Mc 1,40-45 : La victoire de l’Amour.

1 – Le regard porté sur la maladie dans l’Ancien Testament et à l’époque de Jésus

 

Un jour, « en passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : « Rabbi (Maître), qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents » » (Jn 9,1-3)…

Beaucoup pensaient donc qu’il existe un lien direct entre le péché et la maladie. Cette conception s’enracine dans les temps les plus anciens. Déjà, les peuples voisins d’Israël croyaient en ce que l’on appelle souvent « Le Principe de Rétribution selon les actes ». Ce principe est très certainement née de l’expérience : en effet, lorsque quelqu’un fait ce qui n’est pas bon, il doit s’attendre à des conséquences qui elles aussi ne seront pas bonnes. Prenons l’exemple de la drogue et de tous les dégâts qu’elle peut générer dans une vie… Mais à l’époque où les sciences et la médecine n’avaient pas encore faits les progrès que nous leur connaissons, les anciens vont penser que ces conséquences mauvaises sont le fruit d’une puissance mauvaise libérée par l’acte mauvais. Et tôt ou tard, elle retombe sur celui qui a fait le mal et sur son entourage…

Israël va accueillir cette croyance des peuples voisins et l’intégrer dans sa foi encore toute jeune. Lors de la sortie d’Egypte, racontée dans le Livre de l’Exode, ils ont vu le Seigneur à l’œuvre avec une grande Puissance, et ils en ont déduit que cette Puissance ne pouvait qu’être celle du Dieu Créateur, ce Dieu Tout Puissant qui a fait surgir l’univers du néant. Et ils se faisaient une idée si grande de cette Toute Puissance de Dieu qu’ils pensaient que rien ne pouvait lui échapper, pas même le mal :

Am 3,6 : « Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que le Seigneur en soit l’auteur ? »

   (Pour eux, la réponse est : « Non ! Le Seigneur en est bien l’auteur ! »)

Lm 3,38 : « N’est-ce pas de la bouche du Très Haut que sortent malheurs et bonheurs ? »

   (Pour eux, la réponse est : « Oui ! Tout vient de Dieu, le bonheur et le malheur ! »)

Ces conséquences mauvaises, déclenchées dans la pensée païenne par une puissance mauvaise, ne pouvaient donc pour eux que venir de Dieu. « Le Principe de Rétribution selon les actes » a donc conduit Israël à s’imaginer que Dieu était un Juge qui, du haut du ciel, récompensait les justes et punissait ceux qui font le mal :

1R 8,32 (cf Ez 7,3 et 22,31) : « Toi, écoute au ciel et agis ; juge entre tes serviteurs :

déclare coupable le méchant en faisant retomber sa conduite sur sa tête,
et justifie l’innocent en lui rendant selon sa justice ».

Disons le tout de suite : même appliquée à Dieu, cette conception est fausse.

Déjà, dans l’Ancien Testament, beaucoup réagirent en trouvant injuste que Dieu fasse retomber sur la tête des enfants la conduite de leurs parents (Ex 20,5 ; 2Sm 24,10‑17). Aussi, certains prophètes commencèrent à annoncer que seuls ceux qui ont commis une faute recevront le châtiment qui lui correspond :

 

Jr 31,29-30 (cf Ez 18,1-3 ; 18,20) :

« En ces jours-là on ne dira plus :
Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées.
Mais chacun mourra pour sa propre faute.
Tout homme qui aura mangé des raisins verts, ses propres dents seront agacées. »

C’était déjà mieux, mais les croyances ont la vie dure : la question des disciples de Jésus cinq siècles plus tard le prouve ! Le Christ balaiera d’une phrase une telle conception de Dieu. Non, Dieu n’est pas un juge qui punit et nous fait du mal parce que nous-mêmes avons mal agi. Certes, il fait la vérité, mais cette vérité est inséparable chez Lui de son Amour et de son infinie Miséricorde. Lorsque Dieu veut nous faire prendre conscience de notre péché, il nous révèle toujours en même temps son amour (Is 1,2-4 ; 1,15-18). Petit à petit, il nous montre ce qui ne va pas dans notre vie pour que nous puissions aller à lui sans peur et lui offrir toutes nos misères. Voilà ce qu’Il attend. Et il enlèvera bien vite tout ce qui nous empêche d’être pleinement en relation avec lui et avec nos frères (Ps 103(102),11-12), il nous purifiera et il nous rétablira par le don de son Esprit ((Ez 36,25-28) dans cette communion avec Lui que nous n’aurions jamais dû quitter !

