3ième Dimanche de l’Avent par P. Claude TASSIN (Spiritain)

    Commentaires des Lectures du dimanche 13 décembre 2015

 

Sophonie 3, 14-18a (« Le Seigneur dansera pour toi et se réjouira »)

La Bible voit rarement Dieu se dévergonder, se conduire sans retenue comme un jeune homme amoureux, menant la danse pour sa bien-aimée. C’est pourtant le cas dans cette lecture. On regrette la nouvelle traduction édulcorée du lectionnaire : « il exultera pour toi », au lieu de la traduction plus exacte : « il dansera pour toi. » Le prophète songe à la Fête d’automne, la fête des Tentes qui, en Israël, célébrait la royauté de Dieu, vainqueur des forces du mal. Mais il rêve du jour où Dieu en personne conduira la fête. Distinguons deux parties :
1) L’invitation à la fête. Il faut une manifestation en cris et ovations, car « la fille Sion » voit venir son Seigneur qui a repoussé tous les ennemis. Il est « en toi », comme un roi à la présence rassurante.
2) Une promesse de salut. Lors de la fête d’automne, un prophète, quel qu’il soit, prononçait régulièrement un message d’encouragement commençant par la formule Ne crains pas. Ici, on annonce la présence du Seigneur victorieux, manifestant en une danse exubérante son amour pour cette « fille Jérusalem ».
Sophonie écrivit entre 640 et 609. Cependant, le poème final que nous lisons dans cette liturgie est sans doute une addition postérieure au livre de Sophonie, le cri d’espérance d’un autre prophète après la destruction de Jérusalem en 587. Mais saint Luc a interprété à sa manière le poème de Sophonie, lorsqu’il fait dire à l’ange de l’Annonciation : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Luc 1, 28). Marie, fille de Sion, nous a déjà donné la source de notre joie.

Philippiens 4, 4-7 (« Soyez dans la joie : le Seigneur est proche »)

Il faut se réjouir, mais *dans le Seigneur. Car les chrétiens de Philippes, persécutés par leurs concitoyens païens n’ont pas de quoi rire (lire Philippiens 1, 28-30). Que leur joie soit de savoir le Seigneur proche d’eux, puisqu’ils souffrent pour lui, pour leur fidélité, et qu’il viendra si l’épreuve devient insupportable. Que leur « sérénité » prouve à tous cette espérance, même à leurs persécuteurs.
La prière sera l’antidote de l’inquiétude » : par l’action de grâce, ils verront mieux ce que Dieu leur donne déjà pour tenir ferme, et la supplication ravivera leur confiance en lui. La prière leur apportera une paix inimaginable, en renouvelant leur attachement au Christ (« votre cœur ») et en leur faisant mieux saisir (« votre intelligence ») que leurs épreuves les associent de près au destin de Jésus.
Les chrétiens de Philippes ont bien besoin de paix ! Car, autre difficulté, l’égoïsme et les rivalités déchirent leur communauté (voir Philippiens 4, 2-3, puis 2, 2-4).
En ce troisième dimanche de l’Avent, dimanche de la joie, ou, avant le Concile, le prêtre portait une chasuble rose, Sophonie chante la joie de la venue d’un Roi amoureux de son peuple. Paul invite à cultiver une joie sereine au cœur des épreuves qui peuvent assaillir notre foi et notre espérance.

* La joie dans le Seigneur. « L’Apôtre nous ordonne d’être joyeux, mais dans le Seigneur, non selon le monde (…). De même que l’on ne peut servir deux maîtres, c’est ainsi qu’on ne peut être joyeux à la fois selon le monde et dans le Seigneur (…). Mais quelqu’un dit : Je suis dans le monde ; donc, si je suis joyeux, je suis joyeux là où je suis. – Et alors ? Parce que tu es dans le monde, tu n’es pas dans le Seigneur ? Écoute encore saint Paul parlant aux Athéniens et qui affirme au sujet de Dieu et du Seigneur, notre Créateur : C’est en lui qu’il nous est donné de vivre, de nous mouvoir, d’exister. Car celui qui est partout, en quel lieu n’est-il pas ? N’est-ce pas à cela qu’il nous exhortait ? Le Seigneur est proche, ne soyez inquiets de rien. C’est là un grand mystère : il est monté au-dessus des cieux, et il est tout proche de ceux qui habitent sur terre. Qui donc est à la fois lointain et tout proche, sinon celui qui s’est tellement rapproché de nous par la miséricorde ? » (saint Augustin, homélie sur la Lettre aux Philippiens).

