Un homme a un problème d’héritage à régler avec son frère. Comme bon nombre de personnes, chacun ne pense qu’à ses intérêts. Il a dû entendre Jésus parler de « partage », de « fraternité » ou encore de « solidarité », et il en profite, de la sagesse de Jésus, pour lui demander d’intervenir, en sa faveur, auprès de son frère afin qu’il partage avec lui leur héritage. Autrement dit, il veut tirer un profit personnel à partir de la parole de Jésus. Et Jésus lui répond qu’il n’est pas qualifié pour régler les problèmes d’héritage. En effet, ceux qui écoutent la parole de Dieu ont parfois tendance à utiliser les paroles du Christ dans leurs propres intérêts. Par exemple, j’ai entendu un homme dire un jour à sa femme en citant Ep 5,24 : « comme l’Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris ». Et il dit à sa femme : « tu dois m’obéir puisque c’est écrit dans la Bible ». Or tous ceux qui ont étudié un peu les textes savent parfaitement bien qu’il ne s’agit nullement de la soumission de la femme par rapport à l’homme. Il est dit que la femme est l’égale de l’homme. Gn 1, 27 ; « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme ». Homme et femme créés à l’image de Dieu. Les mathématiciens le comprendront très vite : si l’homme est créé à l’image de Dieu et que la femme est aussi créée à l’image de Dieu, les deux êtres humains sont créés avec une égale dignité. Prenons un 2ème exemple : l’expression « Dieu qui sonde les reins et les cœurs» (Ap 2,23). Certains chrétiens ses sentent mal à l’aise devant cette expression parce que le mot « rein », chez le créole, a parfois une connotation sexuelle, et comme ils se sentent mal à l’aise, ils le rejettent. Or les reins, dans la Bible, désignent le siège, la source des passions, des pensées secrètes, des sentiments cachés. Dire que « Dieu sonde les reins », c’est dire que Dieu est capable de connaître le fond de nos pensées secrètes, conscientes ou inconscientes, ce qu’il y a de plus intime au plus profond de nous-mêmes et que rien ne peut lui être caché. Ainsi devant les êtres humains on peut passer pour quelqu’un d’honnête alors qu’au plus profond de nous-mêmes, Dieu sait que nous pouvons être des hypocrites. On pourrait trouver d’autres exemples, d’autres expressions bibliques, où certaines personnes pourraient essayer de tirer un avantage, un intérêt pour en tirer profit, ou encore un désavantage pour les gommer, les refouler ou les rejeter. Il n’y a pas à accepter ou à rejeter les expressions bibliques, il faut surtout essayer de les comprendre pour bien les interpréter. Paul nous dit en 1 Co 10,24 : « Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui » ; 1Co 10,33 : « je m’efforce de plaire en tout à tous, ne recherchant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés ». Et quand on parle d’intérêt personnel, il peut s’agir de l’argent (c’est ce que font les faux prophètes qui fondent leurs propres groupes sectaires pour s’enrichir), il peut s’agir aussi des honneurs, de la gloire, de la reconnaissance, du pouvoir qu’on pourrait avoir sur d’autres personnes. Il ne faut pas se tromper de but dans notre vie qui est de s’unir au Christ par la foi afin d’être sauvé et avoir la vie éternelle, et que par l’évangélisation, l’humanité entière soit sauvée. C’est pourquoi, à part tout ce qui concerne Dieu, sa volonté, ses enseignements, ses commandements, « tout est vanité » nous dit le premier texte d’aujourd’hui. Tout ce que nous faisons dans notre vie, le travail, le savoir, la réussite sur tous les plans, tout cela ne nous amènera pas forcément à la vie éternelle, à la vie au Royaume de Dieu, au partage de la vie divine où se trouve le bonheur éternel. Aucune satisfaction terrestre ne peut assouvir, contenter, satisfaire, apaiser, combler la soif du bonheur qui, en fait, ne se trouve qu’en Dieu seul. La réponse de Jésus à l’homme qui