Quoiqu’il en soit, une telle conception de Dieu a conduit les auteurs de l’Ancien Testament à nous le décrire souvent de façon contradictoire : « Il blesse, puis il panse la plaie ; il meurtrit, puis il guérit de sa main » (Jb 5,18) ; « C’est moi qui fais mourir et qui fait vivre ; quand j’ai frappé, c’est moi qui guéris » (Dt 32,39). Et nous lisons peut-être le pire dans ce même livre du Deutéronome : « Autant le Seigneur avait pris plaisir à vous rendre heureux et à vous multiplier, autant il prendra plaisir à vous perdre et à vous détruire » (28,63). Non ! Dieu n’est pas ainsi ! Il n’est qu’Amour et Bonté (1Jn 4,8 ; 4,16 ; Tt 3,4-7), un Amour pleinement manifesté en Jésus-Christ (1Jn 3,16 ; Jn 15,13 ; 15,9 ; Ac 10,37-38 ; Rm 8,35-39). Jamais Il ne juge au sens de condamner (Jn 3,16-17 ; 8,11). Son seul désir est que nous connaissions le plus possible la Vie en plénitude (Jn 10,10), le vrai Bonheur (Dt 5,27-33 ; 6,18 ; 6,24), la vraie Paix (Jn 14,27) et la vraie Joie qui est communion à sa Joie (Jn 15,11)…

 

 

2 – La condition du lépreux

Parmi les maladies mentionnées dans la Bible, la lèpre tient une place importante. Par sa gravité, son caractère contagieux et les ravages qu’elle pouvait occasionner dans la communauté, elle était considérée en Israël comme le type même du châtiment de Dieu, le coup par excellence dont Il frappe les pécheurs (Dt 28,35 ; cf Nb 12,1-9 ; 2Ch 26,16-20).

Celui qui en était atteint devait aller voir non pas le médecin mais un prêtre. Et si, après examen, le cas de lèpre était effectivement reconnu, le malade était déclaré « impur » (Lv 13,3 et 13,8) et il se retrouvait exclu de la communauté (Nb 5,2-4). Il lui était interdit d’entrer à Jérusalem, la ville sainte. Il était complètement marginalisé : il devait porter ses vêtements déchirés, ses cheveux dénoués, et crier « Impur ! Impur ! » lorsque quelqu’un s’approchait de lui (Lv 13,45-46).

Si, un jour, un lépreux guérissait, sa guérison devait être constatée par un prêtre car elle était le signe du pardon de Dieu (Lv 14,2). On ne parlait pas d’ailleurs pour lui de « guérison » mais de « purification » : Dieu l’avait purifié de son péché. Aussi, devait-il offrir un sacrifice semblable au « sacrifice pour le péché » (Lv 14,19-20 ; exemple pour le contact avec un lépreux : 5,3 et 5,5).

 

 

 3 – La purification du lépreux en St Marc

St Marc a très bien construit son texte autour de ses deux personnages principaux : Jésus et le lépreux.

(40) – Un lépreux vient vers lui (Jésus),

B – il le supplie                                              (La détresse du cœur s’exprime)

­ et, tombant à genoux,                             (L’attitude corporelle : adoration – abandon)

lui dit :                                                    (La parole)

                                            C – « Si tu veux, tu peux me purifier ».

(41)               B’ – Bouleversé jusqu’aux entrailles              (La compassion du cœur s’exprime)

­                      il étendit la main et le toucha                  (L’attitude corporelle : proximité – tendresse)

et lui dit :                                                  (La Parole)

                                             C’ – « Je le veux, sois purifié ».

(42) A’ – Et aussitôt la lèpre partit loin de lui et il fut purifié.

Vous trouverez une magnifique illustration de ce geste en http://www.jevismafoi.com/?p=557.

