Commentaires des Lectures du dimanche 20 décembre 2015
Michée 5, 1-4a (Le Messie viendra de Bethléem)
Le prophète Michée a vécu à la fin du 8e siècle avant notre ère. Rude campagnard de Judée, il dénonce la corruption généralisée des gens de Jérusalem et leur injustice sociale. Et, comme à son époque l’armée assyrienne s’enfonce en Palestine, il prévoit la destruction de la Ville en juste punition de son inconduite. Mais la ruine n’est pas le dernier mot de Dieu.
Après ce « temps de délaissement » pédagogique de la part de Dieu, paraîtra un nouveau David. Il ne viendra pas de l’orgueilleuse capitale, Jérusalem, mais du modeste bourg de Bethléem où était né David et qu’on appelait aussi Éphrata, du nom de la famille de David (voir 1 Samuel 17, 12). Michée n’appelle pas « roi » ce chef à venir, tant les souverains de Jérusalem ont déshonoré ce titre. Il ne s’intéresse pas à son père, mais seulement à sa mère, celle qui doit enfanter, au jour que Dieu voudra. Le petit David était un berger devenu pasteur du peuple de Dieu (voir Psaume 77 (78), versets 70-72) ; son successeur réalisera le même idéal : modeste, il rassemblera « ses frères » dispersés et Dieu lui donnera un rayonnement mondial, mais dans un esprit de paix. Né à Bethléem, selon Matthieu et Luc, Jésus réalisera de manière déconcertante cet *oracle de Michée.
* L’oracle de Michée. Michée n’a pas vu en rêve la naissance de Jésus à Bethléem, mais il a mis en œuvre ses facultés de jugement. Isaïe aussi, contemporain de Michée, a jugé que la lignée pourrie des rois de Judée demandait du sang neuf : Ainsi pousserait « un rameau de la souche de Jessé [le père de David] » (Isaïe 11,1 ) ; d’une jeune reine mère naîtrait l’Emmanuel (Isaïe 7,14). Pour Matthieu 2, 5-6, Jésus est ce recommencement espéré, même si certains Juifs doutaient que Jésus fût né à Bethléem (voir Jean 7, 41-43).
Hébreux 10, 5-10 (« Me voici, je viens faire ta volonté »)
L’auteur anonyme de la Lettre aux Hébreux parle à des chrétiens qui fondaient trop leur foi sur le culte du Temple de Jérusalem, même si l’écrit est composé probablement après la ruine du Temple en l’an 70. Il leur montre que la venue du Christ doit changer notre lecture de l’Ancien Testament. Dans ce passage, il raisonne ainsi :
1) Dans le Psaume 39 (40), versets 6-8, *le Christ dit que Dieu n’attend pas de lui des sacrifices matériels, mais l’offrande de son corps, en totale obéissance à la volonté divine.
2) L’auteur précise alors : les sacrifices étaient prescrits par la Loi de Moïse. Or, avec la venue du Christ, Dieu n’en a plus voulu. C’est donc qu’un nouveau culte, l’offrande du Christ, remplace l’ancien.
3) Par cette volonté de Dieu accomplie jusqu’au bout, par le don de soi du Christ en sa Passion, nous sommes sanctifiés, c’est-à-dire en relation vraie avec Dieu – et cela une fois pour toutes, alors qu’avant, il fallait refaire chaque année les mêmes sacrifices.
Ainsi l’Incarnation de Noël inaugure la route du sacrifice de la croix qui aboutit à notre rédemption. Dieu n’attend plus que nous lui offrions « des choses », mais que nous nous offrions nous-mêmes sans cesse à son vouloir, à la suite d’un Christ « frère des hommes ».
* Le Christ dit, d’après le Psaume… Dans les psaumes de l’Ancien Testament, les apôtres voient des prophéties : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps… Le psalmiste priait ainsi, sans savoir qu’il était par avance la voix du Christ parlant au Père. Interprétation naïve ? Non, car le Christ incarne tous les humains qui cherchent à s’offrir totalement à Dieu. À leur tour, les chrétiens aiment prier les psaumes qui leur permettent de s’unir à la prière d’un Christ frère de toute humanité.
