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3ième dimanche de Carême par P. Claude TASSIN (Spiritain)

 

Commentaires des Lectures du dimanche 8 mars 2015

Exode 20, 1-17 (La Loi fut donnée par Moïse)

Le don du décalogue, c’est-à-dire des « Dix Paroles » ou commandements, s’insère dans un scénario grandiose (cf. Exode 19, 16-25 et 20, 19) que la *tradition juive amplifiera encore. À l’origine, c’était une liste de brèves interdictions. À présent, comme en Deutéronome 5, 6-21, elles sont assorties de commentaires. Du coup, les traditions juives et chrétiennes divergent quant au découpage des dix commandements. Mais on distingue bien trois sections :

1) Il s’agit du culte à rendre au Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage. Désormais, c’est un partenariat exclusif. « Jaloux », aimant avec passion, Dieu n’admet pas qu’on lui mette en concurrence des faux dieux qui, eux, n’ont rien fait pour ce peuple. Certes, Dieu peut permettre les conséquences néfastes du péché sur trois ou quatre générations ; mais qu’est-ce que cela en regard de sa fidélité sur mille générations pour ceux qui lui sont fidèles !

2) Il s’agit ensuite du jour du sabbat, jour de repos consacré au Seigneur comme fête de la création faite pour la joie. Toutes les catégories sociales doivent en jouir.

3) Il s’agit enfin des droits élémentaires de la personne, « le droit à la vie, à la liberté, à l’honneur et à la propriété. Ces droits, qui peuvent être reconnus par toute conscience, sont plus que sanctionnés par Dieu : ils sont comme le signe concret du véritable rapport avec Dieu » (J. Briend).

* Une tradition juive sur le don de la Loi : « Le premier commandement qui sortit de la bouche du Saint était comme des étincelles et des éclairs et des flammes de feu ; une lampe de feu à sa droite et une lampe de feu à sa gauche, volant et s’élevant dans l’air des cieux; puis il revenait et était visible au-dessus des campements d’Israël. Il revenait et allait se graver sur les deux tables de l’alliance qui étaient placées dans la paume des mains de Moïse, en allant et venant sur elles, d’un bord à l’autre » (Targoum araméen du Pseudo-Jonathan en Exode 20, 2). On aura noté la parenté de cette légende avec le récit de la Pentecôte en Actes 2.

1 Corinthiens 1, 22-25 (« Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les hommes, mais pour ceux que Dieu appelle, il est sagesse de Dieu»)

Les chrétiens de Corinthe forment des clans autour de tel ou tel apôtre pris pour maître, en raison de ses talents oratoires (cf. 1 Corinthiens 1, 10-13). Mis au courant, Paul proteste. Lorsqu’il prêchait parmi eux, il évitait « d’avoir recours à la sagesse du langage humain ». Il s’en tenait au « langage de la croix », au message qu’est la croix (1, 17-18).

Il répartit le monde entre Juifs et Grecs (ou païens), et il insiste : les Juifs espèrent un Messie tout-puissant. Ils réclament des « signes » miraculeux, comme les pharisiens en demandaient à Jésus (cf. Matthieu 12, 38-40), une manière de ne pas s’engager, une façon de demander insolemment des preuves. Dans ce cadre, présenter un Messie crucifié est choquant. Les Grecs recherchent une sagesse, un système religieux qui coïncide avec la raison humaine fermée sur elle-même et se veut simplement conforme à la nature. Dans ce cadre, la croix voudrait dire que Dieu n’est pas rationnel ; elle serait un non-sens, si elle n’était la folie de l’amour.

Une nouvelle catégorie peut unir des Juifs et des Grecs : « ceux que Dieu appelle », c’est-à-dire ceux qui, entendant l’Évangile, acceptent que Dieu les invite à sortir de leurs idées toutes faites et confortables. Déjà dans l’expérience humaine, le sage agit parfois comme un fou pour se faire comprendre, et les faibles sont parfois plus efficaces que les forts. Rejetterons-nous le Crucifié quand il nous offre le même paradoxe ?

* Sagesse et folie. « Que conseille, très chers, la sagesse de ce monde, sinon de rechercher ce qui doit être nuisible et d’aimer ce qui doit périr, de dédaigner ce qui procure le salut, de tenir pour rien ce qui est éternel. Et c’est pourquoi, face à l’opinion contraire, le bienheureux Apôtre, prévoyant les maux futurs, déclare : Si quelqu’un parmi vous, dit-il, veut être sage, qu’il se fasse fou pour devenir sage (1 Corinthiens 3, 18) » (Faustin de Riez, moine, puis évêque, 5e siècle).

