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11ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 14 juin 2015

 

Ézékiel 17, 22-24 (« Je relève l’arbre renversé »)

Ézékiel, prêtre et prophète, a fait partie des déportés de 597. Parmi eux, Nabuchodonosor a emmené à Babylone le jeune Yoyaqîn (2 Rois 24, 8), qui n’aura régné qu’un trimestre à Jérusalem. En fait, le souverain captif finira par être fort bien traité à la cour du conquérant (2 Rois 25, 27-30). Ce dernier, entre-temps, a installé Sédécias, oncle de Yoyakîn, comme roi de Judée à sa botte. Mais ce remplaçant se laisse entraîner, en 594, dans une coalition anti-babylonienne et finira de manière tragique (2 Rois 24, 17 – 25, 7).

  Ézékiel (17, 1) réagit contre la désastreuse politique extérieure de Sédécias et s’exprime « en parabole ». Le grand cèdre est la dynastie royale de Jérusalem. L’arbre élevé que Dieu renversera est Sédécias. Le jeune rameau est le nouveau roi que Dieu choisira, peut-être Yoyakîn rétabli dans sa fonction (ce qui n’arrivera pas). En tout cas, la royauté restaurée sera féconde. Elle aura un rayonnement universel : les passereaux et les oiseaux, littéralement « de toute aile », désignent les nations païennes, comme en Daniel 4, 7-14 qui s’inspire d’ailleurs d’Ézékiel. « Les arbres des champs » sont les rois païens. En fait, à travers l’identification détaillée de chaque élément végétal, le texte d’Ézékiel relève plus de l’allégorie que de la simple parabole.

  Dieu conduit l’histoire à sa façon, comme le redira le Cantique de Marie (Luc 1, 52). Le vrai roi dont rêvait Ézékiel sera le Christ, et les « oiseaux du ciel » seront les païens qui se réfugieront à l’ombre du règne de Dieu, selon la parabole de la graine de moutarde (évangile).

 

2 Corinthiens 5, 6-10 (« Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur « )

 

Au sein des épreuves humiliantes que lui vaut sa mission itinérante Paul continue de proclamer son espérance, en l’assortissant d’un appel à la responsabilité de chacun de ses lecteurs. Son raisonnement s’organise ainsi : Comme le disent certains Corinthiens, la condition terrestre semble un exil « loin du Seigneur ». Mais ce constat ne saurait engendrer un pessimisme stérile. Il doit au contraire nous mettre en chemin « dans la foi » pour rejoindre notre vraie patrie. Et cette route a un objectif clair : « plaire au Seigneur », en faisant le bien. Car si « nous cheminons non dans la claire vision », le Christ, lui, nous voit. Et notre arrivée « près du Seigneur » sera d’abord une mise « à découvert », un bilan de notre parcours terrestre.

  Certes, Paul interpelle ici des Grecs de Corinthe qui méprisaient la vie corporelle et ne concevaient l’union à Dieu que par l’extase hors de ce corps. Mais il songe encore à ses concurrents missionnaires qui mettent en doute son titre d’apôtre. Il leur fixe rendez-vous « devant le tribunal du Christ ». C’est le Christ qui choisit et envoie les apôtres. C’est donc lui qui jugera ce que chacun aura fait de la mission reçue. En 1 Corinthiens 3, 5-15, Paul développait davantage encore cette idée. Or lui-même et ses coéquipiers pourront comparaître sans crainte : N’ont-ils pas fait des chrétiens de Corinthe une page vivante de l’Évangile (lire 2 Corinthiens 3, 1-3) ? 

* Exil et demeure. Notre lectionnaire oppose trois fois les expressions « demeurer loin/hors » et « demeurer près,/dans » « être en exil » et « habiter ». à cette traduction correspondent respectivement les verbes grecs ek-dèméô et en-déméô. Le premier signifie « vivre à l’étranger », le second « se fixer dans un pays ». Au vrai, la foi est-elle un exil ? Met-elle le chrétien en marge ? Paul le contesterait, puisque, selon lui, le chrétien est redevable au Christ de sa conduite dans le monde, tel qu’il est. Il ne nie pas, pourtant, que le chrétien « vit à l’étranger ». Existe-t-il un seul chrétien qui n’aurait pas découvert que sa foi le marginalise de l’opinion publique; et parfois de ses plus proches relations ? Le chrétien est en fait un immigré. Il porte en lui un monde, celui de Dieu, qu’il voudrait partager à ceux qu’il aime et à ceux qui l’aiment, parce qu’il est du Christ.

