Introduction à la Lectio Divina

« Je possède une Bible, et tous les jours j’en lis un passage, mais c’est curieux comme les mêmes lignes peuvent avoir une signification différente, comme on les sent différemment, suivant la grâce qui nous habite. Ce qui est un jour « torrent d’eau vive » n’est plus le lendemain qu’une phrase connue qui n’a plus grande valeur. Moi qui, il y a quelques mois, étais persuadé qu’on ne pouvait lire l’Evangile sans se convertir, je m’aperçois aujourd’hui que les vérités ardentes qu’il renferme ne le sont que si on les lit avec les yeux de la grâce. « Je te remercie, Père, de ce que tu as caché ces choses aux grands, et les as dévoilées aux petits » » (Jacques Fesch, condamné à mort et exécuté en 1957).

 

Rencontrer par sa Parole le Christ Ressuscité

La « lectio divina », « lecture divine » de la Parole de Dieu, requiert tout d’abord un contexte de foi en la réalisation concrète des Promesses du Christ. De sa propre initiative, il a en effet dit à ses disciples juste avant sa mort et sa résurrection : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus », car bientôt il mourra sur une croix et sera mis au tombeau. Mais le troisième jour, le Père le ressuscitera d’entre les morts par la Puissance de l’Esprit Saint, et d’une manière invisible aux yeux de chair, il se rendra présent à la vie et au cœur de ses disciples. Il leur donnera d’avoir part à son propre Esprit, cet Esprit qui remplit son cœur en Plénitude, illumine de l’intérieur le regard et communique à celui qui le reçoit la Vie même de Dieu. Aussi, vous qui croyez en moi, vous qui me laissez faire en vos cœurs mon œuvre de Salut et de Révélation, « vous verrez que je vis, et vous aussi vous vivrez ». Et la Bible de Jérusalem explique en note : « Pour le monde, c’en sera fini de Jésus. Les disciples au contraire le verront vivant, ressuscité, d’une vision qui ne sera pas seulement sensible, mais spirituelle et intérieure, par la foi ». Seuls, en effet, les Apôtres et quelques disciples ont reçu la grâce de le voir ressuscité de leurs yeux de chair, de toucher son corps avec leurs doigts de chair. Mais Jésus promet ici à tous les disciples de tous les temps qu’il se fera reconnaître à leur vie, à leur cœur… Ils ne le verront pas avec leurs yeux de chair, ils ne le toucheront pas de leurs doigts de chair, mais le Christ se fera la Vie de leur vie (Gal 2,19b-20).… C’est ce mystère de communion, qui les saisira tout entier au plus profond de leur être, qu’ils sont invités à reconnaître avec les yeux de la foi : « Ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous. Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime ; or celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; et je l’aimerai et je me manifesterai à lui » (Jn 14,18-21)…

 

Mystère de gratuité, d’Amour et de Miséricorde

« Je me manifesterai à lui »… Grande promesse de Jésus, faite de nouveau de sa propre initiative à des hommes blessés par le péché, intérieurement et spirituellement malades… Mais, disait-il, « ce ne sont justement pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Mt 9,10-13). Dieu m’a fait comprendre, disait Jacques Fesch, « que ce qui m’a été donné n’est pas dû à mes mérites, comme j’aurai eu tendance à le croire, mais n’est qu’un don gratuit qui procède de sa miséricorde ».

Cette promesse de Jésus, « je me manifesterai à lui », se réalisera donc non pas parce que telle ou telle personne serait meilleure que les autres, mais sur la seule base de cet Amour Gratuit et Miséricordieux qu’Il nous porte. C’est ainsi que St Paul reçut, au moment où il s’y attendait le moins, la visite du Christ ressuscité… Il était en chemin pour aller persécuter les chrétiens de Damas ! « Voici une parole sûre », écrira-t-il plus tard (il l’a vécue !), « elle mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, le premier, je suis pécheur, mais si le Christ m’a fait miséricorde, c’est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait ; je devais être le premier exemple de ceux qui croiraient en lui en vue de la vie éternelle » (1Tm 1,12-17).

