1

Audience Générale du Mercredi 2 Mars 2016

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 2 Mars 2016


 

Frères et sœurs, comme un bon père de famille Dieu éduque et corrige ses enfants, favorisant leur croissance dans le bien. Dans le livre d’Isaïe, le Père est blessé et déçu par l’ingratitude des fils d’Israël, portés, dans leur orgueil, à des prétentions d’autonomie et d’autosuffisance. Dieu en appelle à leur conscience pour qu’ils se repentent et se laissent de nouveau aimer. La conséquence du péché est alors la souffrance, car là où il y a refus de Dieu, la vie n’est plus possible, elle perd ses racines, tout est perverti et anéanti. Mais le châtiment même doit faire réfléchir le pécheur, pour l’ouvrir à la conversion et au pardon. Le salut comporte ainsi la décision d’écouter et de se laisser convertir. Il est nécessaire de se rapprocher de Dieu, les mains purifiées, évitant le mal et pratiquant le bien et la justice.

La miséricorde de Dieu est offerte à tous. Mettons à profit ce temps du carême qui nous est donné pour regretter nos péchés, et nous engager courageusement dans une vie nouvelle.

Je vous souhaite un bon chemin vers Pâques, et que Dieu vous bénisse.

 

 

 



 

 




Le Crédo, un commentaire (P. Rodophe Eymard)

Aux messes dominicales, la paroisse a pris la décision de prendre le Crédo de Nicée Constantinople pour proclamer notre foi après la méditation de la Parole de Dieu. Je vous propose d’expliciter sommairement les grands aspects de ce Crédo à partir de l’enseignement du Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC). Dans le Crédo, nous avons l’essentiel de la foi.

« Je crois en un seul Dieu,

le Père tout puissant,

créateur du ciel et de la terre,

de l’univers visible et invisible,

Je crois en un seul Seigneur,

Jésus Christ,

le Fils unique de Dieu,

né du Père avant tous les siècles :

Il est Dieu, né de Dieu,

lumière, né de la lumière,

vrai Dieu, né du vrai Dieu

Engendré non pas créé,

de même nature que le Père ;

et par lui tout a été fait.

Pour nous les hommes, et pour notre salut,

il descendit du ciel ;

par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie,

et s’est fait homme.

Crucifié pour nous sous Ponce Pilate,

Il souffrit sa passion

et fut mis au tombeau.

Il ressuscita le troisième jour,

conformément aux Ecritures,

et il monta au ciel;

il est assis à la droite du Père.

Il reviendra dans la gloire,

pour juger les vivants et les morts

et son règne n’aura pas de fin.

Je crois en l’Esprit Saint,

qui est Seigneur et qui donne la vie;

il procède du Père et du Fils.

Avec le Père et le Fils,

il reçoit même adoration et même gloire;

il a parlé par les prophètes.

Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique.

Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.

J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

Amen »

Je crois en un seul Dieu

 

Je crois : crédo en latin. En disant Je crois, je professe ma foi. La foi est un acte personnel, une adhésion.

Icône de la TrinitéEn un seul Dieu : Dieu est unique. Les chrétiens sont monothéistes (foi en un seul Dieu ≠ polythéisme). Les chrétiens sont baptisés « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et non au nom du Père, au nom du Fils et au nom du Saint-Esprit. Au nom d’un seul et unique Dieu qu’on nomme la Trinité. Et le mystère de la Sainte Trinité est le mystère central de notre foi. Une seule unité, une seule nature divine, trois personnes : trois personnes en un seul Dieu. Mais les trois personnes sont distinctes entre elles. Chacune des trois personnes participe d’une façon personnelle dans l’œuvre unique de Dieu, dans le plan de Dieu pour l’humanité1. C’est ce que nous allons voir.

 

 

Le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible.

