14ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

Synagogue de Nazareth

Mc 6, 1-6

Voilà donc Jésus qui revient avec ses apôtres, cette fois, à Nazareth, dans son village, son pays. C’est là qu’il a passé toute sa jeunesse, un petit bled où il y avait peut-être 150 familles. On y vivait très simplement : cultures des oliviers, la vigne, un peu de blé d’orge, quelques chèvres et le samedi, on se rendait à un local de prière, une petite « synagogue ».

 

Jésus est très marqué par son pays : toutes les paraboles sont des scènes de la vie rurale. C’est un artisan et un paysan.

Il a pris des comparaisons agricoles. On mangeait par terre, on couchait sur des nattes, à même le sol. C’était un paysan comme les autres, dépanneur de village avec quelques habiletés particulières apprises de Joseph.

Le jour du Sabbat, comme tout le monde, il va à la synagogue : il est l’un des laïcs qui savent lire. Tout mâle adulte a le droit, en Israël, de lire l’écriture et de la commenter. Il quitte donc sa place pour aller « lire » et « faire l’homélie ». Or les habitants de Nazareth sont curieux parce qu’ils croient bien connaître Jésus : c’est leur Jésus à eux, celui de Nazareth, un gars « bien de chez nous » et d’ailleurs, il a une réputation qui les étonne. Ils le connaissent mieux que personne, ils l’ont vu grandir, ils sont allés à l’école avec lui, il n’a pas le droit d’être « autrement » que ce qu’ils connaissent de lui.

Il nous arrive, nous aussi, frères et sœurs, de nous bloquer sur une certaine connaissance que nous avons de l’autre : on s’en fait une idée. On lui a collé une étiquette sur le dos : un tel ? Ah oui, il est comme ça ! Et untel ? Oh celui-là quel type !

Ce qu’on oublie le plus souvent, c’est qu’une personne a le droit d’évoluer, de changer, de n’être plus, à l’âge adulte, ce qu’elle était à l’adolescence. Et que l’adolescent lui-même, n’est plus l’enfant chéri que l’on a connu, et nous, dans nos jugements, nous refusons d’évoluer, de réviser nos avis, refus d’avancer plus loin, de découvrir du nouveau. Nous nous installons dans des idées toutes faites que nous rangeons dans le placard de notre mémoire et que nous ressortons au moment où il le faut. Mais alors, cette idée est déjà bien vieille et ne correspond plus à la réalité qui, elle, a eu le temps de changer.

« Délivre-nous, Seigneur, de nos conservatismes, de nos routines, de pensées, de nos blocages intellectuels ou spirituels ».

Actuellement, le monde évolue à toute vitesse. Si dans quelques années, vous avez les mêmes idées qu’aujourd’hui, vous serez un objet de musée, un peu comme ces vieilles grègues pour le café ou les carreaux pour repasser le linge.

« Bouscule-nous, Seigneur, sors-nous de nos habitudes confortables, de nos petits mondes bien tranquilles, pour nous accorder au monde dans lequel nous vivons ».

Nous comprenons bien les réflexions terre à terre de ces paysans juifs d’un petit hameau perdu dans la campagne. C’est la vie de clan ; l’horizon s’arrête aux collines qui entourent le village. On connaît tout le monde. « Jésus, mais c’est le fils de Marie, charpentier, comme son père Joseph ! » et l’on cite la liste de tous les cousins que, selon la mode orientale, on appelle des « frères ». Quel est ce novateur qui bouscule nos usages, qui désorganise notre petit monde ?

Enfin ! Chacun doit rester à sa place et jouer son rôle ! Sans changer tout d’un coup !

Et, nous dit-on « ils étaient profondément choqués » : il y en a parmi nous qui ont aujourd’hui, en 2015, la même attitude que celle des habitants de Nazareth. On dit : « Croire à Jésus! Oui ! Croire à l’Eglise ! Non ». Le concile nous a changé notre religion ! De mon temps, il y avait des processions, il y avait du latin, on apprenait par cœur son catéchisme… et c’est vrai que l’Eglise, tout comme Jésus, a un côté humain, très humain ! Les évêques, les prêtres, des hommes que l’on connaît bien, que l’on connaît trop !

Beaucoup de gens aujourd’hui se scandalisent de l’Eglise comme on se scandalisait de Jésus à Nazareth. L’Eglise est choquante ; Jésus est choquant profondément, nous dit l’Evangile. Une certaine familiarité peut faire écran à la profondeur des relations. Réduire Jésus à des dimensions humaines, c’est le mépriser ; la vraie proximité avec Jésus, n’est pas une proximité physique, matérielle.

