27ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 4 octobre 2015

Genèse 2, 18-24 (Tous deux ne feront plus qu’un)

Ce passage du début de la Genèse appartient au second récit de la création qui s’inspire des mythes égyptiens sur le dieu potier façonnant l’être humain. Dans la deuxième partie de cet épisode, le Seigneur offre à l’homme une compagne. Dans l’antique culture méditerranéenne de l’auteur biblique, la femme est souvent considérée comme inférieure à l’homme et parfois presque au rang de l’animal. Notre passage prend le contre-pied de ces conceptions. Si Adam peut nommer les animaux, faisant ainsi de par le Seigneur acte de propriété et de domination, il ne trouve en eux « aucune aide qui lui corresponde ». Une expression qu’une version araméenne de la Bible traduira par cette formule : « aucune partenaire semblable à lui. »

  La femme sera pour le mâle un cadeau gratuit de Dieu ; elle est tirée de la même nature que lui. Elle est « l’os de mes os », déclare Adam, c’est-à-dire, selon le langage sémitique ancien, ma substance même. La langue hébraïque accentue d’ailleurs cette parenté, puisque « l’homme » se dit îsh et « la femme » ishâh.

  En outre, on notera la critique du système patriarcal, si persistant en maintes cultures d’aujourd’hui : l’homme quittera son clan familial, si étouffant trop souvent, et, avec son épouse, il formera un couple autonome. Contrairement à un certain discours ecclésiastique mettant en avant, comme dans le judaïsme ancien, le devoir de procréation, ce second récit de création souligne simplement la beauté de *la vie conjugale : « Ils deviendront une chair unique ». Cette première lecture veut éclairer la leçon de Jésus sur l’indissolubilité du mariage.

* La vie conjugale. « Le mariage unit les corps et les âmes ; il mêle deux esprits et confond deux chairs. Comment te séparer sans tourment de celle que tu as nouée à ta vie, non point servante d’occasion, mais sœur, mais épouse ? Sœur selon la création et les origines. Vous êtes tous deux faits du même limon, de la même argile. Épouse, par le lien conjugal et le code du mariage. Quel nœud vas-tu trancher, toi qu’attachent la loi et la nature ? Comment oseras-tu trahir les serments que tu as prononcés le jour de tes noces ? (Astère d’Amasée [5e siècle]).

Hébreux 2, 9-11 (Jésus, notre Sauveur et notre frère)

Pendant sept dimanches, en cette fin d’année liturgique, nous lisons en lecture semi-continue des extraits de « la lettre aux Hébreux » Au vrai, ce texte n’est pas une « épître », malgré une formule épistolaire finale « bidon » (Hébreux 13, 23-25). Il s’agit, en fait, d’une homélie, d’une circulaire.

  Lorsqu’on présente Jésus comme Christ, « Messie », on se rappelle que, dans l’Ancien Testament, le mot messie signifie oint par l’huile et que l’onction peut évoquer trois personnages, trois figures : le roi, le prophète et le grand prêtre. Les évangiles se sont concentrés sur les figures royale et prophétique pour présenter Jésus comme Messie. Apparemment, seul l’auteur de la Lettre aux Hébreux s’est risqué à présenter Jésus comme Messie en tant que grand prêtre juif, grand prêtre par son entrée dans le sanctuaire du ciel à travers sa Passion et sa Résurrection. Ce texte peut sembler difficile pour celles et ceux qui s’avouent légitimement ignorants des rites juifs anciens. Mais, en même temps, par le biais de la figure humaine du grand prêtre, aucun autre auteur du Nouveau Testament n’a autant souligné la fraternité du Christ, * notre médiateur médiateur de notre humanité. Judaïsant que je suis, l’auteur de cet écrit… est mon ami !

  La lecture d’aujourd’hui commence par une citation, selon la Bible traduite en grec, du Psaume 8 qui chante la gloire de l’homme dans la création : « Tu l’as fait un peu au-dessous des anges. » Mais, par sa résurrection, le Christ a été élevé au-dessus des anges. Il est le seul à avoir réalisé, le premier, la beauté de la vocation humaine. Il nous précède dans « la gloire et l’honneur ». Il nous précède, parce qu’il est, en frère, « de la même race que nous ».

* Notre médiateur. « Ô Seigneur médiateur, Dieu plus haut que nous, homme à cause de nous, je reconnais ici ta miséricorde. Car, que toi, qui es si grand, tu sois ainsi troublé par une attention de ton amour, cela console bien les membres de ton corps, qui sont troublés par leur faiblesse, et cela les empêche de désespérer et de périr » (Saint Augustin).

 

Marc 10, 2-16 (Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !) 

