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15ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 12 juillet 2015

 

Amos 7, 12-15 (« Va, tu seras prophète pour mon peuple. « )

 

Il existait, dans l’Antiquité biblique, un métier de prophète, à côté des sages (ou scribes) et des prêtres. Certains prophètes racontaient leurs visions – d’où leur désignation comme « voyants » – et ils délivraient leurs oracles dans les sanctuaires, sous le contrôle des prêtres. D’autres étaient des conseillers religieux et politiques du roi, tel Natan auprès de David. Parfois groupés en confréries (cf. 1 Rois 20, 35), on les appelait « fils de prophètes ». Or, Amos reconnaît qu’il n’est « pas prophète ni fils de prophète ».

  Amos est doublement un nouveau type de prophète, le plus ancien des « prophètes écrivains », comme ensuite Isaïe ou Jérémie, à la différence des anciens voyants Élie et Élisée. D’abord, Dieu choisit Amos et l’envoie alors qu’il n’est pas du métier. Éleveur et arboriculteur (itinérant ?), « inciseur de sycomores » (pour hâter la maturité ?), Amos se signale par une solide sagesse populaire, par une verdeur de langage calculée et une fine connaissance de la politique qui ne peut venir d’un simple bouvier. En second lieu, alors qu’il est de Judée, de Téqoa, près de Bethléem (Amos 1, 1), Dieu l’envoie hors de sa patrie, dans le royaume de Samarie, le royaume du Nord, et dans son grand sanctuaire de Béthel. Il doit y dénoncer la corruption sociale et religieuse, alors que ce pays est à l’apogée de sa prospérité, sous le long règne de Jéroboam II (787-747). Dieu ne connaît pas de frontières. Il appelle tous les hommes à la conversion et il demande à ses envoyés de transgresser ces frontières.

  Un jour, c’est à toutes les nations, sans distinction, que le Christ ressuscité enverra ses messagers, Mais, au départ, c’est dans la campagne galiléenne, leur pays, que Jésus envoie les Douze (évangile).

 

 

Éphésiens 1, 3-14 (Dieu nous a choisis depuis toujours.)

 

Une solennelle bénédiction préface cet écrit, rédigé par un disciple, inconnu, de Paul et réactualisant le message de l’Apôtre. Les trois premières lignes en annoncent le thème qui sera repris en de multiples variations. Le Dieu que nous bénissons est le Père du Seigneur et Messie Jésus. Il est « au ciel », lieu symbolique qui échappe aux fluctuations de l’histoire. De là-haut, il a planifié son projet : nous donner la pluie des « bénédictions de l’Esprit, dans le Christ ». Cette bénédiction se déploie ici en six mouvements :

(1) Dieu a pensé à nous choisir et à nous unir au Christ avant même la création.

(2) Il nous a destinés à devenir ses enfants, frères du Christ.

(3) Cela s’est réalisé par l’effusion d’un sang rédempteur (de la croix).

(4) Ce projet vise, au terme, à redonner à l’univers divisé une nouvelle unité sous une seule Tête, le Christ.

(5) Depuis toujours, Dieu nous avait destinés à être les bénéficiaires et les témoins de cette réunification.

(6) Nous en faisons déjà l’expérience grâce à l’Esprit Saint reçu au baptême.

  Cette symphonie spirituelle est ponctuée par de joyeux coups de trompette soulignant le bonheur de notre vocation : Nous sommes « en lui » (dans le Christ), « à la louange de la gloire » de Dieu, « dans l’amour ». Le texte reprend et adapte *une prière de la synagogue juive pour exprimer le mystère profond de l’Église. On remarquera notamment, comme dans notre lecture, la répétition de l’expression « dans l’amour ».

 

* Une prière de la synagogue. « D’un amour éternel tu nous as aimés, Seigneur, notre Dieu; d’une pitié grande et surabondante, tu as eu pitié de nous, notre Père, notre Roi (…) Notre Père, Père des miséricordes, miséricordieux, fais-nous miséricorde et donne à nos cœurs de discerner et de comprendre, d’entendre, d’être instruits et d’instruire, de garder, d’accomplir et de rendre stables toutes les paroles de l’instruction de ta Loi, dans l’amour. Illumine nos yeux dans ta Loi, attache nos cœurs à tes préceptes et unifie nos cœurs dans l’amour et la crainte de ton nom. Fais-nous entrer dans la paix des quatre extrémités de la terre, et conduis-nous, la tête haute, dans notre terre. Car tu es le Dieu qui accorde le salut et tu nous as choisis de tout peuple et de toute langue, et tu nous as fait approcher de ton grand nom pour toujours en vérité, pour te louer et proclamer ton unité dans l’amour. Béni sois-tu, Seigneur, qui as choisi ton peuple Israël dans l’amour » (Prière juive matinale, « D’un grand amour »).

