1er Dimanche de l’Avent- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lectures : Isaïe 2, 1-5 ; Romains 13, 11-14 ; Matthieu 24, 37-44

 

Frères et sœurs,

Vous le savez c’est le moment. Mais le moment de quoi ? Cette toute petite phrase de saint Paul paraît un truisme. Pourtant elle est peut-être une clé pour comprendre la manière dont nous, chrétiens, nous vivons, existons dans l’histoire de ce monde.

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« C’est le moment ». Pardonnez-moi de vous traduire ce mot en grec, pour eux ce « moment », ce mot « kairos » a une petite connotation d’opportunité, de chance à saisir le moment favorable, le moment où tout peut se jouer. Par conséquent lorsque Paul dit : « C’est le moment », il n’est pas question de consulter nos agendas pour concilier et trouver un moment qui convienne à deux interlocuteurs. Non. C’est le moment, c’est-à-dire, c’est un moment de ce temps mais dans lequel peut surgir quelque chose que nous n’attendions absolument pas. C’est une réalité qui a complètement polarisé les premières communautés chrétiennes et c’est un peu dommage que nous en soyons moins préoccupés. Je m’explique.

Dans l’Ancien Testament, quand on annonçait la venue du Messie, quand on annonçait les temps nouveaux, par exemple dans la prophétie d’Isaïe de la première lecture, on dit ceci : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne du temple du Seigneur sera placée à la cime des monts, dominera les collines, les nations afflueront vers elle ». Dans ce genre de prophétie et de réflexion, de quoi s’agit-il ? On vit dans la continuité de tous les événements historiques qui se déroulent les uns après les autres et à la fin, un peu comme la cerise sur le gâteau, il va y avoir le dessert : Israël qui en a vu de toutes les couleurs, qui a été déporté, maltraité, dispersé, méprisé, va enfin devenir le pôle et le centre de l’histoire. Mais dans tous ces cas-là, il y a une continuité entre les événements qu’on vit maintenant, et le moment final, la lutte finale si vous voulez ! Donc, il y a une sorte d’homogénéité de l’histoire qui fait que tout va changer, mais doit changer dans ce temps. C’est vrai que l’espérance messianique juive a toujours dit : tout va bien se passer, comme on le voit dans Isaïe. Mais il peut aussi être question d’une autre éventualité : ça va être une catastrophe, vous allez tous y passer et c’est toujours la même idée : l’histoire aura une fin, l’histoire arrivera à un terme par des événements historiques et il faut faire très attention à ce qui va se passer.

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Or, il est très probable que les premières communautés chrétiennes ont vu les choses exactement de la même manière. En effet presque spontanément, elles se sont ralliées à ces catégories dans lesquelles ils pensaient tous, cela faisait partie de l’air du temps du moins dans le monde juif de l’époque. Ils ont donc pensé que les temps messianiques étaient arrivés simplement, il y avait quelque chose qui ne collait pas : pourquoi Jésus reconnu Messie par la communauté, proclamé comme le Seigneur, pourquoi Jésus était-il ressuscité et pourquoi rien ne s’en suivait pour la destinée personnelle de chacun des disciples ? Si les disciples avaient adhéré, c’était parce qu’on leur disait : la fin des temps est arrivée, le Christ est ressuscité. Donc ils pensaient qu’il était intéressant de se rallier à ce Messie puisque la fin des temps ne pouvait être qu’imminente, et dans la stricte continuité de ce qui vient de se passer. La résurrection du Christ, c’est le commencement de la fin. Donc tous les événements qui doivent s’enchaîner doivent être petit à petit l’entrée dans ce moment historique de transformation du monde, de transformation de la création, de transformation de notre existence qui fait qu’enfin on va être dans la position privilégiée de ceux qui auront été du bon côté pour accueillir la puissance de transformation du monde inaugurée par la résurrection de Jésus.

Pour nous aujourd’hui ce sont des notions assez lointaines. Cela ne correspond à rien dans notre vie parce que nous aujourd’hui, nous ne vivons qu’avec l’histoire et une histoire dans laquelle de temps en temps on se dit que cela pourrait servir à une catastrophe, mais en fait, on pense plus volontiers : « pourvu que ça dure » comme disait Madame Bonaparte.

