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3ième Dimanche de Carême par P. Claude Tassin (Dimanche 28 février 2016)

Exode 3, 1-8a.10.13-15 (« Celui m’a envoyé vers vous, c’est JE-SUIS « )

Le troisième dimanche de Carême évoque traditionnellement Moïse et Israël au désert. Cette année il s’agit de la révélation de Dieu à Moïse et de l’envoi de ce dernier. Les extraits liturgiques de l’épisode s’organisent ainsi :

Le Buisson ardent

Moïse découvre le buisson ardent. La ressemblance en hébreu entre sènèh (buisson) et Sinaï a pu faire naître cette légende. La montagne est ici désignée par son autre nom : l’Horeb. Le double appel (« Moïse, Moïse »), la réponse (« me voici ») et la crainte du bénéficiaire de la manifestation céleste sont, dans l’Ancien Testament, les composants habituels d’un récit de vocation.

L’envoi

Dieu se présente à Moïse comme le Dieu fidèle aux patriarches du passé. Il a vu le malheur de son peuple opprimé en Égypte et a décidé d’intervenir et de lui accorder une terre à lui, merveilleuse. « Maintenant donc, va ! » : Dieu envoie Moïse pour réaliser ce projet de libération.

La révélation du Nom de Dieu

Pour confirmer sa mission, Moïse demande à Dieu de lui révéler son Nom. Car dans la Bible, le nom révèle la nature de celui qui le porte, et livrer son nom à un autre, c’est tisser avec lui une relation. Dans certaines cultures, celui qui, fâché, dit à un autre : « Ne dis plus mon nom », exprime la rupture d’une relation.

  Dieu se révèle alors sous la formule *Je suis qui je suis, censée expliquer le nom de Yahvé que l’on appelle aussi le « tétragramme », puisqu’en hébreu il s’écrit en quatre consonnes, YHWH, un nom qui, par respect, ne se prononce pas dans le judaïsme. Plus simplement, par ressemblance verbale en hébreu (’hyh), Dieu se présente encore plus laconiquement sous le mot Je-suis.

  Ce nom est « un mémorial » : en le prononçant, on se rappelle qui est Dieu, un Dieu qui agit en faveur de son peuple, et on lui rappelle que l’on compte sur son action, car, dans la grammaire hébraïque, le verbe être (« Je-suis ») est un verbe d’action. Dieu se découvre dans son agir envers nous, spécialement en son Christ à qui les évangélistes font dire parfois : « C’est moi » ou, littéralement, « Moi, je suis ».

* Je suis qui je suis. L’expression est difficile à rendre. Comparer les traductions : « Je suis celui qui est » (Bible de Jérusalem) ; « Je suis qui je serai » (Traduction œcuménique de la Bible [TOB]). En hébreu, le verbe être implique l’idée d’action : Dieu va être là avec Moïse et son peuple, au présent et au futur, pour agir en libérateur. « C’est par l’histoire du salut des hommes que Dieu manifestera peu à peu qui il est » (TOB). « Je suis celui qui suis et qui dois être », traduit la Bible araméenne ou Targoum. Ce que l’Apocalypse prolongera par la formule « Il est, il était et il vient »… une formule décalquée par la doxologie des psaumes adressée « au Dieu qui est, qui était et qui vient… »

Psaume 102 ( » Il révèle ses desseins à Moïse « )

Ce psaume a la forme d’une hymne et pour contenu la gratitude éprouvée par le pécheur que Dieu a pardonné.

L’introduction

Dans la strophe initiale, le psalmiste s’invite lui-même à bénir le Seigneur. Il exhorte ainsi son âme, son souffle, et son être, la profondeur de ses pensées et de ses sentiments. Il veut bénir Dieu, c’est-à-dire reconnaître en juste gratitude les bénédictions qu’il a reçues de Dieu, ses bienfaits qu’il serait injuste d’oublier.

L’expérience du pardon divin

La deuxième strophe précise la nature de ces bienfaits. C’est le total pardon. Les expressions du quatrain peuvent s’entendre en deux sens. Ou bien, selon une antique mentalité, le psalmiste était tombé gravement malade, au bord de la tombe et voyait dans sa maladie une conséquence de ses offenses ; mais il constate avec reconnaissance que le Seigneur l’a guéri et lui a donc pardonné ses erreurs. Ou bien c’est plus simplement l’état de pécheur que l’auteur compare à une maladie mortelle.

