3ième Dimanche de l’Avent – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Jean BaptisteFrères et sœurs, qu’est-ce qu’un prophète ?
Au moment où nous nous avançons à la rencontre de l’Époux, en ce Jour du Seigneur, veille de la rencontre finale du Christ et de son Église, en ce temps de l’Avent, temps de l’attente, temps de la vigilance qui éveille nos cœurs à Noël, nous sommes invités à méditer sur la figure de celui qui fut « le plus grand des prophètes », Jean-Baptiste, et donc à nous demander ce qu’est un prophète. Nous avons quelques idées là-dessus. Si nous ne sommes pas très cultivés bibliquement, nous pensons à des gens qui avaient des extases ou des frémissements intérieurs et qui prononçaient quelques oracles qui avaient vaguement à voir avec l’avenir d’Israël. Si on a déjà un peu cheminé dans la découverte de la Parole de Dieu, on se rend compte que les prophètes ne sont pas des Nostradamus de l’Ancien Testament, mais des hommes qui voyaient la présence de Dieu au cœur des événements de la vie d’Israël. Je voudrais essayer de vous faire pressentir en quoi consistait la vocation de prophète.
Être prophète en Israël, c’était une véritable « vie de chien », c’était d’une certaine manière épouvantable. D’ailleurs une des figures prophétiques les plus typiques, Jérémie, s’est plaint amèrement de ce métier. Il a dit à Dieu : « Il aurait mieux valu que ma mère ne m’enfante pas, ou plutôt que je sois mort-né, et qu’on dise à ma mère, juste après l’accouchement : ton fils ne vit plus ». Vraiment la vie de prophète était « une chienne de vie ». Et pourquoi ? Je crois qu’il y avait deux raisons.
La première, c’est que la parole, le message que le prophète avait à annoncer ne lui appartenait pas. Par définition, les prophètes – et c’est pour cela qu’on pense qu’ils étaient inspirés – disaient une parole qui n’était pas la leur. Ce qu’ils proclamaient, ce n’était pas quelque chose qui venait d’eux-mêmes. À ce titre-là, c’est l’exact opposé de ce que nous pensons aujourd’hui sur les auteurs en littérature. Nous croyons que les auteurs sont des gens qui pensent par eux-mêmes, qui, par leur intelligence, leur imagination, ajustent de belles paroles, de beaux discours, de beaux mots et les enchaînent en phrases. Dans l’Ancien Testament c’est tout le contraire. Par définition, le prophète éprouve la Parole comme n’étant pas sienne. Et c’est ce qu’il faut comprendre quand Dieu parle à Jérémie : « Voici que je mets mes paroles dans ta bouche ! » Vous connaissez ce beau récit de la vocation d’Isaïe où l’ange prend sur l’autel de Dieu des charbons brûlants et vient en toucher les lèvres du prophète. Un prophète, c’est celui qui, dans son corps, dans son esprit, dans son cœur, dans sa bouche, est traversé par les brandons enflammés de la Parole de Dieu. Par conséquent il y a à la racine même de la vocation prophétique une sorte de désappropriation totale. C’est pour cela que lorsque Jérémie dit : « Ah, ah, je ne suis qu’un enfant », qu’il bégaie comme un enfant, « je ne sais pas parler », c’est une sorte de bégaiement, une sorte de balbutiement d’enfant. En réalité il a raison, parce qu’à partir du moment où il est saisi par la vocation prophétique, il perd littéralement la parole. Ce ne sera plus sa parole. Le prophète est littéralement prophète, « celui qui parle au nom de… » Sa parole n’est pas sienne. Et Dieu sait que c’est éprouvant pour un homme de ressentir, jour après jour, que sa parole n’est pas sienne. Au fond, cette activité de parole nous est si chère, nous l’aimons tellement, que le jour où la parole n’est plus nôtre, c’est une sorte de dépossession terrible, d’arrachement, d’ascèse.