En son plein milieu, nous voici dans le discours de Jésus « sur le chemin », selon le montage de l’évangile de Marc. Ce discours n’évoque nullement des problèmes de prière ou de sacrements, mais seulement la question des relations humaines au sein de la communauté chrétienne qui, par sa conversion, acceptera et suivra le chemin de croix de Jésus. Vu le statut de mineure sociale de la femme dans le monde juif où vivait Jésus, on comprend le jumelage établi par le texte entre la situation de la femme et celle des petits enfants.

La question du divorce

Les pharisiens invitent Jésus à se situer dans une querelle académique sur l’interprétation de Deutéronome 24, 1 concernant l’acte écrit de divorce. En fait, ce texte de l’Ancien Testament défendait le droit de la femme renvoyée par son mari, en disant que le document officiel de répudiation interdisait à l’homme tout droit de propriété à l’égard de son ex-épouse, devenue libre à jamais de se « recaser ». Mais, au temps du Christ, ce texte biblique faisait l’objet d’une autre question : sous quel prétexte peut-on divorcer de son épouse ? Selon l’école du maître juif Shammaï, on ne peut renvoyer sa femme qu’en cas de flagrant d’adultère. Selon l’école de Hillel, on peut se séparer d’elle sous le simple prétexte qu’elle a manqué la cuisson d’un plat (sic !).

  Jésus refuse de se placer sur ce terrain de la casuistique. Il en revient au projet fondamental du Créateur, l’indissolubilité de l’union matrimoniale (cf. 1ère lecture) : « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » Ce verbe « unir » devrait se traduire plus littéralement par ceci : « ceux que Dieu a mis sous le même joug », comme deux bœufs attelés ensemble, selon une formule de style que l’on appelle en littérature moderne le « zeugma ».

  Pour Jésus, le couple est tellement infrangible que le remariage équivaut à un adultère. Deux points doivent ici retenir l’attention. D’une part, le Nouveau Testament souligne le caractère conjugal du mariage, sur la base de Genèse 2, 34 : « Ils seront une seule chair », alors que les maîtres juifs anciens fondent leur morale matrimoniale sur le commandement de la procréation – ils en font de fait un commandement : « Croissez et multipliez » (Genèse 1, 28). D’autre part, écrivant au sein du droit romain, Marc envisage aussi le divorce sur l’initiative de l’épouse (« si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre… »). Ce cas était impensable en milieu palestinien où la répudiation ne pouvait venir que du mâle. C’est pourquoi Matthieu 19, 1-9 élimine cette précision de Marc. En outre Matthieu ajoutera le motif du célibat vécu pour le service du Royaume des Cieux (Matthieu 19, 10-12).

Parole juridique ou parole prophétique ?

En notre monde où les divorces sont fréquents, souvent, hélas, pour des raisons vitales, en ce monde de familles recomposées, comment comprendre les paroles du Seigneur ? Quand il dit : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus » (Matthieu 22, 14), nous comprenons qu’il s’agit d’une interpellation prophétique invitant à la conversion, et non d’une condamnation juridique. Qu’en est-il des paroles de Jésus sur le divorce ? Très tôt, les Églises les ont prises en un sens juridique ; à commencer par Matthieu 19, 9 : « Quiconque renvoie sa femme – sauf pour impudicité – et en épouse une autre, est adultère », et les historiens s’interrogent sur le sens du mot énigmatique « impudicité » qui déjà modère l’indissolubilité matrimoniale. Jésus voulait-il imposer une législation ou voulait-il livrer un idéal prophétique, pas toujours possible, à cette union du couple ? La question reste ouverte.

Les petits enfants

Dans le monde oriental ancien, un Rabbi tel que Jésus ne doit pas s’abaisser à accueillir en public des marmots et à les embrasser. D’ailleurs, les disciples veulent sauvegarder sa dignité (ils « les écartèrent vivement »). Le Royaume de Dieu appartient aux petits enfants. Ceux-ci, dans le monde culturel de Jésus, ne sont pas un symbole d’innocence, mais de dépendance des adultes et de naïveté. À l’évidence, ils ne comprennent rien au « Royaume de Dieu ». Nous non plus, adultes ! Qu’il nous suffise de faire confiance à Jésus qui nous accueille en ce Royaume. Par la phrase « ne les empêchez pas », l’Église antique a justifié le baptême des bébés.

  Dans notre culture occidentale où l’enfant est roi, on s’interrogera par rapport au monde dans lequel le Christ a vécu. Les petits que nous méprisons ne sont pas forcément les mouflets, sauf en cas d’abus évidents. Le sort de la femme et de l’homme qu’en parallèle Jésus défend, dans le problème du divorce, est-il toujours d’actualité ?

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