 

Le Père tout puissant : Dieu est Père. Dieu est tout puissant parce qu’il créateur. Tout ce qui existe c’est lui qui l’a fait. La toute-puissance de Dieu se comprend par sa paternité. Sa paternité s’exprime par l’amour et la miséricorde infinis. Dieu est tout puissant en amour et en pardon. Il faut bien comprendre cette toute-puissance car nous avons en arrière-fond des visions filmographiques de la toute-puissance : des guerriers, des conquérants. La toute-puissance de Dieu s’exprime dans la croix du Christ. Dieu a révélé son pardon et son amour infinis dans la croix. Se pose la question du mal : comment Dieu qui est tout puissant peut-il le tolérer ? Dieu a créé l’homme libre, c’est un mystère. En l’homme, il y a un libre arbitre pour choisir le bien et le mal. C’est l’homme en exerçant mal sa liberté, en se détournant de Dieu qui commet le mal. Le mal n’est pas une création de Dieu car Dieu n’est qu’amour. Dieu aime tellement l’homme qu’il ne l’enchaîne pas. Ce dernier est libre de choisir Dieu ou de le refuser.

Dieu Père (Giovanni Battista Cima) 2

Créateur du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible : Pourquoi Dieu a-t-il créé ? Dieu a créé par sagesse et par amour, pour sa plus grande gloire. Dieu crée ‘de rien’, il n’avait besoin d’aucune aide pour créer. C’est un acte de liberté. Dieu n’avait pas besoin de créer pour exister… A l’origine, Dieu a créé le monde bon et bien ordonné (avant que le péché soit commis). Dieu a créé par le Fils et par le Saint Esprit. Donc la création est l’œuvre de la Trinité.

Du ciel et de la terre de l’univers visible et invisible : Tout ce qui existe. La terre est le monde des hommes. Le ciel désigne le « lieu » propre de Dieu. Dieu a créé l’homme et des entités invisibles : les anges (une vérité de foi !).

Les anges sont des créatures spirituelles qui glorifient Dieu sans cesse. Ils sont au service de Dieu.

« Dieu créa l’homme et la femme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il le créa » (Gn 1, 27). L’humanité est sexuée : homme et femme ; différence sexuelle voulue par Dieu. L’homme seul est à l’image de Dieu. L’homme seul a le souffle de Dieu en lui. L’homme seul est doté d’une conscience pour discerner le bien et le mal, pour discerner ses actes. L’homme a une place particulière au sein de la création. Dieu lui confie sa création, il est co-créateur. L’homme n’est pas un animal parmi d’autres !

Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ

 

Deuxième personne de la Trinité. Jésus est au cœur de la catéchèse. Le CEC précise : « La transmission de la foi chrétienne, c’est d’abord l’annonce de Jésus-Christ, pour conduire à la foi en Lui » (n°425).

 

Jésus : En hébreu : « Dieu sauve ». Ce nom signifie que Dieu est présent en la personne de Jésus. Nom divin qui seul apporte le Salut : « C’est Lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21).

jésus enseignant 2

Christ : Messie = oint. Jésus est l’envoyé de Dieu. Jésus est le Christ car Dieu « l’a oint de l’Esprit Saint et de puissance » (Ac 10, 38). Il est ce Messie attendu par Israël, annoncé par les prophètes dans les Ecritures Saintes.

Seigneur : Titre divin. Souveraineté divine.

 

le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : Il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu Engendré non pas créé, de même nature que le Père ; et par lui tout a été fait.

 

Unique : Jésus est l’unique Fils de Dieu. Nous sommes fils de Dieu par adoption. Nous sommes fils dans le Fils unique.

marieDe toute éternité, bien avant la création, la Trinité existe : Père, Fils et Saint-Esprit. De toute éternité, le Fils qu’on dit aussi le Verbe de Dieu est engendré par le Père c’est-à-dire que toute éternité, le Fils tire sa source du Père. Le Verbe est vrai Dieu, de même nature que le Père. Il est de toute éternité donc non crée. Et à un jour précis de notre histoire, le Verbe de Dieu s’est fait chair dans le sein de la Vierge Marie. Conséquence : une des personnes de la Trinité, le Verbe de Dieu est depuis le jour de l’incarnation est pour l’éternité vrai Dieu et vrai homme.

