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33ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

« Seigneur, je savais que tu es un maître âpre au gain et que tu moissonnes là où tu n’as pas semé ». Cette parabole est une parabole de la liberté chrétienne. Là où les serviteurs ont joué la fortune, les talents qui leur avaient été donnés, le Seigneur à son retour, reconnaît que ces serviteurs ont été fidèles. Là au contraire où l’un des serviteurs a joué le jeu de la crainte et du calcul, enfouissant son talent dans la terre pour pouvoir le restituer tel quel, le Maître manifeste sa colère et le prend à son propre jeu en lui disant : « Puisque tu veux un visage de Dieu qui calcule, puisque tu penses que Dieu est quelqu’un qui mesure, c’est effectivement ce que je vais être avec toi, car au fond je ne puis pas faire autre chose ».

Dans cette ligne de réflexion, il me semble qu’il y a quelque chose de plus. Le Maître n’est pas exactement âpre au gain au sens ou simplement il désirerait qu’on lui restitue ce qu’il avait confié. Le Maître est touché de ce que les deux premiers serviteurs aient investi tout eux-mêmes dans les talents qui leur ont été donnés. Les talents, ce sont évidemment les signes de la présence et de l’amour de Dieu en nous : les gestes de la charité, le temps de la prière, tout ce qui fleurit et fructifie en nous parce que nous sommes greffés sur la vie du Christ. Mais précisément ce que le Maître vient rechercher ce n’est pas son argent tel quel, cela ne l’intéresse pas. Ce qu’il vient rechercher c’est cet argent, ces talents, ces dons, enrichis de toute l’énergie, de tout l’investissement personnel que cha­cun des serviteurs y a introduit.

En effet, cela nous aide à réfléchir sur notre agir chrétien. Que Dieu nous ait donné des talents ou des qualités, nous en avons tous une part. Parfois nous nous plaignons que nous n’en avons pas assez, mais c’est toujours à tort, car le Seigneur sait ce dont nous avons besoin. Mais il y a une chose que nous devrions réaliser davantage, c’est que ce qui a fructifié, c’est évidemment le talent donné, mais comment fructifie-t-il ? Par le fait que le serviteur qui a reçu le talent y investisse tout son cœur, toute son âme et toute sa liberté. Ce que Dieu aime en nous, ce n’est pas moissonner des talents qu’Il a semé. Ce que Dieu aime en nous, c’est découvrir dans les talents qu’Il a semés toute la fécondité spirituelle et personnelle que nous-mêmes pouvons y apporter par tout ce que nous faisons et par tout ce que nous sommes.

Au fond, ce qui réjouit le cœur du Maître lorsqu’Il dit : « Bon et fidèle serviteur, rentre dans la joie de ton Maître ! », ce n’est pas d’avoir gagné plus, comme nous le pensons souvent. C’est de voir que, dans le don même qu’Il a fait à chacun d’entre nous, c’est toute notre liberté et le secret de notre cœur qui s’est épanoui en vérité. C’est cela la vie chrétienne. Les actes de charité ne sont pas seulement des prototypes de philanthropie que nous devons additionner comme des bons points. La charité dans notre cœur, c’est le fait que, dans tout ce que Dieu nous donne et par tout ce que Dieu nous donne, c’est la manifestation du secret de notre cœur. Ce que Dieu vient chercher lorsque ses serviteurs reviennent et rapportent leurs talents, ce n’est pas de l’argent augmenté par de l’argent, mais c’est de l’argent augmenté par la générosité profonde du cœur de ceux à qui il a été confié.

Voilà ce que Dieu attend de nous. Voilà sur quoi nous serons jugés. C’est pourquoi saint Jean peut dire : « Vous serez jugés sur l’amour  » c’est-à-dire sur cette merveilleuse initiative de liberté que nous aurons pu et su investir, au jour le jour, dans les gestes les plus simples, dans les signes les plus discrets et les plus humbles. Mais cette générosité, cet investissement de nous-mêmes, sont le signe de la présence et de la tendresse de Dieu en nous. Amen.