1er Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)
« Il est terrible le Jour du Seigneur, il est formidable, il est proche, il vient en toute hâte. O clameur amère du Jour du Seigneur ! »
Nous ne sommes peut-être plus assez surpris par cette expression « Jour du Seigneur » Que peut vouloir dire le fait que le Seigneur choisisse un jour ? Est-ce une affaire de calendrier comme si Dieu accordait à l’histoire du monde, à l’humanité une sorte de sursis permanent tout au long duquel chacun serait obligé de compter les jours ? Mais le « Jour du Seigneur » n’est pas le dernier jour, « Il est proche, le jour du Seigneur, formidable ! Il est proche, il vient en toute hâte » (Sophonie, 1, 14) et nous disons sans cesse : « Il vient, il ne cesse de venir ! » Ce qui est étonnant dans l’expression le « Jour de Dieu », c’est que Dieu puisse entrer dans un jour, c’est que Dieu puisse avoir un jour, avoir son jour.
En effet, si on y réfléchit, dans combien de religions la rencontre du divin, la rencontre des dieux, le domaine des dieux est extérieure au temps, aux jours ! Certes, dans chaque religion, il y a un calendrier par lequel on fête, on fait mémoire, on se souvient. Mais la plupart du temps ce calendrier ne sert qu’à évoquer un temps primitif, un temps antérieur, un temps premier, mythique. Dans combien de religions l’homme s’astreint à vivre au jour le jour, des rites, une ascèse, des comportements et pourtant l’homme sait que son salut est à l’extérieur de ce temps ! Combien de religions ont dit que pour vivre enfin, il fallait sortir de ce temps, de ce monde, de cet espace ! Pensez à toutes les religions orientales. Combien de fois les grands prophètes qui ont surgi étaient des hommes qui, d’une certaine manière, ne vivaient déjà plus dans ce monde, même lorsqu’ils s’y promenaient encore pour y prêcher et que sur leur faciès, sur leur visage il y avait comme une sorte d’absence, une sorte de repli sur soi ! Comme si, à partir du moment où ils étaient sauvés, ils étaient déjà dans un « ailleurs ». Et plus proche de nous, sans aller chercher les religions orientales, la manière dont nous appréhendons le monde, ce que nous appelons le monde de la science, ce monde où tout est cadré dans l’espace et dans le temps, nous avons prise sur lui, mais il a aussi prise sur nous. Le monde de la science est un monde de nécessité, un monde dans lequel l’homme se sent contraint par l’objectivité des résultats, la mesure de l’espace et du temps. Et même si, par sa connaissance, il arrive à des théories scientifiques, la relativité ou que sais-je, en réalité, plus il observe, plus il étudie, plus il y est lié. C’est la raison pour laquelle l’expérience technique et industrielle de notre monde contemporain est si ambiguë, à la fois facteur et vecteur d’une certaine libération de l’homme par rapport à des conditionnements très immédiats mais en même temps que de contraintes ! L’homme, lorsqu’il ne perçoit les choses, le monde et lui-même qu’à travers les catégories de l’espace et du temps, se sent pris, enfermé à certains moments.
Or précisément ce qui est étonnant c’est qu’il y ait un « Jour du Seigneur ». Là où l’homme éprouve le temps et l’espace comme quelque chose à l’intérieur duquel il se tient, comme des limites de sa connaissance, de son agir, de sa transformation du monde, Dieu a voulu que ce temps soit le lieu même de sa présence, de son action, de sa révélation, de son salut. Voilà pourquoi nous commençons par l’Avent, par la venue, par l’arrivée. C’est cela que veut dire le mot Avent. Nous célébrons la venue de Dieu dans le temps. Nous célébrons cette chose incroyable que ce qui, pour nous, est le symbole de l’usure, des limites du désir, de l’impuissance de la volonté, de l’impuissance d’une sorte de domination totale et technique du monde, le temps, le face à face avec la mort, cela même devient le lieu de la rencontre de Dieu et de l’homme. C’est extraordinaire de croire cela. C’est extraordinaire de croire que le temps que tant de nos contemporains éprouvent comme un poids ou tout juste comme cette petite plage dans laquelle il va falloir faire le plus possible sa place au soleil, que ce temps devienne le lieu dans lequel Dieu scelle sa présence et son Jour. Faut-il que Dieu soit « insensé » pour vouloir que le salut de l’homme se joue là où il est ? Faut-il que Dieu soit « insensé » pour « quitter » son éternité et faire du temps et de l’histoire le lieu même de sa présence et de sa révélation ? C’est cela être chrétien. Ce n’est pas regarder le temps en faisant la moue ou en restant crispé, mort de peur. Que va-t-il nous arriver demain ? Le ciel ne va-t-il pas nous tomber sur la tête ? Au contraire, c’est regarder le temps comme le « Jour de Dieu », comme le moyen que Dieu a voulu de toute éternité, par sa création. « Il y eut un soir, il y eut un matin » (Genèse 1, 5). Ce temps est le cadre de la présence de Dieu.
Oui, l’aventure du monde est une aventure fantastique. Le « Jour de Dieu » est vraiment un « jour formidable » dans les deux sens. Car si d’une certaine manière cela fait peur, ce n’est pas simplement parce qu’il va y avoir du grabuge, mais parce que, d’une certaine manière, c’est inconcevable d’être aimé, c’est inconcevable, cela ne va pas de soi. Quand on est aimé par quelqu’un, cela ne va jamais de soi. Pourquoi sommes-nous aimés ? Eh bien, quand c’est par Dieu, c’est encore plus grand. Pourquoi sommes-nous aimés de Dieu ? Dieu a voulu non seulement nous aimer, ce que finalement un certain nombre d’expériences religieuses ont plus ou moins pressenti, mais son amour a été assez fou pour qu’Il vienne se manifester là où, apparemment, nous vivions ce temps comme une épreuve, comme une mort lente, comme une usure du désir, comme une usure du cœur. Qu’au moment où nous entrons dans ce temps de l’Avent nous y entrions avec la même fougue que Dieu qui avance dans ce temps comme une sorte de cavalier, comme une sorte de guerrier. Il a à reconquérir l’humanité, Il a à reprendre son peuple, Il a à ressaisir tous les éclopés de l’histoire. Pour nous aussi, célébrer le temps de l’Avent revient à célébrer cette immense « chevauchée fantastique » de Dieu, cette sorte d’immense opération de sauvetage par laquelle Dieu se brûle à venir rencontrer l’homme dans le temps et dans l’espace où il a été créé. Nous devons être des veilleurs. Non pas des veilleurs qui s’imposent des pénitences parce qu’il faudrait « en baver » pour entrer dans le Royaume, mais parce que si nous ne regardons pas le temps en face, nous ne verrons pas Dieu. Si nous ne regardons pas ce temps dans lequel Dieu nous a mis et dans lequel Dieu s’est mis, dans lequel Il s’est fait chair, dans lequel Il vient, si nous ne croyons pas que le salut c’est « l’Aujourd’hui de Dieu », alors nous risquons tout simplement de rater le Jour, le « Jour de Dieu ». AMEN