Lève-toi, mange, marche
Jn 6, 41-51
Un homme à bout, titubant de fatigue, dans le désert, son corps n’en peut plus, il est au bout du rouleau. Son âme aussi n’en peut plus, il est complètement découragé :
il n’a plus le moral. Trop, c’est trop ! Et pourtant cet homme-là, c’est Elie, le grand Elie, celui qui a maintenu la foi d’Israël dans un monde complètement paganisé : le vainqueur devant les cent prêtres de Baal qui criaient pour que Dieu incendie leur autel alors que, seul, celui d’Elie, reçut le feu du ciel.
Hélas ! Ce n’est plus le grand Elie, c’est le pauvre Elie, l’ombre de lui-même, épuisé, la bouche sèche, l’estomac creux, avec des muscles qui lui font mal et qui ne répondent plus… il s’écroule de fatigue à l’ombre d’un buisson : « Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie. Je ne vaux pas mieux que mes pères ».
Il tira un pan de manteau sur sa tête et s’endormit.
Cet Elie, comme il nous ressemble à certains moments de notre vie ! Rappelez-vous, vous aussi, ces étapes difficiles, quand vous étiez à plat, » à zéro » comme on dit, dans la déprime, le marasme, que tous les horizons étaient bouchés et que vous aviez si peu de courage, que vous n’aviez même plus envie de continuer, « C’en est trop ! Reprends ma vie », envie de fuir la vie pour un temps ou la mort pour toujours, le sommeil lourd qui aide à fuir, pour un temps, les dangers et les désarrois qui assaillent la vie. Mais un ange, c’est-à-dire un messager de Dieu le tire de son sommeil : Dieu n’aime pas l’homme écroulé, l’homme prostré, abattu par le mal comme l’arbre par la tempête ; il le tire de son sommeil et lui parle : « Lève-toi et mange ».
« Lève-toi » : combien de fois, Jésus lui aussi, a dit cela aux grabataires qu’on lui présentait sur leurs brancards,
– à Lazare : « Lève-toi et sors »
– à la fille de Jaïre : « Je te le dis : lève-toi »
– au fils de la veuve de Naïm : « Lève-toi ».
Se lever : c’est la position du vivant alors que l’homme couché est déjà prémonitoire de l’homme mort. Rappelez-vous l’hymne pascal : « Lève-toi, ressuscité d’entre les morts ».
Se lever, se relever, c’est le signe d’un nouveau départ.
« Lève-toi et mange » : manger est le signe que la vie est là, en train de revenir. Lorsque l’on dit d’un malade : « Ça y est ! Il s’est mis à manger ! Aujourd’hui, il a pris un petit quelque chose », c’est le signe que ça va mieux, que tous les espoirs sont permis. « Il y avait là, près de la tête d’Elie un pain cuit sur la braise et une cruche d’eau : du pain et de l’eau, le minimum vital en temps de famine.
Une deuxième fois, Elie se couche et s’endort : ne pas se croire trop vite sorti de l’épreuve. Une 1ère communion ne suffit pas : tout comme dans la journée, un seul repas ne suffit pas. Il faut recommencer : la communion fréquente. De nouveau, le messager de Dieu le touche et le fait se lever pour manger, boire donc pour vivre.
Se lever, manger et boire puis marcher : sont les actes essentiels, primordiaux du vivant. Elie, en se levant, a expérimenté dans son corps, dans sa chair, le passage, le don de Dieu : « Lève-toi et marche » après « Lève-toi et mange ».
L’Eucharistie, pour le chrétien, aura également pour but de nous mettre debout, de nous faire prendre des forces puis de repartir, nous, chrétiens, qui sommes des gens en route, des marcheurs de Dieu, des pèlerins qui ne s’arrêtent qu’à des étapes provisoires jusqu’à la grande arrivée, la grande rencontre, jusqu’à l’Horeb : la montagne de Dieu.