La Lectio Divina se vivra donc à la Lumière de cet Amour du Christ qui continue jour après jour de chercher les brebis égarées que nous sommes, de frapper inlassablement à la porte de nos cœurs… Ouvrir sa Bible ou son missel, prendre un temps pour lui, c’est justement lui offrir la possibilité de nous rencontrer et d’agir en nous selon sa Parole : « Père, je leur ai fait connaître ton Nom et je le leur ferai encore connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux » (Jn 17,26)…

 

Lire la Parole avec l’Esprit Saint

La Lectio Divina s’appuie encore sur une autre promesse du Christ, qui rejoint en fait les précédentes : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements ; et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet » (Défenseur, Avocat…) « pour qu’Il soit avec vous à jamais, l’Esprit de Vérité que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous, et en vous il sera » (Jn 14,15-17).

Jésus était déjà un Guide, un Défenseur, un Avocat pour ses disciples : il veillait sur eux, il les encourageait, les exhortait, leur expliquait sa Parole… Mais il sait qu’il doit maintenant les quitter pour un autre mode d’existence : il va mourir puis ressusciter et monter vers le Père. Mais il ne les abandonnera pas pour autant. Non seulement il continuera de leur être mystérieusement tout proche, mais il leur sera uni de cœur par la communion d’un même Esprit, une grâce que leur donnera cet Autre Défenseur envoyé par le Père : l’Esprit Saint. Invisible lui aussi à leurs yeux de chair, mais bien présent et agissant avec eux et en eux, il poursuivra l’œuvre du Christ et les aidera à entrer toujours plus avant dans cette Révélation du Père que le Fils est venu nous proposer. « Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, il vous rappellera tout ce que je vous ai dit, et vous introduira dans la vérité tout entière ». Son premier rôle sera de rendre témoignage à la Parole du Christ, et il le fera au cœur du disciple par une action toute intérieure, discrète, invisible mais souveraine qui, petit à petit, emporte l’adhésion de celui qui s’y prête. « L’Esprit Saint fera naître la certitude intime de ce que les Apôtres annoncent extérieurement » (Jn 14,25-26 ; 16,12-15)…

 

Pour vivre l’aventure de la Lectio Divina

« Le saint Concile exhorte avec force et de façon spéciale tous les chrétiens,… à acquérir par la lecture fréquente des divines Ecritures « une science éminente de Jésus-Christ » (Philippiens 3, 8), car « ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ » (St Jérôme) »…

Et la prière doit accompagner la lecture de la Sainte Ecriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme, car « c’est à lui que nous nous adressons quand nous prions ; c’est lui que nous écoutons, quand nous lisons les oracles divins » (St Ambroise) » (Concile Vatican II ; constitution Dei Verbum, & 25).

 

Demander le secours de l’Esprit Saint

La Lectio Divina – lecture de la Parole de Dieu dans un contexte de prière – est l’œuvre conjointe de deux acteurs : celui ou celle qui lit la Parole et l’Esprit Saint qui, invisiblement, l’accompagne et agit en son cœur.

Il s’agira donc tout d’abord d’être en forme, le plus pleinement soi-même, dans une atmosphère de calme et de recueillement qui favorisera l’attention.

Et puisque cette lecture croyante se fait à deux, le premier pas sera de prier et de demander de tout cœur la Présence et l’aide de l’Esprit Saint, le plus simplement possible, dans la confiance. « Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent », disait Jésus. Et un jour, il déclara à une femme de Samarie : « Si tu savais quel est le don de Dieu et qui est celui qui te dit « Donne-moi à boire », c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’Eau Vive », c’est-à-dire l’Esprit Saint (Lc 11,9-13 ; Jn 4,7-14 ; cf Jean 7,37-39 ; 14,15-17 ; 14,23-26 ; 16,12-15 ; 1Co 2,9-12 ; Ephésiens 1,15-22 ; 3,14-21 ; 1Th 4,8 ; Ac 2,37-41 ; 5,29-32)…

On peut marquer cette première étape par un petit geste corporel : se mettre à genoux pour la prière, allumer une bougie… Puis on se lance dans l’aventure en prenant ou bien les lectures proposées par l’Eglise pour l’Eucharistie du jour, ou bien un Evangile dans lequel on avancera pas à pas… Le premier travail consistera tout simplement à faire attention à cette Parole que nous lisons, une Parole qui est avant tout l’annonce d’une Bonne Nouvelle : « Je Suis la Lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie… Je suis venu en effet pour qu’on ait la Vie, et qu’on l’ait surabondante » (Jean 8,12 ; 10,10 ; 12,46)…

 

