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16ième Dimanche du Temps Ordinaire (13, 24-43) – Homélie du Père Louis DATTIN

 Le bon grain et l’ivraie

Mt 13, 24-43

« Si Dieu existe, j’aurais des comptes à lui demander » : cette phrase, je l’ai lue dans le journal d’un peintre contemporain. Mais, tous, nous l’avons entendue un jour ou l’autre, sous une forme ou sous une autre. Devant les souffrances, la mort, les injustices quotidiennes, nous nous demandons ce qui peut bien faire Dieu. Pourquoi son silence, son inaction ? Ne voit-il pas la souffrance de son peuple ? La question du mal est la plus grave de toutes… Si Dieu est bon et puissant, pourquoi y-a-t-il un tel déchainement de violence, de souffrances ?

Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus nous donne sa réponse toute simple, et merveilleusement limpide : tout d’abord, on s’en doutait, le mal ne vient pas de Dieu qui n’a semé que du bon grain dans le champ du monde mais tout le mal ne vient pas non plus du cœur de l’homme. Le mal existe avant, et plus profond.

Pour Jésus, c’est clair et net, l’homme lui-même est victime de ce qu’il appelle le « mauvais », le mal du « Notre père » « Délivre-nous du mal ! ». Comme il nous est bon d’apprendre cette révélation : au-delà de nos faiblesses, à la racine de nos péchés, il y a une puissance dont nous ne sommes pas totalement responsables et qui agit sournoisement : « pendant que les gens dorment » dit Jésus. Alors que le blé a été semé en pleine clarté du jour, l’ivraie est semée en cachette, en profitant lâchement d’un moment d’inconscience.

N’est-ce pas une expérience que nous faisons souvent ? Le mal s’infiltre sournoisement dans notre vie et souvent à notre insu ; nous ne nous en apercevons qu’après coup. C’est Jésus qui nous le dit et ainsi il réhabilite notre dignité profonde. Nous ne sommes pas si mauvais que nous en donnons parfois l’image. Le pécheur est d’abord une victime.

 Et puis, nous avons une fâcheuse tendance à répartir l’humanité en deux catégories très tranchées : c’est ce qu’on appelle le manichéisme : d’un côté, les bons ; de l’autre, les mauvais. C’est le principe un peu simplet des films américains, des westerns et des bandes dessinées.

Jésus, lui, là encore, n’est pas d’accord avec cette vision simpliste du monde. Pour lui, vous l’avez entendu, le bon grain et l’ivraie sont mélangés, comme en un écheveau impossible à démêler. Dans notre propre cœur, germes de vie et semences de mort cohabitent : telle action commencée dans l’amour s’achève dans l’angoisse, telle entreprise de générosité se transforme en affaire « très intéressée ».

« Je ne fais pas le bien que je voudrais faire, avoue le grand St-Paul, et je commets le mal que je ne voudrais pas faire ».

Ce mélange inextricable de bien et de mal en nous-mêmes devrait nous rendre prudents contre tous les jugements trop hâtifs ou trop intolérants envers les autres. « Seigneur, guéris-nous de l’intransigeance et du sectarisme ». Nous avons beaucoup de mal à accepter l’état naturel du monde. Nous sommes comme les fils de Zébédée qui, après avoir été mal reçus dans un village, disent au Seigneur : « Ne vas-tu pas envoyer le feu du ciel sur cette bourgade pour qu’on en parle plus ». Soyez justes, mais ne vous faîtes pas justiciers !

Nous sommes impatients de mettre de l’ordre avant le temps, un peu comme Pierre qui avec son épée, coupe l’oreille de Malchus. Remettons l’épée au fourreau : la vengeance ne nous appartient pas. « C’est moi, dit le Seigneur, qui rendrai à chacun selon son dû ». Pas de justice expéditive.

Si Dieu n’extermine pas les méchants, c’est qu’il garde au fond du cœur l’espoir qu’ils vont finir par se convertir. Dieu est plus patient que nous. Ce temps de longue patience, c’est le délai qu’il nous offre : il faut attendre le temps de la moisson, le jour du jugement pour séparer le bien du mal, en nous rappelant qu’il y a deux catégories d’hommes qui n’existent pas : « ceux qui sont entièrement bons » et  » ceux qui sont entièrement mauvais ».