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Or il y a une deuxième connotation de la vocation prophétique, c’est que cette parole n’est pas pour lui, pour le prophète. Deuxième arrachement. Si au moins on pouvait garder cette parole pour soi, si au moins on pouvait laisser la Parole de Dieu fructifier, se développer, se déployer comme un surgeon dans la terre qu’est le cœur du prophète. Mais généralement elle n’est pas faite pour cela. « Voici, je t’établis sur les royaumes pour arracher et détruire, pour bâtir et planter ! » Le prophète ne pourra rien garder de la Parole de Dieu qui lui est donnée. Deuxième dépossession. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il suscite une telle agressivité car lorsque le prophète arrive au milieu du peuple, ce dernier sent instinctivement que la Parole est pour lui, et que le prophète ne la garde pas pour lui mais délivre ce message. Le peuple n’a aucune envie d’entendre les paroles d’admonition, de pénitence, de conversion que Dieu lui adresse par la bouche du prophète. C’est pour cela qu’on reconnaissait instinctivement la parole du prophète. Elle venait d’ailleurs, pour l’interlocuteur. Il fallait recevoir en pleine figure ce message prophétique. C’est pour cela que, la plupart du temps, le plus simple était de « fermer le bouton de la radio » et de tuer le prophète. C’est pour cela que Jérusalem a tué les prophètes car elle savait trop bien à qui était destinée cette Parole et elle ne voulait plus l’entendre.
Ainsi donc le prophète est coincé entre le marteau et l’enclume, entre la Parole de Dieu qui s’impose à lui et sur laquelle il ne peut rien et d’autre part les destinataires à qui il adresse cette Parole comme s’il voulait s’en décharger ; et eux ne veulent pas la recevoir. Le prophète est pris comme une sorte de balle de ping-pong. Il est renvoyé sans cesse de Dieu au peuple et du peuple à Dieu. C’est une vie impossible.
Et pourtant il y a un jour où la parole prophétique a trouvé miraculeusement presque un instant, sa plénitude dans le cœur d’un homme. Et c’est pour cela que Jean-Baptiste est dit « le plus grand des prophètes » car au nom de tous les prophètes d’Israël, selon la même fonction, selon la même vocation, Jean-Baptiste, un jour, a reçu la Parole en chair et en os. Il l’a vue et il a simplement dit : « Voici l’Agneau de Dieu ! » A ce moment-là, effectivement, il n’était que la voix, il n’était que le support, que le vecteur. Ce jour-là, la Parole se présentait elle-même sur les bords du Jourdain, dans une sorte d’extériorité et cependant dans une infinie proximité, une intimité infinie. Jean-Baptiste était bien prophète mais, ce jour-là, son geste prophétique était une sorte de cri d’émerveillement. Le simple geste de montrer : « Voici ! », un peu comme sur le retable d’Issenheim avec ce doigt mystérieusement courbé, incliné, qui montre l’Agneau de Dieu cloué sur la croix.

baptême-de-Jésus-JourdainCe jour-là, Jean-Baptiste recevait la Parole en personne. Totalement dépossédé de lui-même, il n’avait plus qu’à être la voix qui sert de support au Verbe de Dieu, le doigt qui le montre au peuple. Et en même temps Jean-Baptiste présentait cette Parole au peuple et mystérieusement voyait les épousailles de cette Parole avec les destinataires, le peuple tout entier, l’Épouse. C’est à ce moment-là que, pour ainsi dire, Jean-Baptiste a « le souffle coupé ». La voix ne crie même plus et elle entend, simplement, la joie de la rencontre. Alors que la plupart des prophètes de l’Ancien Testament avaient vécu le mystère de leur vocation prophétique comme cette espèce de déchirement, d’écrasement entre le mystère d’un Dieu qui appelle et un peuple qui ne veut pas accueillir cette Parole, mystérieusement Jean-Baptiste a eu cette grâce inouïe, à la fois de voir la Parole venir en personne à la rencontre du peuple, et l’Épouse en la personne de quelques disciples accueillir cette Parole.
Vous comprenez pourquoi Jean-Baptiste disait à ce moment-là : « Il faut que Lui grandisse et que moi je diminue ! » C’était effectivement l’achèvement de la vocation prophétique. Après Jean-Baptiste, il ne pouvait plus y avoir de prophètes au sens des prophètes de l’Ancien Testament. Avec Jean-Baptiste, par son ministère, par le simple geste d’avoir montré le Verbe fait chair, la rencontre s’était opérée en plénitude. La joie de Jean-Baptiste est encore la nôtre. Car nous aussi nous sommes mystérieusement des prophètes à la manière de Jean-Baptiste. Que ce soit vis-à-vis de nous-mêmes comme auditeurs de la Parole de Dieu, que ce soit vis-à-vis de nos frères à qui nous annonçons cette Parole de Dieu, nous sommes toujours comme Jean-Baptiste, ceux qui disent simplement : « Il est là ! » et qui, ensuite, le laissent parler, laissent la présence de la Parole s’effectuer au cœur de tout homme et d’abord à l’intime de notre propre cœur. Nous sommes alors ceux qui écoutent la voix de l’Époux accueillant l’Épouse dans son intimité et qui se réjouissent simplement de ce que le salut est donné en la personne de Jésus. AMEN.

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