1

33ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mt 25, 14-30) – Homélie du Père Louis DATTIN

Talents

Mt 25, 14-30

Aujourd’hui, frères et sœurs, nous sommes appelés à prendre conscience de ce qu’exige notre vocation de chrétien.

Être chrétien, ce n’est pas rien : nous avons beaucoup, beaucoup reçu. Au départ, il y a eu le Baptême, devenus fils de Dieu, nourris ensuite par l’Eucharistie, nous sommes aussi confirmés, pardonnés à chaque fois que nous avons péché, réconfortés alors que nous étions malades, fortifiés pour vivre une vie conjugale ou sacerdotale : sans oublier la Parole de Dieu, le soutien de l’Église, … Oui, c’est vrai, ce que nous avons reçu est énorme : d’ailleurs, un « talent », dans le temps, c’était aussi une somme énorme, environ « 35 kg d’or » qui correspondait au salaire de 6 000 journées de travail d’un ouvrier.

« Il leur confia ses biens, à chacun, selon ses capacités ». Dieu nous a beaucoup donné : Dieu espère beaucoup de nous ! Il fait confiance, nous laisse un capital conséquent et il va même partir en voyage, nous laissant le soin du domaine. Bien sûr, il reviendra et nous demandera des comptes : c’est dans l’ordre des choses. Mais, en attendant, c’est nous, les chrétiens, c’est nous, qui devenons responsables de la fortune de Dieu.

Dieu me confie ses biens : il ne suffit pas de veiller les bras croisés ou les mains jointes. Il faut être actifs, entreprenants.

Deux serviteurs font fructifier ce que le Seigneur leur a donné, le troisième enterre l’unique talent qui lui a été remis. Après tout, ce 3e, il est honnête : il va rendre à son maitre ce que son maitre lui a confié. Il est même prudent : il va enterrer, ce trésor de 6 000 francs or. Honnête, prudent : ce ne sont pas des qualités chrétiennes prioritaires. Avec tout ce qu’il a reçu, le chrétien, lui, doit être avant tout dynamique, constructif, productif. Dieu ne nous a pas confié sa création, son amour, l’Évangile, le message de son Fils, pour le garder pour nous, à notre profit personnel : nous devons rendre compte, un jour de la façon dont nous aurons mis en valeur tout ce que Dieu m’a donné.

Autrement dit, nous devenons  responsables, responsables non pas comme un gardien de coffre-fort, mais responsable comme un entrepreneur, comme un architecte.

Au départ, Dieu nous donne les matériaux : à chacun de nous de les utiliser au mieux pour en faire un chef-d’œuvre qui sera celui de notre vie.

Ma vie chrétienne n’est pas quelque chose à garder soigneusement, à veiller jalousement, un trésor à cacher. Elle est, au contraire, un capital à multiplier, une somme à placer pour la faire produire et fructifier : le chrétien ne se contente pas de conserver et de restituer.

Dieu nous a dotés en plus, chacun également, de qualités et aussi d’une liberté d’initiatives qui va nous permettre de mettre en œuvre toute une créativité, une participation qui ne sera d’ailleurs pas uniquement extérieure à nous, mais dont nous serons, nous-mêmes, les premiers bénéficiaires.

On a souvent confondu christianisme avec conservation. Il fallait « garder », « protéger », « veiller sur », observer les commandements, conserver la foi qui nous a été transmise comme un précieux dépôt. Dans les banques, il y a deux sortes de capitaux : ceux qui dorment, enfermés dans la salle des coffres, improductifs et ceux qui travaillent sur le marché ; investis, ils alimentent le marché du travail, de la production, de l’entreprise. Il y a l’argent qui travaille et l’argent qui dort.

