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14ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

« Je Te bénis, Père, d’avoir caché cela aux sages 

et aux puissants et aux habiles

et de l’avoir révélé aux tout-petits !« 

Frères et sœurs, lorsqu’une maman vient de mettre au monde son enfant, il lui arrive souvent de se pencher sur lui, de lui parler, de le caresser, de lui faire des gestes d’affection et de savourer, pour ainsi dire, ces premiers moments d’intimité avec l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Ce qui est extraordinaire dans ce geste, c’est précisément que cette mère, qui est adulte et qui vient par la maternité de réaliser la plénitude de son être humain, puisse se pencher vers ce petit d’homme qui est incapable de parler, dont l’intelligence n’est qu’un germe qui n’a pas encore été exercé, et que cependant, elle puisse ainsi se pencher sur l’enfant parce qu’elle pressent dans son cœur de mère que tout ce qu’elle est et tout ce qu’est son époux, tout cela peut être manifesté, donné à son enfant.

Un des aspects les plus grands de la maternité et de la paternité chez les hommes c’est précisément que les êtres que nous appelons adultes, parvenus à leur plénitude et à leur maturité, puissent, devant un enfant tout-petit qui lui, est incapable encore d’un dialogue, d’une reconnaissance explicite, d’une relation personnelle, puissent déjà le considérer comme quelqu’un qui peut recevoir la plénitude de l’être d’homme. Parce qu’il le possède déjà en lui, mais aussi parce qu’il faut le lui donner, déjà cette mère vit, avec son enfant, toute la plénitude d’un rapport humain d’amour et de don d’elle-même. Et je crois que le secret c’est précisément qu’elle pressent dans cet enfant qui est tout-petit, d’infinies richesses et d’infinies possibilités. Elle est émerveillée de ce que cet être, infiniment fragile, qui ne dépend que d’elle, puisse déjà être l’objet de la totalité même de son amour de mère.

Je crois que cette image de notre réalité la plus quotidienne est propre à nous faire comprendre ce chant d’exultation et de louange que le Christ a lancé et proclamé devant son Père au moment où Il disait : « Je Te bénis, Père du Ciel et de la terre, d’avoir révélé ce mystère aux tout-petits ! » Il nous faut bien réaliser à quel point il n’est pas évident que les mystères de Dieu, qui nous dépassent infiniment de tous côtés, nous aient été révélés et proposés. Le mystère étonnant de notre vie chrétienne c’est que nous qui sommes, devant Dieu, encore plus petits que des tout-petits, nous qui ne sommes absolument rien devant Dieu, voici que Dieu, Lui-même en personne, s’est penché sur nous avec une tendresse encore plus infinie et plus profonde qu’une mère qui se penche sur son nouveau-né. Et non seulement avec de la tendresse et de l’amour mais avec une sorte d’espoir fou de nous faire connaître le secret du cœur de Dieu. C’est cela la révélation. C’est le visage d’un Dieu infini qui se penche sur nous et qui, connaissant le secret de son cœur, veut le partager avec nous, et nous le faire connaître, tout comme la mère, au moment où elle se penche vers son enfant, n’a qu’un désir c’est de lui faire connaître toute la beauté, toute la grandeur, tout le côté merveilleux de la vie humaine qui s’inaugure dans ce tout-petit.

C’est cela qu’on appelle l’hymne de jubilation du Christ. Le Christ voit prophétiquement, voit divinement le don de la Sagesse Éternelle à chacun d’entre nous : « Je Te bénis, Père, d’avoir révélé ce mystère aux tout-petits ! » Ce qui était caché dans le cœur de Dieu, aussi impénétrable que le cœur d’une mère à son enfant nouveau-né car, même si on dit qu’il a un certain instinct pour le sentir, il est incapable d’en avoir une conscience claire et lucide, aussi mystérieusement, de façon aussi impénétrable, le cœur de Dieu est là, devant chacun d’entre nous, et cependant il s’ouvre, il s’ouvre pour nous révéler le plus intime de son cœur et de son amour. Et c’est alors que, véritablement, le Christ proclame toute la profondeur de sa mission car ce cœur de Dieu, le plus intime de ce qu’Il avait à nous dire, Il l’avait certes déjà laissé entendre, laissé deviner par la parole de ses prophètes, mais c’était plutôt un message qu’une présence intime au cœur de l’humanité. Bien entendu, il y avait déjà tout ce comportement d’Israël face à son Dieu : Israël écoute, Israël offrant des sacrifices, mais tout cela n’était pas encore cet absolu de la communion dans la chair du Christ venu parmi les hommes pour que resplendisse la gloire du Père. Et c’est pourquoi le Christ, ce jour-là, dans sa nature divine et dans sa nature humaine, exulte de joie. C’est son Magnificat. Il est absolument transporté d’allégresse en voyant que le mystère de Dieu peut être entendu, peut résonner dans le cœur des hommes et dans notre cœur.