 

Luc 3, 10-18 (Jean Baptiste prépare les foules à la venue du Messie : « Que devons-nous faire ? »)

Luc bâtit sur Jean Baptiste un petit drame en trois actes. Le premier acte, inconnu des autres évangélistes, met en scène l’enseignement du Baptiste.

L’enseignement du Baptiste

Le baptême de conversion (évangile de dimanche dernier) suppose qu’on passe aux actes. À tous, Jean demande un partage en vêtement et nourriture avec les pauvres, au moins à partir du surplus (« deux vêtements »). C’est ensuite un gros plan de l’évangéliste sur deux classes sociales : 1) Les collecteurs d’impôt ne se gênaient pas pour emplir leurs poches en majorant les taxes, l’Autorité fermant les yeux tant qu’il n’y avait pas d’abus trop voyant. 2) Les soldats, romains ou auxiliaires samaritains, ne mettaient pas le tact envers la population juive au sommet de leurs soucis. À ces deux groupes, Jean demande une conduite conforme à la justice sociale. Viennent donc à lui des gens de tout acabit, même des publicains, peu aimés, et des étrangers. Ce public du *baptisme sera aussi celui de Jésus.

Le peuple en attente

Pour renouer avec ce que racontent Marc, Matthieu et surtout Jean 1, 19-23, Luc compose un deuxième acte très bref : la foule représente le peuple d’Israël en attente d’une intervention de Dieu. Alors Jean ne serait-il pas le Christ, c’est-à-dire le Messie ?

Jean et Jésus

Le troisième acte permet à Jean de se situer. Luc recourt ici aux mêmes traditions que Matthieu, mais avec des nuances :
1) Jean annonce bien la venue du « Plus Puissant », appellation discrète du Messie. Mais, contre Matthieu, Luc évite de faire dire à Jean : « celui qui vient à ma suite », pour que Jésus n’ait pas l’air d’avoir été d’abord un disciple baptiste (ce qu’il fut, du point de vue historique ; voir Jean 3, 22-26).
2) Comme chez Matthieu, on annonce que Jésus « baptisera dans l’Esprit Saint et le feu », mais Luc seul peut penser ici à la Pentecôte qu’il racontera, lui seul, dans les Actes des Apôtres (chap. 2). D’ailleurs, la triple question des gens, « que devons-nous faire ? », est celle-là même que l’on posera aux apôtres au jour de la Pentecôte (voir Actes 2, 37). Ainsi, l’œuvre de Jean Baptiste prépare harmonieusement la mission de Jésus et son baptême prépare le baptême dans l’Esprit Saint. Luc peut même dire en conclusion que c’est déjà la Bonne Nouvelle (de Jésus), l’Évangile, que Jean proclame. Saluons saint Luc qui a horreur des conflits et qui sait pourtant bien que le baptisme a continué sa propre voie en dehors du christianisme. Mais il a raison : le baptisme ambigu fut le terreau sur lequel Jésus a fait pousser la fleur de son Évangile. Peut-être les chrétiens « purs et durs » d’aujourd’hui ont-ils encore du mal à admettre que l’Évangile puisse pousser en se nourrissant de quelque « fumier » inattendu. Il en fut pourtant ainsi aux origines.

* Le(s) baptisme(s). Nos évangélistes font du Baptiste le sponsor de Jésus, mais laissent deviner que ce Jean « roulait pour son compte » (ainsi Lc 7, 18-20), que Jésus fut un dissident de celui qu’il avait d’abord suivi et qu’un témoin de l’époque dépeint ainsi : Ceux réunis autour de lui étaient très exaltés en l’entendant parler. Hérode [Antipas] craignait qu’une telle faculté de persuasion ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il préféra donc s’emparer de lui (Flavius Josèphe). Les historiens savent que Jean ne représente qu’un des mouvements « baptistes » populaires de réveil prophétique qui rejetaient les institutions religieuses juives, criaient l’imminence du jugement de Dieu sur ce monde et préconisaient le rite du baptême de repentir comme l’antidote de cette catastrophe. L’incarnation de Dieu en Jésus passe par ces mouvements ambigus. L’incarnation de l’Évangile au vingtième et unième siècle prétendrait-elle être « plus pure » ?

 

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