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29ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mt 22, 15-21) – Homélie du Père Louis DATTIN

Rendez à César

Mt 22, 15-21

 

En ce même dimanche, nous sommes invités à réfléchir sur l’action missionnaire de l’Église, sur son expansion et sur son influence sur les hommes de notre époque et aussi, sur la célèbre formule « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » : la question délicate, parfois épineuse, des rapports de la religion et de la politique, de l’Eglise et de l’état, de la laïcité.

 

La question était déjà fort compliquée au temps de Jésus : autant dire que c’était une question piège. Si Jésus répond qu’il faut payer l’impôt à César (c’est-à-dire à l’occupant romain), il perd toute sa popularité auprès du peuple qui ne supporte pas l’occupation romaine : il sera traité de « collaborateur ».

Par contre, s’il dit qu’il ne faut pas payer, il sera mis dans la catégorie des résistants, des subversifs : il sera facile de le dénoncer au pouvoir en place.

Essayons de comprendre toute la pensée de Jésus et de l’appliquer à notre époque : « Rendez à césar ce qui est à César ».

Dans la mentalité de l’Ancien Testament : tout pouvoir vient de Dieu. Ainsi dans la 1ère lecture, le roi Cyrus, un étranger et un païen, devient un instrument entre les mains de Dieu. Dieu se sert de lui pour accomplir ses volontés. Ce sera par Cyrus que Dieu permet au peuple juif de rentrer d’exil et de retourner au pays.

« Je l’ai rendu puissant alors qu’il ne me connaissait pas, pour que l’on sache, de l’Orient à l’Occident, qu’il n’y a rien d’autre que moi ».

A travers les hommes politiques qui se succèdent et se prennent la place les uns aux autres, c’est Dieu qui reste le Maître des événements : Maître de l’histoire. Il en contrôle le déroulement et St-Paul dira la même chose aux premiers chrétiens : ils ont donc à se soumettre à l’autorité civile dans la mesure où celle-ci essaie de respecter l’homme, lui reconnaître ses droits et lui assurer sa liberté.

« Rendez à César ce qui est à César » : nul ne peut mépriser, ni même ignorer, encore moins s’il est missionnaire, la vie civile d’un pays, ses institutions, ses orientations sociales et civiques. On ne peut pas couper la vie humaine en tranches séparées comme si les chrétiens et l’Église pouvaient ignorer la politique.

Tout chrétien missionnaire doit tenir compte de l’opinion de la vie de la cité, du déroulement des affaires, de la législation familiale, sociale, celles du travail, de la santé, de l’enseignement, de la sécurité, …

Il est vrai que Jésus a toujours refusé de jouer le rôle d’un messie socio-politique. Rappelez-vous la 3e tentation dans le désert : « Tous ces pays, dit Satan, je t’en donne le pouvoir, si te jetant à mes pieds, tu m’adores ».

Rappelez-vous sa fuite dans le désert pour prier, quand la foule veut le faire roi après la multiplication des pains.

Rappelez-vous sa réponse à Pilate, qui lui demande s’il est roi :

« Oui, je le suis, mais mon Royaume n’est pas de ce monde ! »

Pourtant, dans ce « Rendez à césar ce qui est à César », on peut voir une invitation à tenir compte de ̏ l’autorité établie ̋, à respecter ses droits.

 Mais en prenant cette attitude, Jésus introduit dans le monde antique une distinction révolutionnaire : il « désacralise la politique « . César n’est jamais « que » César. Il n’est pas Dieu.

Alors, qu’il continue à exercer ses fonctions. Oh ! Tant bien que mal avec ses grandeurs et ses servitudes ! Mais c’est une fonction laïque, humaine, soumise à tous les aléas et à la complexité des réalités socio-politiques, des régimes, des idéologies.

Mais tout n’est pas dit ! Voyons la suite ! « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! » Nous autres, hommes modernes, nous savons maintenant où conduit toute politique qui prétend se moquer de ce « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

Les sociétés « sans Dieu « , qu’elles se prétendent de droite ou de gauche : nazisme ou marxisme, celle de Hitler ou de Staline, des talibans ou de Mao de la Corée du Nord , sont des sociétés inhumaines. Dès que l’État se construit sans Dieu, il écrase l’homme et cela même où ? Aux camps de concentrations, au goulag ou à la prison ou à l’asile psychiatrique, car César, tout César qu’il est, doit se soumettre à Dieu et rendre à Dieu ce qui lui appartient.

On pose à Jésus une question sur les devoirs du citoyen à l’égard du pouvoir, question temporelle : Jésus répond à une autre question sur les devoirs du chrétien à l’égard de Dieu, question spirituelle.

« Rendez à Dieu ce qui est à lui » et c’est toute la vie de Jésus qui a crié cela et voilà l’essentiel de la tâche du chrétien missionnaire dans notre monde d’aujourd’hui : reconnaître Dieu, lui rendre tout ce à quoi, il a droit, savoir le servir, lui, le premier, mieux le connaître, mieux l’aimer.

La politique, si importante soit-elle, puisqu’en principe elle est l’art du bien commun, n’est pas le tout de l’homme, n’est pas la part la plus essentielle de l’homme. “L’homme ne vit pas seulement de pain ”, ni de logement, ni de marché, ni de subventions, ni de production. “Créé à l’image de Dieu”, “à l’effigie de Dieu”, l’homme baptisé a pour destin, pour avenir, de partager la vie même de Dieu !

« Montrez-moi la monnaie de l’impôt ! Quelle image y a-t-il ? Celle de César ? » Mais l’homme, lui, de qui est-il l’image ? Il est « créé à l’image de Dieu », à l’effigie de Dieu et non à celle de César. «Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Rendez l’homme, image de Dieu, fils de Dieu, non pas à un souverain qui se prétend dictateur, mais à un Dieu qui se prétend Père !

Je finirai par ce beau texte de St-Augustin, il résume tout :

« De même que césar cherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu cherche son image en toi, en ton âme !

Que réclame de toi, César ? Son image !

Que réclame de toi, le Seigneur ? Son image !

Mais l’image de César est sur une pièce de monnaie,

l’image de Dieu est en toi.

Si la perte d’une pièce de monnaie te fait pleurer,

parce que tu as perdu l’image de César,

combien plus, dois-tu pleurer d’abîmer ou de ternir, en toi,

cette image de Dieu qui fait toute ta valeur, toute ta grandeur ».

« Vous êtes créés, vous, à l’image de Dieu », « Dieu créa l’homme à son image, il le fit ». Un chrétien, à plus forte raison un missionnaire chrétien, c’est celui qui rend transparent dans sa vie l’image de Dieu. Son Baptême a gravé en lui cette image, sa confirmation la rend visible à son entourage : il est le témoin de l’amour de Dieu, du pardon de Dieu, de la tendresse de Dieu, de la patience de Dieu, de la paternité de Dieu. Il devient le miroir fidèle, le messager de tout ce que Dieu veut nous confier. Puisqu’il faut « rendre » à César son image sur sa pièce de monnaie, symbole de vie économique et sociale, rendons à Dieu, à plus forte raison, son image : l’homme tout entier, marqué à son « effigie ».

« Comment rendrai-je à Dieu tout le bien qu’il m’a fait ? », se demandait un psalmiste, et il répond : « J’élèverai la coupe du Salut et j’invoquerai le nom du Seigneur ». Au cours de cette messe, c’est ce que nous allons faire maintenant. AMEN