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Ascension du Seigneur, solennité – Homélie du Père Louis DATTIN

Le Christ invisible

Mt 28, 16-20

           « Pour moi, me disait quelqu’un, la fête de l’Ascension, n’est pas une fête pleine de joie, comme celle de Pâques ou celle de Noël. Elle contient une sorte de nostalgie : c’est le départ du Christ. Il s’en va et nous ne le verrons plus. C’est la fin d’une belle époque, d’un beau livre. Lorsque nous regardons le ciel où le Christ est monté : deux anges sont là pour nous dire que ce n’est plus le ciel qu’il faut regarder, que nous devrons faire demi-tour et aller désormais vers les hommes, leur annoncer la joie du Christ ressuscité ».

Rien de plus faux, frères et sœurs, que ce regard sur l’événement de l’Ascension. L’Ascension, c’est au contraire, Jésus encore plus présent au milieu de nous. Voilà le moment qui arrive où la  présence  de  Jésus va, non  pas  s’effacer, mais  prendre  une  autre  forme, plus  réelle  encore  que  la précédente. A Noël, l’ange avait dit : on l’appellera ‘’Emmanuel’’, ‘’Dieu avec nous’’. C’était l’ouverture du livre  de  Matthieu  et  aujourd’hui, ce  sont  les  dernières  lignes de ce même Evangile. Jésus affirme à son tour :

« Voici que je suis avec vous, tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

            Qu’est-ce que la présence véritable ? C’est lorsque la vie d’une autre personne nous imprègne au point que nous ne fassions plus qu’un avec lui. Aujourd’hui éclate l’univers des apparences visibles pour nous entraîner dans une autre vision du réel. Le texte de Matthieu ne nous parle pas d’Ascension mais de présence nouvelle.

Il ne nous invite pas à célébrer cette fête comme le départ d’un être cher qu’on accompagne à Gillot, avant de le voir partir en métropole. Il nous faut donc  oublier  toutes nos imaginations  et  écouter  Jésus.

 « Je suis avec vous tous les jours ».

A partir de ce jour de l’Ascension, Jésus n’est plus une personne physique limitée par son corps-présent à 11 disciples dont la voix ne s’entend qu’à vingt mètres, et pour lequel il faudrait se déplacer pour essayer de le voir de plus près, un peu comme le Pape lorsqu’il est venu à La Réunion sur l’esplanade de la Trinité.

Non, Jésus maintenant, aujourd’hui, inaugure un nouveau mode de présence : présence à tous,

– présence à chacun

– présence universelle

– présence spirituelle à la prière et à la foi de chacun

– présence permanente, pas simplement à certains moments privilégiés, mais attentive à chaque cœur qui a faim et soif de lui.

Pâques, c’était le mystère du salut : « Il  fallait  que  le  Christ  souffre  et ressuscite pour entrer dans sa gloire ».

L’Ascension, c’est  le  mystère  de  sa  présence  universelle : il  fallait  que  le  Christ  disparut  à  nos yeux physiques pour être présent, non plus à quelques-uns, mais à tous ceux qui le regarderont avec les yeux de la foi. Par l’Ascension, sa présence est multipliée, son amour présent à tous, son aide universalisée, c’est à partir de ce jour que nous pouvons dire : « Dieu est partout ». Certains enfants au catéchisme, avec la meilleure bonne foi du monde, répondent à la question :

–  « Où est Jésus ? »

–  « Il est au ciel »

D’autres disent :

–  « Il est partout »

Certains, plus savants, vont jusqu’à répondre :

–  « Il est dans notre cœur »

Dieu, Jésus, depuis son Ascension, n’est plus dans un lieu. Déjà, lorsqu’il parlait de son royaume, il disait :  « Lorsqu’à la fin des temps, on vous dira ‘’Il est ici, non, Il est là’’, n’y allez pas. Restez sur place et là, vous le rencontrerez ». Il est avec nous tous, tous les jours jusqu’à la fin de ce monde. Si nous croyons cette parole du Seigneur, si, contre vents et marées, à chaque instant, nous sommes prêts à affirmer : « Oui, le Christ est là », même si je ne sais pas bien ni où ni comment, vous êtes déjà plus dans la vérité.

