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Fête du Baptême de Notre Seigneur – Homélie du Père Louis DATTIN

Mission du Christ

Mt 3, 13-17

Isaïe dans la première lecture nous dit que « la Parole est descendue du ciel « . « Le Verbe s’est fait chair  » : ainsi s’achève le temps de Noël et nous retrouvons le guide de cette année St-Matthieu.  Quand commence son Evangile, Jésus a déjà quitté Nazareth pour recevoir son ordre de mission.  Déjà avec Siméon au temple, nous avons vu le salut.  Avec les mages à Bethléem, nous avons vu se lever son étoile et reconnu dans un enfant, le roi des juifs.  Cependant ce n’est pas par une huile sainte que sera consacré le roi de l’univers mais avec de l’eau du Jourdain, une eau simple, pure, limpide, transparente.

Rien ne nous est donné à voir : Jésus, seul, voit le ciel se déchirer et l’Esprit descendre. Mais pour ceux qui écoutent, prêtent l’oreille, cherchent le Seigneur, une voix se fait entendre, une parole qui s’adresse à Jésus, mais que l’Esprit murmure au plus profond de chacun :

« C’est toi, mon fils bien-aimé, en toi, j’ai mis tout mon amour ». Cette parole, elle va résonner tout au long du parcours que nous propose St-Matthieu jusqu’au moment où, non pas dans les cieux, mais au temple, le voile se déchirera et qu’avec le centurion au pied de la croix, nous nous écrierons :

« Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! »

Avec Matthieu, nous voici introduits d’emblée dans la phase adulte de Jésus : il a trente ans environ et c’est Jean-Baptiste qui nous l’annonce : « Voici venir derrière moi, celui que vous attendez. Sa venue est imminente ! Tenez-vous prêts ! »

Matthieu nous avertit : cet inconnu est attendu, avant même de paraître sur la scène. Qui est-il donc ? Jean-Baptiste n’oserait même pas se courber devant lui !

Mais le grand opérateur de cette scène, ce n’est ni Jean-Baptiste, ni Jésus, c’est l’Esprit Saint, trois fois nommé ici : « Lui, il vous baptisera dans l’Esprit » ; « A l’instant où il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit, comme une colombe, descendre sur lui » ; « Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert ».

Il est tout proche celui qui va répandre l’Esprit pour faire naître à une humanité nouvelle. « Il vous baptisera, il vous plongera dans l’Esprit ».

Avons-nous conscience que notre Baptême chrétien c’est cela ! Nous sommes très loin de vivre la profondeur de notre Baptême qui nous a changés radicalement. Nous sommes tous tentés, à cause d’un milieu païen, athée dans lequel nous sommes immergés, de mettre le salut de l’humanité dans le prolongement de nos efforts, de nos attitudes humaines les plus chargées de valeurs.

La mentalité scientifique et technique nous habitue à penser que le salut de l’homme est dans et par l’homme.

« Devenons plus solidaires, disent les humanistes, maîtrisons davantage la nature, disent les écologistes, partageons davantage, disent les humanitaires ».  « Très bien », mais cela, n’importe quel païen peut le dire et tenir ce discours : ce n’est pas faux.

Mais la Bible, elle, va bien plus loin : elle prétend que le sens dernier de l’homme n’est pas l’homme ; l’univers, si grand soit-il, n’a pas sa fin en lui-même. « L’homme, disait Bossuet, dépasse l’homme ; il ne s’accomplit totalement qu’en s’ouvrant à une réalité supérieure ». « A quoi sert à l’homme de maitriser l’univers et d’aller sur la lune si c’est pour s’y suicider ? »

La dimension de la transcendance, c’est-à-dire la dimension spirituelle et divine de l’homme devient de plus en plus évidente.   Il y a en l’homme, une faim, une soif, autre chose qui va beaucoup plus loin que ce que la terre toute seule peut lui offrir, ainsi donc, la réponse dernière à toutes les questions que se pose l’homme : « Qu’est-ce-que la vie ? Qu’est-ce-que la mort ? Pourquoi la souffrance ? Pourquoi l’amour ? Pourquoi le mal ? Pourquoi suis-je sur la terre ? Est-ce un hasard ? Ou une destinée ? »

Toutes ces questions-là ne peuvent être résolues par la raison seule… Il n’y a que la dimension spirituelle de l’homme qui peut lui donner une piste, une direction.  C’est ce qui faisait dire à Malraux que « le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas ! » en réponse à toutes ces interrogations.  Un  » inconnu  » se présente, dans cette foule qui entoure Jean, il a déjà vécu trente ans dans l’obscurité d’un petit village dont ne parle jamais : ni la Bible, ni le Talmud, ni la géographie, ni l’histoire, avant que ce Jésus ne devienne mondialement   célèbre.  Nazareth comptait, à cette époque, selon les   fouilles archéologiques, une vingtaine de maisons, donc une centaine d’habitants à peu près. C’est de cette étonnante obscurité que va sortir le plus grand mouvement historique qui a modifié la face de la planète !

Qui est-il donc ce Jésus de Nazareth ? Il donne l’apparence d’un homme ordinaire qui doit recevoir un Baptême de pénitence.

Mais, voilà, nous dit St-Matthieu, que devant cet homme, le ciel  » se déchire  » : il vient faire une déchirure dans cet univers clos. Désormais l’humanité aura une  » brèche  » pour communiquer avec le monde divin.  Déjà, avant St-Matthieu, Isaïe, en avait exprimé le désir : « Ah ! Si tu déchirais les cieux ! »

Et c’est ce qui a lieu ! Jésus est soudain saisi dans son être humain lui-même, de la certitude de son rôle grandiose.

« Et du ciel, une voix se fait entendre ». « C’est toi, mon Fils bien aimé ; en toi, j’ai mis tout mon amour ».

Voilà donc une expérience unique de tendresse.  Déjà, depuis des années, Jésus vivait une aventure merveilleuse de filiale affection, et cela éclatait maintenant comme un carillon dans son cœur :

« Tu es mon amour ; tu es mon Fils unique, je me complais en toi ». Ces mots sont déjà présents dans la Bible, bien sûr, mais il nous est bon de retrouver ces phrases que Jésus avait dû méditer, qu’il savourait depuis des années dans sa prière ou dans sa vie de chaque jour, dans sa petite maison, avec Marie et Joseph, au cours de son travail.

Et vous, les chrétiens, vous les baptisés, non pas seulement dans l’eau mais aussi dans « l’Esprit Saint », dans l’eau qui sortit du côté du Christ avec son sang lorsque le soldat Romain lui perça le cœur, avez-vous parfois fait cette expérience ? De vous sentir aimé et de répondre à cet amour ? … Quelque chose de fort et de doux qui remplit de paix et de bonheur, toutes vos minutes ?

« Je serai pour lui un père et il sera pour moi, un fils » (2e livre de Samuel). Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon fils : aujourd’hui, je t’ai engendré » (Psaume 2e).   « Voici mon serviteur, mon élu, en qui je me complais » (Isaïe). « Jérusalem ! On t’appellera d’un nom nouveau. On ne dira plus  » l’abandonnée ‘’. On dira ‘’celle en qui je me complais”.

Les eaux du Jourdain, comme celles de notre baptême, sont les eaux de la naissance, celles de notre création, celles de notre déluge, celles de notre passage du péché à la grâce, celles de la Mer Rouge à la terre Promise : il en sort toujours des hommes nouveaux !

Oui, « les cieux se déchirent » pour nous aussi : comme le voile du temple au moment de la mort du Christ.  Cette déchirure est l’occasion pour chacun de découvrir le vrai visage du Seigneur.  AMEN