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29ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Père Louis DATTIN

Le Christ Serviteur

 Mc 10, 35-45

De ma fenêtre du premier étage, j’ai eu souvent l’occasion de regarder les enfants en train de jouer sur la cour de récréation. Pour jouer, il faut commencer, la plupart du temps, à faire deux camps. Il faut donc deux chefs et souvent le conflit commence, non pas avec le jeu, mais avec ceux qui choisissent leurs équipiers : le tri impitoyable de deux leaders qui devront s’imposer pour commander aux autres. Ils s’imposent, le plus souvent, par la force ou la violence et il est rare qu’en cours d’année, ces deux-là soient remis en question. Mais au début, c’est à qui essaie de commander, d’imposer son pouvoir aux autres.

Il n’y a pas que chez les enfants ! Les élections jouent le même scénario; elles sont bien tombées pour nous faire voir que l’on est prêt à tout, y compris au pire, pour prendre le pouvoir, pour avoir un poste de président, pas seulement piétiner les autres, mais aussi imposer ses propres idées.

Ne nous offusquons pas, c’était déjà comme cela… où ? Parmi les apôtres : « Maître, disent Jacques et Jean, nous voudrions que tu exauces notre demande. » En fait, la vraie traduction est celle-ci :

« Maître, nous voulons que tu nous fasses ce que nous te demanderons ». Que demandent-ils donc?

 « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ta gloire. » Or, Jésus vient, à l’instant, de leur annoncer pour, la troisième fois, sa Passion :

« Le Fils de l’homme sera livré, ils se moqueront de lui, cracheront sur lui, le flagelleront, le tueront » C’est le moment choisi par Jacques et Jean : le moment où Jésus choisit la dernière place, pour essayer de se pousser aux bonnes places. Ils en sont encore aux rêves de ce triomphateur glorieux, LE MESSIE, qui va tout régler par sa puissance. Et puis, ils sont, eux, les cousins de Jésus : quand l’un d’entre eux arrive au pouvoir, c’est toute la parenté qui partage. Alors pourquoi ne pas profiter du cousin Jésus pour une promotion, un passe- droit, une recommandation. C’est humain : quand on a des relations, n’est- il pas naturel d’en profiter pour en tirer quelques avantages ?

Allons plus loin : notre vie chrétienne, est-elle une vie où nous servons Dieu? Ou bien une vie où nous essayons de mettre Dieu à notre service ? Notre pratique religieuse est-elle adoration, louange, offrande, obéissance ou bien une espèce d’ « assurance-vie éternelle, assurance sur l’au-delà » ? « Maitre, assure-moi un bon strapontin au ciel ! » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ». Effectivement : qui sera à sa droite et à sa gauche sur la Croix ? Ni Jacques, ni Jean, mais deux brigands crucifiés avec Jésus sur la colline et Jésus dira à l’un de ces truands : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ».

Nous aussi, souvent, nous ne savons pas ce que nous demandons ! Faisons un peu plus confiance à Dieu. La gloire de Jacques et de Jean sera réalisée un peu plus tard : Jacques sera martyr à Jérusalem et Jean subira l’univers concentrationnaire de Néron, aux travaux forcés, dans l’île de Patmos. « Pouvez-vous boire la coupe que je viens de boire?» La coupe, dans l’écriture, est rarement la coupe de la joie, c’est celle de l’amertume : ce qui est dur à avaler.

« Père, éloigne de moi cette coupe », dit Jésus à l’agonie.

S’ils veulent entrer dans la gloire, il leur faut d’abord boire à cette même coupe. Cette parole prendra encore plus de relief lorsqu’ils boiront plus tard à la coupe eucharistique, « mémorial de la mort du Seigneur ». « Les dix autres apôtres s’indignaient contre Jean et Jacques ». Oh ! Ne croyez pas qu’ils soient scandalisés ! Non ! Ils partagent la même ambition ! Ils sont simplement jaloux de ceux qui ont voulu se pousser : c’est normal, cela leur coupe l’herbe sous les pieds. Jésus, lui, ne s’indigne pas, il ne comprend que trop : ce qui se passe est normal, il a une autre vision des choses ; aussi les appelle-t-il auprès de lui et leur dit :

« Vous le savez : les chefs d’Etat commandent en maîtres. Les grands font sentir leur pouvoir ». Le pouvoir ne peut pas être exercé comme un lieu de domination ou d’oppression, comme un rapport de « force » où le plus fort l’emporte ; et c’est vrai que la notion de pouvoir, à notre époque, est encore basée sur des rapports de force qui entrainent violence et injustice : dans les familles, dans les professions, dans la politique. Nombreux sont ceux qui parlent de « service » dans les partis, syndicats, banques, communes, Eglise même. Tout le monde s’affirme désintéressé, mais que d’illusions ou de mensonges ! Car dans ce rêve on se place : en servant, on se sert.