En fait, il ne s’agit pas de savoir est le Seigneur mais de le reconnaitre et de le voir. Encore pour cela, faut-il nous laisser ouvrir les yeux et déboucher les oreilles – car il ne suffit pas d’affirmer : « Christ est là » – il faut le reconnaître, il faut le deviner, l’identifier.

A nous de nous laisser entrainer par celui qui est présent là où l’amour est force de vie.

A partir de l’Ascension, nous ne sommes plus dans l’ordre du réel matériel mais d’un réel spirituel qui nous font entendre et voir, non pas dans le ciel en levant la tête, mais au milieu des hommes.

« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin de ce monde ».

Alors, ont-ils tort, ceux qui vont monter, aujourd’hui ou demain, au Piton des Neiges, au Maïdo ou au Colorado ? Seront-ils plus près de Dieu, à 3 067m, qu’à notre niveau à nous ?

Vous le savez bien, frères et sœurs, il ne s’agit ni de niveau physique ni de montagne géographique ; il s’agit de s’élever, tout comme à la préface, le prêtre dit aux chrétiens : « Elevons notre cœur ».

Oui, ils ont  raison  de  monter  là-haut, si, à cet effort physique correspond un effort du cœur et de l’âme pour aller à la rencontre de Jésus, pas simplement à la messe sur le sommet, mais aussi et surtout avec les compagnons de route qui se sont mis en marche avec eux et qui prennent la même direction.

Mais, ils ont tort, s’ils ont fait de cette marche simplement une occasion de détente, une belle journée en admirant le paysage et en arrivant là-haut humer un petit air d’une messe  pas comme les autres, avant de saucissonner ou de boire un petit coup de sec, histoire de se remettre en forme pour redescendre.

Oui, c’est vrai, il faut monter, il faut s’élever, il faut faire un effort, il faut se dépenser, mais pour cela  c’est  la force de l’Esprit Saint  qui  est  dans  notre cœur depuis le Baptême et la Confirmation, force ascensionnelle, qui  nous  fera  rencontrer  et  reconnaitre  le  Christ, quelle  que  soit l’altitude où nous nous trouvons.

Un paralytique, aujourd’hui, à l’hospice, peut rencontrer et reconnaitre Jésus aussi bien et peut-être mieux qu’un  jeune  qui  est  monté  au  Piton  sans  faire  attention à ceux qu’il dépassait et qui avaient peut-être besoin d’un coup de main ou d’une parole de réconfort.

Voyez-vous, tout se passe dans notre cœur. Tout se passe  dans la vie ordinaire, en nous et autour de nous, à condition de voir et de sentir avec notre foi, avec notre espérance, avec notre amour. Même un singe sait très bien que pour manger une noix il faut d’abord casser la coque.

Avons-nous cassé le superficiel, l’apparent, tout ce qui nous  empêche  de  faire  de  notre  religion  un ensemble de gestes où le cœur n’y est pas ?

Avons-nous le  courage  d’aller  au-delà  du  sensible, au- delà  des  gestes, au-delà des formes de prières toutes faites pour atteindre et identifier un Seigneur qui n’est plus visible et pourtant omniprésent ?

            Frères et sœurs, L’Ascension n’est pas le départ irréversible de Jésus. Ce n’est pas le début d’un absolu incompréhensible et  désastreux. Jésus  peut être  davantage  présent  à  notre monde et à chacun d’entre nous parce qu’il en est absent matériellement. Ce n’est pas un paradoxe.

Aujourd’hui, Jésus  est glorifié  dans le Royaume : il est sacré ‘’ Seigneur  Universel’’ et de ce fait devient présent dans sa divinité et dans son humanité, à chaque pays, à chaque époque, à chaque société, à chaque homme.

L’Ascension, c’est la présence de Jésus, éternelle, réelle, irréversible dans l’univers qu’il a recréé par sa nouvelle Alliance avec les hommes.  AMEN