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6ième Dimanche de Pâques- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Le Christ, transfiguration de la souffrance

 

esprit saint 2« C‘est la paix que Je vous donne, c’est ma paix que Je vous donne. Ne soyez donc pas bouleversés ni effrayés ».

Frères et sœurs, je voudrais m’adresser plus spécialement à ceux et celles d’entre vous qui d’une manière ou d’une autre, dans leur corps ou dans leur cœur, sont marqués par l’épreuve de la souffrance.

Qu’est-ce que la souffrance ? C’est difficile à dire, presque aussi difficile à dire que redoutable à vivre et à éprouver dans son cœur et dans sa chair. Car la souffrance, c’est d’abord le fait que tout à coup, alors que nous sommes faits pour vivre, pour communiquer avec les autres, pour partager, pour échanger, pour être libres de nos mouvements, aller là où bon nous semble, tout à coup notre corps surtout, mais parfois aussi notre cœur, nous apparaissent comme une limite, comme un handicap pour vivre, comme une sorte de barrière qui petit à petit se marquerait autour de nous et qui empêcherait à ce moment-là de sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre des autres et pour les accueillir. Ce qui est terrible dans la souffrance, c’est le fait qu’à tout moment, je suis renvoyé à moi-même, à mon corps, à cette partie de moi-même qui souffre et dont je ne peux plus me défaire, qui envahit tout le champ de ma conscience et qui fait que je suis comme muré par cette présence de moi-même à moi-même. Je suis là, je souffre, je ne pense plus qu’à cette souffrance. La souffrance est comme cette espèce d’enfermement terrible qui ne devrait pas avoir lieu, car notre corps est fait pour communiquer avec les autres, pour marcher. Et tout d’un coup nous éprouvons en nous-mêmes cette limite, ce poids, cet empêchement. Alors que notre cœur est fait pour nous émerveiller, pour regarder autour de nous, pour accueillir la joie, le bonheur de vivre, voilà que tout à coup ce cœur est comme bloqué, paralysé par cette souffrance. À ce moment-là, la vie nous apparaît comme insupportable car tout ce qui, dans un premier mouvement, devrait nous mettre en contact avec l’extérieur, nous semble en réalité comme un enfermement accablant.

Frères et sœurs, à vues humaines il n’y a pas d’explication ou de justification de la souffrance ; elle est le contraire même de ce à quoi, profondément, nous aspirons. Elle est le contraire même de ce dynamisme profond de notre vie. Et pourtant, nous-mêmes comme croyants, comme disciples de Jésus-Christ, nous croyons que, si terrible que soit à porter notre souffrance, en réalité depuis que Jésus est mort et ressuscité pour nous, ce n’est plus exactement la même chose. Le texte de l’évangile d’aujourd’hui peut nous aider à mieux le comprendre.

jesus-pleureJésus Lui-même, au moment où Il prononce ces paroles, sait qu’Il va affronter cette souffrance terrible des hommes que nous appelons l’agonie et qu’Il va l’affronter dans un contexte particulièrement terrible puisqu’Il va être condamné publiquement à une mort atroce, de dérision, infiniment terrible à porter et à vivre, la mort sur la croix, cette longue épreuve à la fois d’étouffement, de tétanie de tout le corps crucifié, de douleur dans tous les membres. Cependant, le testament qu’Il fait au moment où Il passe la dernière soirée avec ses disciples est extraordinairement paisible et comme confidentiel : « Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne ».

Un homme qui va mourir crucifié et qui dit simplement à ses disciples : « La seule chose que J’ai à vous donner maintenant, c’est la paix ». Et Il insiste : « Je vous le dit maintenant avant que cela n’arrive, pour qu’au moment où cela arrivera, vous croyiez », comme si Jésus savait à quel point sa souffrance, son supplice allaient être une sorte de déroute profonde dans le cœur des disciples et avec cette très grande paix, Il leur dit en quelque sorte : « Je vous annonce tout cela, mais pour que vous gardiez la paix ». Et puis encore il leur explique : « Je m’en vais vers le Père, et apparemment vous êtes tristes parce que Je vous dis cela, parce que vous soupçonnez qu’il y a quelque chose qui est lié à la mort et à la souffrance dans mon départ. Et pourtant vous devriez vous réjouir de ce que Je vais vers le Père ».