 

Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.

 

Visage de JésusPourquoi le Verbe de Dieu s’est fait chair ? Pour notre Salut c’est-à-dire pour nous sauver. Le Verbe de Dieu fait chair par l’action de l’Esprit Saint nous sauve en réconciliant avec Dieu car l’homme de par son péché s’est détourné de Dieu. Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour nous révéler l’amour du Père. Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour être notre modèle de sainteté : Jésus nous montre le chemin à suivre pour aller vers Dieu (selon ce que nous enseigne l’Evangile). Le Verbe de Dieu s’est fait chair pour nous rendre participants de la nature divine, pour faire de nous des fils qui partagent la vie même de Dieu.

Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Il est le trait d’union, la médiation entre Dieu et les hommes. En Jésus, Dieu se fait proche de l’homme et l’homme se fait proche de Dieu. Dieu n’a jamais été aussi proche de nous !

Nous comprenons alors pourquoi Jésus est au cœur de notre foi. Il est le seul chemin pour atteindre de Dieu.

Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures, et il monta au ciel; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin.

 

La deuxième personne de la Trinité occupe le plus grand développement au sein du credo. Cette partie du credo est le cœur du cœur de la foi chrétienne. Nous faisons exprimons ce mystère de la foi à chaque Eucharistie : c’est l’anamnèse : « Tu as connu la mort, tu es ressuscité et tu reviendras dans la gloire ! » Tel est le cœur de notre foi. Le mystère pascal : la passion, la mort et la résurrection du Christ est la première annonce faite par les apôtres et que l’Eglise doit continuer à annoncer au monde.

Croix Lumière

Jésus est venu pour annoncer le Règne de Dieu. Il n’est pas venu abolir la loi comme il le dit lui-même : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir » (Mt 5, 17). La loi donnée par Dieu au peuple par l’intermédiaire de Moïse est bonne en elle-même mais Israël la pratiquait mal. Jésus est venu montrer comment la pratiquer en remettant au centre ce pourquoi la Loi était donnée : en vue de l’amour de Dieu et du prochain.

En s’annonçant comme le Fils de Dieu, beaucoup se sont opposés à Jésus. Les autorités de l’époque l’ont donc mis à mort. Par sa mort et sa résurrection, Jésus a vaincu la mort, le mal et le péché de toute l’humanité. Jésus s’est offert librement sur la croix pour aller jusqu’au bout du témoignage de Dieu et de l’amour2. Ainsi, il a porté tous les péchés du monde. Par son obéissance radicale, Jésus répare nos fautes, la désobéissance de l’homme vis-à-vis de Dieu. La croix exprime donc l’amour infini de Dieu pour l’humanité qui a accepté de livrer son propre Fils en vue de la libération. Le sacrifice du Christ est unique et définitif. Il n’est plus à refaire. Le mystère pascal du Christ apporte le Salut définitif. Chaque homme doit coopérer pour recevoir le Salut apporté par le Christ. Dieu compte sur notre liberté car il ne peut pas nous sauver si nous le refusons.

Jésus ressuscite Adam et Eve

Le symbole des apôtres nous dit que le Christ est descendu aux enfers. Il faut faire une distinction entre « les enfers » et « l’enfer ». Le séjour des morts où le Christ mort est descendu, l’Ecriture l’appelle les enfers, le Shéol ou l’Hadès. Ce sont les morts qui étaient privés de la vision de Dieu. Tous ces morts ont précédé la venue de Jésus sur terre et l’âme du Christ est descendue aux enfers pour libérer les âmes justes qui attendaient le Libérateur annoncé par les Prophètes et les Ecritures. Les enfers sont un « lieu » d’attente. Jésus a sauvé toute l’humanité, de toutes les générations. L’enfer est la séparation éternelle d’avec Dieu. Par un choix libre, à sa mort, l’homme peut refuser l’amour miséricordieux de Dieu. C’est l’état de l’enfer.

