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6ième Dimanche de Pâques – par le Diacre Jacques FOURNIER

 « Demeurez en mon amour » 

(Jn 15, 9-17)

 

           En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 
Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. 
Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. »
      Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 
Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. 
           Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. 
Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. 
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. 
      Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »

            

« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », nous dit ici Jésus… Comment le Père aime-t-il donc le Fils ? « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35), écrit St Jean. Or, il emploie ici pour le verbe « donner » un ‘parfait grec’ qui renvoie à une action passée dont les conséquences se font toujours sentir dans le présent du texte… La raison de cette action passée devrait donc elle aussi être exprimée par un verbe au passé : « Le Père a aimé le Fils et il a tout donné dans sa main », le Fils étant toujours comblé par ce don au moment où St Jean s’exprime… Mais non… St Jean emploie un verbe au présent, « le Père aime le Fils », car il évoque une réalité éternelle : il en est ainsi depuis toujours et pour toujours… Et que signifie pour le Père « aimer le Fils » ? C’est « tout donner en sa main », tout ce qu’il a, tout ce qu’il est… « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15), dit Jésus…

            Nous sommes ici au cœur de notre Crédo… « Avant tous les siècles », le Père aime le Fils et se donne donc tout entier à lui… Le Père est Dieu ? Il lui donne tout ce qui se cache derrière cette expression si simple : « être Dieu ». Le Père est Lumière ? Il lui donne tout ce qui fait qu’il est Lumière… Et c’est par ce Don de Lui-même que le Père« engendre » le Fils, et que le Fils est l’éternel engendré du Père… « Né du Père avant tous les siècles, il est Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Engendré non pas créé, de même nature que le Père », car c’est justement cette « nature » divine, ce qui fait que Dieu est Dieu, que le Père ne cesse de donner au Fils, que le Fils ne cesse de recevoir du Père…

            Ce mystère d’engendrement éternel peut aussi être exprimé en terme de « vie » : « Comme le Père a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même » (Jn 5,26). « Je vis par le Père » (Jn 6,57). Cette notion de « vie » peut elle même être exprimée par l’image du « souffle », « le souffle de vie ». L’homme vit tant que du souffle passe dans ses narines… Donner la vie, c’est donner le souffle, et c’est bien ainsi que Dieu crée l’homme, en « insufflant en lui une haleine de vie » (Gn 2,7). « N’a-t-il pas fait un seul être, qui a chair et souffle de vie ? », demande le prophète Malachie (Ml 2,15) ? Oui, l’homme est la seule créature que Dieu créé ainsi… « Tu m’as gratifié de la vie, et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle » (Job 10,12).

            Or, cette notion de « souffle » sert aussi à évoquer « l’Esprit de Dieu ». C’est pourquoi, lorsque le Christ ressuscité se manifesta à ses disciples, « il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (Jn 20,22). Avec le « souffle » image de « vie », cela revient à dire : « Recevez la vie ». Si les disciples l’acceptent, par le « oui » de leur foi, la mission du Christ est accomplie : « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10). « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle » (Jn 6,47). Dès lors, on perçoit le lien profond entre les notions d’ « Esprit » et de « vie » : « l’Esprit », « le souffle de Dieu », est « vie »… « Souffler » sur les disciples, c’est, pour Jésus, leur donner « l’Esprit », leur donner « la vie éternelle », la vie même de Dieu ! Or « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), dit-il à la Samaritaine. En tout son Être, « Dieu est Esprit », et c’est bien parce qu’il est tout entier « Esprit », « Souffle de vie », qu’il est le Vivant par excellence, « le Dieu vivant » (Ac 14,15). Son « Esprit » est « vie ». C’est pourquoi « le Seigneur dit à Ezéchiel : « Adresse une prophétie à l’Esprit, prophétise, fils d’homme. Dis à l’Esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Viens des quatre vents, Esprit ! Souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! » Je prophétisai, comme il m’en avait donné l’ordre, et l’Esprit entra en eux ; ils revinrent à la vie » (Ez 37,9-10).

            Dieu donne la vie en donnant l’Esprit, car « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6). C’est ainsi qu’il nous a créés : il nous a suscités à la vie en nous donnant l’Esprit, son Esprit. Et en agissant ainsi, il nous a aussi donnés d’être « esprit », c’est-à-dire des créatures spirituelles dont le mystère de la vie est à chercher dans la présence au plus profond de nous mêmes d’une réalité qui est Esprit. « Dieu Esprit » (Jn 4,24) nous a suscités dans l’existence en nous donnant à notre tour d’être « esprit » (cf. 1Th 5,23-25). Nous avons donc tous été créés par amour, puisque pour Dieu, « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de Lisieux ; Jn 3,35). Et c’est bien ainsi, nous l’avons vu, que le Père engendre le Fils de toute éternité, en se donnant tout entier à lui, en tout ce qu’il est, en tout ce qu’il a… C’est ce qui est dit, en actes, au moment du baptême de Jésus (Mc 1,9-11) : la Plénitude de l’Esprit jaillit des cieux déchirés, et donc du Père, pour aller reposer sur le Fils. Et au même moment, la voix du Père se fait entendre : « Celui est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour », et donc tout ce que Je Suis, car « Dieu est Esprit », et « Dieu Est Amour » (1Jn 4,8.16). « Le Père aime le Fils, et il a tout donné en sa main ». Nous constatons à quel point l’acte créateur par lequel Dieu nous a tous fait surgir à l’existence est à « l’image et ressemblance » (Gn 1,26-28) de Celui par lequel le Père engendre le Fils depuis toujours et pour toujours… Et notre vocation à tous est justement de « reproduire l’image du Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29). Et cela se fera, si nous acceptons, par notre foi au Fils, de recevoir avec le Fils et par Lui, tout ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité, c’est-à-dire tout ce qui l’engendre en Fils, « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu »… Beauté incroyable de la vocation de tout homme ici-bas : devenir « participants de la nature divine » (2P 1,4), et ainsi, des fils « à l’image du Fils », des « enfants de Dieu » vivant de la Plénitude de Vie de leur Dieu et Père, et cela le plus pleinement possible, selon notre condition de créatures…

