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22ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 14, 1.7-14

 

C’’est une chose bien connue que les manières de table sont le lieu privilégié d’expression d’une culture ou d’une civilisation. C’est pourquoi, aujourd’hui, quand on va au restaurant ou dans un self-service, on sait qu’il y a une différence dans le menu, non seulement par la finesse des plats qui sont préparés, mais selon qu’on est servi dans des assiettes en plastique ou des assiettes en porcelaine à filet doré ou bien que l’on a des fourchettes en plastique ou de l’argenterie Louis XV.

En réalité, si les manières de table ont une telle importance, ce n’est pas simplement pour étaler un luxe et impressionner les invités. Les manières de table sont d’abord un rite de société : elles révèlent la manière dont nous nous abordons les uns les autres ou peut-être plus fondamentalement dont nous nous accueillons les uns les autres. Ceci est un vieil héritage de l’humanité et il n’est pas étonnant que lorsque le Seigneur est venu parmi nous, Il se soit permis de donner son avis sur cette question-là.

P1130846La convivialité, la joie d’être à table, ce n’est pas simplement la joie de manger ensemble des bonnes choses, mais c’est aussi un moment intense de l’existence humaine dans lequel nous nous accueillons les uns les autres. C’est pourquoi, au lieu de donner quelques préceptes qui pourraient davantage relever du registre culinaire, le Christ donne plutôt quelques conseils qui relèvent du registre de l’accueil. Ces conseils sont au nombre de deux. 

Le premier est de ne pas rechercher les premières places. Quand un homme invite, dans le monde sémitique, cela veut dire que l’espace familial dans lequel il vit habituellement s’ouvre à un certain nombre d’hôtes, d’amis qui y répondent. Par conséquent l’invitation c’est une sorte de mise à disposition de la convivialité, de l’espace privé de la maison à un certain nombre de gens qui précisément reçoivent l’appel à venir partager la joie, la communion, la fête. Par conséquent il est très important que le jeu de l’invitation se fasse jusqu’au bout, que les invités ne profitent pas de cette offre d’entrer dans la maison de celui qui les accueille pour y prendre leur place à leur gré. En réalité, le fait d’être invité ne signifie pas une prise de possession, ni que désormais chacun des invités va gérer cette possibilité qui lui est offerte de s’asseoir à la table. Il faut que l’invitation se fasse jusqu’au bout. On ne prend pas sa place avant que le maître de maison l’ait véritablement donnée, offerte, que, d’une certaine manière le maître de maison ait été aussi le maître de l’agencement de la communion des invités. C’est sans doute là l’erreur de ceux qui se précipitent sur les divans des premières places, dans la salle du banquet en se disant : « Chic alors, je vais avoir les premières places, et surtout le buffet ».

En réalité ils n’ont pas compris qu’ils étaient invités. Ils n’ont pas compris que c’était par pure grâce de la part du maître de maison qu’ils pouvaient entrer, avoir accès à cet espace privé qui est le lieu même de la fête qu’il ouvre à ceux qu’il considère comme ses amis. Autrement dit, ils ont trahi le sens de l’amitié qui fondait l’invitation. Il n’y a aucun droit à « une place déterminée » lorsque les hommes sont invités à la table de Dieu. Il n’y a pas de prérogative, il n’y a pas de mérite qui ferait valoir des fauteuils d’orchestre et non pas des loges de poulailler. Il n’y a qu’une offre fondamentale de la part du maître de maison pour dire : « Venez dans ma maison ! » Mais après, par le fait même d’entrer et de répondre à l’invitation, on est à la merci du maître de maison qui, lui-même, vous fonde dans la communion de tous les invités et de tous ses amis.

Ce n’est pas non plus un encouragement à ces espèces de fausse modestie des publicains qui restent toujours au fond des églises, mais c’est plus profondément le fait que, lorsqu’on est invité, on ne peut pas imposer sa propre personne : tout le mystère de l’invitation c’est que celui qui vient, celui qui est invité est reconnu, accueilli, et même célébré personnellement par le maître de maison. C’est le mystère même de Dieu. Dieu est un maître de maison qui nous invite à son banquet et à son festin. Dieu Lui-même donne du prix à la personne de ses invités uniquement et gratuitement en fonction de son amour.

 Mère Théresa

C’est la raison pour laquelle la deuxième petite parabole s’enchaîne si rigoureusement avec la première. Le Christ dit : « Quand tu invites, invite ceux qui ne peuvent pas « rendre » la pareille ». Non pas simplement pour montrer que tu es plus généreux que d’autres, mais pour montrer véritablement le sens de l’invitation. Le sens de l’invitation, cela veut tellement dire que c’est le maître lui-même qui devient le porteur de la communion, de la relation entre tous les hommes, qu’il faut que cette relation et cette invitation soient les plus gratuites et les plus généreuses possibles pour montrer que le principe d’unité, de communion entre tous les invités vient vraiment du maître et du maître seul : finalement, une invitation est toujours à fonds perdus, il ne faut pas attendre la réponse. Il faut inviter les pauvres, les estropiés et les boiteux, non pas pour organiser des soupes populaires, mais parce que le geste même de l’invitation n’exige pas une sorte de réciprocité. Pour que la réciprocité vienne ensuite, il faut d’abord qu’il y ait une gratuité fondamentale pour accueillir le cœur de l’autre et la personne de l’autre. 

st sacrement2C’est pourquoi chaque fois que nous célébrons l’eucharistie nous vivons la plupart du temps, hélas sans nous en rendre compte, ces lois fondamentales de l’hospitalité. C’est exactement le principe de la table eucharistique. Aucun d’entre nous n’a plus droit qu’un autre à l’eucharistie. Et vous savez, à certains moments, à quel point il y a eu des ambiguïtés sur le fait de se croire digne de l’eucharistie ou de ne pas l’être. Personne, absolument personne n’est digne de l’eucharistie. Et souvent hélas, ceux qui s’en croient dignes ne sont pas les plus dignes. Personne n’est digne de l’eucharistie parce que l’eucharistie est une invitation du Christ qui nous donne notre place dans la communion des enfants du Père. Par conséquent nous n’avons aucun droit à la réclamer. Commencer à vouloir la réclamer ou avoir ses places à l’eucharistie, c’est commencer à fausser le jeu même de l’invitation du maître de maison. Si nous ne vivons pas dans cette radicale gratuité de l’invitation du maître de maison, si nous faussons le jeu des invitations, nous faussons la communion de l’Église, nous faussons le visage de l’Église.

Nous n’avons pas à nous précipiter aux premières places car c’est Dieu qui donne du prix à notre vie, à notre cœur et à notre existence. C’est Dieu qui accueille et c’est Lui qui nous donne notre propre place dans son cœur. Par conséquent, ce n’est pas une affaire de conquête. Et la deuxième chose, c’est que chaque fois que nous sommes invités au repas du Seigneur, Il invite ces hommes que nous sommes, et nous sommes des pauvres, des boiteux, des aveugles, incapables de rendre la pareille à notre Dieu. C’est Dieu Lui-même qui nous accueille et le don de son corps et de son sang est un don gratuit, à fonds perdus. Et c’est précisément à cause de la gratuité du don de Dieu que nous pouvons vivre nous-mêmes en action de grâces. 

Qu’à travers ces paraboles apparemment si simples, de bon sens, j’allais dire presque de convenances, nous ne restions pas à une lecture superficielle, mais que nous y découvrions un des aspects les plus fondamentaux de notre propre situation lorsque nous venons recevoir le corps et le sang du Seigneur. Amen.