Vivre la Parole avec l’Esprit Saint

L’œuvre de l’Esprit de Vérité est de rendre témoignage à la Vérité, et notamment aux Paroles de Celui qui s’est présenté à nous comme étant « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). Ce témoignage est Celui que Dieu rend à son Fils, et il est avant tout de l’ordre de la Vie. Lisons ensemble un extrait de la Première Lettre de St Jean, et remarquons le lien qui unit toutes les expressions en caractères gras. Au tout début, il insiste fortement sur la réalité de l’Incarnation du Fils Unique. Le Verbe s’est fait chair, une chair qu’il donnera pour la vie du monde. Et sur la croix, un soldat romain lui transpercera le cœur, d’où jaillira de l’eau et du sang …

« Jésus, le Fils de Dieu, c’est lui qui est venu par l’eau et par le sang :

non avec l’eau seulement mais avec l’eau et avec le sang.

Et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la Vérité.

Il y en a ainsi trois à témoigner : l’Esprit, l’eau et le sang,

et ces trois tendent au même but.

Si nous recevons le témoignage des hommes,

le témoignage de Dieu est plus grand.

Car c’est le témoignage de Dieu,

le témoignage que Dieu a rendu à son Fils.

Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui.

Celui qui ne croit pas en Dieu fait de lui un menteur,

puisqu’il ne croit pas au témoignage que Dieu a rendu à son Fils.

Et voici ce témoignage : c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle

et que cette vie est dans son Fils.

Qui a le Fils a la vie ;

qui n’a pas le Fils n’a pas la vie.

Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu,

pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle »

(1Jn 5,5-13).

Dieu rend donc témoignage à son Fils par l’action de l’Esprit Saint et ce témoignage est de l’ordre de la Vie. Ecouter les Paroles du Christ avec foi, c’est donc ouvrir son cœur à ce témoignage de Dieu et de l’Esprit qui est Vie… Et les Paroles du Christ deviennent « Esprit et Vie »… « Tu as les Paroles de la Vie éternelle », disait St Pierre à Jésus (Jn 6,68 et 6,63) …

 

 

Observer, méditer, contempler

Pour nous aider à pratiquer la Lectio Divina, le Cardinal Martini, archevêque de Milan, propose, après le temps de prière à l’Esprit Saint, les trois étapes suivantes :

1 – Observer (ou lire) : « La lecture consiste à lire et relire la page de l’Ecriture en mettant en relief les éléments importants ». On peut prendre une feuille de papier et recopier le passage choisi ; puis, avec des crayons ou des stylos de différentes couleurs, on peut « souligner les paroles qui frappent », ou encore « les verbes, les sujets, les sentiments exprimés, les mots clefs. Ce faisant, notre attention est stimulée ; l’intelligence, la fantaisie et la sensibilité se mettent en mouvement et un passage évangélique qui semblait trop connu devient comme neuf. Depuis tant d’années je lis l’Evangile et pourtant, chaque fois que j’en reprends la lecture, je découvre des aspects nouveaux. Ce premier travail peut occuper un certain temps si nous sommes ouverts à l’Esprit »…

2 – Méditer : « La méditation est la réflexion sur les valeurs que fait ressortir le texte. On pose la question : qu’est-ce que le texte me dit ? Quel message en référence à aujourd’hui est proposé dans ce passage comme parole du Dieu vivant ? Comment suis-je bousculé par la foi qui se trouve exprimée dans les actions, les paroles, les thèmes ? »

3 – Prier ou contempler : « La contemplation est difficilement exprimable et explicable. Il s’agit de demeurer avec amour dans le texte et de passer du texte et du message à la contemplation de Celui qui parle dans chaque page de la Bible : Jésus, Fils du Père qui nous donne l’Esprit. La contemplation est adoration, louange, silence devant celui qui est l’objet ultime de ma prière, le Christ Seigneur, vainqueur de la mort, qui fait connaître le Père, et qui nous donne la joie de l’Evangile. »

« En fait ces trois moments ne sont pas rigoureusement distincts, mais cette division est utile pour celui qui entre dans cette lecture familière de la Bible. Notre prière est ce qui relie les journées les unes aux autres. Et il peut arriver que face à un texte d’Ecriture, nous nous arrêtions un jour davantage sur la méditation et qu’un autre jour, en revanche, nous passions rapidement à la contemplation ».

