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5ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN (Mt 5, 13-16)

Le sel de la terre

Mt 5,13-16

Il vous est certainement arrivé, un jour ou l’autre, d’avoir faim et de vous mettre à table avec entrain. Vous plongez la louche dans un potage qui parait particulièrement appétissant. Mais, dès la 1ère cuillerée  portée à votre bouche, vous n’allez pas plus loin… Oh !  On a oublié le sel ! Ce potage qui semblait si bon : il est fade ! II n’a pas de goût, sans saveur ; si bien que l’on ne sent pas, que l’on ne goûte pas toutes les bonnes choses qui ont été mises dedans.

C’est dommage : on a l’impression que tout y était, que rien n’y manquait et pourtant, déception ! C’est fade, neutre, sans saveur. C’est d’autant plus bête qu’il ne suffit que de quelques grains de sel, une pincée, pour que le tout soit transformé et que devienne délicieux ce que nous allons manger.

Le sel, voyez-vous, ça ne se consomme pas à la cuillère, ça ne se remarque pas dans les aliments, sauf s’il y en a trop, ou trop peu. C’est fait pour être mêlé à autre chose, pour donner sa saveur à autre chose…

Nous, les chrétiens, nous sommes le sel de cette terre. Nous, l’église avec sa saveur d’Evangile, nous devons donner au monde son vrai goût. Et toi, et chacun d’entre nous, tu es là comme le sel, non pas pour toi : du sel tout seul et mis à part, n’a aucune utilité. Tu n’es pas là pour toi-même, mais pour d’autres à qui tu dois porter ta saveur, à qui nous devons donner ou redonner le goût de vivre.

Un chrétien n’est pas un chrétien pour lui. Il est un chrétien pour les autres : pour donner du goût aux autres, pour relever la saveur du monde.

Aussi le sel n’est pas fait pour rester à part : il est fait pour être mélangé avec, enfoui, mis dedans, mis avec le reste. Nous n’existons que pour les autres. Un chrétien qui se replierait sur soi, qui s’isolerait, n’a plus aucun sens, aucun rôle, aucune mission : il est inutile, stérile. Du sel tout seul, c’est inutilisable. Un chrétien isolé, sans  contact  avec le monde, ça n’a pas de sens. Par contre, s’il est brassé avec le reste, s’il est versé dedans, bien mélangé, bien fondu avec et dans le reste, ah ! Alors ! Ça change tout ! Tout ce mets qui jusqu’ici semblait inodore et insipide et qui laissait notre goût insatisfait ; le voilà devenu délicieux, relevé parce qu’on a mis dedans quelques grains de sel ; le voilà qui fait chanter tous les autres ingrédients qui ont participé à la confection du plat.

Le message du Christ est clair : l’Evangile est le sel des hommes, le seul qui puisse leur faire trouver le vrai goût de la vie et si nous savons faire passer toute cette saveur évangélique au monde dans lequel nous vivons, alors nous accomplissons notre mission.

            Ce sont les chrétiens, ayant goût d’Evangile, qui donneront sa vraie saveur au monde, à condition, bien sûr, de vivre dedans. C’est cela être missionnaire.

« Oui, c’est bien joli tout cela, mais si, nous-mêmes, nous ne sommes pas imprégnés d’Evangile, si l’Evangile n’est pas la substance de notre vie intérieure et de notre comportement extérieur, alors quel est notre rôle ? »

Et le monde, avec quoi lui donnera-t-on son goût ? Son sens ? Et sa véritable saveur ? Et c’est là que nous pouvons mesurer notre responsabilité de chrétiens et de baptisés !

Comment donner saveur au monde si nous sommes insipides nous-mêmes ? Incolores, inodores et sans saveur ? Des chrétiens couleurs de muraille ! S’entendre dire que l’on est « sel de la terre », d’un côté, et entendre de l’autre : « Oh ! Ils ne sont pas meilleurs que les autres » : cela fait mal !

C’est vrai que souvent, nous sommes de bien piètres témoins de l’Evangile. Comment être pour Jésus-Christ cet écran sur lequel se reflète son visage de ressuscité ?

Comment faire pour que les hommes qui nous voient se demandent qui est notre Dieu ? Quel est ce Dieu qui nous fait vivre ?

A quoi sert notre foi ? Justement, à faire goûter aux autres la saveur de la vraie vie. L’homme moderne, plus  encore que dans les âges précédents, est immergé dans la banalité, dans la grisaille  quotidienne :

– gestes stéréotypés et insipides du travailleur à la chaîne ;

– visages blafards sous les lumières au néon, objets standardisés en plastique, platitude  de  tant  de  conversations  courantes : les « marques » ou  les « modes », ras le bol devant les idéologies et les courants politiques.

La vie a-t-elle encore du goût ? Si l’on parle tant de la qualité de la vie, ne serait-ce point précisément que nous l’avons perdue ?

Donner du sel, c’est donner du sens aux réalités quotidiennes en mettant le Royaume de Dieu : dedans ; c’est relever le défi de tous ces athéismes qui ne cessent de proclamer que « la vie est absurde et n’a pas de sens ».

Avec Jésus, tout peut « prendre du sens », du « goût », même la souffrance, même la vieillesse, même la mort.  Si le sel se dénature… il n’est plus bon à rien… Si notre foi n’a plus goût de Dieu, s’il n’y a plus d’Evangile dans notre vie, alors, à quoi servons-nous ?

C’est Claudel qui clamait, lui qui avait toute la générosité et la virulence d’un converti : « L’Evangile, c’est du sel et vous en avez fait du sucre ».

Avec force, Jésus nous met en garde : notre foi risque de s’affadir, de s’affaiblir et peut-être perdons-nous toute la force corrosive du sel de l’Evangile.

Si  le  chrétien  n’est  plus  du  sel, il  ne  sert  plus  à  rien. Vous savez, le « chrétien caméléon » qui adopte toutes les modes, toutes les mentalités du monde païen, qui prend la couleur de son milieu de vie : « Puisque tout le monde pense ainsi… puisque ça se fait partout … mais tout le monde le fait…», ceux qui s’affadissent, deviennent peu à peu un vague résidu, incolore, inodore, sans saveur.

Or, Jésus nous dit aujourd’hui : « Vous devez être différents du monde, si vous voulez être  pour  lui, du sel ».  Exigence  pour  de nous, “ de passer au monde, ce que Dieu a fait en nous ‘’.  AMEN