33ième Dimanche du Temps Ordinaire- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Lecture : Luc 21, 5-19

 

Comment vivons-nous le temps qui passe ?

 

Frères et sœurs,

Grand Ilet 8Il vous est peut-être arrivé ces derniers temps de prendre un peu de temps pour vous promener dans la nature. Il y a une sorte de calme, de silence imperceptible qui se fait dans toute chose, dans l’univers autour de nous, dans la nature qui se transforme lentement et inlassablement, dans cette beauté saisissante et insaisissable, dans cette douceur indéfinissable qui a déjà un relent de mort et d’apaisement. Cela se mêle à une sorte de paix et de calme intérieurs, au souvenir en ces temps-ci de ceux qui sont morts et que nous aimions tant, et au pressentiment que nous-mêmes, marchons très lentement vers notre demeure d’éternité. Et dans ces moments-là, qui n’ont pas en eux-mêmes une valeur spécifiquement religieuse, se pose à nous cette question : « Mais au fond, comment est-ce que je vis le temps qui passe ? »

Oui, frères et sœurs, comment vivons-nous le temps qui passe ? Et c’est peut-être avec cette question qu’il nous faut relire ce matin, les textes qui nous sont proposés. D’abord, ne vivrions-nous pas le temps qui passe comme un mouvement incessant dans lequel il n’y a aucune paix, aucun repos, dans une lutte permanente pour se ménager un temps de repos, puis un temps pour travailler, puis un temps de loisirs, un temps de vie de famille, un temps mesuré, découpé, haché, qui n’a plus aucune épaisseur, aucune intimité, un temps qui n’apporte aucune joie, un temps d’esclaves, un temps d’hommes et de femmes écrasés par un travail que nous nous fixons, un temps qui nous alourdit et qui nous asservit ? Ou bien, au contraire, ne vivrions-nous pas davantage comme ces chrétiens de Thessalonique auxquels l’apôtre Paul s’adresse ? Nous aurions tendance à nous dire qu’après tout, tout a une fin et que si tout a une fin, rien n’a d’importance. Ce n’est plus la peine de travailler, la fin des temps est proche. On peut tout laisser aller à vau l’eau. Et ce temps qui file entre nos doigts nous le laissons couler lentement dans la paresse, vers son néant et vers notre propre néant. Ou encore le temps ne serait-il pour nous une réalité insupportable, inacceptable, que nous ne voudrions pas voir en face parce qu’il affirme sans cesse au plus intime de nous-mêmes ce rappel de la mort. Et alors, le temps serait vécu comme une sorte de refoulement : ne pas voir en face que nous vivons dans le temps, ne pas regarder en face ce chemin d’aventure dans lequel nous nous engageons, et qui est tout à la fois fait de vie et de mort entremêlées.

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C’est ici peut-être que la parole de Jésus nous rejoint en ce jour. Les disciples étaient fiers du Temple de Jérusalem, car ils avaient perçu obscurément, à travers les pierres de ce monument qui faisait l’orgueil d’un peuple, quelque chose de durable, de solide, comme la pierre défie le temps. Pour le peuple et les disciples qui s’extasient devant le Temple, c’est le symbole même d’une sorte de pérennité. Vous avez déjà remarqué comme nous sommes saisis par la visite de ruines antiques, car ce sont des réalités de notre terre qui subsistent précisément parce qu’elles sont profondément enracinées dans notre terre, ce que nous voyons d’abord ce sont des fondations et cette force extraordinaire qui dépasse l’humain et qui s’élève vers le ciel. Songez aux fûts des piliers de nos cathédrales, aux colonnes des temples grecs, tout cet effort humain qui se hisse vers Dieu et qui défie le temps parce qu’il s’appuie sur la terre. Or, Jésus va directement à l’encontre d’une telle certitude et d’une telle sécurité : « Il n’en restera pas pierre sur pierre ». De tout ce que nous croyons fonder sur des réalités terrestres, de tout ce temps que nous croyons saisir pour le transformer en une fausse éternité, Jésus nous dit : « Il ne reste rien. Si vous continuez à vivre le temps sur le mode d’un refoulement et d’une résistance, vous ne verrez pas l’avènement du Jour du Seigneur. Si vous continuez à vous enfermer dans cette lutte incessante en calculant votre temps ou, au contraire, en le laissant filer entre vos doigts sans voir ce qu’il vous apporte, vous ne verrez pas l’avènement du Jour du Seigneur ». Car notre temps doit être vécu autrement que de cette manière toute humaine. Ce temps qui était source d’inquiétude, ou de lutte, ce temps qui engendrait en nous le sentiment de l’évanescence et du néant, voici qu’il est désormais rempli comme en creux, par une présence que nous ne soupçonnions pas, le voici devenu porteur de l’avènement du Fils de l’Homme.

