La Pentecôte par P. Claude Tassin (15 Mai 2016)

 

Actes des Apôtres 2, 1-11 (« Tous furent remplis d’Esprit Sain en se mirent à parler en d’autres langues »)

Dans certains cercles juifs, dès le temps de Jésus, la Pentecôte, fête agricole dite des Semaines, commémorait le don de l’Alliance au Sinaï. De cette scène antique, on retrouve le bruit, le vent, le feu (comparer Exode 19, 16-19; 20, 18) qui orchestrent à présent la venue de l’Esprit Saint. Comme Moïse était monté vers la nuée pour rapporter au peuple la Loi de Dieu, fondement de l’Alliance, le Christ est monté au Ciel pour nous donner l’Esprit de l’Alliance nouvelle.

Selon les légendes juives catéchétiques…

… au Sinaï, Dieu avait proposé ses commandements dans les diverses langues du monde, mais Israël seul les avait acceptés. Aujourd’hui, Dieu répare cet échec. Partant du phénomène connu du «parler en langues» (cf. 1 Corinthiens 14, 2-5) dans les premières Églises, Luc transforme l’expérience en un «parler *en d’autres langues», préparant ainsi l’annonce de l’Évangile dans toutes les cultures. De ce point de vue, cette venue de l’Esprit n’est pas exactement un «anti-Babel», épisode de la «confusion des langues» (Genèse 11, 1 – 9 ; cf. messe de la veille). Ce n’est pas le retour à une langue unique, mais la décision de Dieu de se révéler dans le respect des langues et des cultures.

Aux sources de l’universel chrétien

Les témoins et auditeurs de la scène, remarquons-le, sont tous des Juifs, Juifs d’origine, de la Diaspora et de la Judée, et païens «convertis» au judaïsme (les «prosélytes»). Leur liste comprend douze pays ; à quoi s’ajoutent des Juifs de Rome (centre du monde oblige !) et, pirouette littéraire formant un résumé, les gens des îles, à l’ouest (Crétois), et ceux du désert, à l’est (Arabes). Les douze tribus du peuple de Dieu sont donc symboliquement à nouveau réunies. Alors, la mission chrétienne peut commencer, sous le souffle de l’Esprit de l’alliance nouvelle qui abolit les frontières.

* Ils se mirent à parler en d’autres langues… « i quelqu’un dit à l’un de nous : « Est-ce que tu as reçu le Saint-Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ? » voici ce qu’il faut répondre : « Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ, qui est l’Église, laquelle parle toutes les langues. En effet, par la présence du Saint-Esprit qu’est-ce que Dieu a voulu manifester, sinon que son Église parlait toutes les langues ? » » (Homélie africaine du 6e siècle).

Romains 8, 8-17 (« L’Esprit fait de nous des fils »)

Paul s’appuie sur cette certitude : «l’Esprit de Dieu» – qui est aussi «l’Esprit du Christ», habite le croyant. Le chrétien est un «corps», c’est-à-dire une personne humaine qui est «*chair», créature fragile portée au péché du repli sur soi et vouée à la mort, mais qui est aussi un être spirituel, et désormais guidé par l’Esprit de Dieu. Nous voici donc engagés dans un combat :  nous revivons dès aujourd’hui, en nous soustrayant au péché, en refusant de payer son dû à «la chair», si celle-ci nous sollicite encore. Mais l’Esprit qui pilote notre conversion permanente est aussi celui par lequel Dieu a ressuscité Jésus. Nous voici donc assurés de la même issue heureuse.

Et Paul précise cette espérance par l’idée de «la filiation», c’est-à-dire de l’adoption. Il songe aux grandes maisonnées patriarcales et polygamiques où se côtoyaient les esclaves soumis au maître, même nés de lui, et les fils, libres, bénéficiant d’un acte officiel d’adoption, et confiants en face du père ; eux qui, à leur majorité, recevaient le droit à l’héritage. Or l’Esprit fait de nous des fils, non des esclaves apeurés, frères déjà du Christ, puisque notre prière proclame «Abba (= papa, en araméen), le Père», comme Jésus appelait Dieu (cf. Mc 14, 36). Il nous suffit de mener à terme le même combat de souffrance que mena Jésus pour parvenir à la parfaite filiation.

* La chair et l’Esprit. Chez Paul, la chair n’est pas le sexe. Lecteur de la Bible, il voit en elle la pesanteur de l’homme, fragile, voué à la mort, porté au repli égoïste. Mais, comme la communauté juive de Qumrân, il décèle dans la faiblesse de la chair le nid propice à l’éclosion de multiples de péchés (voir le catalogue de Galates 5, 19-21). L’époque de Paul conçoit la liberté humaine comme le droit de choisir son maître : sera-ce, pour nous, l’esclavage à soi-même (la chair) ou l’obéissance à l’Esprit de Dieu ?