Quoiqu’il en soit, écrit Marc Sevin, « quand on s’engage dans la Lectio Divina, il s’agit de tenir bon ». Elle peut en effet avoir à certains jours « un côté répétitif et parfois fastidieux. Mais avec un peu de persévérance, elle devient savoureuse » (Marc SEVIN, « LA LECTURE SAINTE ; Guide pour une lecture croyante de la Bible » ; supplément à « Prions en Eglise » aux Editions Bayard Presse, p. 98. Citations du Cardinal Martini p. 25-26.) . Et même si apparemment il ne s’est pas passé grand chose, il se passe néanmoins toujours quelque chose, car « Il » était là, c’est Lui qui l’a promis…

« La Lectio Divina a toujours été et restera toujours, de par son objet même, une tâche austère, un vrai sacrifice spirituel. Source de toute générosité, elle en appelle aussi beaucoup » (Dom Adalbert de Vogüe) ».

« Qui dont est capable de comprendre

toute la richesse d’une seule de tes paroles, Seigneur ?

Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons,

Comme des gens assoiffés qui boivent à une source.

Le Seigneur a coloré sa Parole de multiples beautés,

Pour que chacun de ceux qui scrutent puisse contempler ce qu’il aime.

Et, dans sa Parole, il a caché tous les trésors,

Pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu’il médite.

La Parole de Dieu est un arbre de vie

qui, de tous côtés, te présente des fruits bénis.

Elle est comme ce rocher qui s’est ouvert dans le désert

Pour offrir à tous les hommes une boisson spirituelle.

Réjouis-toi parce que tu es rassasié,

Mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse.

Celui qui a soif se réjouit de boire,

Mais il ne s’attriste pas de ne pas épuiser la source.

Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source.

Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie,

Tu pourras boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif.

Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source,

Ta victoire deviendrait ton malheur.

Rends grâce pour ce que tu as reçu, et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé.

Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage.

Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse,

Tu le recevras une autre fois, si tu persévères.

N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait

Ce qui ne peut être pris en une fois ;

Et ne renonce pas par négligence,

A ce que tu es capable d’absorber peu à peu. »

Saint Ephrem (Diatessaron I,18.19).

CONSTITUTION DOGMATIQUE DEI VERBUM SUR LA RÉVÉLATION DIVINE

 CHAPITRE I : LA RÉVÉLATION ELLE-MÊME

Nature et objet de la révélation 

  1. Il a plu a Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (2): par le Christ, Verbe fait chair, les hommes ont, dans le Saint-Esprit, accès auprès du Père, et deviennent participants de la nature divine (3). Ainsi par cette révélation, provenant de l’immensité de sa charité, Dieu, qui est invisible (4), s’adresse aux hommes comme à des amis (5), et converse avec eux (6) pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la révélation se fait par des actions et des paroles si étroitement liées entre elles, que les oeuvres accomplies par Dieu dans l’histoire du salut rendent évidentes et corroborent la doctrine et l’ensemble des choses signifiées par les paroles, et que les paroles proclament les oeuvres et font découvrir le mystère qui s’y trouve contenu. Mais la vérité profonde aussi bien sur Dieu que sur le salut de l’homme, c’est par cette révélation qu’elle resplendit à nos yeux dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de la révélation tout entière (7).

  1. A Dieu qui révèle, il faut apporter  » l’obéissance de la foi  » (Rom. 16, 26; coll. Rom. 1, 5; 2 Cor. 10, 5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu en apportant  » au Dieu révélateur la soumission complète de son intelligence et de sa volonté  » (18) et en donnant de toute sa volonté son assentiment à la révélation qu’Il a faite. Pour apporter cette foi, l’homme a besoin de la grâce de Dieu qui fait les premières avances et qui l’aide, et du secours intérieur de l’Esprit-Saint pour toucher son coeur et le tourner vers Dieu, pour ouvrir les yeux de son âme, et donner  » à tous la joie profonde de consentir et de croire à la vérité  » (19). Mais pour que l’on pénètre toujours plus avant dans la connaissance de la Révélation, le même Esprit Saint ne cesse par ses dons de rendre la foi plus parfaite.