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Voilà pourquoi nous avons tant de mal à vivre notre temps chrétien. Nous le vivons de manière toute humaine, nous sommes aux prises avec des horaires et nous désespérons du temps, et nous le refusons. Jamais nous ne l’acceptons comme ce que Dieu en fait désormais pour nous : le porteur de la présence de Dieu. Chaque minute qui s’écoule, c’est Dieu qui vient, c’est l’éternité infinie de Dieu qui vient se glisser subrepticement là où normalement il devrait y avoir la mort et la désespérance. Et c’est dans ce creux et dans ce sentiment d’impuissance que Dieu se glisse avec douceur et en silence pour venir nous dire au cœur : « Je suis là ».

C’est pourquoi frères, si l’on vous dit qu’Il est ailleurs, qu’Il est en dehors de « maintenant », n’y allez pas, car Il est là maintenant dans votre cœur, Il se tient à la porte, et Il frappe.

Mais il ne faudrait pas croire pour autant que tout se passe dans une sorte de paix moite et de silence béat qui nous procureraient une fausse plénitude intérieure, une sorte de repos et d’ataraxie à l’instar de certaines religions orientales. Non, ce temps n’en reste pas moins un temps de lutte et d’épreuve, car si Dieu veut venir dans notre temps, il y a toutes les forces du monde en dehors de nous et au-dedans de nous qui se conjuguent et qui s’assemblent pour refuser cet avènement du Fils de l’Homme. Et c’est pourquoi nous sommes traînés devant les tribunaux, trahis par nos frères et nos sœurs, nous risquons la mort et les plus grandes épreuves parce qu’à travers ce temps, ce temps dans lequel Dieu veut s’infiltrer pour le saisir et le faire exploser de l’intérieur, par la splendeur et la douceur de sa lumière, ce temps est encore le lieu du combat contre tous les refoulements, tous les désirs de destruction des hommes contre toutes les insouciances, et tous les péchés du monde. Et il faut pour que Dieu fasse resplendir l’avènement de sa présence que ce combat soit livré au plus intime de nous-mêmes.

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Voilà comment devrait se déployer dans notre cœur et dans notre vie, le temps qui passe. Non pas une lutte désespérée qui n’a plus rien à attendre ni de Dieu ni des hommes ni de soi-même, mais comme un combat plein d’espérance. C’est vrai qu’il y a encore en nous le vieil homme qui se refuse à Dieu, c’est vrai qu’Il y a encore au cœur du monde et au cœur de notre existence à tous, toutes ces forces de mal, de mensonge et d’égoïsme qui se déchaînent ; mais c’est vrai aussi, et cela est peut-être plus difficile à accepter qu’on ne pense, qu’il y a cette présence de Dieu qui lutte et qui combat auprès de nous pour qu’en vérité son avènement, son jour puisse briller dans le cœur de tous les hommes.

Vous comprenez, frères et sœurs, pourquoi la lecture du prophète Malachie nous disait que « son jour » apporterait la guérison. C’est l’image de ce que nous sommes aujourd’hui : des êtres malades, blessés par le péché, blessés à mort par la mort, blessés par toutes les détresses que nous portons. Mais nous vivons déjà un temps de guérison. Voici que le Seigneur est « sorti » de son éternité, qu’il s’est penché vers nous pour se couler davantage dans notre temps, comme dans une blessure le baume qui guérit. Alors, si nous voulons savoir comment vivre le temps qui passe, il ne nous reste plus qu’un mot : l’espérance en l’amour du Seigneur. Amen.

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