien persuadé qu’il y a beaucoup de catholiques qui pensent sincèrement que là le Seigneur s’est vraiment trompé. En effet, pour une toute petite génuflexion devant un diablotin barbu, poilu, biscornu, renoncer à la royauté sur toute la terre ! Vous imaginez un moment Jésus Roi dès maintenant, Lui, légiférant souverainement, royalement, divinement sur toutes les relations internationales, Jésus le Roi du cinéma, envoyant le feu du ciel qui tombe immédiatement sur toutes les salles où l’on passe le dernier film à grand spectacle. Mais il n’y a pas de mal à cela. Ce serait l’univers parfait. Cela aurait été tellement plus simple : une bonne religion, avec des bons principes. Et d’autant plus que le diable n’est pas du tout opposé à l’ordre moral, quand cet ordre moral est simplement destiné à diminuer la vérité de l’homme ou à amenuiser sa liberté. Il est tout à fait capable de s’en trouver fort aise.
Jésus au désertAlors en quoi consistent les tentations du Christ ? Comment a-t-Il été tenté ? Tout d’abord, il faut le dire, le démon qui est très intelligent, beaucoup plus intelligent que nous, a compris d’emblée qu’il n’y avait dans le Christ, qu’il ne pouvait y avoir aucune complicité avec le mal. Par conséquent, il ne l’a pas pris sous ce biais-là, il savait bien qu’il n’y avait pas de faiblesse à la cuirasse. Et c’est nous, parce que nous sommes des hommes, et parce que pour nous la vie chrétienne est un combat, nous qui pensons toujours que pour le Christ aussi il fallait qu’Il gagne des mérites et pour cela qu’Il se batte contre le diable. On serait presque tenté de dire : au fond dans le Christ, il devait y avoir comme en nous une sorte de complicité avec le mal, Il aurait peut-être pu pécher, au moins un petit peu, et ainsi il a eu du mérite, Il s’est donné du mal. Cela nous paraît tellement important. Et pourtant, il faut affirmer avec toute la Tradition de l’Église que le Christ ne pouvait pas pécher, qu’Il ne pouvait avoir aucune complicité avec le mal. Il est le Fils de Dieu et son être est tout entier tourné vers son Père.
Et c’est d’ailleurs pour ça que dans cet évangile le Christ nous est présenté en vis-à-vis avec le diable. Nous, nous ne comprenons pas ce que cela veut dire d’être en face du diable, car d’une certaine manière, il est toujours à côté de nous, nous avons toujours une sorte de complicité secrète pour le mal qui fait que nous ne l’affrontons jamais en face, il est toujours près de nous, de notre côté. Nous ne savons pas ce que c’est que le face à face avec le mal et avec le démon. Il n’y a que le Christ qui connaît cela, car Il n’a aucune complicité avec le mal ni le démon, avec qui Il est dans une sorte de duel permanent.
Mais alors vous allez me dire : Si la tentation du Christ n’est pas cela, s’Il n’a pas mérité par ses efforts notre salut, en quoi consiste cette tentation ? C’est quelque chose d’infiniment plus important. La tentation du Christ, n’est pas une tendance à s’acoquiner avec le mal, c’est la remise en question de tout son projet sauveur. Il s’agit de savoir si Jésus est vraiment Dieu et si nous, nous sommes vraiment des hommes, et quelle relation Il veut rétablir entre nous et Lui. Dans la tentation du Christ, l’enjeu ce n’est pas Lui, c’est nous, nous qui sommes entre le Christ et le démon, nous qui sommes là mystérieusement mais réellement présents. Et le combat ne se situe pas au niveau de la vitrine du pâtissier avec les éclairs au chocolat, mais au niveau du projet de Dieu. Le démon dit au Christ exactement ceci : « Tu crois que ça vaut la peine de se battre pour les hommes ! Regarde comme ils sont ; il suffit de les aguicher, de les attirer, il suffit de leur épargner la dure tâche de la liberté. Et à ce moment-là, tu verras, ça va tout seul ». Et le démon, en faisant cela, dit exactement ce qu’il pense, car lui-même, c’est l’expérience qu’il a avec chacun d’entre nous. Toute tentation, ultimement, est un appel à démissionner de notre liberté. C’est le démon qui nous présente un faux salut en nous disant : « Si tu mets la barre assez bas, tu passeras facilement, ne mets pas la barre si haut, ça va très bien comme ça, ça suffit largement ». Alors le démon dit au Christ : « Mais au fond, si tu veux vraiment les sauver, je te les donne, mais épargne-leur la rude tâche d’être libres, car au fond ils n’en ont pas besoin. Tu peux très bien les sauver comme ça, ça n’a pas grande importance ».
