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Épiphanie du Seigneur, Solennité- Homélie du Père Louis DATTIN (Mt 2, 1-12)

Le peuple de Dieu

Mt 2, 1-12

Voilà dans cet Evangile, frères et sœurs, un récit qui n’a pas l’air, à première vue, de nous concerner directement : une histoire de savants à la recherche d’un prince, une étoile qui les guide, une ville qui en savait long sur un Messie qu’elle était censée attendre, un roi qui semble vrai et qui est le faux et un enfant qui, lui, est reconnu comme le vrai. Il y a aussi une capitale qui semble ne pas être au courant de ce qui se passe, et un petit village, où s’épanouit l’adoration finale. Bref, un vrai conte oriental que nous écoutons avec intérêt, mais qui, à première vue, ne semble pas nous concerner : pas plus que « Ali Baba et les 40 voleurs » ou les « Contes des mille et une nuits ».  Et voilà comment on peut passer à côté des plus grandes leçons spirituelles sans même s’en apercevoir.  Alors, chers amis, décortiquons cette belle histoire et faisons-en une leçon qui va, peut-être, modifier notre vie.

Tout d’abord, remarquons que ce récit est basé sur des contrastes, des oppositions : * il y a les mages : ce sont des savants en recherche, prêts à tout quitter pour suivre une étoile singulière ;

* il y a les savants de Jérusalem que fait venir Hérode : eux aussi, ils sont savants et disent tout de suite au roi, où le Messie doit naitre.  Les uns se mettent en route à partir d’un pays très lointain, les autres, à Jérusalem, ne se déplacent même pas jusqu’à Bethléem qui n’est qu’à quelques kilomètres de la capitale.

Et déjà, voilà une première leçon qui s’applique très bien à nous tous : il y a aussi, chez les chrétiens, ceux qui cherchent à savoir et qui sont capables de bouger, de se déplacer, de mener une enquête, de suivre une étoile aussi loin qu’elle les mène, des chrétiens en recherche qui ne se contentent pas de voir les choses de loin, fut-ce une étoile, mais qui partent, qui suivent une trace, qui se posent des questions.

Sommes-nous de ces chrétiens-là, pour qui, l’étoile de Dieu ne se contente pas d’être regardée mais va les engager dans une aventure qui va les prendre tout entiers.

Notre foi nous mobilise-t-elle ? Nous entraine-t-elle vers une aventure ? Nous engage-t-elle dans une vie autre ? Notre foi est-elle assez puissante pour nous mettre en route, nous arracher à notre fauteuil, nous faire partir en voyage ? Est-ce-que je considère ma vie chrétienne comme une expédition ? Avec des étapes, des imprévus, des enquêtes ?

Posons-nous la question : si nous n’étions pas chrétiens, est-ce-que nous mènerions la même vie que celle que nous menons maintenant ? Et puis, posons-là à l’envers : si vous étiez de vrais chrétiens, votre existence serait-elle différente de celle que vous menez aujourd’hui ?

En face de ces aventuriers : les mages, il y a d’autres savants, les Docteurs de la loi qu’Hérode fait venir pour les consulter sur l’endroit présumé de la naissance du fils de David.  Ces savants-là, sont aussi des savants.  La Bible ? Ils connaissent ! Ce sont des spécialistes ! D’ailleurs quand on leur pose la question :

« Où le Christ doit-il naître ? »

Pas une minute d’hésitation : « A Bethléem de Judée ».

Mais quelle différence avec les mages ! Eux, ils savent mais ne bougent pas. La loi, ils la connaissent, dans leurs mémoires, mais jamais dans les mains ni les jambes.  Les mages, sont partis, eux, ils restent. Les mages continuent à chercher, eux, ils savent.  Les mages se posent des questions, eux, ils répondent aux questions sans s’en poser eux-mêmes.

            Vous les connaissez aussi ces chrétiens-là : ces chrétiens, eux qui savent, eux qui ne bougent pas, pour qui la religion n’est pas une vie, une dynamique mais un état, permanent, statique, une petite synthèse idéologique dans laquelle ils sont assis comme sur un divan.

Ils ont réponse à tout, ils sont suffisants, ils sont du clan de ceux qui savent, qui ont fait définitivement des options qui ne vont nullement les mettre en cause.

La foi, ma foi, est-elle un confort qui me rassure lorsque je me pose des questions sur ma vie ou celle des autres ? Ou bien un tremplin, comme pour les mages : foi, qui va me faire aller plus loin, d’étapes en étapes pour, finalement, aller jusqu’à Bethléem trouver l’Enfant Jésus.