Il monta au ciel; il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin : Depuis son ascension, Jésus est entré dans la gloire totale de Dieu dans son humanité. Il n’est plus présent physiquement en ce monde mais par son Esprit. Il est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. Il reviendra dans la gloire3 où il instaurera une fois pour tout son règne, sa victoire définitive sur le mal existant en ce monde. Mais sa victoire est déjà acquise par son mystère pascal. Il jugera les vivants et les morts. Tous, nous serons jugés et le Christ n’étant que l’amour nous jugera sur l’amour c’est-à-dire sur les œuvres d’amour qui seront faites en ce monde. Se pose à nous la question de la responsabilité et de la conversion.

 

Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie; il procède du Père et du Fils. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire; il a parlé par les prophètes.

 

Esprit SaintL’Esprit Saint : Troisième personne de la Trinité. L’Esprit Saint est Dieu. Ce n’est pas un esprit quelconque. Toute la mission de Jésus a été accomplie dans l’Esprit Saint. Au cœur même de Dieu, il y a l’amour et cet amour c’est l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est l’amour que le Père a pour le Fils et que le Fils a pour le Père. C’est lui qui nous permet de rentrer en relation avec Dieu, de nous aimer les uns les autres à la manière de Jésus. L’Esprit Saint nous permet de nommer Dieu, notre Père Abba, de nous rappeler de l’enseignement de Jésus et de le mettre en pratique. L’Esprit Saint dépose en nous ses dons pour nous aider à vivre et agir en chrétiens. Jésus nous a promis cet Esprit Saint reçu à la pentecôte pour constituer et élargir l’Eglise aux dimensions du monde. L’Esprit Saint anime, sanctifie et dirige l’Eglise.

       Ce qui est premier c’est cette foi en Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit. Le reste du credo est l’œuvre de Dieu, le projet de Dieu pour l’humanité, le don de Dieu…

Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique

Le mot Eglise signifie « convocation ». Une assemblée convoquée par le Christ. L’Eglise est à la fois visible et invisible. Il y a l’Eglise du ciel et l’Eglise de la terre qui ne forment qu’une seule et unique Eglise. Elle est le sacrement du Salut c’est-à-dire que c’est dans l’Eglise que le Salut se réalise par Jésus Christ. Elle est l’instrument par lequel le Christ agit, le signe et l’instrument de l’Alliance de Dieu avec l’humanité. L’Eglise est à la fois humaine et divine : humaine car elle est composée d’hommes et de femmes, elle est structurée pour sa bonne marche mais divine car elle est instituée et dirigée par le Dieu trinitaire. C’est pourquoi on dit de l’Eglise qu’elle est le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l’Esprit Saint.

 Jésus Eglise

Une : Car l’Eglise confesse un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Elle ne forme qu’un seul corps vivifié par l’Esprit Saint.

Sainte : Bien qu’elle soit composée de membres pécheurs, l’Eglise est sainte parce que le Christ qui est la Tête est saint. C’est l’Esprit Saint qui la sanctifie.

Catholique : C’est-à-dire universelle, L’Eglise est de tous temps et répandue à travers le monde.

 

Apostolique : Elle repose sur le témoignage des 12 apôtres. Elle a l’unique mission de continuer le témoignage des apôtres.

Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.

BaptemeLe baptême est le premier et principal sacrement pour le pardon des péchés, c’est-à-dire que nous échappons à l’esclavage du péché pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu. Au baptême, nous sommes unis au Christ mort et ressuscité, nous recevons l’Esprit Saint, nous devenons enfants de Dieu et nous entrons dans la famille des chrétiens (= l’Eglise).

