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18ième dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

 Multiplication des pains

Mt 14, 13-21

 « Jésus partit en barque en un endroit désert ». C’est par ces mots que débute l’Evangile que nous venons d’écouter. Jésus vient d’apprendre la décapitation de Jean-Baptiste. Il a besoin de prendre du large et surtout il a besoin d’être seul, de se retirer un moment du monde, de se retrouver face à lui-même pour faire le point et de dialoguer dans l’intimité de son Père.

Il part en barque, traverse le lac : il sera tranquille de l’autre côté, loin de cette foule qui l’entoure de toutes parts et qui l’assaille sans cesse de cris, de demandes de guérisons, de prières diverses. Or, quand il débarque sur la rive : la foule est là, déjà là. Elle est là, car elle a faim. Remarquez qu’elle ne réclame pas de pain. Elle a faim de son enseignement, elle a faim de lui. En elle, s’est levé une grande espérance, et puis, il faut bien le dire aussi, elle voit en lui un faiseur de miracles, un magicien différent des autres.

Combien de fois, nous-mêmes, n’avons-nous pas fait cette demande vers le Christ, non pas pour écouter sa parole, pas même pour bénéficier de sa grâce, mais pour demander, quêter, tendre la main pour satisfaire ou résoudre des situations purement humaines, qui n’ont pas grand-chose à voir avec le Royaume de Dieu.

Et Jésus, cependant, a compassion de cette foule. On dit qu’il fut « saisi de pitié ». « Pris aux entrailles » serait la vraie traduction. Et le voilà qui se remet à guérir, qui parle et on l’écoute.

Mais bientôt, le soir vient. La foule est toujours là, en attente d’autre chose certainement. Pourquoi, autrement serait-elle encore autour de lui ? Mais vous connaissez tous, la suite, ce fameux texte de la multiplication des pains : raconté six fois dans les Évangiles tant il avait frappé les apôtres, par la matérialité des faits, mais aussi et surtout par le signe qu’elle donnait à l’Eglise.

– Trop souvent nous n’avons retenu que le côté miraculeux, le côté extraordinaire, le merveilleux. Nous cherchons seulement  » comment  » il a pu faire, alors que nous devrions d’abord nous demander « pourquoi  » il l’a fait ce miracle et sa véritable signification.

– Ne voir dans les miracles de la Bible, dans ceux de Jésus que des évènements extraordinaires qui relèvent de la magie, c’est cacher le message. Dans chaque miracle : Jésus fait signe, il nous fait signe, il veut nous dire quelque chose.

Chaque miracle est un message de Dieu, un message que nous devons décrypter, déchiffrer, comprendre. Nous ne devons pas chercher « comment » cela s’est réalisé, comment cela fut matériellement possible, mais pourquoi il a fait ce miracle, découvrir le sens religieux qui se cache derrière le miracle lui-même.

Qu’est-ce-que Jésus veut nous dire par ce miracle ? Il veut d’abord faire le lien entre le Dieu de l’Ancien Testament et lui-même.

Rappelez-vous la manne, ce pain du désert avec lequel Dieu nourrissait son peuple. Il veut donner ce jour-là, un signe semblable à celui de Moïse : Jésus accomplit la loi du Sinaï. Il continue à nourrir son peuple. Il va lui donner un autre pain à manger : il le leur dira le lendemain à la Synagogue de Capharnaüm.

Mais la situation, ne l’oublions pas, est urgente : le soir venu, la foule est toujours là et ce sont les disciples qui pressent Jésus d’agir : « Renvoie donc cette foule. Qu’ils aillent dans des villages s’acheter à manger ! » et la réponse de Jésus est stupéfiante : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. »

Voilà que Jésus institue l’Église, dispensatrice du don de Dieu, les disciples distributeurs de la grâce de Dieu qui s’en remet aux hommes et qui leur donne une mission : « Donnez-leur à manger », l’Eglise qui reçoit la mission redoutable d’apaiser la faim et la soif des hommes !

Dieu ne veut pas et ne peut pas travailler en ce monde sans l’Eglise, sans les hommes. Il ne veut pas de subventions et d’assistanat à sens unique : il faut que l’homme apporte sa part et lui, il multipliera.

Ce n’est pas respecter quelqu’un, que de lui donner quelque chose, alors que, lui, n’a rien fait pour le mériter, pour apporter son concours. Alors, ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons».

C’est vrai, nous n’avons pas grand-chose à offrir. Pauvreté de l’Église pour convaincre le monde de l’amour de Dieu, pauvreté par rapport aux moyens dont disposent les promoteurs de valeurs matérielles !

En fait, nous ne sommes pas de taille pour lutter contre toute cette publicité qui déforme actuellement l’échelle des valeurs de notre société.

Cinq pains, deux poissons ! Nous n’avons pas les moyens de faire face. C’est dérisoire. Mais Dieu a besoin des hommes, il en a besoin parce qu’il les respecte et qu’il les aime et qu’il ne veut pas en faire des assistés. Jésus aurait pu se passer totalement de ces pauvres cinq pains de famine. Mais Dieu, Jésus, veut avoir besoin de moi, de chacun d’entre nous.

– « Il prit les cinq pains et les 2 poissons et levant les yeux au ciel,

il prononça la bénédiction, il rompit les pains et les donna aux disciples ».

Ces mots-là ne vous rappellent rien ? Ces gestes-là ne vous disent rien ? Ce sont les mêmes que ceux qui serviront à décrire la Cène, le Jeudi Saint, au moment d’instituer la Sainte Eucharistie : « Levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction, il rompit le pain et donna aux disciples ».

La multiplication des pains n’est que le signe avant-coureur du sacrement de l’Eucharistie. Le lendemain de ce jour, à la synagogue de Capharnaüm, il déclarera :

« Vos pères ont mangé la manne au désert et aujourd’hui, vous êtes ici, parce que hier, vous avez mangé du pain. Mais le pain que Dieu donne, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde ».

Jésus leur déclara : « Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ! ». « Il donna le pain aux disciples et les disciples les donnèrent à la foule », comme tout à l’heure à la communion, le prêtre et ses délégués vous donneront le pain de vie.

Cette multiplication des pains est déjà une véritable liturgie, annonciatrice de nos messes, et le rôle du prêtre à la messe n’est autre que celui des apôtres qui faisaient passer, de personne en personne, la nourriture de Dieu.

 

Le pape Jean Paul II, dans son message au Congrès International Eucharistique de Lourdes, rappelle le rôle sacré des prêtres : « Les prêtres, ayant reçu le Sacrement de l’Ordre, assument, au milieu des peuples des baptisés, la place du Christ, tête de son Eglise : leur ministère sacré est indispensable pour signifier que la ‘’fraction du pain réalisée par eux est un don reçu du Christ qui dépasse radicalement le pouvoir de l’assemblée’’ » et ce pain est donné à profusion.

 

 

« Des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins ». Les dons de Dieu ne sont pas mesurés : sa grâce est toujours surabondante, tout comme à Cana où il y avait six cent litres de vin. Douze paniers, comme les douze apôtres, ces douze paniers dans lesquels nous puisons encore aujourd’hui en les distribuant à la foule : cette nourriture demeure pour ceux qui sont appelés à partager le même repas dans l’aujourd’hui de l’Eglise. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous puisons, en quelque sorte dans les douze paniers qui furent confiés, ce soir-là, aux douze apôtres.

« Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ».

Pain rompu pour un monde nouveau. AMEN