11ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Un geste provocant, appel au pardon…

pardon force qui libére

Frères et sœurs, nous nous trouvons là, même si notre habitude et nos réflexes un peu polis ont complètement érodé la rudesse de ce texte, nous sommes là devant un des textes les plus provocants du Nouveau Testament. La plupart du temps on pense à la scène de la fille d’Hérodiade qui danse devant le roi Hérode pour obtenir la tête de Jean-Baptiste, ici, nous avons quasiment une scène de séduction qu’on pourrait qualifier de provocante !

Aujourd’hui tout cela nous paraît très lointain, et peut-être que notre culture actuelle est devenue beaucoup plus libre en matière de conventions sur les relations affectives entre les hommes et les femmes, mais à cette époque-là, être le témoin de la scène qui vient de nous être décrite dans l’évangile de Luc, était proprement insupportable. D’abord, une chose qui ne se faisait pas : quand on est dans une réunion d’hommes, de savants, il ne convient pas qu’une femme si éduquée soit-elle, si savante soit-elle en matière de Loi, puisse entrer dans le milieu que constitue cette convivialité du repas. Cela ne se fait pas… A plus forte raison quand cette femme a une certaine réputation comme on nous le dit dès le début du texte puisqu’on nous signale que c’est une femme de la ville, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas rustique, c’est une femme publique.

pecheresse-chez-simonDéjà ce détail est très choquant. Jamais, au grand jamais dans un repas, une réunion publique, une femme n’aurait fait ce qu’a fait cette femme. En effet, et Jésus d’ailleurs compare les deux rituels de rencontre et d’accueil, celui du pharisien comme il aurait dû le faire et la femme comme elle l’a fait, et il tient à noter toutes les différences et les oppositions radicales qui existent entre les deux comportements. Quand quelqu’un arrive dans une maison, habituellement on peut lui laver les pieds avec de l’eau, et surtout pas avec du parfum, et le plus qu’on puisse faire avec le parfum, c’est le répandre sur la tête. Or cette femme prend exactement le contre-pied. Elle arrive, va vers Jésus (c’est un repas à la romaine et manifestement les convives sont allongés sur des divans), la femme survient à l’improviste, en cachette, peut-être même que les serviteurs n’ont pas pu l’empêcher d’entrer, elle se met près du divan sur lequel était étendu Jésus, elle commence une scène qu’on pourrait interpréter comme étant une scène de séduction. C’est d’ailleurs ce que pense Simon : « S’il savait qui est cette femme et ce qu’elle est en train de faire ! » Il n’arrive même pas à penser que Jésus se rende compte de la situation. Or, que fait cette femme ? Elle fait ce qui est au maximum de la séduction érotique de l’époque, elle délie sa chevelure, ce qui est le summum de la provocation, elle commence à verser le parfum sur les pieds de Jésus, ce qui ne se passait peut-être que dans des maisons closes ! Il fallait vraiment une sorte de volonté de séduction pour verser du parfum sur les pieds de quelqu’un. Le parfum sur les pieds, accompagné de larmes, qui sont interprétables dans les deux sens, ou bien les larmes de l’amoureuse éperdue ou bien les larmes de la pécheresse, c’est un signe ambigu, et sacrifier son brushing en essuyant le parfum huileux avec ses cheveux, c’est très cher comme séduction.

De l’avis de tous les exégètes, ce texte a certainement fait du bruit dans le petit territoire de la Galilée autour de la maison de Simon le pharisien. Ce geste est vraiment une provocation érotique qui est inadmissible en public. Normalement, Jésus aurait dû mourir de honte. C’est ce que le pharisien s’empresse de dire de façon voilée : « S’il savait… il ne pourrait pas rester à table ». Ce genre de situation aurait dû mettre Jésus dans l’embarras, et c’est le paradoxe, Jésus n’est pas du tout gêné ! Il est parfaitement à l’aise, il laisse faire la femme, il est accueillant à ce geste, et du côté des convives qui sont tous des docteurs de la Loi, petit à petit cela crée un froid est c’est peut-être dans ce sens que la réaction de Simon nous est rapportée. On veut bien que cela ait eu lieu, mais on va s’empresser d’oublier et de continuer à discuter des choses plus sérieuses, sur la Loi.

