Genèse 15, 5-12.17-18 (L’Alliance de Dieu avec Abraham)
Dans l’histoire sainte racontée au long du Carême, le 2e dimanche évoque chaque année la figure d’Abraham. Il s’agit, en cette année C, de l’Alliance conclue par Dieu avec le patriarche. Ces extraits liturgiques de Genèse 15 dessinent le scénario suivant :
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Dieu promet à Abraham une descendance innombrable. L’auteur évoque sobrement *la foi d’Abraham.
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Dieu se révèle comme celui qui a fait sortir Abraham de sa patrie pour lui donner « ce pays ». Le patriarche demande une confirmation (« comment vais-je savoir… »).
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Dieu ordonne un sacrifice. Le rite consiste à passer entre les morceaux d’animaux sacrifiés pour appeler sur soi le sort de ces victimes si l’on vient à trahir ses engagements. Abraham écarte du lieu les oiseaux de mauvais augure.
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La frayeur religieuse et le sommeil surnaturel (comme le sommeil d’Adam lors de la création d’Ève, Genèse 2, 21) signifient que Dieu agira seul. De fait, rite inouï, Dieu seul s’engage (Abraham dort !) : il passe entre les quartiers d’animaux, sous les symboles du brasier et de la torche ; il se maudit lui-même, en quelque sorte, au cas où il ne tiendrait pas la promesse qu’il répète solennellement.
C’est la rencontre de deux gratuités : Dieu engage son honneur, sans rien demander en échange, et Abraham croit Dieu sur parole.
* La foi d’Abraham. Genèse 15, 6 dit littéralement : « Abraham crut dans le Seigneur qui le lui compta comme justice. » Il est « juste » aux yeux de Dieu, non pour quelque action méritoire, mais parce qu’il reconnaît Dieu comme Dieu, comme Celui qui fait ce qu’il dit et réalise ce qu’il promet.
Le judaïsme ancien louait la fidélité d’Abraham à « la Loi du Très-Haut » et surtout son obéissance à l’ordre de sacrifier Isaac (cf. Siracide 44, 19-20 ; 1 Maccabées 2, 52).
Saint Paul renversera ce point de vue : la Loi de Moïse n’existait pas au temps du patriarche; ce n’est donc pas pour sa fidélité aux commandements que Dieu l’a déclaré juste. Mais, déjà comme mort et sans descendance, Abraham a cru Dieu capable de réaliser l’impossible, de tirer la vie de la mort, comme nous croyons que Dieu a tiré Jésus de la mort. Par là, Abraham n’est pas le père des seuls Juifs, mais de tous ceux qui, Juifs ou païens d’origine, croient en la promesse de vie inscrite dans la résurrection de Jésus (voir Galates 3, 6-11 et Romains 4).
Psaume 26 (« C’est ta face, Seigneur, que je cherche « )
Ce Psaume se déploie en deux panneaux, peut-être à l’origine deux poèmes différents. Du premier panneau, notre dimanche retient la première strophe. Les trois autres viennent de la seconde partie. La liturgie juive inscrit ce psaume dans les fêtes d’automne qui ont quelque rapport avec le Carême chrétien. Les extraits d’aujourd’hui n’ont pas de lien direct avec les autres lectures qui l’entourent. Ils ont un simple but pédagogique, comme un modèle de prière en notre montée vers Pâques.
Pour ceux et celles qui ont une sensibilité poétique
Ce psaume de demande et surtout d’espérance s’ouvre par des « interrogations rhétoriques », de fausses questions auxquelles on répond par non. De qui aurais-je crainte ? de personne, évidemment ! Devant qui tremblerais-je ? Devant personne, bien sûr ! Telle est la conviction du psalmiste. La dernière strophe confirme cette assurance par un « parallèlisme croisé » (A B B A) – car l’essentiel de la poésie hébraIque tient dans les parallélismes littéraires : Espère le Seigneur (A), sois fort (B), prends courage (B), espère le Seigneur (A).
Un contexte d’hostilité
Le poète dit vivre dans un monde hostile, selon le verset 2 omis par la liturgie : Des méchants s’avancent contre moi… une armée se déploie devant moi… » Quel chrétien (question rhétorique !) ne se reconnaîtrait pas, au sein de ses propres épreuves, dans ces expressions ? Le psalmiste, quant à lui, est sûr des bontés du Seigneur sur la terre des vivants, dans la vie d’aujourd’hui et non dans ce que les Hébreux appelaient le Shéol, ce lieu souterrain où, après la mort, on connaît un éternel et tranquille coma (voir Job 3, 11-19) ?
C’est ta face que je cherche
Selon une tradition biblique, des privilégiés voient Dieu, comme Moïse et les Anciens sur le Sinaï (Exode 24, 9-10). Selon une tradition concurrente, Dieu déclare à Moïse : « Tu ne peux voir ma face ; car l’humain ne peut me voir et vivre » (Exode 33, 20). Notre psalmiste ne prétend pas « voir » Dieu. Simplement, il cherche sa face. D’une part, il s’exprime dans le langage des antiques cours orientales. « Ceux qui voient la face du roi » sont les nobles qui bénéficient de son intimité, à l’abri de son courroux. D’autre part, chercher la face du Souverain céleste, c’est chercher ce qu’il attend de nous sur la terre des vivants.
Le lectionnaire met entre guillemets les deux derniers vers qui constituent sans doute la réponse divine, peut-être par l’intermédiaire d’un prêtre du Temple. En tout cas, Dieu confirme la confiance du poète par un encouragement qui fait écho à celui adressé à Josué, quand celui-ci allait affronter tant de combats : « Sois fort et courageux. Ne crains pas, ne t’effraie pas. Car le Seigneur ton Dieu sera avec toi partout où tu iras » (Josué 1, 9).
Philippiens 3, 17 – 4, 1 (Le Christ nous transfigurera)
Si la Lettre aux Philippiens se compose de plusieurs billets de Paul, le texte d’aujourd’hui ferait partie du dernier. Libéré de prison, Paul s’est rendu à Philippes où il a constaté que certains missionnaires chrétiens imposent des usages juifs à la communauté comme nécessaires au salut.
Paul demande à ses amis de Philippes de prendre pour modèle son christianisme, son « exemple », et non ces missionnaires qui agissent « en ennemis de la croix du Christ » : au lieu de se confier au Christ mort pour nous, ils se fient aux prescriptions alimentaires juives (« leur dieu, c’est leur ventre ») et dans le rite de la circoncision (« leur honte », allusion aux parties dites « honteuses »).
Notre « corps social » représentatif (traduit ici par « nous sommes citoyens des cieux ») n’est ni la citoyenneté juive ni la citoyenneté romaine, mais la cité céleste. Nous cherchons l’honneur, social et personnel. Nous attendons Jésus Christ comme « Sauveur » (un titre de l’empereur romain). Il doit venir transfigurer nos corps par la résurrection et nous conformer à son être de Ressuscité. Il ne faut pas insulter cette destinée, cette dignité, en s’attachant à des pratiques qui sont, pour Paul, un retour en arrière. En attendant la prochaine visite de l’Apôtre, que les Philippiens tiennent bon !
Ce texte est choisi pour son lien avec l’évangile : la Transfiguration du Seigneur est la promesse de notre propre transfiguration.