J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

 

Résurrection - Lourdes Basilique du RosaireJ’attends la résurrection des morts : c’est-à-dire je crois à la résurrection de la chair. L’homme est corps et âme, il ne faut jamais dissocier ces deux aspects. A la mort, l’âme qui est immortelle est séparée du corps. Au dernier jour, nous croyons que nous ressusciterons dans un corps semblable à celui du Christ. Non pas dans ce corps que nous connaissons en ce monde voué à disparaitre mais dans un corps glorieux et spirituel. La résurrection du Christ est le gage, l’espérance de notre propre résurrection.

Baptême signifie « plongée ». Nous sommes plongées dans la mort et la résurrection du Christ. Pour ressusciter il faut passer par la mort. La mort est donc un passage et non une fin… Par le baptême, la résurrection est déjà inscrite en nous.

La vie du monde à venir : La vie éternelle, dans le Royaume de Dieu. Jésus a prêché la venue de ce Royaume qui nous est promis en héritage. La vie éternelle c’est vivre dans la plénitude de Dieu.

Le symbole des apôtres évoque « la communion des saints » : ce sont toutes les personnes qui nous ont précédées dans la foi et que nous attestons être déjà dans la gloire de Dieu car ils ont mis l’Evangile en pratique tout au long de leurs existences. La communion des saints témoigne de cette espérance en la vie éternelle.

Amen

Amen se rattache à la même racine que le mot « croire ». Il exprime la solidité, la fiabilité, la fidélité. En le disant, il confirme tout ce qui a été dit. On pourrait dire : « OK je crois ! »

                                                                                                                P. Rodolphe Eymard

 

Credo – P. Rodolphe Eymard : cliquer sur le titre précédent pour avoir accès au document PDF pour lecture ou éventuelle impression.




4ième Dimanche de Carême – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

Fils cadet et fils aîné

 

Nous le savons bien, cette parabole du fils prodigue est inépuisable parce qu’au fond elle résume en elle-même toute l’histoire du salut : Dieu a pardonné à l’humanité. J’aimerais simplement essayer de voir comment nous sommes à la fois des fils aînés et des fils cadets.

fils cadet

Je crois qu’une des choses les plus criantes de notre vie, c’est que nous sommes très souvent des fils cadets en demandant la part d’héritage qui nous revient, nous disons purement et simplement à Dieu que cette vie, qu’Il nous a donnée, nous voulons la vivre et l’arranger à notre goût et à notre manière pour la vivre sans Lui. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus glorieux dans notre existence, mais ça arrive plus souvent qu’à son tour.

Ce en quoi je pense il nous faut ressembler à ce fils cadet, c’est que, lorsque nous sommes réduits, à force de n’avoir voulu à en faire qu’à notre tête, lorsque nous sommes réduits à garder les cochons et à ne pas pouvoir manger même ce que mangent les cochons, lorsque notre péché nous a fait entrer dans une telle misère, dans une solitude et dans un isolement tels qu’ils nous deviennent insupportables, ce en quoi il nous faut imiter le fils cadet, c’est de nous souvenir du bonheur profond qu’il y a à vivre auprès de notre Dieu. C’est cela qui a bouleversé le cœur de ce prodigue. C’est cela qui devrait bouleverser notre cœur. Le seul motif pour lequel nous devrions nous convertir, ce n’est pas pour améliorer notre vie comme s’il fallait parfaire et fignoler ce personnage spirituel idéal auquel nous voudrions correspondre, le seul motif de nous convertir, c’est qu’il y a toujours, où que nous en soyons de notre péché et de l’oubli de Dieu, il y a toujours cette présence secrète, cette voix secrète qui nous dit : « Reviens vers le Père, car c’est là qu’est ton bonheur ». Voilà, je crois, ce qui caractérise au mieux, l’attitude du fils cadet et ce que nous devons essayer d’imiter dans notre propre vie : ce désir de nous convertir et de trouver le pardon de Dieu, parce que nous avons besoin et que nous avons soif du bonheur d’être auprès de Dieu.