A ce  moment-là, Jésus renverse la situation de façon assez étonnante. Pourquoi ? Luc dans son récit prend un malin plaisir à souligner l’ignorance de Jésus. « S’il savait ! » Il n’est sûrement pas un prophète, sûrement pas un docteur, sûrement même pas un homme ordinaire puisqu’il n’a pas la perspicacité des gens ordinaires qui pourraient se rendre compte de la signification du geste de la femme. L’impression qu’a Simon au fond de son cœur, c’est que Jésus est complètement ignare. Le pharisien prend soin de souligner l’ignorance de Jésus et son mauvais comportement qui laisse faire face au comportement de la femme. Pardon 1La parabole que Jésus propose à ce moment-là est une parabole où d’une part Jésus commence à faire comprendre à Simon non seulement qu’il a compris le geste de la femme, mais qu’il a compris ce que Simon avait dans son cœur. Il a deviné la réflexion de mépris et d’embarras du pharisien par rapport à la scène. Il a compris sans explication, l’attitude de Simon, mais petit à petit il va montrer que le sens même de la scène est totalement l’inverse de ce que le pharisien croyait avoir perçu.

Autrement dit, cette scène commence par une sorte d’affirmation massive de l’ignorance de Jésus face à l’incongruité de la scène, et à travers la parabole des deux débiteurs Jésus montre que la situation était tout autre. Désormais c’est celui qu’on croyait ignorant qui a compris ce qui se passait, et que c’est celui qui croyait savoir qui en réalité n’a rien compris. C’est ce qui fait le côté saisissant du récit de Luc. On n’en a pas autant dans le récit de Jean et des autres synoptiques. Luc souligne vraiment que Jésus qu’on tenait pour celui qui ne sait pas, celui qui ne comprend pas, celui qui se comporte mal et à la limite est complice avec le geste de la femme, est en réalité celui qui a compris le jugement du pharisien et lui a montré qu’il ne comprenait rien.

Qu’est-ce que Jésus a compris ? Une chose assez simple mais très belle. Il a compris que cette femme l’aimait. Cela demandait déjà de la part de Jésus une véritable perspicacité. Reconnaissez-le, cette femme a voulu manifester son amour à Jésus avec ses moyens personnels. Comme c’était une femme « de métier », elle a cru qu’en en rajoutant un peu, ce serait d’autant plus touchant. Jésus voit bien qu’elle se comporte vis-à-vis de lui comme une prostituée. Mais il conseille au pharisien de ne pas la juger pour cela, elle fait ce qu’elle peut.amour du christ Le comportement de cette femme vis-à-vis de Jésus si ambigu soit-il ne manifeste qu’une chose : « Elle a beaucoup aimé ». Et à l’inverse Jésus dit à Simon qu’il avait tout ce qu’il fallait pour l’honorer selon les rites qui sont les siens, plus convenables et beaucoup moins chers, mais il ne l’a pas fait ! Il n’a même pas fait les rites qui auraient pu être ceux de l’accueil étant donné sa condition et s’il avait vraiment voulu l’honorer. Autrement dit, il ne l’a jamais vraiment aimé ! Il n’a même pas respecté les rites normaux d’accueil à ta table. Il a invité Jésus sans l’honorer, alors que cette femme l’a honoré avec des moyens sans doute contestables et discutables, mais elle a essayé de faire le maximum pour l’honorer.

C’est le ressort profond de cette parabole. C’est le retournement à partir de la perspicacité pardonnante de Jésus, c’est à partir de cette perspicacité, de cette capacité de lire au fond du cœur du pharisien que Jésus retourne complètement la situation. Il montre que ceux qui croyaient savoir, interpréter les signes et les gestes étaient à côté, et ceux qui ne savaient pas se servir exactement des gestes comme il l’aurait fallu, en réalité à cause de leur désir et de leur besoin de pardon étaient exactement dans la démarche qu’il fallait pour obtenir la miséricorde.

Frères et sœurs, il est étonnant que ce texte soit entré dans la tradition et qu’il ait pu trouver cette formulation dans l’évangile de Luc. Je pense que cela nous donne quelques repères. Il est vrai que toutes les religions et tous nos comportements sociaux, culturels, religieux sont des comportements dont la signification est généralement admise et comprise par tous. Mais il arrive que dans l’histoire des personnes, des signes soient posés qui sont complètement à l’envers. Cela veut-il dire à partir du moment où la personne ne rentre pas dans le cadre exact du comportement religieux qu’elle doit être rejetée du festin du Royaume ? Rien n’est moins sûr. En fait, ce que Jésus, à travers cet évangile, nous demande, c’est une fois de plus de comprendre comment fonctionnent les signes du Royaume. Certes, pour beaucoup d’entre eux ils rentrent dans notre manière d’être, notre culture, mais il ne faudrait pas que l’habitude des signes religieux ferme notre cœur aux gestes les plus étonnants, les plus contrariants, et aux signes les plus provocants qui pourtant manifestent en vérité la venue du Royaume dans le cœur de cette femme. AmenDieu est amour 2

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