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25ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 20 septembre 2015

Sagesse 2, 12.17-22 (Condamnons-le à une mort infâme)

Les impies qui se détournent de la sagesse prononcent ici un discours contre le juste, avant que l’auteur du livre dénonce leur erreur funeste, leur condamnation, et le triomphe des justes qui, passées les épreuves, goûteront une immortalité victorieuse (Sagesse 2, 21 – 3, 12).

  Notons le jeu subtil du pluriel et du singulier : le juste est seul dans l’épreuve ; « ceux qui méditent le mal » contre lui sont nombreux. Mais, dans l’heureux dénouement, « les âmes des justes » (Sagesse 3, 1) deviennent plurielles. Expérience des justes qui, en tous les temps, se sentent minoritaires et, cependant, gardent l’espérance. Le même jeu grammatical se trouve déjà dans le Psaume 1, avec le retournement final du verset 6.

  Le juste reproche à ses détracteurs d’avoir abandonné « la Loi » et, littéralement, leur « éducation ». Ce dernier mot revient plusieurs fois dans le livre, sous la plume de l’auteur qui écrit peu de temps avant notre ère dans la grande cité d’Alexandrie. Ceux qu’il dénonce ici ne sont donc pas des païens, mais des Juifs qui ont abandonné leurs traditions culturelles et religieuses au profit d’idéologies grecques matérialistes.

  Se comprend alors leur attitude. Dans « l’apostasie », dans l’abandon de la foi, il y a souvent une mémoire coupable du passé et une sorte de rancœur à l’égard de celui qui est resté fidèle à son « éducation ». Cette animosité se fait alors persécution cynique. Puisqu’il compte sur Dieu, testons-le ! Qui aura raison : lui qui compte encore sur un Être mythique ? Nous qui avons choisi une totale liberté ?

  Entre d’autres termes forts qui mériteraient l’examen, relevons cette proposition conditionnelle : « Si le juste est fils de Dieu… ». Parmi diverses significations de l’expression fils de Dieu dans l’Ancien Testament (le messie, Israël, les anges…), elle désigne ici le juste opprimé qui, comme un petit enfant jeté du haut d’un mur par des méchants, ne se confie que dans son père qui, en bas, le recevra forcément dans ses bras. C’est en ce sens qu’au Golgotha, selon Matthieu, les adversaires de Jésus ironisent sur son titre de fils de Dieu (Matthieu 27, 42). C’est aussi pourquoi la liturgie d’aujourd’hui prend le Livre de la Sagesse pour éclairer dans notre page d’évangile la deuxième annonce de la Passion.

Jacques 3, 16 – 4, 3 (C’est dans la paix qu’est semée la justice)

Peut-on résumer cette page de « l’encyclique » attribuée à Jacques (cf. Jacques 1, 1) ? Le lectionnaire a omis trois versets (Jacques 3, 13-15) insistant sur la différence radicale entre la sagesse divine et la sagesse humaine, un passage qui semble mettre en cause certains dirigeants des communautés auxquelles s’adresse l’auteur. Dans le texte d’aujourd’hui, nous distinguons deux vagues. La première conclut ce discours omis par la liturgie. La seconde, à partir de la question « d’où viennent les guerres », est une exhortation plus directe. La logique de l’ensemble présente un certain flou, car il puise dans des traditions catéchétiques antérieures.

  1. La première vague présente une liste de vices et de vertus qui s’inspire des exhortations apostoliques. Les défauts qui perturbent la vie communautaire se trouvent déjà en 2 Corinthiens 12, 20 ou Galates 5, 19-22. La vertu de ceux « qui font la paix » rappelle la béatitude de Matthieu 5, 9 ; mais le lien entre la justice et la paix relève aussi de l’Ancien Testament.

  2. Les « guerres » qu’évoque la seconde partie ne concernent pas les relations internationales, mais les rapports entre chrétiens. La convoitise et la jalousie qui déchirent la communauté sont par essence meurtrières, parce qu’elles recouvrent des désirs démesurés qui, irréalisables, entraînent la violence du dépit.

  Dans ce contexte, l’auteur introduit le motif de la prière. « Les prières sont mauvaises lorsque leur objet, au lieu d’être primordialement subordonné à la volonté de Dieu (…), vise les seuls désirs personnels ou égoïstes » (J. Cantinat). Le début de l’épître indiquait que la vraie prière est celle qui demande à Dieu la sagesse (Jacques 1, 5-8). La fin louera la prière en toute circonstance, « la supplication fervente du juste », et donnera pour modèle le prophète Élie (Jacques 5, 13-18).

