28ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

On ne met pas Dieu dans son agenda

 

Ce qui est étonnant dans cette parabole, c’est son côté extrêmement contrasté. A la fois, elle est faite de délicatesse et d’insistance de la part de Dieu. C’est Lui, le Roi, qui donne un festin pour les noces de son Fils, c’est Lui qui prépare la banquet, c’est Lui qui prend soin des invitations, Il n’envoie pas de cartons, mais des serviteurs auprès des invités pour obtenir leur réponse. C’est Lui qui pousse la délicatesse jusqu’à fournir la tenue nuptiale à tous ceux qui participent au festin, c’est Lui qui se donne la peine de venir dans la grande salle du festin et de passer à travers les rangs pour saluer les invités. Voilà pour le côté positif auquel nous sommes sensibles.

Mais il y a un autre côté qui nous semble terriblement dur : ce roi, qui par ailleurs est si délicat, quand il voit les premiers invités qui n’ont pas accepté l’invitation et ont tué ses serviteurs a agi avec rigueur, il envoie ses troupes pour détruire les villes et raser les maisons de ceux qui ont refusé. C’est objectivement juste et mérité, mais son attitude nous paraît dure. Et par ailleurs, il est intraitable sur le protocole puisque celui qui ne porte pas la tenue souhaitée est immédiatement jeté dans les ténèbres extérieures.

Il y a donc le mélange d’une très grande bonté et délicatesse, et d’une très grande exigence qui se traduit par la vengeance. C’est pourquoi cette parabole nous intrigue. On comprend que Dieu irrite les hommes, on comprend qu’il n’y ait que Lui qui puisse nous combler d’un festin, mais au fond de nous-mêmes, nous sommes tellement « accommodants », tellement habitués à ce qu’on ne réponde pas à nos invitations, nous avons de telles complicités avec l’indifférence qu’on a envie de se plaindre devant ce maître dont les invitations sont si pressantes que si l’on n’y répond pas c’est la peine de mort à coup sûr.

Il faut donc essayer de retrouver la manière dont le Christ nous parle du Royaume de Dieu : le Royaume de Dieu est une affaire d’invitation. Et je crains que nous ne le comprenions pas. En effet, il existe un petit ouvrage fondamental pour comprendre la mentalité de notre époque, un petit livre répandu chaque année à des millions d’exemplaires qu’on appelle un agenda. Dieu agit à notre égard en nous envoyant des invitations, et nous, nous gérons notre vie et nous l’organisons au moyen d’un agenda, ce qui fait que généralement nous ne comprenions rien au Royaume de Dieu.

En effet, Dieu veut que nous soyons invités. Invités, cela veut dire, lors d’une rencontre avec quelqu’un, se proposer soi-même à la rencontre. Mais si l’on se propose soi-même à la rencontre, le partenaire invité doit y venir lui-même. Que voulez-vous, on n’arrivera jamais à mettre le temps d’un repas de noces entre deux séances de travail, ou entre deux rendez-vous. Ce n’est pas possible. Pour aller à la noce, il faut du temps, il faut avoir du temps à donner. Il faut du loisir et de la gratuité dans le cœur qui nous permettent d’être vraiment à la noce, et non pas d’y assister. Or, c’est précisément le sens de la parabole.

Dieu invite, c’est-à-dire qu’Il se propose Lui-même comme hôte, Il ne nourrit pas, Il invite à la noce. Il n’organise pas notre temps, Il invite. Alors que nous, nous comprenons son invitation sur le même mode que le reste de nos occupations. De même que nous avons un champ, un commerce, nos affaires et nos soucis, eh bien, de même il faut ajouter à cette panoplie de « choses à faire », une chose supplémentaire qui est de répondre aux invitations.