 Comme nous le constatons, St Marc a construit ce texte en mettant sans cesse en parallèle l’attitude du lépreux et celle de Jésus :

 – Un lépreux vient à Jésus, « un homme plein de lèpre » écrira St Luc (5,12) : il est totalement rongé et défiguré par la maladie. D’après ce que nous avons vu précédemment, ce lépreux est le type même du pécheur châtié par suite de ses fautes. Il va donc symboliser ici l’humanité souffrante, rongée, blessée, défigurée par le péché. Et tout de suite, cet homme va exprimer sa souffrance à Jésus : il le « supplie », un verbe que l’on pourrait aussi traduire par « il l’appelle auprès » de lui. En agissant ainsi, il désobéit à la Loi : plutôt que de s’approcher de Jésus, il aurait dû au contraire s’éloigner de lui en criant : « Impur ! Impur ! ». Mais Jésus ne le réprimande pas : ce commandement ne vient pas de Dieu, il n’est que tradition humaine (Mc 7,1‑8), ou plutôt tradition inhumaine, froide et dure. Aussi Jésus va-t-il répondre aussitôt à sa détresse avec beaucoup d’humanité, de délicatesse et de tendresse.

 A sa vue, Il fut tout d’abord « bouleversé jusqu’au plus profond de lui-même », « il ressentit une viscérale compassion ». La même expression apparaît déjà dans l’Ancien Testament pour décrire le bouleversement du cœur de Dieu face aux conséquences de nos péchés (Os 11,7-8) : « Mon peuple est cramponné à son infidélité. On les appelle en haut, pas un qui se relève ! Comment t’abandonnerais-je, Éphraïm… Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent ». Et la Bible de Jérusalem précise en note à propos de « bouleversé » : « Le mot est très fort ; il est précisément celui qui est employé à propos de la destruction des cités coupables (Gn 19,25 ; Dt 29, 22). Osée laisse entendre que le châtiment envisagé » (un châtiment qui correspond en fait aux conséquences inévitables du mal commis : souffrances, cris, pleurs…) « est comme vécu d’avance dans le cœur de Dieu ».

St Luc emploiera la même expression dans le cantique de Zacharie (Lc 1,76-79) : si Jésus, l’Astre d’en haut, nous a « visités » en se faisant homme parmi les hommes, nous le devons « aux sentiments de miséricorde de notre Dieu » (Bible de Jérusalem), « à sa bonté profonde » (TOB), littéralement, à ses « entrailles de miséricorde », ces mêmes entrailles qui, en Jésus, sont bouleversées face à la détresse du lépreux. Et lorsque Jésus est ainsi « remué jusqu’au plus profond de lui-même », il agit toujours pour notre salut … (Lc 7,13 en 7,11-17 ; Mt 9,36 en 9,35-38 ; 14,14 en 14,13-14 ; 15,32 en 15,32-39 ; 20,34 en 20,29-34)[1].

2 – Le lépreux tombe ensuite à genoux, dans un geste d’adoration, d’humilité et d’abandon. A ce geste Jésus va répondre par un autre geste… Le lépreux avait désobéi à la Loi en s’approchant de Jésus sans crier « Impur ! Impur ! ». Jésus va lui aussi désobéir à cette Loi inhumaine et il va volontairement « étendre la main et toucher » ce lépreux, un geste impensable à l’époque et qui aurait pu lui valoir une punition très sévère de la part des autorités religieuses (Nb 15,30‑31).

En touchant ce lépreux « impur », Jésus devient lui aussi « impur »… Voilà jusqu’où va la solidarité de Jésus avec les pécheurs que nous sommes (Mc 2,16 ; Lc 7,39 et 19,7). Nous retrouvons le même cas de figure en Marc 5,25-34, lorsque Jésus se laisse toucher par une femme qui souffrait de pertes de sang. Or le sang symbolisait la vie : perdre son sang revenait à être touché par la mort, et tout ce qui gravitait autour de la mort était « impur ». Cette femme était donc « impure », et elle savait très bien que, d’après la Loi, elle n’avait pas le droit de « toucher » qui que ce soit… Mais sa confiance en l’Amour de Jésus va être la plus forte… Par derrière, toute tremblante malgré tout, car elle sait qu’elle désobéit à la Loi, elle va le toucher… Comme pour le lépreux, Jésus ne lui fera aucun reproche. Bien au contraire, il est le premier à se réjouir de sa confiance. Devenir « impur » pour de telles raisons au regard de la Loi et des Pharisiens est le dernier de ses soucis. La seule chose qui le préoccupe est la vie, le bonheur, la libération, le salut de cette femme : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix »…