Comprenez bien ce que pouvait être l’espérance messianique. Il va y avoir quelque chose qui va sceller définitivement le geste inauguré par Jésus au matin de Pâques et cela ne peut pas tarder parce que sinon c’est une preuve qu’il n’était pas ressuscité. S’il faut attendre indéfiniment alors c’est un leurre d’annoncer la résurrection puisqu’elle ne vient pas. Quand vous relisez les épîtres de saint Paul, vous retrouvez cette idée presque à chaque page. Les gens lui disent : bon d’accord, tu nous annonces la résurrection mais tous nos amis sont morts, tu nous as annoncé la résurrection mais rien ne change, c’est toujours pareil. Alors quoi ? Tout l’effort de la prédication chrétienne a été de chercher pour trouver la véritable manière d’annoncer la résurrection. Il ne s’agissait pas simplement de convaincre les gens : un tel, Jésus Messie, est ressuscité. A la limite c’était très facile, dire qu’un monsieur était ressuscité à l’époque, on n’avait pas encore des visions aussi rationalistes que nous de la conception de la vie humaine. Dire qu’un personnage était ressuscité pouvait encore marcher. Cependant cela ne marchait pas partout parce que précisément à Athènes lorsque Paul a annoncé la résurrection des morts, tout le monde s’est esclaffé en disant : si tu crois qu’on a envie de ressusciter avec notre corps, tu nous raconteras cela une autre fois.

Mais dans le monde juif, proclamer une résurrection, il y avait tout un courant juif qui disait : oui, ce message, nous pouvons l’entendre. Dire que ce moment de la résurrection inaugurait un temps nouveau, on comprenait que ce temps allait se terminer. Et c’est pour cela je vous signale que la communauté de Jérusalem s’est considérablement appauvrie parce qu’à Jérusalem, l’idée de la fin des temps était évidente. Ils vendaient tous leurs biens, ils ne cultivaient plus, ils ne travaillaient plus parce qu’ils se disaient : puisque ce temps nouveau va arriver assez rapidement ce n’est pas la peine de se casser la tête, il suffit d’attendre. C’est comme çà que les habitants de Jérusalem qui avaient des prairies, des propriétés ont tout gaspillé en soupe populaire en vendant leurs biens et en les rapportant aux pieds des apôtres. On en a fait après une chose idéale mais sur le moment c’était loin d’être une situation idéale parce que la communauté s’est radicalement appauvrie. Et pourquoi ont-ils agi de cette manière ? Parce qu’ils étaient persuadés que tout allait changer dans le quart d’heure qui venait.

homme en prière1Donc l’effort des prédicateurs chrétiens a été de faire comprendre -et cela n’a pas été facile- que le moment était venu, oui, mais pas venu comme ils pensaient ou comme on pouvait imaginer. Le moment était venu certes, la fin des temps était arrivée, c’était clair. Tout le Nouveau Testament veut transmettre ce message : quand on dit que Jésus est ressuscité, et que la fin des temps est arrivée, mais la fin des temps coïncide, est en étroite corrélation permanente avec le temps tel que nous le vivons maintenant. Il n’y a pas une histoire qui va finir, il y a superposition, implication, imbrication l’une dans l’autre de deux temporalités. La temporalité dans laquelle on est, au jour le jour, mais en même temps une autre temporalité qui est d’un autre ordre : c’est la présence du Christ ressuscité qui inaugure réellement l’éternité. Ce n’est pas passé du premier coup. Et quel thème a-t-il fallu trouver pour essayer d’expliciter la situation ? Le thème majeur a été la vigilance. C’et ce qu’on entend à travers une parole que Jésus déjà d’ailleurs a mis en évidence : au jour de Noé il s’est passé quelque chose que personne n’attendait. Mais précisément ce qui est intéressant c’est que personne n’attendait au moment où cela se passait, et cela s’est passé jusqu’au moment où Noé entre dans l’arche. C’est-à-dire, il y avait déjà un secret dans les jours de Noé, une sorte de double temporalité : l’insouciance tranquille, on mangeait, on buvait, on se mariait et ce, pendant la préparation du cataclysme. Et évidemment qu’à ce moment-là Jésus prend bien soin de montrer que dans les deux temporalités, la deuxième a surgi comme un coup de tonnerre, c’est le cas de le dire pour le déluge, et elle a anéanti les espérances du temps précédent. Ce que Jésus voulait montrer, c’est la coexistence des deux : le temps ordinaire que nous vivons jour après jour, et le surgissement caché de quelque chose qui est d’un autre ordre et qui change tout, même ce temps ordinaire.

