19ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 9 Août 2015

 

1 Rois 19, 4-8 ( » Fortifié par  cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu. « )

 La reine de Samarie, Jézabel, soutient le culte du dieu Baal et persécute Élie, prophète du vrai Dieu. Dans l’épisode du mont Carmel (1 Rois 18, 20-40), Élie a manifesté la toute-puissance du Seigneur et éliminé les prophètes de Baal. Jézabel a décidé sa perte, et il prend la fuite

  La première séquence évoque une retraite sans but. Élie a atteint Bersabée, aux portes du désert. Non seulement la reine le menace, mais il déprime. Il avouera en 1 Rois 19, 14 qu’il ne vaut pas mieux que ses devanciers ; il demande la mort. Par dépit, il s’étend sous un buisson, comme dans l’histoire plus humoristique d’un autre prophète (Jonas 4, 5-8).

  Une double intervention céleste va changer cette errance sans but. La première, celle d’un ange, se contente de fournir au fuyard du pain et de l’eau et, sans autre précision, se contente de le laisser se reposer. Puis se manifeste « l’Ange du Seigneur », une manière fréquente de désigner Dieu lui-même dans l’Ancien Testament. Cette fois, il sait qu’il doit se remettre en chemin, fortifié par un pain miraculeux, une nouvelle manne.

  L’Ange n’a pas indiqué le but de la route. Mais, selon la logique du conteur, Élie n’a pas perdu sa conscience et sa prescience prophétiques. Comme d’instinct, il se dirige vers l’Horeb, l’autre nom du mont Sinaï, là où Moïse avait reçu sa mission (Exode 3 – 4). Les quarante jours et nuits de marche du prophète rappellent le séjour de Moïse sur la montagne (Exode 24, 18). C’est au mont de l’alliance qu’Élie ressourcera sa propre vocation, dans la fidélité à la mission des prophètes. Jésus, lui, se dira le pain de la vie éternelle (évangile), dans les déserts de nos épreuves.

 

Éphésiens 4, 30 — 5, 2 (« Vivez dans l’amour, comme le Christ. « )

Le passage fait partie de la série des conseils qui achèvent l’épître aux Éphésiens. Nous sommes un peuple en exode, marchant vers sa « délivrance ». Le baptême nous a mis en route en imprimant en nous la marque d’appartenance à l’Esprit Saint. Plus littéralement, l’Esprit a gravé en nous son sceau, sa signature. Il ne faut pas l’atrister (ou le « chagriner »). Paul écrivait déjà : « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Thessalonicines 5, 19).

  Cette tournure, attrister l’Esprit, ne se trouve qu’ici dans le Nouveau Testament. D’après le contexte, il s’agit de rejeter tout ce qui trahirait notre appartenance à cet Esprit qui nous invite à aimer Dieu et nos frères. L’expression vient d’Isaïe 63 qui chante l’aventure de l’Exode d’Israël. Pour guider son peuple, Dieu avait « mis au milieu de lui son Esprit Saint » (63, 11). « Mais eux furent rebelles, ils blessèrent son Esprit Saint » (63, 10). La vie baptismale est un nouvel Exode, guidé par l’Esprit de Dieu, et comportant trois caractéristiques.

  1. Dépouillons-nous de toute conduite mauvaise. Les 5 vices + 1 résumé ici dénoncés rappellent les révoltes des Hébreux du désert contre Dieu. Mais ils visent à présent, et dans un ordre croissant, ce qui pourrit les relations sociales, la vie entre croyants : (1) amertume (le mot grec a donné le mot français populaire « picrate », l’aigreur) ; (2) irritation (plutôt, mauvaise humeur) ; (3) colère ; (4) éclats de voix (= extériorisation de la mauvaise humeur et de la colère) ; pire, (5) l’insulte (littéralement « blasphème ») ; en somme, toute méchanceté.

  2. Face à ces dérives parfois inévitables, il faut cultiver la « générosité », voire même « la tendresse ». Ces deux qualités se traduisent par une attitude de pardon, mieux rendue par une traduction plus littérale : « faisant grâce les uns aux autres, comme aussi Dieu vous a fait grâce dans le Christ. »

  En acceptant la mort du Christ, Dieu a prouvé qu’il nous pardonne. En pratiquant nous-mêmes le pardon, nous lui montrons que nous comprenons son amour. Le Notre Père exprime cette circulation entre le pardon de Dieu et notre pardon mutuel (« pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons… ».

  1. Il s’agit, au total, « d’imiter Dieu ». Le baptême fait de nous « ses enfants bien-aimés ». Nous répondons à son amour en nous basant sur sa conduite envers nous (cf. Matthieu 5, 45) et sur l’exemple que nous a donné le Christ, en son amour pour nous. La vie chrétienne est un sacrifice constant, quotidien, dans lequel nous nous offrons au vouloir de Dieu, comme Paul déjà l’écrivait de manière si dense en Romains 12, 1-2. Pour modèle, nous avons le Christ « qui s’est livré pour nous », conduisant le don de soi jusqu’à la croix.

