18ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)
Nous sommes exposés à l’amour de Dieu
Cet homme riche est traité d’insensé, c’est-à-dire qu’il manque de sagesse. En relisant cette parabole, en la méditant, je me disais ceci : au fond, à première lecture, cette parabole nous rappelle simplement cette vieille sagesse sémitique qui a le sens de la fragilité de toute chose. Tout, dans l’histoire humaine, est pratiquement imprévisible, ou presque. Parce que nous savons que les projets que nous faisons, la plupart du temps sont contrecarrés, sont modifiés par des événements, des circonstances. Parce que nous éprouvons, dans notre propre vie, cette fragilité fondamentale de notre désir, de notre vouloir qui n’arrivent jamais à se réaliser pleinement et complètement. Parce qu’aussi nous voyons sans cesse dans notre vie la fragilité de cette vie physique, biologique que nous possédons et qui, à un certain moment, disparaît. Nous avons ce regard sur toute chose qui est que chaque chose n’a pas sa plénitude et sa consistance propre, qu’elle n’arrive pas à se tenir debout toute seule de manière stable et définitive. Dans toute la Bible, les affirmations concernant soit la nature, le monde créé, soit notre propre existence, vont sans cesse dans ce sens : le monde ne tient pas debout tout seul. Heureusement que Dieu l’a fixé sur des colonnes, autrement il s’écroulerait sans cesse. Et puis, « l’homme, ses jours sont comme l’herbe. Comme la fleur des champs il fleurit, un coup de vent passe et il n’existe plus ! »
Dans d’autres cultures, dans d’autres civilisations, dans d’autres philosophies, on l’avait déjà pressenti. Dans la tradition philosophique, on appelle cela la contingence, c’est-à-dire le fait que toute chose n’arrive pas à tenir dans une sorte d’autosuffisance. Elle ne s’explique pas toute seule. Elle ne tient pas debout absolument toute seule. Même si Dieu lui a conféré une autonomie, en réalité, elle est vouée à un moment ou l’autre, à une mort, à une destruction.
Et l’on pourrait croire que cette petite parabole que le Christ nous livre en ce jour, ne veut dire que cela. Au fond, cet homme avec ses richesses, tout le blé qu’il a engrangé et qu’il projette encore d’enfermer dans ses granges qu’il envisage d’agrandir est le symbole de ce désir de vouloir tenir, tout seul, dans l’existence, de se donner à soi-même sa propre sécurité, sans pouvoir y arriver. Cela c’est la face négative de cette parabole.
Mais je me disais en même temps, qu’il y a quelque chose d’extrêmement consolant dans toute cette affaire. Car cette fragilité et cette inconsistance du monde n’ont-elles pas aussi une face positive ? En effet, dire que ce monde est fragile, dire que nous ne pouvons pas nous assurer la vie par nous-mêmes et pour nous-mêmes, cela ne veut-il pas dire que Dieu est si proche qu’à tout instant, il peut faire irruption dans nos vies ? Est-ce que, au fond, dans la vie de cet homme qui était en train de se construire une sorte d’énorme barrage vis-à-vis de ses propres projets, vis-à-vis des autres, vis-à-vis de Dieu, est-ce qu’il n’y a pas là le signe que cette fragilité même de sa vie et de ses projets, et qui montre que Dieu, à tout instant, est proche de lui et peut intervenir au cœur de sa propre vie, même s’il s’agit de ce moyen radical qui est de le rappeler à Lui ?
En réalité, si notre vie est fragile, il faut que nous sachions que cette fragilité signifie deux choses. Elle est sans cesse un rappel de ce que nous ne pouvons pas tenir en nos propres mains notre existence. Mais, en même temps, elle est le signe qu’en réalité, comme le dit saint Paul, « rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu ! » Si fortes que soient les barrières dont nous voulons nous prémunir, si fortes que soient les richesses dont nous croyons nous assurer, si grandes que soient les sécurités morales ou spirituelles que nous voulons essayer de nous bâtir et qui, la plupart du temps, sont fausses parce qu’elles sont l’ouvrage de nos mains, en réalité, cette fragilité profonde de notre vie fait que, sans cesse, nous sommes exposés à l’amour de Dieu.
Alors, je crois qu’il est bon de rendre grâces, à certains moments, pour cette fragilité que Dieu nous a donnée. C’est vrai qu’elle est une sorte d’ascèse et de pénitence car il s’agit sans cesse de remettre nos vies entre les mains de Dieu. Mais, en même temps elle a quelque chose d’extrêmement beau et éblouissant, c’est de dire que la lumière de Dieu est si proche qu’elle nous est cachée, simplement, par un voile, le voile de l’obscurité de notre regard, le voile de notre dureté de cœur, mais qu’à tout moment Dieu peut briser ce voile et nous dire : « Voici, je viens ! » Amen.