21ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 23 Août 2015

Josué 24, 1-2a.15-17.18b (« Nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu. « )

Le livre de Josué raconte la conquête de Canaan par les tribus israélites qui étaient descendues en Égypte et avaient vécu l’Exode et l’Alliance au Sinaï. D’autres tribus étaient restées parmi les Amorites païens et n’avaient pas connu la grande aventure religieuse. Au terme de la conquête, lors de l’assemblée à Sichem, tous doivent maintenant choisir : ou bien servir les dieux païens de la nature, les dieux mésopotamiens des ancêtres d’Abraham, ou bien le Seigneur, Dieu de l’histoire.

  Josué (« Jésus », dans la Bible grecque) est le successeur de Moïse. Il fait le lien entre l’aventure spirituelle de l’exode et l’ère nouvelle de la sédentarisation d’Israël (voir Deutéronome 31 et Josué 1). Son discours, reflet de liturgies ultérieures, qui clôt le livre portant le nom de Josué, manifeste que la foi est d’abord une prise de conscience : le Seigneur a choisi son peuple, il l’a sauvé. Pas de foi sans un travail de mémoire, de relecture des événements. La foi reconnaît aussi que Dieu demande à l’homme de choisir et de peser les enjeux de son choix. Enfin, la foi vécue se traduit par le verbe « servir » (six fois dans les versets retenus ici par la liturgie) qui, en hébreu, évoque à la fois l’obéissance au roi ou le culte envers la divinité, un rapport de vassal à suzerain, l’engagement à un culte exclusif, et un amour concret qui se dépense en service des intérêts de celui que l’on choisit. « Servir d’autres dieux », expression récurrente dans le Pentateuque, évoque à la fois des alliances politiques néfastes et, par là, une trahison du Dieu unique. Le passage retenu par la liturgie s’achève par une confession de foi qui rappelle celle de Deutéronome 26, 1-11

  Les chrétiens auront à faire un autre choix (évangile) : ou bien s’en tenir au souvenir d’une religion du passé, ou bien accueillir la nouveauté de Dieu dans l’humanité de Jésus, Pain de vie.

 

 

 

Éphésiens 5, 21-32 (« Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. »)

 

L’apôtre Paul a rarement « converti » des familles. La foi chrétienne à son époque divisait plutôt les familles (cf. Luc 12, 51-53). Il a touché surtout des individus qui se réunissaient dans des maisons de croyants. Selon lui, au sein de ces communautés, tous font un dans le Christ Jésus, « il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme » (Galates 3, 28). Mais, à l’époque ultérieure où est écrite la Lettre aux Éphésiens, les Églises sont devenues un phénomène visible et, en leur sein, leurs relations fraternelles égalitaires font scandale dans une société païenne fortement hiérarchisée. Il fallut, en quelque sorte, « lâcher du lest ».

  C’est pourquoi les derniers écrits du Nouveau Testament intègrent des « codes domestiques » traitant les rapports entre épouse et époux, enfants et parents, esclaves et maîtres. Ainsi en Colossiens 3, 18 – 4, 1, un catalogue réadapté et enrichi par Éphésiens 5, 18 – 6, 9. Voir aussi 1 Pierre 3, 1-7. Ces codes s’inspirent des règles d’une société patriarcale. Mais nos écrits apostoliques y injectent comme une sorte de correction, à savoir les valeurs de réciprocité issues de l’Évangile. La lecture de ce jour ne retient que l’exposé sur la relation épouse/époux.

  Le mariage est un fait social, modelé par la diversité des cultures et des époques. L’épître n’entend pas régir cette institution qui, dans l’Antiquité, tient pour normale la soumission de l’épouse. Mais, en cette hiérarchie, l’auteur injecte la valeur évangélique de réciprocité : « Soyez soumis les uns aux autres. » Ainsi, au long de l’histoire d’une Église entendant régir toute la société, le mariage devint un sacrement signe visible et efficace de l’amour du Christ pour son Église.

  Si « le mari est la tête », l’Apôtre ne dit pas que le Christ est la tête du mari. Le Christ est la tête de l’Église. Et, si l’Église se soumet à lui, c’est parce qu’elle reconnaît en lui « le Sauveur » aimant. Le Christ ne rabaisse pas l’Église dans une soumission craintive. Au contraire, par le baptême, comparé au bain nuptial, il la met en valeur en lui offrant le rayonnement de sa propre sainteté. Tel est le modèle qui doit inspirer l’époux. Son épouse sera pour lui aussi précieuse que son propre corps qu’il aime et respecte. Notons que, dans les codes gréco-romains, on ne trouve guère le devoir pour l’époux « d’aimer sa femme ». Au contraire, l’homme qui manifestait en public de la tendresse pour sa femme passait pour un « mou ».