 

Respect de l’Eglise pour les Saintes Ecritures 

  1. L’Eglise a toujours témoigné son respect à l’égard des Ecritures, tout comme à l’égard du Corps du Seigneur lui-même, puisque, surtout dans la Sainte Liturgie, elle ne cesse, de la table de la Parole de Dieu comme de celle du Corps du Christ, de prendre le pain de vie et de le présenter aux fidèles. Elle les a toujours considérées, et les considère, en même temps que la Tradition, comme la règle suprême de sa foi, puisque, inspirées par Dieu et consignées une fois pour toutes par écrit, elles nous communiquent, de façon immuable, la parole de Dieu lui‑même, et dans les paroles des Prophètes et des Apôtres font retentir à nos oreilles la voix du Saint-Esprit. La prédication ecclésiastique tout entière, tout comme la religion chrétienne elle-même, il faut donc qu’elle soit nourrie et guidée par la Sainte Ecriture.

Car dans les Livres saints, le Père qui est aux cieux s’avance de façon très aimante à la rencontre de ses fils, engage conversation avec eux; une si grande force, une si grande puissance se trouve dans la Parole de Dieu, qu’elle se présente comme le soutien et la vigueur de l’Eglise, et, pour les fils de l’Eglise, comme la solidité de la foi, la nourriture de l’âme, la source pure et intarissable de la vie spirituelle. Aussi valent-elles de façon magnifique pour l’Ecriture Sainte, ces paroles:  » La parole de Dieu est vivante et efficace  » (Héb. 4, 12);  » elle a la puissance de construire l’édifice et de procurer aux fidèles l’héritage avec tous les sanctifiés  » (Act. 20, 32; cf. 1 Thess. 2, 13).

De même le saint Concile exhorte avec force et de façon spéciale tous les chrétiens, surtout les membres des instituts religieux, à acquérir par la lecture fréquente des divines Ecritures  » une science éminente de Jésus-Christ  » (Phil. 3, 8), car  » ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ « .

Qu’ils approchent donc de tout leur coeur le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie, qui est remplie des paroles divines, soit par une pieuse lecture, soit par des cours faits pour cela ou par d’autres méthodes qui, avec l’approbation et le soin qu’en prennent les Pasteurs de l’Eglise, se répandent de manière louable partout de notre temps. Mais la prière — qu’on se le rappelle — doit accompagner la lecture de la Sainte Ecriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme, car  » c’est à lui que nous nous adressons quand nous prions; c’est lui que nous écoutons, quand nous lisons les oracles divins « .

 

La lectio divina, lecture « en présence » de Dieu…

« Quand on entreprend de lire la Bible, on est un peu comme ces deux hommes qui se trouvaient sur la route de Jérusalem à Emmaüs (Lc 24,13-35) : le Christ est là. Ils ne le savent pas. Il fait silence. Ils ne l’ont pas encore nommé, mais il est présent. Lui est là, saisi par leur lourde tristesse à tous deux.

Lorsque nous ouvrons la Bible, le texte commence par rester muet. Puis il nous interroge, comme Jésus Christ interrogeait ces deux hommes.

Et, tout à coup, les voilà tous les trois qui reprennent la parole biblique (la Bible). Et le texte évoqué, de lointain et de froid qu’il était, devient une parole chaleureuse. Des mots cessent de n’être que des mots. Nos oreilles, notre intelligence, notre vie, sont mises en alerte. Derrière ces mots, il y a QUELQU’UN ! Quelqu’un qui parle, qui nous parle: sa présence commence à être ressentie; les phrases se mettent à vivre et deviennent message, et cet absent ignoré devient proche.

Mais tout ne fait que commencer lorsque la Bible est ouverte, lorsqu’elle est devenue Parole vivante après le silence. Le récit d’Emmaüs nous conduit plus loin : il y a le geste de communion réalisée, les frères retrouvés, la confession commune de foi proclamée, et l’intelligence brûlante a enfin compris que Lui était là ».

« Grâce à la lecture de la Bible… Jésus Christ vient à nous, et nous pouvons aller à Lui, sans qu’on sache très bien qui s’approche de l’autre ».

« Ouvrir la Bible, c’est établir une relation possible avec le texte, avec Celui qui parle à travers le texte, avec ceux auxquels il nous conduit ».

« Ouvrir la Bible, c’est laisser le Christ ouvrir notre esprit et nous faire découvrir les vastes horizons de Dieu dans le monde des hommes »…

Maurice Carrez.

(BAGOT J.-P., Pour lire la Bible (Bar le Duc 1993) p. 3-4)

La Lectio Divina consiste à « nous exposer et à nous ouvrir à la Parole du Dieu vivant, réellement présent dans cette rencontre personnelle à laquelle il me convie »

Joseph-Marie Verlinde.