Marc 9, 30-37 (Deuxième annonce de la Passion et appel à l’humilité)

Ici commence le grand moment de « la section du chemin » construite par Marc. Il s’agit d’un discours communautaire, l’invitation à une conversion des relations entre les disciples. Si autrefois les auditeurs de Jésus formaient un cercle (Marc 3, 32-35), ce cercle s’est brisé et la vie chrétienne devient un cheminement à la suite du Crucifié. Telle est l’orientation de ces chapitres (Marc 9, 30 – 10, 52) qui nous tiendront en haleine pendant six dimanches.

Le chemin

Notre texte mentionne deux fois un déplacement et deux fois « le chemin ». Ce sera un chemin de conversion proposant de sortir de l’aveuglement. De manière symbolique, cette mise en scène s’achèvera en épilogue par l’illumination de Bartimée : « Aussitôt l’homme se mit à voir et il suivait Jésus sur le chemin » (10, 52).

La Passion

Pour la deuxième fois Jésus annonce sa Passion. La troisième et dernière annonce se trouvera en Marc 10, 32-34, et tout le discours communautaire aura été construit entre ces deux annonces. Cet encadrement a un sens profond et reflète la théologie de saint Paul : pour vivre en chrétien, il faut mourir avec le Christ pour ressusciter avec lui (voir Romains 6, 5).

  Pour l’heure, c’est une confidence adressée aux seuls disciples proches, les Douze, puisque Jésus veut qu’on ignore son voyage à travers la Galilée ; mais ces derniers ne comprennent pas le message de mort et de vie qu’il leur délivre. Pire encore, ils ont peur, peur de l’interroger, un motif qui reviendra de manière plus dramatique en Marc 10, 32. En ménageant ce climat de crainte, l’évangéliste veut, à l’adresse de ses lecteurs, souligner le sérieux et la gravité du discours de Jésus.

  Constatons que Jésus ne dit pas : Je suis livré, mais « le Fils de l’homme est livré ». L’expression est volontairement ambiguë. Elle implique à la fois un « parce que » et un « bien que ». Parce que Jésus est un fils d’homme, appartenant pleinement au genre humain, il va vers la mort qui est l’issue commune. Mais l’expression « Fils de l’homme » désigne, dans les apocalypses juifs, un mystérieux personnage céleste à qui Dieu confie le jugement final de l’univers. Ainsi, bien que conscient de cette dignité, Jésus accepte sa mort.

Le plus grand ?

« En chemin », sur le chemin de l’enseignement de Jésus, les disciples ont discuté pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand et, d’après leur silence devant la question de Jésus, ils en ont quelque honte. La déclaration de Jésus est solennelle, puisqu’il s’assied, en maître qui enseigne, et elle signifie un renversement des valeurs. Aux yeux de Dieu, le plus grand n’est pas celui que l’on considère comme tel ou qui veut être tel. La domination sur les autres doit se renverser en service de tous, à la dernière place. Dans le dialogue avec Jacques et Jean, en forme d’épilogue au discours communautaire, Jésus reprendra les mêmes formules et avancera son propre exemple : donner sa vie (Marc 10, 43-45).

  Ici, pour illustrer son enseignement, il place un petit enfant – « un petit gars », comme on pourrait traduire le mot grec – au centre du groupe des grands. L’enfant devient le centre… Relevons un détail : « il l’embrassa. » Dans le monde culturel ancien, un maître aussi célèbre que lui ne montre pas en public, sans faire rire, un signe gratuit d’affection pour les enfants. Dans certaines cultures d’aujourd’hui, on écarte à gentils coups de cailloux les gamins qui s’approchent trop d’une réunion d’adultes. Comparer la réaction des disciples en Marc 10, 13. La leçon est celle-ci : se faire le serviteur de tous peut s’exprimer par le renoncement du pouvoir attribué communément aux adultes vis-à-vis des petits, un pouvoir que Paul cite, sans moraliser, comme un fait avéré dans son monde sémitique : « Aussi longtemps qu’il est un enfant, l’héritier, quoique propriétaire de tous les biens, ne diffère en rien d’un esclave » (Galates 4, 1).

  Jésus ne donne pas une leçon de science pédagogique, en cette scène qui est une parabole. Il veut désarmer la volonté de puissance, de domination. Il se réfère à la notion d’accueil et, pour cela, il établit une certaine équivalence entre l’accueil bienveillant fait à l’enfant, à lui-même et à Dieu qui l’a envoyé pour délivrer ce message.