28ième dimanche du temps ordinaire par P. Claude TASSIN (Spiritain)

  Commentaires des Lectures du dimanche 11 octobre 2015

Sagesse 7, 7-11. (À côté de la Sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse)

Sous la plume d’un écrivain juif anonyme  d’Alexandrie, au milieu du 1er siècle avant notre ère, c’est l’antique roi Salomon qui est censé s’exprimer. L’écrivain reprend ici le célèbre passage du 1er Livre des Rois (3, 4-15) où, dans un songe à Gabaon, le jeune souverain ne demande au Seigneur ni richesse ni pouvoir, mais seulement la sagesse. Cependant, pour l’auteur de notre livre alexandrin, écrit en un très beau grec, la sagesse n’est plus seulement une qualité intellectuelle et morale. Elle est devenue presque une personne divine, une figure que le christianisme identifiera au Christ et à l’Esprit saint (voir déjà Sagesse 1, 4-5). La basilique Sainte Sophie de Constantinople n’était pas dédiée à quelque sainte, mais au Christ « Sainte Sagesse » de Dieu. Sous un autre aspect complémentaire, rappelons en effet qu’en grec la sophia (Sagesse) est un terme féminin et l’auteur, en sa quête de celle-ci, parle d’elle comme d’une femme désirée et aimée, même au-dessus de la santé et de la beauté.

  Dans ces conceptions, Dame Sagesse relève à la fois d’un talent naturel de l’homme (Sagesse 8, 19-21) et d’un don de Dieu qui ne s’obtient que par la prière, comme dans le fameux chapitre où le poète s’adresse au Dieu des pères et Seigneur de tendresse, en ces termes « Donne-moi la Sagesse qui partage ton trône » (Sagesse 9, 4). Différent du roi historique qui a fini son règne dans la luxure, ce Salomon réinventé préfère le don de la Sagesse à toutes les autres richesses.

  Cette lecture veut préparer notre passage d’évangile dans lequel l’homme riche qui refuse de quitter ses « grands biens » pour suivre le Christ Sagesse qui l’y invitait avec affection.

Hébreux 4, 12-13 (Elle est vivante, la parole de Dieu)

Ces deux versets forment la conclusion d’une homélie basée sur le Psaume 94 [95], surtout sur les versets 7-8 du poème : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur comme au temps du défi » Selon le prédicateur, l’avertissement vaut encore pour les chrétiens auxquels il s’adresse en ces termes : « Nous avons reçu une Bonne Nouvelle, comme ces gens_là ceux (qui étaient sortis d’Égypte) ; cependant la parole entendue ne leur servit à rien, parce qu’elle ne fut pas reçue avec foi par ses auditeurs » (Hébreux 4, 2).

  Dans ce cadre, la Parole de Dieu est une réalité vivante, active, efficace. Elle a un lien très fort avec le Christ, puisque, selon notre auteur, « dans les jours où nous sommes, il nous a parlé par le Fils… » (Hébreux 1, 2). Cette parole n’est pas un phénomène vocal, mais un message qui pénètre en nous et nous engage, en révélant notre foi ou notre non-foi.

  Elle a alors une fonction judiciaire, comme le montre l’épée à deux tranchants, pouvant frapper de tous côtés et symbolisant, à l’origine, le pouvoir du magistrat, comme la balance à deux plateaux de notre symbole de la justice.. À propos de l’intervention divine, dans la nuit de la Pâque, nuit de la sortie d’Égypte, le Livre de la Sagesse avait déjà utilisé cette image : « Du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal (…) portant pour épée acérée ton irrévocable décret. » Dans les visions de l’Apocalypse, cette épée acérée, instrument du jugement final, apparait dans la bouche, dans la parole du Christ ressuscité (Apocalypse 1, 16 ; 2, 12).

  Certains, pacifistes dans l’âme, se choqueront peut-être de voir la Parole divine assimilée à un glaive. Mais, dans cette image et selon la contexte biblique général, il faut lire l’inverse de cette première impression. Le vrai sens honnête, est celui-ci  : Dieu ne veut avoir pour glaive envers les humains que sa Parole, et non celui de ses légions célestes. C’était déjà, en Isaïe 11, 5 à 9, le portrait du Messie pacifique idéal qui éradiquerait les méchants seulement « par le bâton de sa bouche » et « par le souffle de ses lèvres », et qui ferait en même temps que « le loup habite avec l’agneau ».

  Reste l’essentiel dans ce message de la Lettre aux Hébreux : la Parole entendue ne se contente pas de bons sentiments superficiels. La foi authentique accepte de ne prendre pour critère décisif de conduite que la Bonne Nouvelle qui juge l’hypocrisie ou la passivité, qui « pénètre au plus profond de (notre) âme » et qui « juge des intentions et des pensées du cœur ».