C’est le temps chrétien. Dans le temps chrétien, on est un peu schizophrène c’est-à-dire qu’il y a à la fois le fait que nous devions vivre comme Jésus nous le demande, comme Paul nous le demande, c’est-à-dire c’est le moment, vivre en face du moment présent et l’assumer totalement, vivre vraiment dans l’histoire, mais chaque fois avec une sorte de point d’interrogation. Quand c’est le moment, c’est le moment de quoi ? C’est le moment du surgissement de l’éternité. C’est cela qui a changé la conscience de vivre l’histoire telle que celle qu’on avait auparavant. Auparavant le temps était vraiment linéaire, même s’il était parfois aussi cyclique, peu importe, mais il était unidimensionnel, je crois qu’on peut dire çà et là il devient un temps peut-être pas en 3D mais en tous cas en 2D, en deux dimensions. C’est un temps dans lequel maintenant ce que nous vivons est riche d’une irruption inattendue. C’était vraiment la conviction pour les premiers chrétiens que désormais la manière dont ils vivaient dans l’histoire n’était plus comme avant. L’histoire était désormais minée de l’intérieur, habitée par la présence de l’éternité du Christ et de sa résurrection. Tout était changé. Auparavant et comme d’ailleurs un peu aujourd’hui nous sommes revenus à une sorte de néo-paganisme, auparavant on pensait que l’histoire seule avait ces possibilités. Chaque jour était riche du lendemain, mais c’était le jour précédent qui était riche du lendemain qui ressemblerait quand même beaucoup à hier. Tandis que là, ce n’est pas que le jour est riche du lendemain. Le jour est riche déjà maintenant, l’aujourd’hui, le moment est riche de l’éternité, c’est-à-dire de la puissance de la résurrection de Dieu au moment de l’histoire des hommes et de l’histoire du monde. D’où le fait que nous vivons une sorte de recul par rapport à l’histoire.

Nous ne sommes pas complètement immergés dans la chronologie que nous imposent les historiens ou les journaux selon nos lectures. Mais tout en étant complètement immergés dans cette histoire, qui peut prétendre être en dehors de l’histoire ? Personne. Mais nous savons que cette histoire porte en elle les possibilités incalculables que représente l’avènement de la résurrection du Christ. Il a fallu que les premières communautés chrétiennes apprennent que cette irruption de l’éternité n’était pas nécessairement quelque chose d’explosif. Elle ne pouvait surgir que par signes.

Et c’est là qu’est arrivé de façon claire et de plus en plus claire le sens des sacrements. Car qu’est-ce qu’un sacrement ? C’est de l’éternité du Christ ressuscité qui fait signe à l’intérieur de l’histoire. Et c’est pour cette raison que saint Paul -c’est le premier grand théoricien des sacrements-, explique que nous vivons dans un temps où nous avons toutes nos affaires mais : « Vous qui avez été baptisés dans le Christ, vous êtes déjà configurés au Christ mort et ressuscité ». Evidemment que cela changeait les choses pour eux ! Le baptême est le moment où un enfant entre dans le mystère de l’éternité tout en restant dans l’histoire avec nous et en la vivant avec nous. Voilà ce qu’est le sacrement. Le sacrement, c’est un signe de quelque chose. C’est le fait que dans un geste qui apparemment fait totalement partie de l’histoire, plonger un enfant dans une bassine d’eau ou lui verser quelques gouttes d’eau sur le front, des gestes très humains, très historiques, très simples, mais en réalité fait irruption à ce moment-là la plénitude du salut et donc la plénitude de la mort et de la résurrection du Christ.

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C’est tout le sens de l’Avent, de la liturgie, de la vie chrétienne : nous vivons vraiment l’histoire telle qu’elle est, avec tous les ennuis et tous les soucis, avec la crise, avec le gouvernement, avec tout ce que vous voulez, mais çà n’empêche qu’au cœur de tout cela, nous vivons sacramentellement l’éternité. Nous savons qu’aujourd’hui par exemple quand on est là ensemble pour cette eucharistie, nous posons le signe de l’irruption du Corps et du Sang du Christ ressuscité dans notre assemblée. Et c’est pour cela que la messe du dimanche n’est pas un problème simplement de pratique religieuse, c’est la reconnaissance dans le temps tel que nous le vivons et tel que nous l’expérimentons au jour le jour, d’un surgissement à travers le geste le plus humble qui soit, boire à une coupe et partager un morceau de pain et dire : c’est le surgissement de l’éternité dans l’existence que nous vivons maintenant.

Alors frères et sœurs, que cette entrée dans cette nouvelle année nous donne effectivement le goût de retrouver que ce que nous sommes en assemblée, en prière, en célébrant les sacrements, en catéchèse, dans la charité des frères, tout cela c’est le sacrement de l’éternité qui ressurgit au cœur même de l’histoire, de l’histoire de nos communautés, de leur enracinement dans tous les ennuis que nous connaissons avec le chômage, la vie sociale etc., mais déjà surgit le mystère de l’éternité car comme le dit saint Paul : « C’est le moment ». Amen.

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