« Non », dit Jésus, « parmi vous, il ne doit pas en être ainsi : celui qui veut devenir « grand » sera votre serviteur, celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous ». Cette phrase, forte comme un bloc de granit, est la pierre d’angle de l’Eglise à venir, pas seulement une loi dans l’Eglise : c’est la « constitution » de l’Eglise, de la communauté de chrétiens. Chacun doit devenir le serviteur de tous.

Dans l’Eglise, il  faut  renoncer  totalement  au principe  de l’avancement, des galons, de la carrière, des titres, des décorations, des places honorifiques. Un seul principe : le service humble. Il n’y a pas de « chefs » au sens du monde, dans l’Eglise. Il n’y a que des responsables, des serviteurs de la communauté, depuis le pape qui signe « le Serviteur des serviteurs » jusqu’à celles qui tous les samedis matin, dès 7h, sont en train de nettoyer les bancs sur lesquels vous êtes assis ce soir (ce matin). « Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude », et en faisant cela, nous ne faisons tout simplement que d’imiter Jésus qui n’a pas joué au « Seigneur », mais au « domestique », pas en « dominateur », mais en « serviteur ».

 Rappelez-vous le Jeudi Saint au soir : « Jésus prit un tablier, une cuvette, une serviette et lava les pieds des apôtres ». « Toi, Seigneur, nous laver les pieds ! » Jésus répond à Pierre : « Plus tard, tu comprendras », « Si je vous ai lavé les pieds, moi le « Seigneur et Maître », vous devez, vous aussi, vous laver les pieds les uns aux autres », et il reprend la même formule qu’après l’Eucharistie, « Faites ceci en mémoire de moi ».

« Ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi, pour les autres ».

C’est ainsi que les parents chrétiens devraient être vis-à-vis de leurs enfants, que les responsables devraient être vis-à-vis de leurs subordonnés.

Prendrons-nous au sérieux l’invitation de Jésus ? Ne faisons pas l’examen de conscience des autres : moi, qui ai-je tendance à dominer ? Qui dois-je aimer ? Qui dois-je suivre ?

Ne nous faisons pas illusion, ce chemin du service, de l’amour qui  s’offre, de l’oubli de soi au profit des autres, ne nous mènera pas à une réussite humaine.

Si jamais nous prenons la décision de suivre le Christ, il nous mènera par où il est lui-même passé : par la Croix. Dans toute la Bible comme dans l’Evangile, l’image n’est pas celle, seulement, du serviteur, mais celui du « serviteur souffrant« . Il nous faut nous aussi, comme le Christ, avec le Christ, connaître les souffrances, dit Isaïe, dans la 1ère lecture, pour sauver les multitudes. « Le juste, mon serviteur, à cause de ses souffrances, se chargera de leurs péchés », et St-Paul, dans la seconde lecture, ne dira pas autre chose : « Jésus a connu l’épreuve, c’est pourquoi nous pouvons recevoir son secours ». Nous ne pouvons pas, à notre tour, suivre un autre chemin pour sauver le monde actuel. C’est toujours par la Passion, par la Croix, par les épreuves et par les souffrances offertes que le monde sera sauvé.

 Il n’y a pas d’autres chemins que celui de la Croix, celui de la petitesse et de l’humilité. Nous sommes nés du sang versé, répandu en signe de l’amour livré jusqu’au bout. Dieu est mort d’aimer. Marcher derrière Jésus, c’est saisir la Croix avec lui : il s’est dépouillé devenant l’image même du serviteur, il s’est abaissé et, dans son obéissance, est allé jusqu’à la mort…

Nous aussi, nous disons avec Jacques, avec Jean : « Seigneur, donne-nous une place dans ton Royaume ». Mais pour cela, nous avons à naître à l’amour et nous devons, pour ce passage, être plongés dans le sang du serviteur. Dans la communauté des disciples, il n’y a qu’un seul titre : le service de l’amour.

Il n’est plus question d’honneur ou de récompense, mais d’une solidarité avec la souffrance des hommes unie à celle de Jésus. AMEN