A ce moment-là, la réponse du Christ ne le concerne pas Lui-même, mais nous concerne, nous. Et le Christ répond au démon : « Non, parce que j’ai créé cet homme, moi, le Fils de Dieu, moi son Créateur, je crois en sa liberté ». « Je crois en sa liberté », « cela veut dire que ce que je viens rechercher, c’est lui-même, je veux qu’il se retrouve vraiment en face de moi. Quoi qu’il m’en coûte, je ne serai d’une certaine manière plus Dieu si je ne voulais pas que l’homme soi vraiment et pleinement libre en face de moi. C’est pour cela que je suis venu. Je suis venu pour qu’ils aient la vie, pour qu’ils vivent dans la liberté des enfants de Dieu. C’est là leur génie, c’est là ce que je veux pour eux. Et si je viens et si je me donne à eux, c’est pour les restaurer dans la plénitude de leur liberté, dans leur capacité d’aimer, non pas une capacité d’aimer qui viendrait d’eux-mêmes, mais que, Moi, je veux leur donner ».
Jésus bergerC’est comme si le Christ répondait à Satan : « Tu voudrais, d’une manière ou d’une autre, t’interposer comme un écran pour qu’ils soient diminués et pour effacer la liberté de l’homme en face de son Dieu. Cela je ne le permettrai jamais. Ce que je veux, c’est que mon amour brûlant et libre aille rejoindre cette possibilité qui est au fond de leur cœur et qui est aussi un amour brûlant et libre que Moi, je veux leur donner. Mais je ne veux pas leur donner mon amour à n’importe quel prix, je veux leur donner mon amour au prix d’un total don de soi. Et tout ce que toi, le démon, tu feras pour réduire, caricaturer ou défigurer ce don de soi et cette capacité de se donner qui est dans l’homme, cela je ne l’accepterai jamais, je ne m’en ferai jamais le complice ».
Frères et sœurs, dans ce temps de carême, les dés sont jetés. Chaque fois que nous relisons ce moment de la tentation du Christ, c’est cette question-là qui nous est posée : « Quel visage le Christ a-t-il pour nous ? Un Christ sécurisant ? Un Christ ordinateur du monde pour que tout marche bien ? Ou bien Celui qui nous apporte la liberté en nous restaurant pleinement dans notre être ? Et quel est notre propre visage dans la tendresse de Dieu ? Est-ce l’accomplissement bien honnête et bien droit d’un ordre moral ? Ou bien est-ce le respect infini de la liberté que Dieu nous a donnée pour que cette liberté se donne à Lui ? Est-ce un visage de liberté qui accepte d’être brûlé pour se donner ? Le carême c’est cela et nous ne pouvons pas échapper à ces questions. Nous pouvons imaginer trente-six mille manières d’organiser le monde. Nous pouvons penser que Dieu a mal fait le monde et que ce devrait être beaucoup plus simple. En réalité, le Christ n’a jamais voulu autre chose pour nous que la découverte à travers notre cœur et notre liberté de ce génie qu’Il veut nous donner, et ce génie ça s’appelle sa grâce. La grâce de Dieu qui est de nous faire vivre dans la plénitude de notre être, non pas selon les petites catégories que nous pourrions échafauder, mais de vivre dans notre être au rythme même du don brûlant de l’amour de Dieu qui se donne à nous dans sa liberté souveraine. AMEN.

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