J’aime à croire que, ce jour-là, nous étions tous présents personnellement dans cet hymne de jubilation. C’était la naissance de l’Église, le mystère de Dieu révélé à chacun d’entre nous, révélé aux tout-petits, révélé à l’homme dans ce qu’il a de plus faible, de plus démuni, car c’est précisément à ce moment-là que Dieu voit comment l’infini de son mystère peut ouvrir le cœur humain à condition qu’il ne se prenne pas pour plus qu’il n’est.

Ensuite le Christ nous dit : « Venez à mon école, car mon joug est doux et mon fardeau léger ! » Bien sûr, ce sont les paroles mêmes de la sagesse prophétique de l’Ancien Testament qui disait déjà : « Venez à l’école de la sagesse et Moi je vous apporterai le repos ! » Ici, c’est : « Venez à Mon école!« 

Venez à cette école qui est Moi-même. Ce ne sont plus simplement des paroles à graver dans le cœur, c’est le Christ Lui-même qui est l’école, c’est le Christ Lui-même qui nous parle, c’est le Christ Lui-même qui nous façonne, avec cette intimité encore infiniment plus grande que celle d’une mère pour son enfant. C’est le Christ Lui-même qui est là et qui nous reprend, et qui nous recrée, et qui nous donne la vie de son Esprit. A ce moment-là, nous commençons à ressusciter avec Lui. Et c’est pourquoi Il scelle sa relation avec nous par le joug. Au moment même où Il exulte de joie parce qu’Il voit le mystère de son amour pour le Père entrer progressivement dans le cœur des disciples et dans le cœur de toute l’Église, à ce moment-là, Il parle de joug. Non pas un joug qui pèserait, mais précisément un joug qui élève, qui nous entraîne au-delà de nous-mêmes. C’est vraiment le joug de l’amour, c’est le moment où nous sommes liés au Christ pour la même œuvre, pour la même reconnaissance, pour la même louange et pour la même glorification.

Frères et sœurs, le sens de notre vie chrétienne, c’est d’être attelés au même joug que le Christ. Mais ce joug c’est le joug de la louange, c’est pouvoir nous-mêmes exulter avec le Christ car nous n’avons pas d’autre raison d’exister que de louer le Père, avec le Christ et dans l’Esprit. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que d’entrer progressivement dans ce cœur du Christ et d’y découvrir « tous les trésors de la Sagesse et de la Connaissance de Dieu. » Que ce temps de vacances que certains vont prendre pour se refaire, physiquement, moralement, psychologiquement, que ce temps de vacances soit aussi ce temps dans lequel nous laissons se poser sur nous le joug de l’amour du Christ. Que ce soit un joug de louange et d’exultation. Que nous nous laissions ressaisir, au plus intime de nous-mêmes, à cette source de la louange et de l’action de grâces. Notre seule raison d’être et d’exister, c’est de vivre pour Dieu et de le louer, de le célébrer, à travers notre petitesse, à cause de notre petitesse. Que ce temps nous aide à enraciner encore plus en nous cette force de l’Esprit qui nous fait ressusciter. Que ce soit cette exultation de la fille de Sion qui voit son Sauveur s’avancer vers elle parce qu’Il est, Lui aussi, « doux et humble de cœur » et qu’Il vient à nous dans cette proximité, dans cette intimité que nous n’osions même pas soupçonner. Amen.