Jean 6, 41-51 (« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu ciel. « )

Chez Jean, la multiplication des pains est suivie d’un discours (commencé dimanche dernier) qui doit révéler aux auditeurs le mystère de Jésus, « Pain de la vie ». Mais qui parle dans cette page ? C’est d’abord l’évangéliste. Il s’adresse à des lecteurs chrétiens qui ont l’expérience de l’eucharistie, et qui, à cause de la routine, ont besoin de s’entendre rappeler qui ils rencontrent dans ce sacrement. Avec la déclaration initiale : je suis le pain qui est descendu du ciel », c’est de nouveau la manne du désert qui est évoquée. Les légendes juives transmettaient l’idée que la manne « cachée » dans le ciel avant la création du monde serait offerte de nouveau aux élus, à la fin des temps. Le Nouveau Testament fait écho à cette tradition : « Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée » (Apocalypse 2, 17). Pour Jean l’évangéliste, c’est dès aujourd’hui, par notre foi au Christ que cette manne nous est offerte.

Les Juifs récriminaient

Ce verbe « récriminer » (plus littéralement « murmurer, grogner ») assimile les auditeurs de Jésus aux Hébreux du désert qui se révoltaient contre les envoyés de Dieu et, à travers eux, contre Dieu  lui-même (Exode 16, 2, 18e dimanche). La constation ne porte pas directement sur le fait  que Jésus propose le pain véritable.

  Elle bute sur ce fait : « Nous connaissons bien son père et sa mère… » Les autres évangiles font déjà état de ce scepticisme à propos des performances et de la sagesse du Nazaréen (Marc 6, 2-3 ; Matthieu 13, 54-55). Mais Jean va plus loin dans la polémique : au-delà de sa sagesse et de ses miracles, comment Jésus peut-il dire : « Je suis descendu du ciel » ? C’est un débat récurrent dans ce quatrième évangile (comparer Jean 1, 1 ; 5, 18). L’évangéliste traduit ici sa connivence avec ses lecteurs qui croient en l’incarnation du Fils de Dieu, venu du ciel, et c’est l’occasion d’approfondir ce mystère.

Le mystère de la foi

L’évangéliste argumente à partir de l’espérance juive de l’Alliance nouvelle, à travers la citation d’Isaïe 54, 13 : « Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. » Selon cette alliance nouvelle,  « ils n’auront plus besoin d’instruire chacun son frère… Car tous me connaîtront » (Jérémie 31, 34). Ce sera une intime complicité entre le vouloir de Dieu, ses lois, et le cœur de l’homme, grâce au don de l’Esprit Saint (Ézékiel 36, 27) qui ressuscite (Ézékiel 37, 5). Pour saint Paul, ces promesses se réalisent dans l’amour fraternel qui unit les chrétiens (1 Thessaloniciens 4, 9) : pour cette fraternité, ils sont des « théodidactes » (instruits par Dieu).

  Bref, quand adviendrait cette alliance, Dieu se ferait connaître directement de tous, sans plus besoin d’intermédiaires, et tous connaîtraient le bonheur de la vie éternelle. Ce moment relève de l’initiative de Dieu. Il est maintenant arrivé : Le Père attire les hommes vers le Fils qu’il a envoyé, « qui vient de Dieu », qui seul « a vu le Père » et le rend présent dans le monde.

  Nulle prédestination ici. Jean souligne l’initiative de Dieu dans la foi. Il dit que, si quelqu’un écoute vraiment Dieu, il aboutira à la foi en Jésus, le seul qui ressuscite pour la vie espérée (« moi, je le ressusciterai au dernier jour »). Inversement, si quelqu’un n’est pas attiré par Jésus, c’est qu’il n’a pas écouté Dieu ni compris les prophéties de l’Alliance nouvelle.

Pain de la vie, Pain vivant

Ici commence à jouer le verbe « manger ». Il y a des aliments empoisonnés ou qui ne nourrissent pas. Le consommateur est responsable de sa nutrition. Les pères, au désert, ont mangé la manne. Ils n’ont pas échappé à la mort pour autant (cf. Nombres 25, 9 ; 1 Corinthiens 10, 8). Jésus, lui, est « pain de la vie » parce qu’il est lui-même « vivant », de la vie de Dieu. L’évangéliste écrit en grec, mais il pense en sémite. Or, les conjugaisons sémites sont plus riches que les modes de conjugaison occidentaux, à commencer par le grec. Dans le participe « vivant », il faut entendre un « causatif » sémitique, à traduire par « qui fait vivre »

  En outre, le verbe « manger » suggère une symbolique de communion (« Il est beau à croquer… On en mangerait », dit le langage populaire). Jésus se donne à manger pour que l’on communie avec la vie divine, et cette vie est illimitée ; elle concerne « le monde » entier et pas seulement le Peuple hébreu.

  Enfin, les conjugaisons ont de nouveau leur importance : celui qui mange ce pain du ciel (au présent de la foi) ne mourra pas (futur du salut éternel). « Le pain que je donnerai » (futur proche de la Passion), « c’est ma chair ». C’est sur ce mot cru et déroutant que va rebondir le discours, dimanche prochain.

 

 

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