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Dimanche des Rameaux- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

UNE DOUBLE LECTURE DE LA PASSION

Jésus rameauxFrères et sœurs, en ce dimanche des Rameaux, nous entendons le récit de la Passion selon saint Luc. Il y a deux manières d’écouter ce récit. Et ces deux manières correspondent à deux attitudes de l’homme moderne qui nous orientent vers deux voies totalement différentes.

La première attitude, la première écoute nous fait dire : « Je suis en train d’entendre tout ce que Dieu a fait pour moi, voilà ce que Dieu a payé pour moi, voilà ce que Dieu a souffert pour moi. Voilà tout ce que je lui dois ». Dans cette première attitude, on écoute la Passion – pardonnez-moi l’expression –, d’une façon économique, donnant-donnant. Lui-même, il a fait tout cela pour moi, donc, je luis dois « tant ». Et comme en général nous sommes assez lucides pour nous dire que nous ne pourrons jamais rembourser la dette, à ce moment-là, on a l’impression que ce récit de la Passion augmente en nous la mauvaise conscience : « Je devrais faire plus, je devrais être mieux, ma religion est une religion d’effort, il faut que je fasse davantage, davantage, davantage ! »

C’est une certaine manière de voir les choses. Il n’y a pas que du faux là-dedans, mais c’est vrai qu’à certains moments cette religion-là est devenue la religion de l’échange, de la compensation. Surtout, comme dans toutes les transactions économiques, elle est devenue la religion de la sélection. Il y a ceux qui arrivent à faire un petit quelque chose pour se présenter devant Dieu en disant : « Voilà, j’aurai quand même droit à un strapontin ». Cette religion-là, c’est la religion souvent de la mauvaise conscience : « Je suis un mauvais chrétien, je ne fais pas ce qu’il faut ».

On peut se demander si c’est la bonne manière de lire et d’entendre ce récit de la Passion. Est-ce que vraiment Dieu est un comptable ou pire encore, un banquier ? Est-ce que Dieu calcule les intérêts, calcule pour savoir si sa Passion, sa souffrance et sa mort ont été de bons rapports ou non ? Autrement dit, est-ce que Dieu rentre dans le calcul de nos manières humaines de voir ? La religion ne serait-elle que ce qui englobe et ce qui résume tous nos comportements, toutes nos attitudes surtout dans ce monde où aujourd’hui rien n’est gratuit, tout se calcule, tout se paie, tout se doit ?

croix_tripleIl y a une deuxième manière de lire la Passion, je crois qu’elle est plus vraie. Il y a une deuxième manière d’entendre le personnage de Jésus comme un homme qui a souffert pour nous, comme un homme qui a porté nos péchés, un homme qui a enduré pour nous toutes les souffrances, c’est indéniable. Mais le Christ n’a pas fait cela pour nous mettre dans une situation de dette. Il l’a fait gratuitement. Il faut une générosité folle pour venir dire aux hommes : « Je sais ce qu’est le fond de votre cœur. Je sais la violence et le péché qui habitent les hommes et cependant, je viens au milieu de vous pour vous dire que l’amour de Dieu est sans conditions, sans intérêts, sans préalables financiers, économiques ou d’échanges. Désormais, je ne veux plus être avec vous dans une relation de dettes, je veux vivre avec vous dans la relation de gratuité que je suis en train d’instaurer ».

A ce moment-là pour Dieu, le maximum de la gratuité consiste à dire : « Vous voyez, même dans ce domaine de la souffrance, dans ce vis-à-vis de la mort dans lequel chaque homme, et nous en sommes tous, demande toujours des comptes, pourquoi faut-il mourir ? Pourquoi y a-t-il tant de drames ? Pourquoi y a-t-il tant de mal ? Moi-même je l’assume, je le prends, et je le vis pour vous ». Ici, le mot « pour » a un tout autre sens que dans le premier cas. Dans le premier cas, le sens économique de « pour », c’est : « Je le fais pour toi mais je t’enverrai la facture ». Ici, le Christ dit : « Je le fais pour toi et il n’y aura pas de facture ! »

Saint Paul d’ailleurs avait pensé exactement la même chose en disant un jour à ces premiers chrétiens qui devaient penser un peu comme cela : « Devant tout ce que le Christ a fait, qu’est-ce que je lui dois ? » Et saint Paul avait dit : « Il a déchiré la cédule de notre dette ». C’est une traduction un peu malheureuse, cela qui veut dire qu’il a simplement déchiré la facture. Ce n’était pas une fausse facture, elle était vraie et le Christ l’a déchirée. Dieu ne veut plus vivre avec nous dans un rapport de dette.

amour du christ

Évidemment, cela suppose de notre part de changer complètement d’attitude. La foi chrétienne n’est pas une opération de bon rapport financier en misant sur les bonnes actions de l’au-delà au sens bancaire du terme. La foi chrétienne, c’est la réponse gratuite à cette gratuité de Dieu. Et quand nous entendons cet évangile de la Passion, ce qui devrait être notre premier sentiment, note première attitude, c’est cette gratuité et ce merci parce que Dieu a bien voulu jouer le jeu de tout ce qui pèse sur nous, de tout ce qui nous écrase, mais pour nous dire simplement que son seul souci c’est de nous rendre libres. La Passion de Jésus-Christ n’est pas une école d’asservissement par les dettes, elle est une école de libération par la gratuité de Dieu : « Puisque je t’ai aimé gratuitement, aime-moi sans me demander de comptes. Aime-moi sans calculer, je n’ai pas calculé pour toi. Je n’exige rien, si tu ne le fais pas, on verra plus tard, mais la seule chose que je te demande, c’est de ne plus calculer avec moi ».

rameaux2Frères et sœurs, c’est pour cela qu’aujourd’hui, pendant la fête des Rameaux, nous lisons la Passion. En réalité, la véritable attitude que nous devons avoir devant la Passion, c’est celle que nous avons en agitant gratuitement des rameaux. En acclamant le Christ par un geste absolument gratuit et un peu fou, pour le remercier parce qu’il est là, pour ce qu’il a fait pour nous. Il y a une complémentarité fondamentale entre le geste d’entrer en acclamant le Christ pour la gratuité de son salut, et d’autre part le récit de sa Passion lu en ce dimanche des Rameaux, récit de la gratuité de l’offre du salut par Dieu lui-même. Ceci a une énorme importance dans notre propre vie. Vous le savez, si nous hésitons entre les deux lectures, la lecture économique et la lecture de la gratuité, c’est parce que nous nous sentons pris petit à petit dans un monde où c’est l’échange réglé, mesuré et calculé qui a fini par envahir toute notre vie et tous nos réflexes.

Il ne nous reste plus qu’une petite banquise qui risque de fondre. C’est la banquise de la générosité et de la gratuité. Cette petite banquise-là, il ne faut pas la perdre. Il faut que nous en soyons les témoins. Nous avons dans ce monde actuel, qui à certains moments étouffe sous le poids de la contrainte, de la misère, et je dirais même, dans ce monde actuel qui à certains moments, donne une idée de la gratuité ou de la richesse qui bafoue les pauvres, nous avons à être les témoins d’une gratuité sans mépris, sans suffisance, une gratuité qui vient de Dieu, celle par laquelle il a dit : « Père, pardonne-leur ». Amen.