  Au reste, le projet biblique du mariage (Genèse 2, 24) suppose que l’homme s’arrache à l’emprise de son clan pour se consacrer à sa femme. Le but est celui d’une unité, littéralement« une seule chair », non d’une domination de l’un sur l’autre.

 

 

 

Jean 6, 60-69 (« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. « )

 

A la fin de ce discours sur le Pain, « les Juifs » disparaissent. Le débat se concentre sur les réactions des disciples de Jésus eux-mêmes. En invitant à s’assimiler sa chair et son sang, Jésus n’a pas cessé de se présenter comme la Parole de Dieu qui apporte la vie. C’est maintenant l’heure du choix (cf. 1ère lecture).

  L’évangéliste joue sur deux tableaux. D’une part, il rappelle les oppositions que Jésus rencontra durant sa mission terrestre. D’autre part, il s’en prend à certains chrétiens de son temps dont la foi n’est pas à la hauteur de ce que l’on doit voir dans le Christ. Le débat, imputé aux autorités juives, a été lancé en Jean 5, 18 en cette accusation : Jésus « appelait Dieu son propre père, se faisant égal à Dieu ».

Les récriminations des disciples

Des récriminations des Hébreux du désert (Exode 16) et de celles de Juifs devant la révélation du Pain de vie, on aboutit à la fermeture de certains disciples. Dans le langage de Jean, ne pas « entendre », c’est refuser la foi. « Cela vous scandalise ? », demande Jésus. Une nouvelle idée surgit, la préscience de Jésus. Il sait qui ne croit pas et qui « le livrera », c’est-à-dire Judas, un proche, « l’un des Douze » (verset 71). Ce thème souligne que le Révélateur de Dieu se soumet à l’accueil et au refus des libertés humaines et que cette disponibilité d’amour inclura l’acceptation de la Passion.

L’ascension du Fils de l’homme

La Parole de Dieu ne retourne pas vers le ciel sans avoir accompli sa mission, disait Isaïe 55, 11. Ainsi le Fils de l’homme montera vers Dieu, « là où il était auparavant », dans son éternité (« au commencement était le Verbe », Jean 1, 1). Ce départ s’opérera par la croix, par une disparition, une absence. Dès lors le problème de la foi se posera avec plus d’acuité encore : comment pourrait-il prétendre apporter la vie, celui qui aura subi la mort et a disparu ? Jésus laisse à jamais la question ouverte.

Les paroles de Jésus, esprit et vie

Le tort des mal-croyants n’est pas de prendre les paroles du Maître comme une incitation à l’anthropophagie, mais de raisonner selon « la chair », c’est-à-dire selon leur condition terrestre, précaire et bornée. La parole du Christ vient d’en haut. Elle requiert une ouverture à l’Esprit de Dieu et au désir d’une vie qui nous libère à jamais des pesanteurs mortelles de la chair. Jésus accepte qu’on se ferme à son message. Et, rappelant le verset 44, il répète que nul ne peut venir à lui, sinon celui qui se sera ouvert au don de Dieu, au Père qui conduit les hommes vers son Fils. Il ne s’agit pas d’une prédestination, mais d’une action de grâce qui fait partie intégrante de la foi : celui qui croit en Jésus doit rendre grâce au Père qui l’a conduit vers Jésus, le Saint de Dieu.

La confession de foi de Simon-Pierre

C’est l’heure du choix. Jean songe aux chrétiens qui, de son temps, abandonnent l’Église par manque de foi devant le caractère déconcertant de l’Évangile. Ici, Pierre ne parle pas en chef de l’Église, à la différence de Matthieu 16, 16-19. Car, dans la communauté ecclésiale de Jean, il n’y a pas de chef. Ici, Simon-Pierre s’exprime comme le modèle des vrais croyants : « Nous croyons », déclare-t-il, au pluriel. Il adhère à Jésus, Parole de Dieu, « de la vie éternelle ». Il apporte la réponse que Jésus attendait. Il ne rabâche pas une foi apprise au Fils de l’homme ou au Messie. Il salue, à sa manière, « le Saint de Dieu », celui que Dieu a consacré pour sa mission (cf. Jean 10, 36 ; 17, 19). La liturgie s’arrête là. En réalité, le passage se conclut par l’annonce de la trahison de *Judas (versets 70-71). Car la foi doit aussi accepter la Passion et en comprendre le sens.

* Judas. « Sans doute un petit groupe demeure-t-il fidèle, mais en son sein se trouve un homme, un vrai diable, qui finira par trahir le Maître. À travers des auditoires successifs (foule, juifs, disciples, Douze), le narrateur présente une expérience toujours actuelle : la difficulté pour l’homme de demeurer ouvert à la nouveauté de Dieu. D’ordinaire, chez Jean, foi et non-foi signifient vie et mort. Ici Jésus éclaire le devenir de la foi en elle-même : celle-ci advient dans une rencontre, une synergie, entre Dieu qui attire et l’homme qui accueille » (X. Léon-Dufour).

 

 

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