 

 

Marc 4, 26-34 (« C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères « )

 

Jésus a défini sa famille comme ceux qui font « la volonté de Dieu » (Marc 3, 31-35). Il leur adresse maintenant un discours en paraboles. Ces paraboles révèlent à la foule et aux disciples ce qu’est le Règne de Dieu, objet de leur espérance et centre de la prédication de Jésus (Marc 1, 14-25). L’année A ayant présenté in extenso le discours en paraboles de Matthieu 13, notre extrait liturgique ne retient que la fin du discours en paraboles de Marc 4, 1-34. L’extrait comprend la parabole, propre à Marc, de la terre qui produit d’elle-même, puis celle de la graine de moutarde, commune aux trois évangélistes. Le tout s’achève par une conclusion expliquant pourquoi Jésus s’exprime en paraboles. 

La terre qui produit d’elle-même 

« Il en est du règne de Dieu comme… » On ne peut pas définir le règne de Dieu. On ne peut que l’évoquer comme une réalité « qui ressemble à quelque chose ». Ce mystère est celui d’un Dieu qui vient régner sur ceux qui l’accueillent, pour leur bonheur. Il englobe aussi la personne de Jésus dont les paroles et les actes introduisent dans l’histoire des bienfaits de Dieu. C’est enfin le Royaume, la partie de l’humanité qui vit à l’écoute du message de Dieu.

  La parabole de la terre qui « produit d’elle-même » ‘(et non « du grain qui pousse tout seul », selon certaines bibles) s’adresse à des disciples découragés par l’échec apparent de la mission de Jésus. La fable joue sur l’expérience du cultivateur qui, une fois qu’il a semé, doit faire confiance au processus de vie qui s’accomplit « il ne sait comment », mais réellement. Germination, croissance et mûrissement, tout lui échappe. Mais, au terme, il y a bel et bien « le temps de la moisson » ou, selon un jeu de mots possible en araméen, « le temps de la Fin ». Nous nous confions en la puissance cachée du Père qui conduira à terme ce qu’il a commencé dans la mission de son Fils. Cette parabole est un complément de celle du Semeur et de son explication. De même que Jésus ne fut que le Semeur du règne de Dieu, de même nous faisons confiance à Dieu et à toute terre capable de produire d’elle-même quand nous jetons à d’autres, à notre mesure les semences de l’Évangile. 

La graine de moutarde 

La deuxième parabole recourt aussi à une expérience simple : Les réalités les plus grandes ont souvent pour origine une cause infime. Il en va ainsi de l’humble début de la mission de Jésus, sans proportion avec le succès à venir du règne de Dieu. La comparaison s’enrichit d’un trait allégorique, l’image de la gigantesque ramure (amusante par rapport à la taille réelle d’un plant de moutarde !) et des oiseaux du ciel qui viennent nicher sous son ombre. Ces allusions à Ézékiel et Daniel (cf. 1ère lecture) précisent ceci : cette merveilleuse croissance s’opérera avec l’entrée des nations païennes dans l’Église, grâce à la mission chrétienne universelle. 

Il ne parlait pas sans paraboles 

*Les paraboles veulent faire comprendre le Règne de Dieu et la mission de son Envoyé. Mais la conclusion de Marc présente un double constat. D’une part, deux camps se dessinent : les foules en général, et les disciples. Les premières ont une compréhension limitée du message de Jésus. Les seconds bénéficient d’une lumière particulière. D’autre part, les paraboles apportent une découverte à demi-mot : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Marc 4, 9). Le règne de Dieu ne se révèle pleinement qu’à travers la passion et la résurrection de Jésus. Et cette révélation appartient à ceux qui acceptent de suivre son chemin d’épreuves.

 

* Les paraboles. Le mot « parabole » a un double sens dans les langues anciennes. Il s’agit soit d’un récit imagé, une fable qui éclaire une réalité difficile à exprimer clairement, soit d’une parole énigmatique qu’il faut décoder. La distinction reste fragile. En effet, une image parlante entre initiés peut rester une énigme pour le non-initié. L’évangile joue sur ce double sens (Marc 4, 10-12 et 33-34). Une frontière se dessine donc : la foule des simples auditeurs en reste à une compréhension extérieure des paroles de Jésus ; les vrais disciples se laissent instruire en profondeur et se sentent personnellement concernés.