Ce en quoi nous sommes des fils aînés, malheureusement, c’est aussi fréquent c’est que nous sommes sans cesse à calculer et à compter que les autres en font beaucoup moins que nous, qu’ils se cassent beaucoup moins la tête et que ça va toujours mieux pour eux que pour nous. Et c’est bien malheureux que nous ayons un tel regard sur l’existence des autres, parce qu’au fond ce qui fait le malheur de ce frère aîné, c’est qu’ayant toujours vécu auprès de son père, il n’imagine pas ce que c’est que le pardon.

amour de dieuLe pardon, ça ne peut pas se mesurer en affaire d’héritage, ça ne peut pas se mesurer au fait qu’on a gaspillé ou non cet héritage. Le pardon, c’est le fait qu’à un certain moment, dans la détresse de quelqu’un a surgi la grâce de Dieu. Et à ce moment-là, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de se mettre à genoux et de rendre grâces, ce que ne fait précisément pas l’aîné et ce que nous ne faisons pas souvent. Chaque fois que nous sommes en présence de notre frère, nous devrions d’abord le voir comme un pécheur pardonné et ne pas d’abord nous préoccuper de savoir s’il est plus pécheur ou moins pécheur que nous. Cela n’a aucun intérêt, au contraire, cela ne sert qu’à nous égarer et à nous perdre nous-mêmes. Mais chaque fois que nous rencontrons nos frères, nous devrions être capables, à propos de chacun d’eux, de rendre grâces parce que ce frère est un pécheur pardonné et qu’il a connu la miséricorde comme nous aussi nous l’avons connue.

C’est vrai que, par certains aspects, nous sommes des frères aînés. C’est vrai que nous avons connu déjà d’immenses grâces de Dieu, que nous avons essayé, tant bien que mal, de rester toujours fidèles à l’appel de notre Dieu. Mais, de grâce, lorsque nous voyons nos frères qui sont en train de se convertir, de rentrer dans le sein de la miséricorde de Dieu, n’ayons pas le réflexe de celui qui se croit sur un terrain dont il est le possesseur, le propriétaire, de manière privée. Qu’au contraire nous ayons ce cœur ouvert, puisque Dieu a ouvert son cœur et sa miséricorde à nos frères. Que, nous aussi, à notre mesure, mais avec beaucoup d’amour et d’espérance, nous ouvrions notre cœur à la miséricorde et au pardon mutuel.

Je voudrais enfin insister sur un tout petit aspect qui est un des moteurs de la parabole. Lorsque le fils se dit qu’il doit retourner chez son père, à vrai dire il n’a pas, comme on dirait aujourd’hui « une image du père » tellement flatteuse. Il va lui dire : « Je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes journaliers ! » Autrement dit, le fils imagine le stratagème suivant. Si je vais travailler chez mon père, j’aurais à manger. Il est conscient de son péché, de l’indignité dans laquelle il est tombé. Il a trahi le statut de fils qu’il avait eu, par grâce, par le simple fait qu’il était né dans cette maison. Et il se dit : « Etant donné que je suis déchu, on ne peut pas aller au-delà d’un contrat donnant-donnant. Si mon père, à cause de la reconnaissance et de l’aveu, acceptait que je puisse être chez lui un salarié, alors j’aurais de quoi manger ». Les motifs du retour ne sont reluisants ni du point de vue du jeune fils qui se trouve dans la misère, et c’est vraiment la faim qui fait sortir le loup du bois, ni du côté du but car il s’imagine que son père va signer avec lui un contrat.