En tout cas, Dieu ne lui a pas seukement accordé un sursis, mais il lui a conféré un dignité nouvelle représentée par un couronnement (comparer Psaume 8, 6), la couronne étant ici l’amour et la tendresse divines. Le verset 13, ici omis, insiste : « Comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! »

Une expérience communautaire

Avec la troisième strophe, le poète intègre son heureuse situation dans la foi de tout le Peuple élu. Chaque croyant doit proclamer la justice du Seigneur qui, à travers sa patience ; équivaut à son pardon ; sa justice aussi qui veille à ce que soit reconnu le droit des opprimés (comparer Deutéronome 10, 18-19 ; 15, 7-11). Toute cette justice, divine et sociale a été révélée à Moïse sur le Sinaï, comme aussi les hauts faits du Seigneur qui allaient jalonner la route de l’exode des Hébreux.

Une explicitation du nom Je-suis

Les deux vers ouvrant la dernière strophe se réfèrent encore à l’expérience de Moïse sur la montagne. Quand celui-ci supplie le Seigneur de se montrer à lui, il s’entend répondre : Je vais passer devant toi (…), et je prononcerai mon nom devant toi… (Exode 33, 8). Et lorsque se réalise la promesse, la voix divine déclare : Le Seigneur ! le Seigneur ! Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité… (Exode 34, 6). Cette phrase est une belle explicitation du nom Je-suis (1ère lecture).

 Dieu n’est point bonasse. Il sait punir les transgressions. Mais il est patient, car il connaît notre fragilité (voir Psaume 102, 14-15). Dans cette culture antique ignorant les instruments d’astronomie, la distance vertigineuse entre la voûte céleste et la terre donne au psalmiste, dans les deux derniers vers, une idée d’immensité, l’immensité de l’amour du Seigneur pour nous.

 

1 Corinthiens 10, 1-6.10-12 (La vie de Moïse avec le peuple au désert, l’Écriture l’a racontée pour nous avertir)

La vocation de Moïse (1ère lecture) ouvrait l’histoire de l’Exode d’Israël. Ici, Paul évoque globalement les leçons de cet Exode pour le lecteur chrétien. Dans un passage où l’Apôtre traite de la liberté chrétienne (1 Corinthiens 8 – 10), cette séquence invite à la prudence, dans la fidélité au Christ, à la lumière de l’expérience d’Israël au désert.

L’Exode comme annonce des réalités chrétiennes

« Nos pères » par la médiation de Moïse, disposaient de la première ébauche des signes chrétiens du baptême (la nuée du passage de la mer Rouge) et de l’eucharistie (la manne) ; et même, *le rocher qui les accompagnait était déjà une certaine et réelle présence du Christ, à travers la Sagesse  divine qui guidait Israël dans le désert : « ce rocher c’était  le Christ. » Pourtant, les ancêtres ont failli, se révoltant contre Moïse, et ils ont péri (cf. Nombres 14, 16).

L’Exode comme avertissement

« Ces événements » ne sont pas racontés pour condamner l’ancien Israël, mais pour « nous servir d’exemple », et Paul songe sans doute ici à l’épisode des serpents en Nombres 21, 5-6. Cette histoire nous vise, nous qui vivons « à la fin des temps », l’ultime étape de notre salut, nous qui possédons les réalités que l’Ancien Testament annonçait seulement.

 Alors, « attention à ne pas tomber », en confondant liberté et licence ! Ce texte ne parle pas d’un Dieu vengeur. Il dit qu’il y a un engrenage de mort quand on se détourne du projet de salut de Dieu.

* Le rocher. A partir d’une comptine, « Monte, puits ! », Nombres 21, 16-18 évoque un puits qui abreuva Israël au désert et dont s’empara la légende. Les légendes assimilèrent le puits au rocher frappé par Moïse (Nombres 20, 10-11). Il devint une sorte de wagon-citerne accompagnant l’exode d’Israël. Pour les scribes juifs du 1er siècle, ce puits-rocher d’eau vive était la Loi de Moïse, source de vie. Non, proteste Paul, qui connaît la légende : ce puits- rocher, c’était déjà le Christ, Sagesse de Dieu !

