1

11ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

Parole créatrice de Dieu

Mc 4, 26-34

Tous ceux qui parmi vous ont, un jour, semé dans un jardin ou dans un champ, le savent par expérience : on met une petite graine en terre… et puis… il n’y a qu’à attendre et souvent à attendre longtemps… à croire parfois qu’on n’a rien semé !… Dans la terre, à sa surface, on ne voit rien surgir… et puis, un jour, un petit point vert…

Oh ! Que c’est long avant de devenir une toute petite tige !

Et cette tige, à son tour, comme elle est longue à se diversifier, à donner elle-même d’autres tiges ! Et ces petites feuilles ! Comme elles sont longues à s’épanouir et nous savons que ça n’est pas fini ! Que cette petite plante de rien du tout doit être repiquée pour prendre une nouvelle allure, un nouvel aspect !

Qu’il y a « loin », qu’il y a « long » entre la graine et le grand arbre sous lequel nous nous allongeons : c’est tout le temps de la germination, tout le temps de la croissance, tout le temps du travail invisible, intérieur, souterrain. On a l’impression que ça n’en finit pas !

Les parents ont fait la même expérience avec leurs enfants avant qu’ils ne deviennent des hommes. Un chanteur le disait, il y a quelques années : « Pour faire un homme, pour faire un homme, mon Dieu, que c’est long ».

Ça nous parait d’autant plus long, à nous les hommes d’aujourd’hui, que « nous voulons tout et tout de suite » : des ordinateurs à haut débit, une lessive en 12 mn, des muscles en 3 semaines, apprendre une langue en 3 mois, des voitures qui font du 250 km/h pour rouler à 80.

Les rythmes s’accélèrent, il semble qu’il n’y ait plus que la terre, la nature qui aille à son rythme et nous l’estimons beaucoup trop lente. Il y a la nature… Il y en a aussi un autre : Dieu.

 Dans la vie spirituelle, dans notre vie chrétienne, nous voudrions tellement, nous aussi, avoir tout et tout de suite. Nous voudrions tant mettre Dieu à notre rythme : « Seigneur, viens vite, dépêche-toi, hâte-toi », le temps d’un « Notre Père » ou d’un « Je vous salue Marie », débité rapidement, une neuvaine ! « Oh ! C’est bien long, Seigneur, un trentain ! Oh là, là ! Une année Sainte ! Mais tu n’y es plus, Seigneur ! »

Maintenant, comme on dit : « La vie n’attend pas ». Il faut brûler les étapes… Nous sommes comme des enfants qui essaient de tirer sur la tige de la plante pour la faire grandir et qui écartent les pétales de roses avec les doigts pour l’épanouir !…

La grande leçon de cette parabole, c’est celle du temps : oui, Dieu qui est éternel, lui, travaille avec le temps.

Un artisan qui fait un chef-d’œuvre ne compte pas avec le temps. Ce qui compte pour lui, c’est la réussite, c’est la beauté de ce qu’il produit. Ce n’est pas le « rendement », la cadence de production qui l’intéresse, c’est ce qu’il est en train de faire.

Comme la graine sous terre, le travail de Dieu, son travail à lui, sera secret, intime, souterrain et il faudra le temps qu’il faut, un temps que nous estimons trop long, pour qu’elle sorte de terre, qu’elle soit visible à nos yeux. Dieu ne fait pas dans le quantitatif surtout lorsqu’il travaille en nous par sa grâce, mais dans le qualitatif comme l’artisan en train de mettre au jour son chef-d’œuvre.

Dans la vie spirituelle, plus encore que dans la vie intellectuelle ou le développement physique ou la maturation affective, il faut « donner du temps au temps » d’autant plus, et la parabole nous le rappelle, que c’est surtout Dieu qui travaille et que nous sommes spectateurs, étonnés du travail de Dieu.

Le grain, une fois qu’il est en terre : il pousse tout seul, nous rappelle le Christ, indépendamment de celui qui l’a mis en terre. Le paysan, qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, n’a qu’à attendre. La semence germe et grandit pendant tout ce temps-là et si vous lui demandez comment, il sera bien en peine de vous répondre. Ce n’est pas son travail à lui, c’est à un Autre que cette tâche est confiée. Lui, maintenant, il attend la moisson mais pour cela, il faut être patient. Oui, c’est bien cela la patience de Dieu qui, lui, de son côté, attend notre conversion, attend une amélioration, attend de notre part, un regard tourné vers lui, lui qui nous regarde sans cesse.

Si Dieu était aussi impatient de nous voir porter du fruit que nous de le voir agir pour nous ! Trop souvent, n’est-il pas vrai, nous nous impatientons : « Mais que fait Dieu dans tout cela ? Qu’attend-il pour intervenir ? » ; « Ah ! Mon père, si Dieu existait, il serait intervenu ? Pourquoi a-t-il permis cela ? »

Le temps de Dieu n’est pas le nôtre et sa patience aussi n’est pas la nôtre ! Il est là… même quand nous le croyons absent et il travaille en nous, sans bruit, obscurément, secrètement.

– On ne voit rien, comme sur un champ qui vient d’être semé, mais le paysan, lui, ne s’inquiète pas ! Il sait tout le travail intérieur qui se fait sous terre ; toute cette germination, il la confie à la terre et d’elle-même, la terre produit l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.

Nous aussi, une fois que nous avons confié à la terre de Dieu, une fois que nous lui avons déposé ce que nous avons de plus cher, ce qui nous tient le plus à cœur, faisons comme le paysan : attendons, attendons dans la foi, dans l’espérance de la moisson.

A la patience de Dieu, doit répondre la nôtre. En fin de compte, c’est cela avoir la foi : être persuadé que sur le terrain de notre vie cette semence infime et ridicule, ce grain minuscule, est capable, par la force de Dieu, de devenir moisson ou forêt.

La parole de Dieu, dans notre terre humaine, est elle-même à l’œuvre, puissance créatrice. Dieu nous livre sa parole comme une petite semence. Si nous avons le courage et la patience de la laisser murir, elle est capable de transformer le monde.

Entre nos semailles et la moisson, il y a tout le travail lent et discret de la germination spirituelle dont Marc énumère les étapes : herbe, épi, blé … Jésus, les apôtres, l’Eglise : petite plante au départ, mais capable de devenir le grand arbre où tous les oiseaux du ciel pourraient faire leurs nids à l’ombre de ses branches.

 

« Mon Père travaille et moi aussi je suis au travail », déclare Jésus. L’Esprit de Dieu nous travaille et travaille le monde et travaille dans le cœur des hommes, préparant activement le jour de la moisson : la rencontre entre le germe divin et la terre a eu lieu ; Jésus, mis en terre, est ressuscité. Il n’y a plus qu’à attendre le fruit.

A travers des chemins que l’homme ne contrôle pas, c’est Dieu qui opère la croissance et la mène à son épanouissement si nous avons compris la parabole. Par la foi, nous nous en remettons à cette force de croissance qui nous dépasse. Certes, la peur est toujours là et l’égoïsme et la souffrance, mais la vie aussi… elle est là, à l’œuvre, capable de percer et de briser cette croûte terreuse qui ne révèle rien au départ…

Parents, grands-parents, vous qui parfois avez l’impression d’avoir raté une éducation, déçus par la petitesse des résultats apparents, nous tous, chrétiens, qui trouvons que nos efforts ne sont pas payants… nous sommes les invités à l’espérance.

La petite histoire de Jésus, au départ, bien modeste, elle est devenue la grande aventure de maintenant… et à la fin, enfin, vous verrez ! AMEN