St Paul a une phrase très forte pour résumer cette folie de l’Amour de Dieu : « Lui (Jésus) qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous afin qu’en Lui nous devenions justice de Dieu » (2Co 5,21). Bien qu’il n’eût jamais « commis de faute » (1P 2,21-25), Jésus a, par amour, voulu partager notre condition humaine blessée par le péché pour qu’il nous soit donné d’avoir part à sa Sainteté et à sa Vie. Il a vécu en son corps et en son cœur toutes les conséquences de nos désobéissances, pour que nous puissions bénéficier de toutes les conséquences de son obéissance, et devenir justes comme Lui‑même est juste. Mystère d’Amour et de Miséricorde où le Dieu de Lumière s’est uni en son Fils et par Lui à nos ténèbres pour que nous puissions devenir à notre tour des fils et des filles de lumière (Jn 1,12 ; 12,46 et 8,12)… Et telle est bien la grâce de notre baptême, par le don de l’Esprit Saint (Ep 5,8-9).

 La guérison du lépreux dit tout ceci en actes et en images. Le lépreux symbolise tous les pécheurs que nous sommes. Par amour, Jésus étend la main et le touche. Aux yeux des hommes, il est désormais impur lui aussi. En le touchant, Jésus a voulu unir son sort à celui du lépreux. Par suite de sa maladie, le lépreux était condamné à mourir. Par suite de nos fautes, nous devons tous passer par la mort… Jésus, le Saint, va mourir lui aussi, avec nous et pour nous… Il s’est uni à notre mort pour que nous soyons unis à sa Vie… Tout comme la Lumière chasse les ténèbres, la Vie de Jésus va remporter la victoire sur toutes nos morts (Ps 51 (50),3-6). Et si maintenant Jésus et le lépreux ne font plus qu’un, tout ce qui n’est pas en harmonie avec Jésus va s’éloigner… de « l’homme plein de lèpre » : et de fait, « aussitôt, la lèpre partit loin de lui ». Reste « l’homme », pleinement rendu à lui-même, libéré, pacifié et guéri de tout ce qui l’opprimait et le faisait souffrir. Avec Jésus, ce n’est donc plus notre impureté qui se transmet par contact, mais sa pureté à Lui. Faisons donc comme le lépreux : allons à Lui de tout notre cœur, avec toutes nos misères et nos blessures puis laissons-nous toucher par Lui dès maintenant, dans la foi. De ce contact de cœur que le Christ établira avec chacun d’entre nous naîtra une créature renouvelée (2Co 5,17‑21), pacifiée (Jn 14,27) et remplie d’espérance (Rm 15,13).

3 – Enfin, le lépreux parle à Jésus : « Si tu veux, tu peux me purifier ». A sa parole, Jésus répondra lui aussi par une Parole en reprenant les termes mêmes du lépreux : « Je (le) veux, sois purifié ». Si nous regardons bien, il manque le « je peux », mais toute la suite le dira en actes.

La lèpre était considérée à l’époque comme la maladie la plus grave qui soit. Un lépreux était comparable à « un bébé mort né » (Nb 12,12). Sa guérison équivalait à une résurrection d’entre les morts, que Dieu seul bien sûr pouvait accomplir. L’Ancien Testament ne rapporte d’ailleurs que deux cas de guérison  : celle de Myriam, la sœur de Moïse (Nb 12) et celle de Naamân, un général syrien (2R 5). Jésus accomplit donc ici ce que Dieu seul peut faire ; de plus, il parle à la première personne : « je (le) veux »… St Marc espère que ses lecteurs se poseront « la » question : mais qui est-il donc ? Réponse : le Fils de Dieu au sens fort (Mc 15,39), ce Messie en qui et par qui « Dieu s’est fait tout proche », et il se propose de régner dans nos cœurs, dans nos vies, pour notre bien. Voilà ce qui plaît au Seigneur, voilà ce qu’Il fait (Ps 135 (134),1-6). La guérison du lépreux en sera le signe visible (Mt 11,2-6).

De plus, tout se réalise sur la seule base de la Parole du Christ. Elle a l’efficacité même de la Parole de Dieu : Il dit, et cela fut (Gn 1,1-2,4a). Dans son regard de foi porté sur Jésus, St Jean lui donnera le nom de « Verbe », de « Parole » : Il est « le Verbe fait chair » (Jn 1,14), Celui par qui Dieu créa le monde (Jn 1,3), Celui par qui il vient maintenant le sauver. Qui l’écoute écoute Dieu Lui-même (Jn 12,49-50), et qui croit en lui passe dès maintenant, par sa foi et dans la foi, de la mort à la Vie (Jn 5,24).

