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2ième Dimanche de Carême – Homélie du Père Louis DATTIN

Transfiguration

 Mt 17, 1-9

En repensant à ce qu’était la religion de mon enfance, je pense aussi aux plus anciens parmi nous : que nous avait-on appris ? Que « vivre en chrétien », c’était essentiellement de ne pas faire de péché mortel pour pouvoir aller au ciel après la mort.   Notre vie sur la terre avait comme but essentiel de nous préparer à aller au ciel après la mort.

Pourquoi faisait-on baptiser les enfants ? Parce que, sans Baptême, ils ne pouvaient pas aller au ciel après la mort. Le Baptême était comme le ticket d’entrée pour le ciel. Si on allait à la messe tous les dimanches, c’était pour nous rappeler que nous ne sommes sur la terre que pour mériter le ciel après la mort. On nous disait même qu’il fallait pour cela se résigner aux souffrances de ce monde puisqu’elles seraient récompensées par le bonheur du ciel après la mort.

Et puis, peu à peu, on a pris conscience que la vie sur terre n’était pas simplement faite pour parvenir au ciel après la mort mais qu’elle avait déjà une grande valeur en elle-même et pour elle-même. Notre vie familiale, notre vie professionnelle, notre vie de loisirs : c’est à travers tout cela que nous nous construisons nous-mêmes et que nous contribuons à construire le monde, à le faire progresser, à le rendre plus beau, plus amical, plus heureux.

Que notre société progresse vers plus de justice et de solidarité entre nous, entre tous, n’est-ce-pas à cela que Dieu nous appelle ? De là, les engagements que les chrétiens ont pris dans la politique, le syndicalisme et les activités culturelles ou caritatives de toutes sortes : « Le Royaume de Dieu, il doit être déjà parmi vous ».

Mais alors, ne risque-t-on pas de tomber dans un excès opposé au premier ! Ne plus vivre que pour cette vie terrestre ?

Ce récit de la Transfiguration que nous venons d’entendre, alors que pendant ce Carême, nous essayons de monter vers Pâques, nous rappelle que si notre vie sur terre a une immense valeur, elle n’est pas pour autant le tout de la vie. Notre vie de maintenant ne trouvera jamais son épanouissement définitif sur la terre. Nous sommes faits pour une plénitude, pour un accomplissement que nous n’atteindrons jamais ici-bas.  Bien sûr, nous devons nous battre pour une vie meilleure pour tous, mais notre vie sur terre restera toujours fragile et limitée.

Cet Evangile d’aujourd’hui nous rappelle donc le grand dessein de l’amour de Dieu : c’est qu’au-delà de la vie terrestre, nous parvenions à une vie totalement transfigurée dans la plénitude de la vie de Dieu.  Il ne s’agit pas, comme le désirait St-Pierre, de s’installer : « Une tente pour Jésus, une pour Elie, une pour Moïse et une quatrième pour nous” », il s’agit d’avancer, il s’agit de partir comme Abraham, aller planter sa tente ailleurs.

Comme les trois apôtres de Jésus, nous partons, nous cheminons avec le Seigneur vers cette plénitude de gloire et d’amour.  Mais ce cheminement ne se fait qu’à travers les imprévus et les péripéties de notre vie.

Jésus va bientôt rencontrer l’opposition des autorités religieuses de son temps qui le condamneront à mort et nous-mêmes, nous affronterons les problèmes quotidiens avec des échecs peut-être et finalement la mort. Mais au-delà du Calvaire, il y aura Pâques ; la Résurrection de Jésus ! De même, au-delà de notre mort, il y aura la vie en plénitude avec Dieu, avec Jésus.

Il n’est pas étonnant que les disciples se sentent bien au moment de la Transfiguration, dans cette lumière, dans cette douceur, et tous les hommes sont tentés d’arrêter leur vie au moment où elle prend un visage glorieux comme c’est le cas, sur le mont Thabor, ce soir-là.  Mais les apôtres sont vite ramenés à la réalité parce que les haltes de la vie ne sont jamais permanentes et les gens qui s’assoient sur leur bonheur se trompent de paradis.

Plus qu’un spectacle, la Transfiguration de Jésus est un appel au monde à se transfigurer, à se laisser illuminer par le divin qui l’habite.  C’est ce que St-Paul exprimait : « Et nous tous, qui, le visage découvert, réfléchissons, comme un miroir, la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, toujours plus glorieuse ».

La vie du chrétien devrait refléter la beauté de l’œuvre de Dieu, la grandeur de la gloire de Dieu. Sommes-nous des miroirs de Dieu ?  Vous savez comment font les opérateurs de cinéma pour mettre de la lumière dans la scène qu’ils vont filmer : ils utilisent de grandes plaques de métal qui captent le soleil et font dévier cette lumière sur le visage des personnages.

Captons-nous assez de soleil de Dieu pour que nos visages soient assez lumineux, assez illuminés, pour qu’on puisse dire : « Ce n’est pas sa lumière à lui, c’est la lumière de Dieu, en lui, sur lui ».

Sommes-nous, aux yeux des autres, assez transfigurés pour que les autres, en nous voyant, puissent deviner au-delà de nous-mêmes, qu’il y en a un Autre qui nous illumine et dont la lumière est capable d’éclairer les autres ? Trop souvent, nous donnons une image d’une croix sans espérance, comme si la Passion était un idéal de vie et nous sommes rejetés à cause de notre passivité.

Un chrétien, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il vit son carême, devient toujours vainqueur de la mort. Il est un ressuscité tout de suite parce qu’il est un baptisé c’est-à-dire un vainqueur de la mort.  La terre n’est pas une espèce de purgatoire attendant je ne sais quelle espérance dans un monde à venir.

Le chrétien est déjà un homme libéré et libérateur. Bien sûr, il y a toutes les difficultés de la vie, mais ces épreuves n’en font pas un vaincu qui crie au secours dans une perpétuelle prière plaintive.

Le chrétien vivant possède en lui la vie capable de vaincre toutes les morts, y compris celle de son égoïsme et de son orgueil.
Un chrétien, lui aussi, doit entendre la voix de Dieu proclamer : « Celui-ci est aussi mon Fils bien-aimé ». Le Fils bien-aimé du Père et cela doit transparaitre, étonner, irradier !

Notre vie chrétienne n’est pas pour plus tard, elle est pour maintenant et aussi pour demain.  La vie de Dieu devrait déjà nous transfigurer, nous illuminer, éclairer notre entourage. Nous devons être déjà les plus beaux des enfants des hommes, non pas par l’harmonie des traits de notre visage, mais par ceux de la beauté que donne la paix, la certitude d’être aimé superbement.

Notre présence aux autres devrait être si tonifiante qu’elle donne aux hommes qui nous côtoient le goût de dire comme St-Pierre : « Il fait bon chez vous. Nous voudrions y construire notre maison ». C’est cette espérance-là, une espérance pas pour demain, mais pour aujourd’hui, qui doit illuminer notre vie.

Il n’y a pas opposition entre notre vie quotidienne (notre travail, notre vie de famille et tous nos engagements) et la vie avec Dieu après la mort. Pas d’opposition, mais continuité et transfiguration éternelle de tout ce que nous aurons réalisé
ici-bas : rien ne sera perdu, tout sera transfiguré ! AMEN