            C’est ce Don qui ne cesse de jaillir du Père vers le Fils pour l’engendrer en Fils, et qui ne cesse de jaillir du Fils pour que nous devenions à notre tour des fils remplis comme le Fils de toute la Plénitude divine (cf. Jn 7,37-39)… « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie, et que selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute  chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés » (Jn 17,1-2). Et tout ceci n’est que le fruit de l’Amour, Amour éternel du Père qui se donne tout entier au Fils pour lui donner d’Être ce qu’il Est, et il Est Amour… Le Fils, Amour lui aussi, sera donc également tout entier Don de lui-même, Don de ce qu’il est en lui-même, un Don qu’il nous invite à recevoir gratuitement, par amour, et cela de tout cœur, en essayant, avec son aide et son soutien, de nous tourner tout entier vers Lui… Cela suppose bien sûr au même moment qu’il nous soit donné de nous détourner également tout entier du mal : tel est le combat quotidien de notre conversion, avec le soutien et la grâce de Dieu…

            C’est pour cela que Jésus nous invite ici, comme fondement de notre vie chrétienne, à demeurer en son amour, amour totalement pur et gratuit qui ne cesse de se donner tout entier à nous pour réaliser en nous le meilleur dont nous avons besoin… « Demeurez en mon amour »… Veillez à vous laisser aimer, tels que vous êtes et cela de tout cœur… Ce qui revient à se laisser combler instant après instant par le Don de l’Amour, le Don de l’Esprit qui vivifie, de la Lumière qui règne dans les ténèbres sans que ces ténèbres ne puissent la saisir (Jn 1,5)… Il s’agira bien sûr ensuite de ne pas éteindre cet Esprit en posant des actions qui lui seraient contraire… « Priez sans cesse », en essayant d’accueillir sans cesse le Don que Dieu, dans son Amour, nous fait sans cesse… « Rendez grâce en toute circonstance », par un merci de tout cœur pour ce Don qui ne cesse de nous être proposé gratuitement, par amour, en toutes circonstances : « c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5,17-22).

            Jésus l’évoque ici en termes de « garder mes commandements », c’est-à-dire la ligne directrice de vie qu’il nous a indiquée, et elle est de l’ordre de l’amour, du don de soi, du service, de l’ouverture aux autres, etc… « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (Jn 15,12-14). « Garder ses commandements », revient donc à garder cette vie d’amour, de don de soi, une vie qu’il ne cesse de nous offrir par le don de son « Esprit qui vivifie », un Esprit qui est Lumière… Et nous retrouvons le « n’éteignez pas l’Esprit » de St Paul… C’est ce que fait Jésus lui-même dans le cadre de sa relation avec son Père : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour » (Jn 15,10). Et « je sais que son commandement est vie éternelle » (Jn 12,50). « Garder les commandements », c’est donc « garder la vie », éviter avec la force et le soutien de l’Esprit tout ce qui peut blesser cette vie, et donc nous blesser en tant que vivants appelés à partager cette Plénitude de vie. « Le salaire du péché, en effet, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu », le Don de l’Amour, « c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 6,23).

            Garder la vie, ne pas éteindre l’Esprit, ce sera au même moment garder la joie, cette joie donnée par cette Plénitude de vie et qui est synonyme de bonheur paisible et profond. En effet, si « le Don de Dieu », c’est « l’eau vive » de « l’Esprit » (Jn 4,10‑14 ; 7,37-39 ; 19,34), « l’Esprit qui vivifie », « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22)… Le seul but que Jésus poursuit est donc notre joie : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11).

            Oui, vraiment, « je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Et le Fils ne cesse d’entendre du Père ce « je t’aime », en acte, qui est Don plénier du Père par lequel le Fils est engendré en vrai Dieu né du vrai Dieu. Ce « je t’aime », le Fils nous le fait connaître en nous le disant à son tour, et en ne cessant de joindre lui aussi à cette Parole ce Don de l’Esprit qu’il reçoit du Père de toute éternité : « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux Recevez l’Esprit Saint » (Jn 17,26 ; 20,22)…

                                                                                                                                              DJF