Le lépreux pour St Marc symbolise donc l’humanité toute entière, souillée et blessée à mort par le péché. Si elle se tourne vers Celui qui le premier est venu vers elle, elle trouvera avec Lui la purification de toutes ses fautes et le don d’une Vie qui l’arrachera à toute mort…

Juste après sa guérison, Jésus a une attitude surprenante : il chasse le lépreux guéri et lui demande de ne rien dire à personne. Jésus a-t-il vraiment agi ainsi ? Non… Mais il l’a très certainement invité à être discret, car il avait peur d’être mal compris. Tant de monde attendait en effet un Messie qui guérirait toutes les maladies, ferait disparaître toutes les souffrances, toutes les épreuves, et mettrait dehors l’envahisseur romain. Mais la mission de Jésus est d’un autre ordre… Voilà ce que St Marc veut souligner. Il va donc insister dans son récit sur cette invitation à la discrétion en mettant en scène un Jésus soudainement et inexplicablement brutal. St Luc corrigera cette façon d’écrire qui lui semble maladroite et excessive ; chez lui, Jésus ne « chassera » pas le lépreux guéri, il lui « recommandera » simplement de n’en parler à personne (Lc 5,14). Beaucoup appellent cette discrétion de Jésus sur son identité : « Le secret messianique » (voir le texte de Jacques Hervieux en fin de fiche).

Ce lépreux est enfin pour St Marc un double exemple :

1 – Exemple du Priant : « Si tu veux, tu peux ». Certes, il a un désir ; il aimerait bien que le Christ fasse quelque chose de précis pour lui. Mais il s’en remet en dernier ressort à sa volonté : « Si tu veux »… Il s’abandonne totalement entre les mains de Dieu. Et avec ce signe, nous découvrons que Dieu veut vraiment nous purifier, nous pardonner toutes nos fautes pour nous réconcilier à Lui dans l’unité et la paix d’un même Esprit…

Jésus priera lui aussi comme ce lépreux lorsque l’heure de sa Passion sera venue : « Abba, Père, tout est possible pour toi. Eloigne de moi cette coupe ; cependant non pas ce que moi je veux, mais ce que toi tu veux » (Mc 14,36)… Puissions-nous faire de même…

2 – Exemple du missionnaire. Jésus lui avait demandé de ne rien dire à personne. Le lépreux guéri va tout dire à tout le monde… Il vient de faire l’expérience de l’incroyable tendresse de Jésus et de la force toute puissante de son Amour et de son Pardon : maintenant, il est debout, guéri, plein de vie. Comment pourrait-il garder tout cela pour lui ? Impossible… Pour St Marc, ce lépreux juif guéri représente tous ceux et celles qui parmi les Juifs s’ouvriront à Jésus, découvriront son incroyable bonté et feront l’expérience de la puissance de sa Miséricorde. Il est l’exemple du missionnaire juif qui rendra témoignage à Jésus en « proclamant bien haut » la Bonne Nouvelle.

Plus tard, Jésus libèrera un païen de l’emprise du mal, et cet homme représentera à son tour l’ensemble des païens qui, ayant découvert Jésus, participeront à sa mission en lui rendant témoignage : « Va chez toi, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5,19). Puissions-nous là encore faire de même…

                                                                                                        D. Jacques Fournier

 

 

Le « secret messianique » en St Marc.

 