lui a parlé de l’héritage est : « Attention, gardez-vous de toute cupidité (c’est-à-dire du désir immodéré de l’argent et des richesses) car, au sein même de l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens ». La réussite matérielle sur terre ne garantit ni le bonheur, ni la vie éternelle avec Dieu. La richesse peut nous détourner de Dieu et du prochain. Les mauvais riches, nous dit Père Antoine Baron, sont ceux qui mettent leur espoir dans leur satisfaction et spécialement dans leur orgueil. « En soi, la possession de biens matériels est un don de Dieu pour que le bonheur soit partagé. Dieu n’a jamais désiré l’appauvrissement des gens ou la pauvreté en elle-même, ou encore la privation de toutes richesses pour les chrétiens. Ce serait une injustice que d’affirmer le contraire. Les pauvres, autant que les riches, peuvent être de grands pêcheurs et des monstres d’orgueil, nous dit Père Antoine Baron. La souffrance liée à la misère peut amener les pauvres au vol et au crime, et la jalousie à l’égard des riches peut induire une révolte contre Dieu. La pauvreté matérielle n’entraîne malheureusement pas la justice et la sainteté de manière automatique, ce serait trop beau. Inversement, certains riches mettent généreusement leurs ressources matérielles au service des autres. Il s’agit d’imiter le Christ. L’idéal n’est pas d’être pauvre, mais d’avoir le bonheur de soulager les malheureux, à la manière de Jésus » (Père Antoine Baron). Toute sa vie, Jésus n’a cessé de secourir les pauvres, de prendre soin d’eux. Dieu invite plutôt à accueillir dans un esprit de pauvreté la gestion des biens matériels. Le problème est spirituel : il ne porte pas sur la possession de biens matériels en soi. – Jésus donne une parabole : celle d’un riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Il pense alors agrandir ses greniers pour entreposer davantage de blé, et avoir ainsi une grande réserve pendant de nombreuses années. Il va pourvoir alors se reposer, manger, boire et faire la fête. Malheureusement pour lui, le soir même, il meurt. Il a voulu avoir beaucoup de richesse pour lui-même, et il n’aura rien. Le trésor qu’il faut amasser n’est pas celui de la richesse matérielle, mais bien celui qui est fait en vue de vivre éternellement avec Dieu. – Aux fidèles du Christ, Saint Paul dit que le chrétien doit rechercher les choses d’en haut et non celles de la terre car « vous êtes morts », c’est-à-dire que par le baptême nous sommes morts au péché et unis au Christ, participant déjà réellement à sa vie céleste, mais cette vie, qui demeure spirituelle et cachée sur terre, sera manifeste, c’est-à-dire évident, visible, au moment de la Parousie, c’est-à-dire à la fin des temps lorsque reviendra le Christ pour le jugement dernier. – Et puisque le Christ a quitté ce monde terrestre et qu’il est ressuscité, nous aussi nous devons quitter ce monde terrestre, par le détachement aux biens matériels, par un certain dépouillement, renoncement, privation de choses non utiles pour notre salut. Ce détachement ne pourra jamais se faire par notre seule force, ni par notre volonté personnelle mais par la foi en Jésus Christ qui nous aidera petit à petit à nous délaisser, un peu plus chaque jour, des choses matérielles pour nous tourner davantage vers les choses d’en haut. Il faut de la patience et de la persévérance dans son union au Christ. C’est la foi en Jésus qui nous amènera à nous mortifier, et la mortification nous conduira, avec la grâce de Dieu, à fuir, à combattre, à éliminer la fornication c’est-à-dire les relations sexuelles hors mariage, l’impureté, les mauvais désirs, la cupidité, la colère, l’emportement, la malice, les outrages, les vilains propos, le mensonge etc…Cette mortification est une lutte permanente contre la recherche de la grandeur, de l’estime, de la reconnaissance, de son intérêt personnel….