(VERLINDE J.-M., Initiation à la Lectio Divina p. 30)

La Lectio Divina, Présence de Dieu au cœur de nos lourdeurs humaines…

« L’Ecriture parle pour moi ; elle me parle de Dieu, mais aussi de moi : « Si l’Ecriture est pour nous miroir du Christ et, par lui, miroir de Dieu, elle est aussi le miroir de notre être en face de Dieu » » (Fr. François et Fr. Pierre Yves).

« Naître à la Parole, c’est découvrir au plus intime de soi-même ce qui parle en nous. Le petit Samuel entendait une voix l’appeler par son nom, mais il ne savait pas qui pouvait ainsi l’appeler. Etrange parole qui arrive à se frayer son chemin par-delà nos surdités et nos encombrements. Parole plus vive que le feu, capable de brûler sur son passage tout ce qui lui fait obstacle. Parole plus tranchante que le glaive, qui donne l’audace de couper toutes les hésitations et les attaches qui n’ont rien à voir avec l’essentiel… C’est à travers l’épaisseur de notre humanité, en effet, que la Parole créatrice et recréatrice nous rejoint, nous qui sommes des mal‑entendants » (P. Léo Scherer).

En ce sens, la Lectio Divina n’est pas une lecture au sens classique du terme : lorsque Dieu parle, il m’introduit dans mon propre monde, il ouvre devant moi un chemin d’espérance et de liberté, il me conduit sur ma propre terre. « Lorsqu’elle parle, précise Y. Cattin, la Parole institue son interlocuteur dans son irréductible singularité : Dieu parle à Abram et il devient Abraham. La Parole elle-même fonde son auditeur dans son être même : elle est rencontre de la singularité de celui qui lit avec le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Dieu de Jésus-Christ, Dieu de tous ceux qui lisent les Ecritures dans la foi. La Parole dans son Ecriture ouvre le monde de mon humanité possible, qui, par la conversion et l’alliance proposée, doit devenir mon humanité réelle. L’Ecriture qui consigne une Parole qui est au-devant de moi, comme un appel à devenir moi-même dans le monde qu’elle écrit ».

L’Ecriture me parle de mon origine dans le plan de Dieu et de ma fin en lui ; elle me parle du chemin à parcourir, de l’exode à accomplir pour passer des ténèbres du mensonge à la lumière de la vérité. Elle dévoile les pensées secrètes de mon cœur et m’invite à la liberté (cf. Hb 4,12) » (VERLINDE J.-M., Initiation à la Lectio Divina p. 26-27).

La Lectio Divina, dans la foi et la Lumière de l’Esprit Saint

« Origène affirme que seule l’Eglise comprend l’Ecriture, parce que l’Eglise « se convertit au Seigneur » dans la foi ; dès lors c’est pour la communauté des croyants, et pour elle seule, que le voile tombe (2Co 3,16). Pour comprendre spirituellement l’Ecriture, le lecteur doit participer au mouvement de conversion de l’Eglise car il est impensable « qu’un incrédule voie la Parole de Dieu ».

« L’origine des Ecritures, précise Saint Bonaventure, ne se situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine Révélation qui provient du Père des Lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom (Eph 3,14-15). De lui, par son Fils Jésus Christ, s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et, par la foi, le Christ habite en nos cœurs. Telle est la connaissance de Jésus-Christ de laquelle découle, comme de sa source, la fermeté et l’intelligence de toute la Sainte Ecriture (Ep 3,14-21).

Il est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans posséder d’abord, insérée en soi, la foi du Christ, comme la lumière, la porte et le fondement de toute l’Ecriture. Car, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du Seigneur, la foi est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun.

Si nous voulons progresser par la route droite des Ecritures, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire accéder à une foi pure au Père des lumières en fléchissant les genoux de notre cœur, afin que par son Fils, dans son Esprit Saint, il nous donne la vraie connaissance de Jésus Christ et, avec sa connaissance, son amour.