Eh bien, dans l’Eglise aussi, il y a la grâce de Dieu qui travaille et celle qui ne travaille pas. Dieu donne à chacun sa grâce, sa vie, ses biens : qu’en faisons-nous ? Est-ce-que nous capitalisons ce que Dieu nous a donné et qui ne servira jamais à rien parce que nous ne le communiquons pas aux hommes de notre temps ? Un capital qui dort parce que son propriétaire est un chrétien assoupi ou au contraire, une somme de grâces qui va, comme dit le monde financier, « faire des petits » parce qu’il est lancé sur le marché des hommes, placé à bon escient, investi par des chrétiens actifs, avisés, entreprenants, qui se risquent et qui se lancent dans le monde de l’évangélisation, de la charité, de l’apostolat.

Ce capital de ma foi, va-t-il donner de la foi aux autres ? Cet amour de mon cœur va-t-il être partagé et se répandre ? Cette espérance qui est mienne, va-t-elle soulever l’espoir des hommes autour de moi ?

            Ne pas garder pour moi ce dont les autres ont tant besoin : ils ont droit à notre foi, droit à notre amour, ils réclament notre espérance. Rappelez-vous cette affiche d’une banque où l’on voyait un homme au regard vif qui disait : « Votre argent m’intéresse ».

Les hommes les plus conscients des besoins de notre époque disent aux chrétiens la même chose : « Vos talents, votre foi, votre espérance, votre charité nous intéressent ». Ce que vous avez reçu, c’est la clé qui ouvre la vraie porte, le mot de passe qui nous fait aller plus loin, le passeport qui nous permet de passer dans le pays VRAI : celui de Dieu.

Ces clés, ces mots de passe, ces passeports, ces messages qui ne doivent pas rester secrets : les garderons-nous pour nous ? Allons-nous les enterrer, les mettre au coffre ou bien les mettre à disposition de tous ?

Oui, c’est vrai, nous avons reçu un trésor, nous avons, depuis notre Baptême, notre Confirmation, dans notre Evangile, un véritable trésor : qu’en faisons-nous ? Sert-il à quelque chose ?

Ces « talents », nous ne devons pas les garder pour nous en disant : « Moi, je fais mon salut. Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver. Que les autres se débrouillent, c’est leur problème ».

Dieu ne nous donne que pour distribuer à notre tour, pour partager, pour rayonner. Un don gardé pour soi est une valeur qui pourrit parce qu’elle n’est pas utilisée, comme une nourriture gardée trop longtemps au frigidaire. Tout ce que Dieu nous donne est offert par Dieu pour que je l’offre aux autres.

Rappelez-vous les dernières paroles de Jésus avant l’Ascension : « Maintenant, allez, évangélisez ; de toutes les nations faites des disciples ». Evangéliser, c’est faire fructifier les talents confiés. Posons-nous la question : « Est-ce-que je suis un secours pour les autres ? Est-ce-que je porte aux autres une espérance ? Peuvent-ils compter sur mon partage ? Bénéficient-ils, eux aussi, de tous les talents que j’ai reçus du maître ?

En cette période de crise monétaire, toutes les bourses de New-York, Londres, Paris, Tokyo peuvent s’affoler, toutes les monnaies peuvent perdre des points et les courbes plonger. Les valeurs évangéliques, elles, celles qui justement sont toujours stables et actuelles, ces valeurs-là, ont-elles « la côte » aux yeux des hommes grâce à des chrétiens qui les lancent sur le marché et les font apprécier comme étant les seules qui ne peuvent pas se dévaluer, s’écrouler, ces valeurs qui, dit la liturgie, « ne passent pas » mais « demeurent » ?

Frères et sœurs, nous sommes les gérants de cette fortune, ne la cachons pas dans l’oreiller sur lequel nous dormirons. Lançons la aux quatre coins du monde afin qu’elle puisse fructifier. N’ayons pas « peur » comme le 3e serviteur, mais usons de l’audace que la liberté de Dieu nous accorde, afin que le maître, à son retour, puisse nous dire, à nous aussi : « Très bien ». AMEN