« Père, dira Jésus, plus tard, je te rends grâce de ce que tu as caché ton message aux sages, à ceux qui se croient intelligents et suffisants, pour la donner aux petits, aux simples, à ceux qui sont capables de se mettre en route derrière une étoile plutôt que de rester dans leur fauteuil ».  Car ce n’est pas tout de savoir, il faut se lever, il faut se mettre en route, il faut suivre l’étoile, il faut poser des questions, avoir des difficultés : parfois l’étoile disparaît.

Il y a donc ceux qui savent et ceux qui ne bougent pas, et ceux qui cherchent et qui vont se déplacer.   Dans quelle catégorie vous rangez-vous ? Où en est votre foi ? Est-elle mobile ou fixe ? Vous contentez-vous de votre petit savoir ou vous posez-vous des questions ?

Foi du charbonnier (il travaille beaucoup au noir) ou celle du pionnier qui lui, ne sait pas ce qui l’attend mais est toujours prêt à aller plus loin jusqu’à ce qu’il ait trouvé ?

Nous nous heurtons, ici, vous le sentez bien, à deux mentalités différentes :

–   la 1ière est conservatrice, possessive et théorique : je me replie sur ce que je sais, sur ce que je suis, sur ce que j’ai et j’en fais un paquet que je conserve précieusement dans un tiroir.

Rappelez-vous le 3ième serviteur dans  » la parabole des talents ». Il va enterrer son lingot d’or dans le jardin en attendant le retour du maitre : pas de danger pour lui qu’il perde son argent mais pas de danger non plus qu’il produise quoi que ce soit.

Beaucoup de croyants disent : « J’ai la foi ! » Mais de quelle foi s’agit-il ? Celle qu’ils ont cachée dans un coin ? Ou bien d’une autre qu’ils ont risquée au contact des autres avec leurs convictions et leurs positions et leurs contradictions ?  Notre foi a-t-elle déjà servi aux autres, comme de l’argent prêté, comme du feu communiqué, comme un élan communicatif, comme une épaule sur laquelle on peut appuyer ?  Et puis, dites, votre foi est-elle vraiment à vous ? En êtes-vous vraiment le propriétaire ? N’est-ce-pas plutôt ce que l’on vous prête à vous aussi pour pouvoir vivre plus, pour pouvoir vivre mieux mais qu’il faut passer à votre tour aux autres afin que, eux aussi, ils puissent en profiter ?

–     La   2ième   mentalité   est   apostolique, oblative   et   pratique ;

Apostolique : si j’aime ceux qui m’entourent, j’essaie de leur donner ce que j’estime le plus précieux, ce qui fait le trésor de ma vie et ma raison de vivre.  Votre foi, si vraiment vous en vivez, c’est ce que vous avez de plus précieux.

Que penseriez-vous d’un gagnant de loto à plusieurs millions,
qui garderait tout pour lui, sans en faire profiter sa famille ? Votre foi vaut beaucoup plus que cela. Voulez-vous la partager ?

Foi oblative : parce que toute notre vie chrétienne est basée sur le don de soi, don de Dieu qui nous donne son Fils, qui se donne au Père, Fils qui se donne en croix pour le salut du monde.

« Celui qui veut garder sa vie, il la perd ; celui qui consent à la donner, il la gagne ».

Apostoliques, oblatifs, les aventuriers de Dieu ne sont pas des théoriciens mais des praticiens : c’est dans la vie et non dans des spéculations qu’ils greffent leur foi en Dieu.

« Ce ne sont pas ceux qui diront “ Seigneur, Seigneur ” qui seront accueillis dans le Royaume de Dieu, mais ceux qui font, qui appliquent, qui mettent leur foi dans leur vie et leur vie dans leur foi ».

Alors ? De quel côté vous rangez-vous ? Du côté des savants d’Orient qui partent à la suite d’une étoile mystérieuse et qui vont poursuivre leur enquête ? Ou du côté des savants de Jérusalem qui, eux, savent beaucoup de choses, mais pour en discuter avec Hérode ?

  Il y a ceux qui cherchent et ceux qui savent déjà. Il y a les sédentaires et les nomades. Il y a les  » debout » et les  » assis « . Il y a les captatifs et les oblatifs.

Demandons au Seigneur la grâce de savoir le trouver, là où il est : à Bethléem, dans une crèche non pas à Jérusalem, l’orgueilleuse qui le mettra à mort mais à Bethléem, l’humble bourgade.

On ne trouve Jésus que dans l’humilité, la simplicité mais aussi dans le mouvement et la recherche.   AMEN