7ième Dimanche du Temps Ordinaire – par D. Jacques FOURNIER (Lc 6, 17.20-26)

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent« …

Voilà certainement une des pages les plus folles de l’Evangile. Elle nous entraîne tout en même temps au cœur de Dieu et au cœur de nos incapacités. Et le pont entre les deux devrait être notre foi qui, petit à petit, devrait nous permettre de poser des actes que nous n’aurions jamais accomplis par nous‑mêmes… Et pour avancer sur ce chemin si déconcertant, nous pouvons prendre le Christ comme exemple… Tout ce qu’il nous demande est en effet révélation indirecte de ce qu’il fait déjà pour chacun d’entre nous, pour tout homme sur cette terre, où qu’il soit, quel qu’il soit… En effet, nous dit St Jean, « le Verbe est la Lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1,9), et cette Lumière donnée est celle de l’Amour donné, car « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) et « Dieu est Amour » (1Jn 4,8.16)… Il s’agit donc de « la Lumière » de « l’Amour » qui « éclaire tout homme« , qui rejoint tout homme, qui se donne à tout homme… « Lorsque je serai élevé de terre« , nous dit Jésus, « j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32)…

« A celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande et à qui prend ton bien, ne le réclame pas« … Quel est donc le secret de Jésus pour vivre ainsi ? Il a tout d’abord une confiance totale en son Père. Il sait qu’Il est là, avec lui ; il veille sur lui et lui donne instant après instant, jour après jour, par les uns et par les autres, femmes et hommes « de bonne volonté » (Lc 2,14), tout ce dont il a besoin (Jn 8,28-29)… Et Jésus cherchera à nous introduire dans le mystère de cette confiance : « Ne vous tourmentez pas de ce que vous mangerez ou boirez… Votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le Royaume des Cieux et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Lc 12,22-32)… C’est à la lumière de cette certitude de foi que Jésus peut nous demander de donner à quiconque nous demande, de prêter sans rien attendre en retour, de laisser prendre notre tunique par celui qui nous a déjà pris notre manteau car Dieu s’occupe de chacun d’entre nous, il veille sur nous, et il ne permettra pas, si nous mettons ainsi sa Parole en pratique, que nous manquions du nécessaire… Folie de foi… Et c’est pour les aider à grandir dans cette confiance que Jésus, lors du premier envoi en mission de ses disciples, leur demanda de ne rien prendre avec eux : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent; n’ayez pas non plus chacun deux tuniques » (Lc 9,3). Il voulait qu’ils fassent, jour après jour, l’expérience de cette Présence agissante et bienveillante de Dieu, passant par les uns, par les autres, pour qu’ils ne manquent de rien, et cela en tous leurs besoins : nourriture, vêtements, logement, etc… Il voulait leur apprendre cette vérité concrète que le Psalmiste exprimait déjà : « C’est en toi que nos pères espéraient, ils espéraient et tu les délivrais… En toi ils espéraient et n’étaient pas déçus » (Ps 22(21),5-6). Et pour être bien sûr qu’ils avaient intégré toutes les leçons d’une telle expérience, il leur demanda juste avant sa Passion : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose? – De rien , dirent-ils. » Alors, qu’ils ne l’oublient jamais… ce qui ne veut pas dire qu’ils sont désormais dispensés de travailler, de peiner, de faire au mieux, loin de là…  » Maintenant« , ajoute-t-il, « que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace » (Lc 22,35-36). Et St Paul écrira : « Quand nous étions près de vous, nous vous donnions cette règle : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2Th 3,10). Mais quand, en conscience, nous aurons fait tout notre possible, si un imprévu, un coup dur, arrivent, nul doute que Dieu sera toujours le même : il accomplira sa promesse, et nous ne manquerons de rien… Folie de foi pour ceux qui ne croient pas…

Et il est tout aussi humainement fou « d’aimer nos ennemis, de faire du bien à ceux qui nous haïssent »… Et pourtant, Dieu est ainsi… En effet, en tant que « pécheurs« , nous sommes tous, même si le mot peut paraître fort, « ennemis » de Dieu. C’est ce que St Paul écrit dans sa Lettre aux Romains : « C’est en effet alors que nous étions sans force, c’est alors, au temps fixé, que le Christ est mort pour des impies; – à peine en effet voudrait-on mourir pour un homme juste; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir; – mais la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. Combien plus, maintenant justifiés dans son sang, serons-nous par lui sauvés » de toutes les conséquences de nos fautes. « Si, étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie » (Rm 5,6-10). Et jour après jour, Dieu est toujours ainsi à notre égard, nous manifestant le plus d’amour et de tendresse lorsque nous en avons le plus besoin, et donc surtout lorsque notre faiblesse, notre misère nous entraînent le plus loin sur les routes du mal… Il sait en effet à quel point ce mal que nous commettons nous blesse avant tout nous-mêmes avant, hélas, de blesser aussi parfois les autres… « Souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9)… Et devant toute cette souffrance, Dieu est bouleversé de compassion : compassion bien sûr pour toutes celles et ceux qui en souffrent, mais compassion aussi pour celles et ceux qui font souffrir et qui, à ce titre, ne peuvent « qu’être mal » eux aussi, et donc souffrir… Dans la traduction grecque du Psaume 103(102) cité en ce jour, nous avons littéralement : « Le Seigneur est compatissant et miséricordieux, patient et plein de miséricorde. Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses« . Et cette attitude s’est révélée avec le plus de force en Jésus, le Fils éternel du Père, « Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu » (Crédo) : lors de sa Passion, il s’est laissé insulter, mépriser, frapper, dépouiller, crucifier… Sans un mot, il a pris sur lui tout ce mal, toutes ces souffrances, et il les a offerts pour la guérison notamment de ceux là-mêmes qui le  faisaient tant souffrir… « C’étaient nos péchés qu’il portait dans son corps, sur le bois, afin que morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris » (1P 2,21-25)… Toutes les souffrances, toutes les conséquences de nos fautes, Jésus les a prises sur lui pour nous en délivrer… Alors, oui, vraiment, comme nous y invite le Psalmiste (Ps 103(102), « bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits. Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse« … La traduction grecque de la Septante a : « Il te couronne de miséricorde et de compassion« …

« Dieu est Amour », nous dit St Jean par deux fois (1Jn 4,8.16), et nous découvrons en Jésus Christ ‘comment’ il nous aime : il prend sur lui notre péché, nos misères, il souffre de nos souffrances et il est blessé de nos blessures pour que nous puissions, avec lui et grâce à lui, en guérir, petit à petit… Il vit nos ténèbres, il s’unit de coeur à elles, pour que nous, pécheurs, nous puissions, grâce à Lui et avec Lui, être dans sa Lumière… Il meurt de notre mort pour que nous puissions vivre de sa vie… « Et l’Amour avec lequel Dieu nous aime a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5) au jour de notre baptême. C’est en s’appuyant sur cet Esprit de continuelle Bienveillance que nous sommes invités nous aussi, petit à petit, à grandir dans cette folie de Dieu qui « Lui, est bon, pour les ingrats et les méchants », car « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22)… Alors, avec l’Esprit, par l’Esprit, grâce à l’Esprit, « aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent« …

                                                                                                    D. Jacques Fournier

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