 

Jean 14, 15-16.23b-36 (« L’Esprit Saint vous enseignera tout »)

Les extraits de saint Jean que nous lisons aujourd’hui puisent dans le premier des Discours d’adieu de Jésus au soir du jeudi saint et ils recouvrent en partie l’évangile du 6ième dimanche de Pâques C. Il s’agit du testament de Jésus. Mais le texte doit beaucoup aux questions que la communauté à laquelle s’adresse l’évangéliste s’est posées après la mort de ses premiers fondateurs, eux qui assuraient encore le lien avec la vie terrestre de Jésus.

Amour et commandements

Si vous m’aimez…, dit Jésus. Dans le Nouveau Testament, l’amour du Christ est un impératif moins fréquent que celui de l’amour de Dieu. Mais l’enchaînement des idées s’avère ici complexe. Quand l’être aimé est absent, nous nous efforçons de le rendre présent en continuant à faire ce qu’il aimerait nous voir faire. De même, l’amour que nous portons à Jésus et qui nous le rend présent implique notre fidélité à ses «commandements». Ces commandements équivalent à la «parole de Jésus», comme le dit la suite : «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole», c’est-à-dire encore, fidèle à son «commandement nouveau» de l’amour mutuel (Jean 13, 14-15), et même aux commandements de Dieu (1 Jean 5, 3). Car, pour Jean, il existe une telle unité entre le Fils et le Père que les commandements de l’Un et de l’Autre sont tout un. Mais cette présence n’est pas simple souvenir sentimental. Le Christ, vivant à jamais auprès du Père, intercède pour que nous vienne *un autre Défenseur.

De Jésus à son Esprit

Jésus fut le premier «Défenseur», puisqu’il livra sa vie par amour pour nous. L’autre Défenseur «sera pour toujours avec nous». Il sera «Dieu avec nous», selon le nom Emmanuel que le Nouveau Testament applique aussi à Jésus. C’est une promesse par laquelle l’évangéliste résume la mission terrestre de Jésus à qui il attribue cette déclaration : «Je vous parle ainsi tant que je demeure avec vous.»

L’Esprit Saint… vous enseignera tout

Le long discours d’adieu du Christ selon saint Jean a été égrainé en ce Temps pascal. Il tourne, dans les diverses réécritures succcessives d’auteurs sacrés successifs de cet évangile. I les compagnons lles cpù tourne, retourne et retourne encore ce rubik’s cube surnaturel : le Père est dans le Fils, le Fils est dans le Père, le Fils est dans les croyants et, par ce Fils, les croyants sont unis au Père. Et le Père est dans le Fils. Et on recommence ! Nous avons le tournis ?

Pour Jean, la fin du vertige est fourni par le don de l’Esprit. Lui qui, si nous l’écoutons, calme le cauchemar des relations chrétiennes, familiales, sociales, culturelles. C’est en cela que l’Esprit nous enseigne tout, à savoir tout ce que Jésus a enseigné, dans sa vie terrestre, et qui doit éclairer notre avenir de croyants, mieux que ce qu’avaient saisi de lui les compagnons historiques d’un Messie en chair et en os. «Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous acheminera dans la vérité tout entière» (Jean 16, 13). Ce complément, dans la suite du Discours, précise la fonction de l’Esprit : il nous fait faire chaque jour un bout du chemin de vérité, et cette vérité concerne notre compréhension de Jésus, une union progressive avec lui. Car, contre des déviations «charismatisantes» et récurrentes au long de l’histoire, l’Esprit ne remplace pas le Christ. Si c’est vraiment lui qui parle en nous, c’est pour nous conduire sans cesse d’avantage vers le Jésus des évangiles.

L’Esprit invisible aux visages multiples

Telle est donc la compréhension de l’Esprit selon saint Jean. C’est son interprétation, dans le concert des écrivains sacrés. Chacun d’eux, dans sa méditation sur l’Esprit Saint, voit midi à sa porte. C’est la somme de leurs réflexions qui, pour nous, est inspirée par Dieu. Outre la position de Jean, retenons le récit des Actes des Apôtres : l’Esprit fait de l’Église un peuple sans frontières, uni dans une alliance nouvelle. Retenons le message de Paul pour qui l’Esprit est celui qui fait de nous les fils de Dieu et qui nous ressuscite déjà par le renouveau de notre vie morale.

* Un autre Défenseur. Voir ci-dessus l’encadré « Le Défenseur… » (6e dimanche de Pâques). Mais ici l’Esprit est «un autre Défenseur». Car le premier Défenseur, face à Dieu, de notre faiblesse de pécheurs, est toujours le Christ (cf. Première Lettre de Jean, 2, 1). L’Esprit ne remplace pas Jésus : il renvoie à lui, à sa présence. Ainsi l’évangéliste Jean reste le subversif permanent. Pour lui, aucun magistère ne peut se substituer à la vérité que l’Esprit instille dans toute communauté chrétienne creusant, avec la sincérité de l’amour, la Parole du Christ.

 

 

 

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