Un prêtre chinois dans la cellule de sa prison peut être plus près de Jésus qu’une religieuse à trois mètres du tabernacle ! Ce qui fait la « famille vraie » de Jésus, ce ne sont pas les liens de sang, c’est la foi : « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère ! »

Jésus s’est fait une nouvelle famille : « ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique ». Il y a foi et foi. Ces habitants de Nazareth croyaient tous en Dieu, dur comme fer, ils avaient la « foi chevillée au corps », comme on dit. Pas la moindre hésitation, pas l’ombre d’un doute : à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’athées. La foi que nous réclame Dieu, ce n’est pas seulement la foi héritée du passé, c’est, tenez-vous bien, la foi en lui, le charpentier du village.

Et, en plus, la foi, ce n’était pas des croyances mais le bouleversement de l’existence : « Si quelqu’un perd sa vie à cause de moi, il la sauvera ».  Il fallait, disait-il, « pour le suivre, aimer jusqu’à ses ennemis, porter sa Croix ! ».

Allons, abattons les cartes, nous qui sommes croyants, nous qui « avons« , comme nous disons, la foi : est-ce vraiment la foi proposée par Jésus ? Attention de ne pas donner une réponse trop rapide ! La foi apparaît, trop souvent, comme une connaissance définitive, un accord précis sur des points précis et immuables, qu’il s’agit de conserver comme un trésor avec l’acharnement d’un propriétaire, la fébrilité craintive d’un possédant ! Or, la foi n’est pas d’abord une doctrine à professer ou à protéger mais quelqu’un à rencontrer, à connaître, à aimer, à servir…

 Nous aussi, comme les habitants de Nazareth, nous croyons un peu vite tout savoir de lui, ce qu’il est, ce qu’il enseigne, ce qu’il attend de nous. Chaque rencontre avec le Christ, car il s’agit d’abord de cela, est une découverte nouvelle, parfois inattendue, souvent déroutante : le Christ est toujours à découvrir, à connaître davantage, quitte à réviser nos jugements et à changer de conduite.

Que Jésus réclame-t-il de nous ? Des cours d’exégèse à la maison diocésaine de formation, ce ne serait pas si mal :

– Lire en entier le « Catéchisme de l’Eglise catholique » ? Après tout, c’est peut-être une idée ? Eh bien non ! Ce qu’il désire, en priorité, ce qu’il réclame de nous, c’est notre conversion : changer notre vie pour qu’elle devienne plus conforme à l’Evangile, plus proche de la mentalité du Christ et de ses désirs d’amour sur nous !

– Ce n’est pas tout de savoir son « code de la route », il faut aussi, et c’est le plus important : apprendre à conduire ! Que diriez-vous d’une infirmière qui n’aurait son diplôme que parce qu’elle sait « par cœur » son petit guide du parfait infirmier. C’est nécessaire, ce n’est pas suffisant ! Ce serait même dangereux ! Connaître, c’est bien ; pratiquer, c’est mieux.

Lorsque j’étais enseignant, il y avait une composition : contrôle d’instruction religieuse. J’avais un élève qui était toujours premier. C’était le seul qui n’avait pas la foi ! Connaître et agir : notre vie chrétienne ne peut se dispenser ni de l’un ni de l’autre. Les habitants de Nazareth croyaient connaître Jésus et, nous dit l’Evangile, Jésus s’étonna de leur « manque de foi« . Les habitants de Nazareth ont enfermé Jésus dans un cadre familial, villageois, aux couleurs de son origine et de son passé : ça ne pouvait pas être un prophète puisque c’était le charpentier, fils de Joseph ! Non seulement Jésus est enfermé mais il est « empêché » : « et là, à Nazareth, nous dit St-Marc, il ne pouvait accomplir aucun miracle ». Pourquoi ? Parce qu’il ne rencontre pas la foi, celle de l’hémorroïsse, cette femme qui perdait son sang et qui n’était même pas une juive, foi de Jaïre, le père de cette petite fille que Jésus a ressuscité.

Souvenons-nous, frères et sœurs, que la Parole de Dieu ne devient active, efficace en nous, qu’à partir du moment où nous acceptons des changements, des ouvertures, des ruptures.

La foi n’est pas à mettre dans une boîte sous des piles de draps, dans l’armoire. Elle est à explorer au grand vent du large, à l’aventure, au risque, quitte à dire, comme les apôtres, dans la tempête : « Sauve-nous, Seigneur ». AMEN

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