 

Luc 13, 1-9 ( » Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même « )

Le 3e dimanche de carême de l’Année C aborde un thème cher à Luc : l’appel à la conversion et la bonté patiente de Dieu. L’évangile de ce jour appartient à la première étape du voyage de Jésus vers Jérusalem (Luc 9, 51 – 13, 21), étape égrenant les enseignements qui inspireront la prédication des futurs missionnaires du Seigneur. Notre texte a pour prélude un appel à se mettre au plus vite en règle avec Dieu (Luc 12, 57-59). Voici à présent la raison de cette urgence : la vie est fragile. Si Dieu semble si patient, c’est pour nous laisser le temps de la conversion (comparer 2 Pierre 3, 9). Le texte se répartit finement en trois épisodes : deux faits divers et une parabole.

Une  » manif.  » qui tourne mal

On ignore tout d’un massacre perpétré par Pilate à l’encontre de pèlerins venus de Galilée. Mais on sait que les pèlerinages des grandes fêtes à Jérusalem favorisaient l’agitation populaire et que Pilate frappait vite et fort, quitte à regretter des représailles maladroites qui ne faisaient qu’exacerber l’hostilité à son égard.

 Jésus interprète l’événement : Non ! *Dieu n’a pas puni spécialement ces malheureux. Mais l’incident donne à penser : la mort s’avère imprévisible, et on risque de ne point se trouver prêt à affronter le Juge de toute vie (cf. Luc 12, 58-59).

Des architectes urbains incompétents

Après le cas des Galiléens, un deuxième fait divers concerne les habitants de Jérusalem, avec la chute de la tour de Siloé qui, sur le mur de la ville, surplombait la vallée du Cédron. Même leçon, mais ce second accident, tout aussi inconnu des historiens, permet de mettre sous le même avertissement Galiléens et Judéens, provinciaux ruraux et citadins de la capitale.

Une clé de lecture des faits divers tragiques : la parabole du figuier

La parabole du figuier épargné semble une composition de Luc, à partir de la malédiction du figuier par Jésus en Marc 11, 1.2-14.20-21, une tradition ignorée de Luc. Ou plutôt, Luc la transforme en une leçon de patience de la part de Dieu qui ne nous laisse du temps que comme un sursis pour notre conversion, pour que nous portions enfin du fruit. « Au figuier, resté improductif pendant trois ans, le propriétaire du terrain accorde en effet, grâce à l’intercession de son jardinier, une année de rémission, de sursis, la dernière avant la sanction inévitable de son improductivité » (S. Beaubœuf, La montée à Jérusalem). Dans la pensée de Luc, le vigneron intercesseur est le Christ.

Bref, nul privilège devant les aléas de la vie

L’évangéliste illustre ici le message de Jean Baptiste, qui exclut tout privilège : « Produisez donc des fruits qui expriment votre conversion. Et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham [pour sauf-conduit !]. Car je vous le dis: avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham » (Luc 3, 8). Or, après la parabole du figuier (épisode masculin), Jésus relèvera à la synagogue une femme courbée (épisode féminin) que, clin d’œil des symboles numériques, est enchaînée par Satan depuis dix-huit ans, comme la tour de Siloé a tué dix-huit personnes. Jésus délivre cette femme parce qu’elle est « une fille d’Abraham » (Luc 13, 16).

Le carême fait réfléchir sur la fragilité de la vie et sur la patience de Dieu. Quels que soient nos efforts, c’est en Jésus que nous nous confierons pour nous guérir, comme cette femme qu’il redresse, le jour du sabbat.

* Dieu fait-il mourir ? L’Ancien Testament voit en Dieu le maître de la vie (cf. 1 Samuel 2,6). De là à penser qu’une mort prématurée révélait un châtiment, il n’y avait qu’un pas que contestera le livre de la Sagesse (3, 1-9). Jésus rencontra cette mentalité avec la question des disciples devant l’aveugle-né : « Pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? » Jésus déplace la question : « Ni lui, ni ses parents. Mais l’action de Dieu devait se manifester en lui » (Jean 9, 2-3). Jésus ne donne pas de réponse au « pourquoi » du mal. Mais il y a un « pour quoi (faire) » : que faire avec le mal ? Le guérir, selon les moyens que Dieu donne ; ou, simplement, se faire solidaire de ceux qui souffrent, comme en témoigna Jésus dans sa passion.

Luc explore une autre voie : la vie humaine tient à un fil. Dieu ne fait pas mourir, mais les accidents de toute sorte invitent à prendre au sérieux cette fragilité. Nous avons tendance à remettre au lendemain les corrections qui s’imposent pour notre propre bien et celui de notre entourage.