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2ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

Le Christ, vraie lumière

 Jn 1, 29-34

Dans le livre  » Mais il y a la mer « , Sullivan  raconte la vie  d’un cardinal. Il vient de prendre sa retraite après avoir été,  pendant de longues années, chef et témoin de l’Eglise d’Espagne : assis au bord de la mer, ce cardinal regarde la vague dont l’écume s’éparpille sur le rivage depuis des milliers d’années.  Soudain, devant l’indifférence des flots, il a le vertige, à la pensée de ce que fut son existence : «  J’étais en représentation » constate-t-il, « je me suis trompé de vie ».   » Il s’était trompé de vie  » et il rencontrait sa propre image avec le sentiment de rencontrer un étranger.

 » Se tromper de vie « , c’est sans doute la pire erreur que puisse faire un homme : faire fausse route, arriver à la fin d’une piste pour s’apercevoir qu’elle était fausse et ne menait à rien ! Et comme nous n’avons qu’une vie, très limitée, en fin de compte, de quelques dizaines d’années, s’apercevoir tout à coup alors qu’elle en est à son crépuscule, que la direction, désirée de tout notre âme, se trouve à l’opposé de ce que nous avons voulu, quel désarroi ! Quel sentiment de ratage ! « Je me suis trompé et je n’ai pas même une vie de rechange pour reprendre la bonne direction et le vrai chemin ! »

On se trompe sur soi-même – et c’est dramatique – mais se tromper sur Dieu, c’est encore pire : ce fut l’erreur fondamentale de tout l’Ancien Testament, et c’est pourquoi : ils n’ont pas su reconnaître Jésus-Christ.

Et le peuple juif attend encore celui qui est déjà venu à sa rencontre.  Il attendait un Messie guerrier et justicier : Jean-Baptiste lui-même l’avait annoncé, comme le bûcheron dont la cognée allait frapper les arbres stériles. Et voici que ce Jésus-là, invitait à le suivre.

– Qui ? Des gens de piètre réputation : ceux dont justement, on pensait qu’ils  allaient  être  éliminés  et  le voilà, ce Jésus, qui mange  avec  des pécheurs et pire encore, il parle, non pas d’un grand jour de revanche, mais de la tendresse de Dieu !  Jean, pourtant, connaissait le vieux poème insolite, égaré du livre d’Isaïe : « Voici mon serviteur bien-aimé ; comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme la brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche ».

On s’était trompé de Dieu encore pendant les quelques années qui mèneront Jésus du Jourdain au Calvaire. On ne cessera de faire erreur sur lui ! Et aujourd’hui encore, c’est la même chose !

 « Je  ne le  connaissais  pas , avoue  Jean-Baptiste  dans  cet Evangile,  “oui, je savais que c’était Jésus, le fils de Marie, le charpentier  de  Nazareth, mon cousin. Oui, je croyais le connaître mais je  ne  le  connaissais pas  jusqu’au  moment  où  celui  qui  m’a  envoyé baptiser  dans l’eau  m’a dit :  » L’homme, sur qui  tu  verras  l’Esprit descendre  et  demeurer, c’est  celui-là  qui  baptisera dans l’Esprit Saint » . Oui, j’ai vu  et je rends  ce témoignage : c’est  lui, le Fils de Dieu ».

 Et aujourd’hui encore, on se trompe sur son compte.  Nous sommes des hommes de la rentabilité et du mesurable : comment pourriez-vous accorder quelque crédit au langage de l’amour ?

Comme on parlait à Staline de ce qu’avait dit le pape d’alors, à Noël, celui-ci répliqua : « Le pape, combien a-t-il de divisions blindées ? »

On se trompe de Dieu, lorsqu’on dit qu’il est « Tout puissant» alors que sa toute puissance, n’a rien à voir avec  la force, rien à voir avec la violence mais que sa toute-puissance est celle d’un amour illimité ! Jésus-Christ n’a pas d’autres armes, il n’a pas d’autres langages : « Attention à ne pas nous tromper de Dieu ! »

Puissions-nous avoir, le plus tôt possible, cet étonnement, sans attendre le jour du jugement : quoi ! Ce malade, ce petit, ce prisonnier, ce réfugié, ce sans-abri, c’était donc toi ! Et moi qui croyais que Dieu était partout, sauf justement dans ces zones méprisables et misérables :  » c’était donc toi ! « .  Jésus sera pour toujours à démaquiller et les masques qui camouflent nos visages seront toujours à arracher : « C’était donc toi ! »

Oui, nous aurons sans cesse à laver notre regard, à purifier l’idée que nous nous faisons de Dieu et ce n’est que dans l’humilité de l’Evangile que  nous pourrons  avoir  une petite idée  de ce  qu’il est  en réalité : on se trompe de Dieu et on se trompe de vie. Dieu n’a qu’une vie d’homme pour parler à l’homme : celle de Jésus-Christ et pour que la parole du salut ne se dessèche pas, nous n’aurons jamais que quelques signes à interpréter, à partager et à construire.

Tout l’avenir de l’Eglise est là, et en ce premier jour de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, on peut dire que les églises aussi se sont trompées de vie quand elles se sont enfermées dans des rancunes sans fin et des querelles séculaires.  En cette semaine de l’unité, les voici, ces églises, toutes appelées à la conversion pour retrouver Jésus démaquillé. Si tous cherchent le Seigneur en vérité et acceptent de dévoiler leur visage, ce sera, lui, le Christ, la source de notre unité.

Les foules, étonnées en écoutant l’enseignement de Jésus, se disaient : « Qui est cet homme ? » C’est sans cesse la question que nous devrions nous poser, au lieu de nous faire, trop vite et trop facilement, notre idée sur Jésus.

C’est une question que nous devrions sans cesse nous reposer :

«  Oui, qui est-il donc cet homme ? Ce fils de charpentier qui guérit les lépreux et qui prétend remodeler le cœur de l’homme en le délivrant de son péché, qui est-il donc ? Et d’où vient cette prétention qu’il affiche ? »

« On vous a dit jusqu’ici, mais moi, maintenant, je vous dis  » : « Qui donc  est cet homme ? » Il ne faudra pas trop de toute notre vie pour découvrir son secret car désormais, et pour l’éternité, Dieu prend le nom d’un homme  » Dieu de Jésus « . Dieu se marie avec l’existence d’un homme, dit ses paroles ; il fait ses gestes, il explique ses sentiments par lui.  Toute la vie de Jésus, et toute ma vie à moi, pour découvrir qui est Dieu, car nous n’avons pas d’autre lieu pour connaitre Dieu, pas d’autre lieu que la vie de cet homme-là !  Pilate, devant cet homme en sang, moqué, bafoué, couronné d’épines, avec le manteau rouge des rois de comédie, ne croyait pas si bien dire quand il déclare : « Voici l’Homme », oui tout l’homme, toute l’humanité récapitulée en Jésus ! Qui est cet homme qui se laisse abattre tel l’agneau conduit à l’abattoir ? Oui, le voici, l’homme foulant aux pieds la mort, qui a fait triompher le soleil de Pâques : il s’est levé, lumière des nations et maintenant, nous autres, nous apprenons de lui, notre destin.

Le Ressuscité d’entre les morts, le vivant devient le modèle de la vie de tout homme !

Proclamons  avec  Jean-Baptiste : « Oui, je l’ai vu et je rends témoignage » : « C’est toi le Fils de Dieu ». AMEN