Or, ce n’est pas du tout sur ce plan qu’il faut situer l’invitation de Dieu. Nous-mêmes nous ne vivons pas d’abord spontanément dans l’ordre de la relation personnelle, à cause de notre péché, la plupart du temps nous envisageons tout à partir de nos disponibilités, de notre temps, de notre capacité d’agir, nous calculons et nous mesurons en fonction de ce que nous pouvons faire pour les autres et avec les autres. Et dès lors, nous nous formons effectivement un sens de la vie qui devient de plus en plus fonctionnel, de plus en plus mesuré, alors que ce que Dieu veut, ce pourquoi Il nous a créés, c’est d’abord le mystère et la joie de la relation personnelle. Tout amour est essentiellement fondé sur ce roc, et si l’on ne vit pas un amour, et déjà un amour humain, de cette manière, il est sûr qu’à un moment ou à un autre, il risque de s’effondrer ou d’être brisé : si ce n’est pas le mystère de l’autre qui nous passionne, si ce n’est pas l’autre en tant qu’il est là, qu’il est lui, que trouverez-vous qui soit capable de satisfaire et de rassasier vraiment notre cœur ? Si nous n’essayons pas en vérité, au plus intime de nous-mêmes, de découvrir quel est le secret de l’autre, de celui qu’on aime, que croyez-vous pouvoir récolter ? Ce qu’il est capable de faire ? Mais il le fait plus ou moins bien, et nous savons bien que nous sommes tous pécheurs. Telle ou telle qualité qu’il a ou qu’elle a ? Mais cela ne dure pas toujours, nous connaissons bien notre fragilité. Alors, si nous n’essayons pas de remonter au secret intime de chaque personne qui jaillit dans sa spontanéité et sa liberté, dans son désir de rencontrer, nous ne rencontrons rien et nous ne moissonnons que du vent. C’est pourquoi le comportement du Maître est si net dans cette parabole, si l’on n’a pas répondu à l’invitation, que voulez-vous qu’il reste ? Il ne nous reste rien que la mort. Si l’on n’a pas découvert le mystère de Dieu dans sa personne, que voulez-vous que nous rencontrions au jour de notre mort ? Simplement quelques œuvres méritoires que nous traînerons au fond de nos poches, mais n’est-ce pas dérisoire ? Au cours de votre vie, si vous n’avez pas traité Dieu comme une affaire religieuse, que voulez-vous que nous ayons à porter dans notre cœur ? Rien du tout, un peu « d’occupation », pour nos passe-temps dominicaux, c’est si peu de chose même si on calcule au quart d’heure près la durée des offices. Si vraiment nous n’avons pas essayé de saisir ce regard de Dieu sur nous, et ce cœur de Dieu tel qu’il se propose à nous, que trouverons-nous ? Quelques grandes idées généreuses de philanthropie et de fraternité universelle qui sont proclamées à tous les coins de rue et qui n’ont jamais rien changé à la misère du monde.

Frères et sœurs, c’est cela être invité. C’est n’être pas plein de soi, ou plein de temps à donner, ou plein de générosité à manifester, c’est être en quête d’un trésor, le trésor de la seule personne qui nous aime vraiment, le trésor du cœur de Dieu. Et c’est pourquoi si nous ne sommes pas revêtus du trésor de la grâce qu’est la robe nuptiale, comment voulez-vous que nous participions à la noce ? Ce pauvre homme que dans un premier mouvement de pitié romantique nous plaignons, parce que nous avons l’impression qu’il est mis brutalement dehors, en réalité, il était le seul à ne pas être revêtu de Dieu, c’est-à-dire qu’il assistait simplement à la noce pour manger mais non pour se réjouir de la joie des convives et le fait qu’il soit jeté dehors n’est que la sanction et la manifestation de ce qu’il était déjà dedans. Ainsi, la seule question qui se pose à nous est de savoir si nous voulons vraiment être invités par Dieu, et si le but de notre vie, c’est Dieu en personne. Si ce n’est pas cela, notre vie n’est que du vent, et nous ne vivons que pour la mort. Si Dieu n’est que l’objet de nos générosités, si Dieu n’est pas l’objet d’une sorte d’amour fasciné et fascinant, ce n’est qu’une occupation de plus dans l’agenda de nos activités, et une réalité fort encombrante, vis-à-vis de laquelle nous nous sentons toujours en porte-à-faux.

Voilà le sens de l’invitation qui nous est adressée : c’est Dieu, et Dieu en personne, non pas quelque chose autour de Lui ou quelque chose autour de nous mais Dieu Lui-même. Maintenant, nous sommes invités chaque fois que nous célébrons l’eucharistie ou que nous recevons le corps et le sang du Christ, c’est-à-dire Dieu Lui-même. La plupart du temps nous le faisons dans l’inconscience. Peut-être que pour nous aujourd’hui, c’est le moment de savoir si oui ou non, nous savons qui nous invite et comment Il nous invite. Amen.

image_pdfimage_print

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Question antispam * Time limit is exhausted. Please reload the CAPTCHA.

Top