Jean 2, 13-25 (« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai »)

Contre les autres évangélistes (cf. Marc 11, 15-17), et peut-être avec raison, Jean situe la purification du Temple au début de la mission de Jésus. L’épisode est pour lui un « signe » lié à celui des noces de Cana, quand « ses disciples crurent en lui » (Jean 2, 11). Ici, le signe du Temple produit un effet plus ambigu.

Jésus entre au Temple

Les marchands et les changeurs tiennent commerce sur le parvis du Temple, et non dans le Sanctuaire. Leur métier s’imposait. Aux pèlerins venus de loin, ils fournissaient les animaux, destinés aux sacrifices, et la monnaie spéciale du Temple écartant les pièces à l’effigie de l’Empereur païen. Nous voici aux abords de Pâques. À la différence des autres évangélistes, Jean ponctue la vie de Jésus par trois Pâques (cf. 6, 4 ; 11, 5). Pour lui, la scène a un lien avec la Pâque décisive où Jésus « passe de ce monde à son Père » (13, 1).

Un geste prophétique

Jésus estime excessif le commerce qui fait du Temple « une maison de commerce ». Mais les témoins initiés aux Écritures pouvaient s’interroger : Jérémie 7, 12-15 n’avait-il pas prédit la ruine d’un Temple corrompu ? Zacharie 14, 21 ne disait-il pas qu’en ce jour-là, « il n’y aurait plus de marchand dans la maison du Seigneur » ? Alors, Jésus prétendait-il être un prophète ? Les disciples, qui croient en Jésus, « se rappellent » le Psaume 69 [70], 10. Par là, Jésus est le juste persécuté par ses frères en raison de sa fidélité à Dieu et à sa Maison. En fait, les premiers chrétiens reliaient ce psaume à la passion de Jésus. C’est après la Résurrection qu’ils établirent un lien avec le geste de Jésus dans le Temple.

Jésus, Temple

Jésus se prétend plus qu’un prophète, puisqu’il appelle le Temple « la maison de mon Père ». D’où la demande d’un « signe » qui justifierait un tel sentiment d’autorité (comparer Marc 11, 27-33). Rappelons qu’au temps où s’écrit cet évangile, le Temple de Jérusalem a déjà été détruit. Et, pour les chrétiens d’alors, le symbole des « trois jours » et le verbe « relever » évoquent la résurrection de Jésus. Surgit ici un exemple de ce qu’on appelle « le malentendu johannique ». Les Juifs parlent du Temple matériel. Au vrai, il fallut bien plus de quarante-six ans pour achever les travaux d’agrandissement et d’embellissement entrepris par Hérode le Grand. Jésus, lui, parle de son corps ressuscité. L’évangéliste avoue que ce sens ne pouvait apparaître aux disciples que « quand il se réveilla d’entre les morts ». Car, chez Jean, le verbe « se rappeler » consiste en une démarche de foi qui relie les paroles de Jésus aux anciennes prophéties (cf. Jean 20, 9).

Un bilan mitigé

Comme Dieu, Jésus connaît le fond des cœurs. Surtout, il sait que certains sont consommateurs de signes miraculeux. Pour saint Jean, le mot « signes » est volontairement ambigu. Il désigne des gestes miraculeux, prodigieux dont se repaissent les témoins, en consommateurs, ainsi en Jean 4, 48. Le terme renvoie aussi, dans ces mêmes miracles, aux signaux par lesquels Jésus cherche à établir avec lui une relation personnelle de foi. D’où sa réflexion désabusée après la multiplication des pains : « Vous me cherchez, non pas parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés » (Jean 6, 26). Bref, les signes qu’il pose dans nos vies doivent être dépassés pour que nous le rencontrions vraiment, par la foi, dans le mystère de sa résurrection, nouvelle présence de Dieu. Saint Paul ne dit pas autre chose (2e lecture) quand il évoque à la fois le Messie crucifié et le Messie, puissance de Dieu.

Le mystère du Temple. Où Dieu habite-t-il ? Le philosophe et théologien juif Philon d’Alexandrie envisageait trois temples. Le premier est le ciel, seul lieu digne de Dieu qui est pur Esprit. Le deuxième est l’esprit du croyant, car seul, par connaturalité, cet esprit peut recevoir le pur Esprit. Enfin, le troisième est le temple matériel de Jérusalem, concédé à la piété et à l’affectivité des humains. Mais ce sanctuaire est unique, parce que Dieu est l’Unique. La communauté de Qumrân, composée de prêtres et de laïcs, se considère comme un temple vivant. Chez saint Paul, rappelons cette déclaration adressée aux chrétiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, c’est-à-dire que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Corinthiens 3, 16). Saint Jean fait un pas de plus, en voyant le Temple divin dans la personne du Christ. Mais l’évangéliste rejoint Paul lorsqu’il attribue à Jésus cette parole : « Celui qui demeure en moi et moi en lui et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jean 15, 5).