Saint Louis-Marie Grignion de Monfort nous dit : « Tous ceux qui sont à Jésus-Christ… ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences », c’est-à-dire qu’ils combattent activement leurs propres péchés et leur attrait naturel vers les biens matériels, terrestres…, et … se font une continuelle violence (contre leurs propres défauts, leurs propres faiblesses, leurs propres péchés), ils portent leurs croix tous les jours, et enfin sont morts (au monde terrestre qui passe ainsi au second plan dans leur vie) » afin de se dépouiller du vieil homme (celui du péché) pour se revêtir du nouvel homme qu’il devient en étant uni au Christ ressuscité. Pour avoir la Sagesse incarnée, c’est-à-dire Jésus Christ, il faut pratiquer la mortification ( Col. 3,5 ; 2è texte d’aujourd’hui), le renoncement au monde et à soi-même ». Ne vous imaginez pas, nous dit encore Grignion de Monfort (§195 – L’Amour de la Sagesse Eternelle), « que cette Sagesse, c’est-à-dire Jésus-Christ…entre en une âme et un corps souillés par les plaisirs des sens. Ne croyez pas qu’elle donne son repos, sa paix ineffable, à ceux qui aiment les compagnies et les vanités du monde ». Saint Jean de la Croix dit la même chose : « Tous doivent s’efforcer de mortifier leur être sensible qui, par le moyen des appétits désordonnés (provenant de nos cinq sens), peut être un obstacle à l’union divine.- Plus on est uni au Christ, plus les choses matérielles et terrestres vont se décanter d’elles-mêmes et plus les passions, quelles qu’elles soient, bonnes ou mauvaises, vont s’estomper, diminuer au fur et à mesure, « en douce et sans secousse » comme disent les créoles, et disparaîtront d’elles-mêmes, presque sans effort de notre part, et même sans aucun regret, par le seul fait qu’on est davantage en compagnie de Jésus-Christ qui prendra de plus en plus de place dans notre vie. Par la foi et par le seul fait de vivre en Jésus-Christ, la vie des chrétiens est débarrassée, par la grâce de Dieu, des mauvaises choses qui alourdissaient leur vie, leur permettant de vivre en paix quel que soient leur condition de vie. – C’est pourquoi Thérèse d’Avila nous dit à un certain moment de sa vie : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout; celui qui possède Dieu ne manque de rien: Dieu seul suffit.– Même le grand Saint Thomas d’Aquin a arrêté d’écrire son 3è tome de la Somme Théologique car dit-il « tout ce que j’ai écrit me paraît de la paille » – un chef d’œuvre considéré par son auteur comme une vanité – après ce qui lui a été révélé au cours d’une messe. L’hostie que nous recevons à la messe, c’est le Christ ressuscité que nous recevons. Et ceux qui communient, nous dit Saint Thomas d’Aquin, sont appelés à se convertir et seront changés dans le Corps du Christ (Eglise). Et c’est l’Eglise qui grandit ainsi, en qualité. « C’est en communiant et en accueillant la grâce de la communion que l’Eglise se construit…au cœur de l’humanité ». Nicolas Buttet nous dit que « Le mystère (de la messe, de la communion, de l’Eucharistie) doit nous étonner. Si nous ne nous étonnons plus, c’est l’indifférence qui prendra la place de l’étonnement. Et l’indifférence conduit à la tiédeur. La fréquentation répétée des mystères et notamment de l’Eucharistie, peut conduire à un émerveillement croissant ou à une habitude mortelle. Il nous faut sans cesse nous ressaisir, nous laisser toucher par l’inaccessible afin de ne pas s’habituer ». Si la messe nous devient une habitude du dimanche, il faudra nous ressaisir pour chercher à comprendre les merveilles de la messe. Même ceux qui communient doivent rester éveillés pour rester aussi dans la communion spirituelle. Saint-Marie Grignion de Monfort nous dit qu’uni au Christ ressuscité (par la communion), ce dernier nous « donne un goût pour tout ce qui est de Dieu, et nous fait perdre le goût des créatures. Il réjouit notre esprit par le brillant de ses lumières; il verse en notre cœur une joie, une douceur et une paix indicibles, même parmi les amertumes et les tribulations les plus rudes ». C’est à la messe que nous pouvons revêtir l’homme nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance, en se renouvelant à l’image de notre Créateur, car c’est à la messe que nous recevons l’Esprit Saint qui nous donne un cœur nouveau rempli de l’amour de Dieu ((Rm 5,5), capable de nous faire connaitre Dieu qui est Amour, et que le Christ, qui habite en nos cœurs par la foi pour nous enraciner dans l’amour ( (Ep 3,17), fait de nous un homme nouveau, une création nouvelle (2Co 5,17) à l’image du Dieu Créateur. Merci à Marie qui porte tout cela dans son cœur et qui prie sans cesse pour nous.
Claude Won Fah Hin