Autrement dit, frères et sœurs, ce sont des paroles étranges pour quelqu’un qui est sur le point d’entrer dans la souffrance et qui dit simplement : « Je m’en vais, mais Je vous laisse ma paix ». Mais quelle paix peut apporter un homme qui va être torturé et livré à la souffrance ? C’est précisément que, si Jésus entre dans la souffrance des hommes, c’est pour que la souffrance qui est apparemment cet enfermement sur soi, cet accablement qui nous écrase, que cette souffrance en réalité puisse devenir, uniquement par sa grâce, par sa présence, parce qu’Il est là et qu’Il a promis, dans le cœur de ceux qui souffrent, que cette souffrance envers et contre tout ce qui, humainement, est lourd à porter puisse, étant porté par Jésus Lui-même, devenir un chemin de Pâques, de sortie vers Dieu, hors de nous-mêmes en présence même de l’amour de Dieu. Ceci dépasse tout ce que nous pouvons comprendre, ceci est au-delà de notre propre manière humaine de voir. Il n’y a que Jésus qui pouvait nous dire une chose pareille. Il n’y a que le Dieu qui a souffert pour nous qui pouvait nous dire que la souffrance n’est pas cette espèce d’impasse dans laquelle apparemment nous sommes jetés sans horizon, en n’y voyant plus rien, en étant comme aveuglés par la souffrance, mais que tout en restant souffrance, elle peut devenir véritablement une ouverture au mystère de notre entrée dans la gloire.recevoir-pardon

Frères et sœurs, cela ne retire rien ni à la souffrance physique ni à la souffrance morale dont chacun d’entre nous peut, à un moment ou l’autre de sa vie, avoir à porter le poids. Ceci n’est pas une sorte d’opération pour nous faciliter les choses, ce n’est même pas une sorte de parole consolante qui servirait comme d’un opium pour nous dire : après ça ira mieux, mais c’est vraiment rassurant que si Dieu est venu apporter et partager notre condition humaine totale, alors Dieu est venu aussi partager et vient aussi encore aujourd’hui partager notre souffrance. Et de même qu’Il a voulu que désormais tout ce que nous vivons soit un chemin vers le Père, de même Il veut que notre souffrance puisse être, elle aussi, avec Lui et par Lui, un chemin vers l’amour de Dieu.

Pour terminer, je voudrais simplement faire une allusion au texte de l’Apocalypse de la deuxième lecture. Vous avez remarqué que Jean nous décrit la Jérusalem céleste comme une ville avec des murailles. C’est vrai qu’habituellement les murailles, c’est de la pierre, c’est quelque chose qui nous enferme, qui mure littéralement notre cœur. Mais dans la Jérusalem céleste, les murailles sont de pierres précieuses, il y a même douze sortes de pierres précieuses, comme s’il y avait douze couleurs qui allaient composer désormais la lumière à l’intérieur de laquelle tous les élus se sont rassemblés. Je dirais que cette Jérusalem céleste avec des murailles de pierres précieuses, c’est la parabole de la souffrance. Habituellement les murailles sont un enfermement et une souffrance, et là, lorsque c’est Dieu qui façonne sa Jérusalem céleste, lorsque c’est Dieu qui donne la paix à l’homme, alors Il fait que ces murailles qui gardent leur consistance de pierre, leur dureté, leur côté impénétrable, cependant mystérieusement deviennent ces pierres précieuses, choisies aux yeux de Dieu, dans lesquelles peut chanter la lumière du salut et de l’éternité. Amen.