 

 

Marc 6, 7-13 (« Il commença à les envoyer. »)

 

Jésus avait choisi les Douze « pour qu’ils soient avec lui, et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les esprits mauvais » (Marc 3, 13-15). Ils viennent de vivre avec lui un compagnonnage suffisamment riche pour qu’il puisse à présent leur confier une première mission à travers la Galilée. Celle-ci préfigure leur futur *envoi, après la résurrection du Seigneur, quoique Marc n’en parle pas, son évangile authentique s’achevant de manière laconique en Marc 16, 8. Déjà il leur partage son pouvoir sur les forces du mal. Déjà ils vont deux par eux, comme plus tard Pierre et Jean ou Paul et Barnabé, car, dans le cadre juif, deux personnes sont requises pour assurer la vérité d’un témoignage. 

Partir avec un maigre trousseau 

Ceux qui annoncent le règne de Dieu éviteront tout « gadget » publicitaire. Par leur dénuement, ils montreront qu’ils mettent leur confiance en la seule puissance de ce Règne. Mais le dépouillement sera réaliste, adapté aux situations. On le voit bien si on compare ces instructions à leurs versions parallèles en Matthieu 10, 9-10, en Luc 9, 3 et 10, 4, de recensions plus anciennes ou plus idéalistes. Ce qui était possible en Galilée au temps de Jésus ne l’est plus au temps de Marc. Les prédicateurs ont droit désormais à des sandales et à un bâton, car les voyages missionnaires deviennent plus longs et les routes peu sûres. Comparer aussi Luc 22, 35-36.

  En revanche, pour la subsistance quotidienne, les prescriptions demeurent : ni provisions, ni argent, ni vêtement de rechange. Ces étranges voyageurs qui n’ont rien à vendre devront compter sur l’accueil de l’habitant. Car leurs hôtes, en les recevant, montreront que c’est le règne de Dieu qu’ils devinent et reçoivent à travers eux, comme dans l’épisode de la visite de Pierre chez Corneille, en Actes 10 – 11. « Quiconque vous donnera à boire une coupe d’eau pour le nom que vous êtes “du Christ”, amen ! je vous dis qu’il ne perdra pas sa récompense » (Marc 9, 41). 

Se faire accueillir 

Le messager se livre à l’accueil ou au refus des libertés humaines. En se fixant passagèrement dans une maison hospitalière, il espère que celle-ci deviendra à son tour un centre de rayonnement de l’Évangile, telle la demeure de dame Lydie en Actes 16, 13-15. Au contraire, on devra témoigner aux localités peu accueillantes qu’elles manquent une occasion de bienfaits. Certains Juifs secouaient la poussière de leurs pieds lorsqu’ils passaient d’une terre païenne en Terre sainte, pour ne pas souiller celle-ci par une poussière impure. Ce sera pour ceux qui refusent l’Évangile « un témoignage », le signe qu’ils ont manqué leur chance de devenir un peuple saint. Paul et Barnabé poseront ce geste symbolique en quittant Antioche de Pisidie (Actes 13, 51), cette fois contre les Juifs s’opposant au succès de l’Évangile parmi les païens. 

Ils partirent 

Au total, Marc mêle les souvenirs de ce qui se faisait au temps de Jésus et les pratiques ultérieures des missionnaires de sa propre Église. Cette généralisation se traduit, à la fin de la page, par le passage des verbes à l’imparfait, comme des pratiques coutumières. Ces envoyés, après Pâques, n’annoncent plus le règne de Dieu, comme le faisait Jésus (Marc 1, 14-15). Ils appellent à la conversion au Christ, ils exorcisent et guérissent, comme lui ; mais ils ne négligent pas l’usage tout humain de l’huile, un produit fréquemment utilisé comme remède dans la médecine antique. Il ne s’agit nullement du sacrement de « l’extrême onction ».

 

* L’envoi. Après le départ de Jésus, la mission des disciples s’exerça principalement dans les maisons qui cherchaient à savoir, avec sympathie, ce que ces chrétiens « avaient dans le ventre » puis dans les synagogues. Ces premiers témoins chrétiens étant juifs d’origine, la synagogue était pour eux le cadre idéal où ils pouvaient atteindre une communauté constituée de Juifs et de païens sympathisants du judaïsme. À partir des lectures bibliques du sabbat, la Loi et les Prophètes, ils expliquaient que Jésus, le Messie, accomplissait les promesses des saintes Écritures. Dans les maisons, ils rejoignaient la base du tissu social et créaient des réseaux de convertis. Il y eut un troisième lieu, plus inattendu, les tribunaux où les chrétiens devaient s’expliquer sur la nouveauté inquiétante, aux yeux des autorités politiques, de leur mouvement et ils donnaient ainsi une extraordinaire publicité à l’Évangile (voir Luc 21, 12-15 ; Actes 4, 4-12 ; 24, 10-21). Les situations et les moyens de communication changent. Mais la Mission continue. Les témoins du Christ cherchent tous les lieux de l’existence humaine, tous les médias, où l’Évangile peut se faire entendre.