Luc 1, 39-45 (« D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »)
Le film des évangiles de l’Avent, rappelons-le, procède par retours en arrière. Au 1er dimanche, la caméra explorait l’horizon de notre attente d’aujourd’hui : l’ultime venue du Fils de l’homme mettant fin à l’histoire. Après les deux séquences sur le Baptiste (2e et 3e dimanches), c’est maintenant un gros plan sur des événements qui préparent directement la naissance de Jésus, aujourd’hui la scène de la Visitation.
Du vieil Israël (Élisabeth) à la jeune Église (Marie)
L’épisode ne se réduit pas à une leçon de service donnée par la future mère du Messie. Car cette page de Luc a une haute portée symbolique : Marie, la jeune Église habitée par le Christ, se porte à la rencontre du vieil Israël, Élisabeth habitée en son ventre par le dernier des prophètes, le futur Jean Baptiste. Marie voit son annonciation confirmée par Élisabeth ; l’Église voit sa mission confirmée par le vieil Israël, son aîné. Marie part en hâte, avec empressement ; en elle la Parole de Dieu commence déjà sa course jusqu’aux extrémités de la terre (voir Actes 1, 8).
Rencontre de Marie et d’Élisabeth, du Baptiste et de Jésus
Marie salue sa cousine ; la salutation de Gabriel se fait contagieuse (cf. Lc 1, 28 : Réjouis-toi ! le Seigneur est avec toi). L’enfant tressaille, reconnaissant la venue du Seigneur. Jérémie fut choisi comme prophète dès le ventre de sa mère (Jérémie 1, 4). Plus grand que Jérémie, plus grand que tous les prophètes (Luc 7, 26-28), le futur Baptiste prophétise dès le sein, par son agitation fœtale et par les paroles maternelles inspirées. Saluée comme bénie entre toutes les femmes, Marie passe au rang des héroïnes de l’histoire sainte, Yaël et Judith (voir Juges 5, 24 et Judith 13, 18). Mais Élisabeth reconnaît surtout la mère de son Seigneur, titre qui évoque à l’avance le Christ ressuscité et monté auprès de Dieu (voir Actes 2, 36).
« Heureuse celle qui a cru… »
Élisabeth énonce enfin une béatitude : l’honneur de Marie tient en sa foi sans laquelle l’histoire du monde n’aurait pas pris son tournant décisif. Plus tard, Jésus dira que la maternité charnelle de Marie compte moins que son écoute et sa fidélité à la parole de Dieu : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent » (Luc 11, 27-28). En cela, la Visitation concerne tous les croyants ; car toute personne chrétienne et toute Église sont « enceintes » de la présence du Christ à donner au monde.
Vocation et confirmation
Après tout, une annonciation par un ange est peu vérifiable. En revanche, la Visitation représente le mystère de la vraie rencontre en laquelle on reçoit de l’autre une révélation de soi-même : Marie reçoit d’Élisabeth la confirmation de sa mission, celle d’être la mère du Seigneur. Elle découvre surtout que cette mission est liée à sa foi en la parole de Dieu. Élisabeth reçoit de Marie la salutation qui lui révèle la présence du Christ espéré par l’Ancien Testament. La Visitation est aussi le mystère du chrétien qui apporte au non-croyant la présence du Christ et qui se comprend mieux lui-même quand il s’entend dire « toi qui es chrétien, dis-moi… ». La Visitation est enfin une conférence au sommet, un *dialogue, dans l’histoire du salut, par le truchement symbolique du bonheur de deux femmes enceintes.
* Dialogue. Saint Ambroise (340-397) fut préfet de police à Milan avant d’être élu comme évêque de cette cité. De ses homélies sur l’Évangile de Luc, lisons son paragraphe sur la Visitation : « Remarquez les nuances et l’exactitude de chaque mot. Élisabeth fut la première à entendre la parole, mais Jean fut le premier à ressentir la grâce : la mère a entendu selon l’ordre naturel des choses, l’enfant a tressailli en raison du mystère ; elle a constaté l’arrivée de Marie ; lui, celle du Seigneur ; la femme, l’arrivée de la femme, l’enfant, celle de l’enfant; les deux femmes échangent des paroles de grâce, les deux enfants agissent au-dedans d’elles et commencent à réaliser le mystère de la piété en y faisant progresser leurs mères ; enfin, par un double miracle, les deux mères prophétisent sous l’inspiration de leur enfant.
Heureux, vous aussi qui avez entendu et qui avez cru ; car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe et le reconnaît à ses œuvres. »