Marc 10, 17-30 (Vends ce que tu as et suis-moi)

Nous lisons toujours le discours communautaire de Jésus tel que Marc en fait le montage dans sa « Section du chemin » (Marc 9, 30 – 10, 52). Dimanche dernier, il prêchait une conversion des relations entre hommes et femmes, entre adultes et enfants. Aujourd’hui, après un nouveau départ géographique, il en vient à la relation entre la richesse et la pauvreté, envisagée sous trois angles. D’abord la rencontre avec celui qui « avait de grands biens ». Elle introduit deux retombées : un premier bref discours du « bon Maître » sur la richesse ; puis une promesse pour ceux qui l’ont suivi.

La rencontre

Celui qui vient à Jésus, avec sa question, est chez Marc, en grec, simplement « quelqu’un », sans nulle identité. Selon leur réinterprétation respective de la mission de Jésus, les héritiers de Marc feront de lui, chez Matthieu (19, 20), « un jeune homme », élève des rabbis et cherchant, entre différentes écoles juives, sa voie de futur enseignant ; et chez Luc (18, 18), un « notable ».

  « Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » Personne ne niera que Jésus soit un « bon Maître ». Dans la réponse étonnante de Jésus, nous reconnaissons l’ironie coutumière de Marc. : Si tu me dis « bon », c’est que tu vois en moi quelque chose de Dieu… Le Maître rappelle à son interlocuteur les commandements de la deuxième table (cf. Exode 20, 12-17), ceux qui concernent les relations avec le prochain, comme il convient dans ce discours de Marc portant sur la vie communautaire.

  Marc ménage ses effets. À la fin, on apprend que cet homme est très riche. Pour l’heure, Jésus se trouve pris d’affection pour celui qui depuis toujours a observé ces commandements et qui, cependant, reste insatisfait dans sa quête religieuse. Voilà pourquoi il se voit proposer un « plus » : tout quitter pour suivre Jésus et le suivre en une annonce itinérante du Royaume dénuée de toute sécurité matérielle. Si bien disposé au départ, l’homme se dérobe. Le projet de vivre dans l’intimité du bon Maître et de sa mission ne fait pas le poids face à la sécurité de « grands biens ». L’homme a situé sa demande sur le plan de l’héritage de la vie éternelle. Jésus lui répond sur le même plan, en lui adressant, avec une affection spécifique, un appel personnel. Le récit ne s’intéresse en rien au salut à venir de ce déserteur . D’une part, « tout est possible à Dieu », déclare Jésus, à l’adresse de bien des gens qui ne l’ont pas suivi. D’autre part, sous la plume de l’évangéliste, l’épisode n’était qu’un prétexte introduisant la leçon sur la richesse.

La leçon

Le regard circulaire de Jésus, dans la mise en scène de l’évangéliste (comparer Marc 3, 34), signifie son attention particulière au cercle de ceux qui boivent ses paroles. Ici, Jésus ne condamne ni l’argent malhonnête ni la richesse en général, mais l’attachement tel à la richesse que l’on ne voit plus d’autre valeur dans la vie. Quand la richesse prend tout l’horizon, on ne peut plus rien voir des valeurs exigeantes et libératrices du Royaume de Dieu. C’est pourquoi Jésus s’exprime à travers une hyperbole : le chameau, en sa grosseur, ne passe pas par le trou d’une aiguille ; le riche obnubilé par ses biens, en sa grosseur, ne passe pas davantage par l’entrée étroite dans les valeurs du Royaume.

  On comprend que les auditeurs soient stupéfaits, déconcertés. Ils vivent dans un monde où la richesse signifie la bénédiction de Dieu. Alors, si Dieu ne respecte plus ce postulat, « qui peut être sauvé ? ». Jésus reconnaît que son discours était une hyperbole et que, malgré ce renversement des valeurs, Dieu peut sauver même ceux qui ne parviennent pas à ce renversement.

Les Douze et les autres…

Peut-être l’homme qui, au début du récit, rencontrait Jésus, était plus vertueux que les Douze dont Pierre est le porte-parole. Mais eux, au moins, ont franchi le pas et ont suivi Jésus. Marc, en son temps, réaménage les paroles de Jésus en deux leçons.

  1. Dans les premières Églises, des gens se sont vus, parce qu’ils devenaient chrétiens (« à cause de l’Évangile »), rejetés par leur famille païenne, et dépouillés de leurs biens, comme les lois le permettaient à l’égard de ceux qui désertaient le culte de l’État. Mais ces persécutés n’ont-ils pas trouvé, dans la solidarité chrétienne, ce qu’ils avaient perdu, en suivant Jésus ?

  2. Dans sa relecture du message de Jésus, Marc ajoute au problème des biens matériels, celui des liens familiaux. Ce n’est pas seulement la richesse qui risque de prendre tout l’horizon du croyant, mais aussi des liens familiaux excessifs qui peuvent empêcher le chrétien de s’engager à la suite du « bon Maître », dans la logique du Royaume de Dieu qui renverse des valeurs humaines trop communément admises.

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