Le connaissant et l’aimant, et comme consolidés dans la foi et enracinés dans la charité, il nous sera alors possible de connaître la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de la Sainte Ecriture et, par cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière et à l’amour immuable de la Bienheureuse Trinité. Là tendent les désirs des saints, là se trouve l’aboutissement et l’achèvement de toute vérité et de tout bien. »

Enfin, seul l’Esprit peut nous dévoiler le vrai sens des Ecritures, peut nous faire découvrir ce que la Lectio entend être : une rencontre avec le Verbe éternel venu jusqu’à nous pour nous partager son « bien », c’est-à-dire sa vie filiale.

« J’ai encore beaucoup à vous dire,

mais vous ne pouvez pas le porter à présent.

(13)    Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,

il vous guidera dans la vérité tout entière ;

car il ne parlera pas de lui-même,

mais ce qu’il entendra, il le dira

et il vous expliquera les choses à venir.

(14)    Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous l’expliquera.

(15)    Tout ce qu’a le Père est à moi.

Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit

et qu’il vous expliquera » (Jean 16,12-15).

L’Ecriture ne suffit pas à faire connaître son sens ; celui-ci est communiqué par l’Esprit Saint, dans une révélation dont le fruit en nous est la connaissance chrétienne :

« Pénétrer jusqu’au cœur et à la moelle les Paroles célestes, commente Jean Cassien, en contempler les mystères profonds et cachés avec le regard purifié du cœur, cela, ni la science humaine, ni la culture profane ne l’obtiendra, mais seulement la pureté de l’âme, par l’illumination du Saint Esprit. »

La Lectio doit donc être célébrée comme un sacrement : il n’y a pas de Lectio sans épiclèse (venue de l’Esprit). Car commente Saint Jérôme :

« Seul l’homme spirituel, qui juge de tout, et lui-même n’est jugé par personne (1Co 2,15), peut découvrir le Christ dans les livres divins. »

Ce que confirme Saint Grégoire, le grand docteur de l’intériorité chrétienne :

« Les Paroles de Dieu ne peuvent absolument pas être pénétrées sans la sagesse : car si quelqu’un n’a pas reçu l’Esprit de Dieu, il ne peut d’aucune manière comprendre les Paroles de Dieu ».

Guillaume de St Thierry abonde dans le même sens :

« Parmi les ténèbres et l’ignorance de cette vie, l’Esprit Saint est lui-même, pour les pauvres en esprit, la lumière qui éclaire, la charité qui attire, la douceur qui saisit. Il est l’accès de l’homme auprès de Dieu, l’amour de celui qui aime, la piété de celui qui se livre sans réserve. C’est lui qui, de conviction en conviction[1], révèle aux croyants la justice de Dieu ; il donne grâce pour grâce, et à la foi qui s’attache à l’écoute de la Parole, il donne en retour la foi illuminée ».

Jacques Guillet se fait l’écho de cette doctrine traditionnelle lorsqu’il écrit : « Pour pénétrer jusqu’à leur centre et y reconnaître la personne du Christ, ni la recherche historique, ni l’étude raisonnée du langage de la Bible, ni la magie de ses rythmes ou de ses images n’ouvrent les dernières voies d’accès. Car le Seigneur, c’est l’Esprit (2Co 3,17), et la présence de Jésus-Christ dans les Ecritures est celle de l’Esprit » »[2].

« Oui, pour arriver à une interprétation pleinement valable des paroles inspirées par l’Esprit Saint, il faut être soi-même guidé par l’Esprit Saint et, pour cela, il faut prier, prier beaucoup, demander dans la prière la lumière intérieure de l’Esprit et accueillir docilement cette lumière, demander l’amour, qui seul rend capable de comprendre le langage de Dieu, qui « est amour » (1 Jn 4, 8.16). Durant le travail même d’interprétation, il faut se maintenir le plus possible en présence de Dieu ».

Jean-Paul II

L’Interprétation de la Bible dans l’Eglise

Documentation Catholique n° 2085 – 2 Janvier 1994.

Jacques Fournier

 

[1] Note de la Bible de Jérusalem pour 1Jn 4,13 : « Ce don de l’Esprit annoncé pour les derniers temps, (Ac 2, 17-21, 33), a été répandu dans les cœurs, cf. (Rm 5, 5+) ; (1 Th 4, 8), et y fait naître la certitude intime de ce que les apôtres annoncent extérieurement, 5 6-7 ; cf. (Ac 5, 32). Ici il s’agit de l’état de fils de Dieu, (Rm 8, 15-16) ; (Ga 4, 6) ».

[2] VERLINDE J.-M., Initiation à la Lectio Divina p. 70-73.

 

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