1

3ième Dimanche de Carême – Homélie du Père Louis DATTIN

La Samaritaine

Jn 4, 5-42

Ces jours-ci, il a fait chaud, très chaud et souvent il nous est arrivé d’avoir soif : la soif, ce besoin et ce manque de ‘’quelque chose’’, qui, nous le sentons bien, est vital pour notre organisme.  Vous savez qu’on peut faire la grève de la faim pendant plusieurs jours, mais on continue à boire car la grève de la soif, elle, serait très vite insupportable et dangereuse.

Boire = besoin vital, la soif est le signe physique de ce besoin. Elle nous dit : « Attention, il faut te désaltérer, ton organisme est en manque, tu en as besoin ».  Les biologistes nous le disent : un corps humain est d’abord composé de plus de 80% d’eau allié à des matières minérales, à des cellules vivantes qui ne se renouvellent que dans un liquide. L’eau, c’est la vie : pas de vie sans eau.

Pourquoi les déserts ? Parce qu’à ces endroits-là, il n’y a pas d’eau. Par contre, si au milieu de ce désert, vous apercevez une oasis, vous conclurez tout de suite : « Tiens, il y a un point d’eau, il y a des palmiers, l’homme peut y vivre ».

Mais l’homme intérieur, l’homme spirituel, a aussi d’autres soifs : des désirs, des rêves, des projets, des ambitions. Même s’il est comblé matériellement, il aura toujours soif d’autre chose comme cette Samaritaine qui demande au Christ : « Seigneur, donne-moi à boire », alors que c’est elle qui a le récipient et qu’elle se trouve au bord du puits.

« Si tu savais qui je suis, dit Jésus, c’est toi qui me donnerai à boire » et c’est ce qu’elle fait.

Parce qu’il n’a pas qu’un corps, mais aussi une âme, un esprit, un cœur, l’homme a d’autres soifs, bien plus impérieuses encore que la soif physique. On a trouvé, auprès des vêtements d’un homme qui s’était noyé volontairement, ce papier : « Je me noie avec de l’eau ordinaire, faute d’avoir pu trouver ce qui aurait désaltéré ma soif intérieure. Les hommes n’ont pas pu me fournir cette eau d’amour qui aurait pu désaltérer mon cœur ».

Sur la table de nuit de Marylin Monroe, à côté des cachets qu’elle avait absorbés pour s’en aller, il y avait un petit papier griffonné : « Tout le monde m’admire, chacun me désire mais personne ne m’aime ».

Oui, il nous faut une autre eau, une eau qui puisse satisfaire nos autres soifs. Comment l’appeler cette eau ? Le Christ lui a donné un nom. Il la nomme :  » l’eau vive « , c’est-à-dire l’eau qui fait vivre, l’eau qui donne la vie, toute la vie, qui comble totalement celui qui la boit, à tel point que le Christ, parlant de cette eau-là, déclare :

« Celui qui boira de cette eau n’aura plus jamais soif ».

 Alors, nous aussi, nous disons avec la femme de Samarie :

 « Seigneur, donne-la nous, tout de suite, cette eau-là !  »

Cette eau-là, elle a jailli en nous, le jour de notre Baptême. Dieu a versé en nous son Esprit Saint, son Esprit d’amour pour qu’il devienne, en chacun d’entre nous, une source de vie éternelle et de conversion. Cette eau-là, cette eau vive, elle est capable de désaltérer toutes nos soifs d’amour, tous nos désirs de connaissance, tous nos rêves les plus ambitieux et les plus fous, capable de désaltérer et de calmer toutes nos frustrations, toutes nos envies d’aimer et d’être aimé, tout ce qui nous laisse insatisfaits.

Parfois, nous oublions que cette eau vive est à notre portée.  A tous ces frustrés que nous rencontrons, à tous ces insatisfaits de la société de consommation, à tous ceux qui ont soif d’ailleurs et d’au-delà et d’autre chose, nous leur disons :

« Fais comme la Samaritaine, rencontre le Christ : il est l’eau vive. Avec lui, tu seras comblé définitivement ». Oui, comblé définitivement.

L’homme, tant qu’il n’a pas rencontré le Christ (regardez autour de vous), est un perpétuel insatisfait. Plus il se paganise, plus il a soif d’autre chose ; plus il s’éloigne de la source, plus il dit qu’il a soif. C’est normal ; il est créé à l’image de Dieu, il lui faut donc les mêmes besoins que Dieu : un Dieu de vérité, un Dieu de liberté, un Dieu de justice, un Dieu d’amour.

Il a soif de ce bonheur-là : il lui faut, à tout prix, en trouver la source et il va la chercher dans les biens matériels, le confort, la consommation. Il ne tombera là que sur une citerne crevassée et sans eau.

Il va donc chercher ailleurs, dans le domaine intellectuel : des théories, des idéologies, des philosophies. Là encore, c’est la steppe et le sable malgré tous les mirages.  Il aura beau consulter Marx, Freud, Nietzsche, Sartre, quelle sécheresse ! Que de désespoir !

On a dit que Sartre avait provoqué plus de suicides qu’il n’avait apporté de gouttes d’eau aux gorges desséchées ; philosophie du désespoir et du soupçon qui réduit l’homme à une caricature de lui-même et qui jette dans le sable toute l’eau vive de sa vocation, en niant son avenir divin, sa familiarité avec Dieu. On lui indique un puits, il se penche au-dessus de la margelle et n’y trouve que quelques cailloux.

Alors cette soif, avec quoi va-t-il l’étancher ? Pas avec des choses, pas avec des idées, peut-être avec l’amour ? Oui, mais avec quel amour ? Celui qu’on nous présente à la radio, à la télé, dans certaines revues ou dans certains films ? Amour d’épiderme : amour de rencontre ? Ou de location ? Amour d’instinct ? Amour de basse-cour ou de cour ? Ou bien celui que nous présente le Christ : un amour de cœur, amour d’oubli de soi, de service de l’autre, amour de fidélité, amour d’éternité ? Celui-là seul est porteur d’eau vive qui pourra combler intérieurement celui qui se donne : « Celui qui boira de cette eau-là, celle que je lui donnerai, n’aura plus jamais soif ».

            Soif de vérité : en face de toutes les questions essentielles que se pose l’homme, on ne lui répond que par des slogans, des mensonges, de la pub, de la désinformation et de la propagande.  Qui peut se vanter aujourd’hui de penser par lui-même ? D’être indépendant des idées toutes faites qu’on veut lui faire avaler ?

Soif de liberté : nous sommes paralysés par nos habitudes, esclaves de nos routines et de nos facilités, enchaînés par nos lâchetés, sous le carcan du péché.  Qui brisera nos chaînes ? Qui nous fera avancer librement vers la vraie source ? Sinon le seul vrai libérateur qui offre l’eau vive et non de la boue.

Soif de justice : dans le monde dur et sans pitié que le nôtre, dans lequel le fort écrase le faible…  Parce que nous sommes fils de Dieu, nous avons soif d’une égalité, d’une fraternité et d’une liberté dont nous pouvons lire les mots sur les façades de nos mairies mais bien peu dans le cœur des hommes !

Comme la Samaritaine, murmurons au Seigneur :

« Donne-nous cette eau vive ». Alors, elle s’engouffrera en nous comme un barrage qui se brise pour nous faire vivre de la vie même de Dieu : l’eau vive.  AMEN