« Celui qui se dit ‘’sans péché, dit Jean, celui-là est dans l’illusion et ceux qui se reconnaissent pécheurs ne le sont déjà plus ».

           Un des passages les plus étonnants de l’Evangile n’est-il pas celui-ci : « Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de pénitence ». « Celui qui se glorifie d’être juste, ne l’est déjà plus ! »

 

 

Sans oublier que ce tri, nous le faisons avant l’heure, celle où nous jugeons, avant Dieu lui-même, le seul qui connait vraiment « les reins et les cœurs ». Ce tri, donc, peut être l’occasion de faire naître en nous le racisme, un des maux importants de notre société ; et qui peut dire qu’il ne l’est pas un peu, en face de certaines catégories humaines ?

A côté des racismes spectaculaires, foisonnent une multitude de petits racismes. Lorsque Jésus priait pour que nous devenions unis : « Père, qu’ils soient un comme toi et moi nous sommes un », il priait pour que disparaissent les castes, les ghettos, les clans, les égoïsmes qui privilégient des hommes vis-à-vis d’autres hommes. Il demandait que nous arrivions tous ensemble chez le bon Dieu, quels que soient nos liturgies, nos peaux, nos couleurs, nos âges, nos biens, nos pauvretés. Dès que nous nous intitulons juges de la conduite des autres, nous devenons racistes. On veut bien faire de l’œcuménisme avec les protestants mais pas avec les voyous !

Rappelez-vous ce racisme des bonnes gens « qui ne sont pas comme le reste du monde – voleurs, adultères ». C’est celui du pharisien debout devant l’autel qui est tout content de n’être pas comme ce publicain qui se frappe la poitrine en disant : « Aie pitié de moi, Seigneur, je ne suis qu’un pécheur ».

Pour Dieu, il n’y a pas de bons fils et d’autre part de mauvais fils : ils sont tous ses fils aimés de lui. Ne faisons pas de différence où Dieu n’en met pas.

Ce qui ne signifie pas que le bien est mal et que le mal est bien ! Mais non seulement je ne dois pas juger, mais je dois accueillir tous les hommes, sans acception de personne. Comme elles sont malheureuses ces querelles où l’on se condamne pour des riens ! C’est du christianisme rapetissé. Parfois, tout le zèle que nous mettons à convertir les autres serait mieux employé à nous convertir nous-mêmes… Mieux vaut une moisson difficile que pas de moisson du tout.

En supprimant tout au début, il n’y aurait plus d’ivraie, bien plus, il n’y aurait plus rien du tout ! Il faut attendre le temps de la moisson pour séparer le bien du mal, et à ce moment-là, nous aurons sans doute bien des surprises ! Pour le moment, il faut les laisser croître ensemble. Nous voudrions tant que l’Eglise soit propre, libérée de tout ce qui ne nous semble pas dans la bonne ligne. A tout moment, des voix s’élèvent pour réclamer que l’on fasse le ménage, que l’on interdise, que l’on pousse vers la sortie ceux qui ne nous conviennent pas, dans la plus modeste des chapelles comme dans l’église universelle. Cela voudrait-il dire que nous sommes plus attentifs au mal qu’au bien qui se fait ?

Serions-nous plus rapides à dénoncer qu’à encourager ? Plus disposés à juger qu’à aimer ? Il nous est tout à fait légitime d’attendre le ciel c’est-à-dire l’état de grâce définitif en communion avec Dieu. « Nous attendons, nous dit St-Pierre, des nouveaux cieux, une terre nouvelle où la justice habitera ».

Avec Jésus, nous rêvons avec joie de ce Royaume où le mal n’existera plus, où tout ne sera que vérité, amour, bonheur sans fin et sûrs de ce résultat final, nous y travaillons ici-bas, chaque jour, de notre mieux, en faisant une confiance totale au maitre du champ.

En attendant, il ne nous reste plus qu’à imiter la patience aimante de Dieu. AMEN