« Un phénomène bizarre s’offre au lecteur de l’Evangile de Marc qu’on appelle « secret messianique ». De quoi s’agit-il?
Dès le début de sa mission, Jésus dévoile, de façon presque irrésistible, le mystère de sa personnalité et de son action. Sa gloire de Messie (« le Saint », « le Fils de Dieu »…) y transpire tout naturellement, comme malgré lui, dans les cris des possédés (1,24; 3,11; 5,7), dans l’enthousiasme des miraculés (1,45; 5,7) et des foules (2,12b; 7,37), dans la foi des disciples enfin (8,29b; 9,9).
Or, chaque fois ou presque, Jésus impose un silence absolu à ceux qui reconnaissent ainsi une part de son identité profonde. C’est même souvent avec une certaine rudesse qu’il enjoint « le secret » sur la vérité qui émane de sa personne (1,25b.34a.43; 3,11-12; 5,43a; 7,36a; 8,26-30; 9,9).
Cette attitude de Jésus est surprenante! De sa part ce n’est pas une simple demande de discrétion pour faire brèche à sa renommée croissante. Peut-il, à la fois, vouloir dévoiler ce qu’il est et ce qu’il fait tout en empêchant que cela se sache? Quelle est donc la raison vraie du « secret messianique »?
Historiquement, il est sûr que Jésus a dû résister, de toutes ses forces, aux pressions faites sur lui par les foules juives de l’époque. Elles avaient du Messie une conception quasi mythique. Non seulement l’Envoyé spécial de Dieu aux derniers temps mettrait fin à l’occupation romaine (par la force) et rétablirait la royauté en Israël, mais il ferait disparaître de la terre tous les maux (famine, maladies, mort). Il restaurerait le paradis terrestre. Jésus, tout au long de sa mission, s’est bien gardé de tomber dans ces tentations messianiques (décrites par Matthieu en 4,1-11). Il a tout fait pour ne pas se laisser enfermer dans cette vision toute humaine de sa personne et de sa fonction.
Mais il est certain que Marc a considérablement renforcé et rendu « systématique » le secret messianique. Pourquoi? C’est que la pleine identité de Jésus, le mystère profond de son être, la parfaite originalité de son agir ne se sont totalement révélés qu’au travers de sa mort et de sa résurrection. Lorsqu’il rédige son Evangile à Rome, dans les années 67-70, tout est clair. Finalement, le Messie a été rejeté par les autorités religieuses du peuple Juif. Il a été condamné et exécuté sur une croix. Cette mort ignominieuse – une crucifixion – est pour l’ensemble des Juifs la preuve formelle que Jésus n’était pas le Messie. Les chrétiens aussi, d’origine juive ou païenne, butent dans leur foi contre « le scandale de la croix ». Marc, en relisant l’évènement des plus choquants à la lumière de la Résurrection, veut lever ce scandale. Il entend conduire ses lecteurs à l’accueil du Messie « crucifié ». Avec la réflexion de presque quarante ans de la Tradition apostolique sur l’Ecriture, il voit dans la figure du Christ souffrant l’accomplissement d’un mystérieux dessein de Dieu pour le salut de l’humanité. « Ne fallait-il pas que le Christ endurât la souffrance et la mort pour entrer dans sa gloire? » (Lc 24,26, qui renvoie implicitement à la prophétie du Serviteur souffrant et relevé d’Isaïe 52,13-53,12).
Voilà pourquoi Marc fait du secret messianique le plus puissant ressort de la révélation entière du mystère de Jésus. Lorsque ses disciples parviennent, non sans mal, à professer qu’il est bien « le Messie » (8,29), aussitôt Jésus les entraîne à accepter la perspective de son destin souffrant (8,31-33; 9,30-31; 10,32-34). L’incompréhension des amis de Jésus devant l’annonce et l’approche de sa mort est totale. Elle ne sera dépassée, paradoxalement, que par un païen qui, témoin de la façon dont Jésus meurt, s’exclame: « Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (15,39).
Tels les disciples de Jésus, les lecteurs de Marc sont sans cesse appelés à ne reconnaître la véritable nature de l’être et de la mission de Jésus « Messie » et « Fils de Dieu » qu’en accueillant, dans la foi, sa Passion et sa Résurrection. C’est dans ces évènements là qu’il a pleinement arraché les hommes aux forces du Mal et de la Mort, qu’il s’est révélé le Sauveur du monde.
Chaque fois donc que Jésus fait taire impérieusement ceux qui découvrent un pan de sa vraie personnalité, Marc en a fait comme « une règle du jeu » de son Evangile. Le lecteur doit continuer sa route sur un chemin qui n’est pas celui des hommes, mais celui de Dieu (8,33b). Une page merveilleuse dit tout cela en un raccourci admirable: la Transfiguration (9,2-8) ».
Jacques Hervieux, L’Evangile de Marc.  Extrait de « Les Evangiles, textes et commentaires »
Collection Bayard Compact.
[1] A chaque fois, la Bible de Jérusalem et la TOB traduisent par « il eut pitié », « il fut pris de pitié », une traduction qui ne rend pas la force et la profondeur de l’expression originale.

Fiche n°5 (Mc 1,40-45) PDF pour éventuelle impression

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