misericordia

Or ce qui fait précisément le revirement et la tension de la situation, c’est que, au moment même où le fils arrive, il n’a pas le temps de raconter ce qu’il avait préparé. Il reconnaît simplement, à haute voix, qu’il a péché contre le ciel et contre son père, mais son père ne lui laisse pas finir la deuxième phrase qu’il avait soigneusement établie pour essayer d’entrer dans ses bonnes grâces. C’est que, dans l’attitude de Dieu, le pardon est préalable à tous les dons. Pour nous qui sommes pécheurs, nous devons comprendre que la grâce de Dieu n’est pas simplement un contrat en bonne et due forme, dans lequel nous essaierions au mieux d’aménager nos relations avec Dieu. Combien y a-t-il de chrétiens qui croient que c’est parce qu’on se donne la peine de dire ses fautes que Dieu nous les pardonne, ce qui est une compréhension extrêmement dévoyée du mystère du pardon, un peu d’ailleurs celle du jeune fils qui prend la résolution de retourner à la maison. Le pardon est immotivé. D’une certaine manière, il est aussi immotivé que le péché, que le départ du jeune fils. De la part de Dieu, pardonner signifie le maximum de la grâce. A l’intérieur de ce pardon, ensuite, pourront s’épanouir tous les dons.

C’est là un des aspects les plus fondamentaux de notre existence chrétienne. C’est que le pardon signe la gratuité absolue de la réconciliation et de la rentrée en grâce. Ainsi tout ce qui nous est donné par la suite, toutes les grâces qui nous sont faites, tous les dons qui nous sont accordés, sont faits, de la part de Dieu, « sur fond de pardon ». Ainsi donc, pour chacun d’entre nous, la grâce la plus fondamentale est celle d’être pardonné. Pardon = donner parfaitement. En l’occurrence, cette définition porte quelque chose de tout à fait vrai. Si nous sommes ainsi pardonnés, alors nous recevons, par ce pardon, l’assurance que Dieu ira jusqu’au bout de son don, c’est-à-dire jusqu’à l’achèvement de nous-mêmes dans la gloire et dans la réconciliation avec Dieu, puisqu’Il a commencé par le geste le plus absolu et le plus décisif pour chacun d’entre nous. Amen.




4ième Dimanche de Carême par P. Claude Tassin (Dimanche 6 mars 2016)

Josué 5, 10-12 (L’arrivée en Terre Promise et la célébration de la Pâque)

 

Dans l’histoire sainte tracée au long du carême par les lectures de l’Ancien Testament,, le 4ième dimanche chaque année rappelle le don de la *Terre promise.

 Il s’agit, en cette année C, de la première Pâque célébrée sur ce sol si longtemps espéré. Sous la conduite de Josué (en grec « Jésus »), successeur de Moïse, le peuple a traversé le Jourdain à pied sec et s’est installé à Guilgal le 10 du mois de nisan (cf. Josué 4, 19), jour prescrit pour la préparation de la Pâque. On a circoncis ceux qui ne l’avaient point été durant l’exode ; car ne peuvent participer à la Fête que les circoncis (cf. Exode 12, 48). Avec les premières récoltes dans le pays, on mange les pains sans levain, sans doute selon un rite ancien qui distingue encore la célébration des pains azymes (fête des sédentaires) et la Pâque elle-même (fête des nomades), puisqu’on n’évoque pas ici l’immolation de l’agneau. La consommation d’épis grillés est une particularité inconnue par ailleurs, sauf lors de l’offrande des prémices de la récolte (cf. Lévitique 2, 14).

Cette festivité clôt l’errance du Peuple de Dieu : une première Pâque avait préludé à la libération de l’oppression de l’Égypte (Exode 12 – 15) ; la nouvelle Pâque accomplit la promesse de Dieu. Dès lors cesse le don de la manne, ce pain « de pauvreté » (Deutéronome 8,16). qui avait nourri le « carême » d’Israël dans le désert

 

* Entrer en Terre promise. « Lorsque tu abandonnes les ténèbres de l’idolâtrie et que tu désires accéder à l’obéissance de la loi divine, alors tu commences ta sortie d’Égypte. Lorsque tu es inscrit au groupe des catéchumènes et que tu commences à suivre les préceptes de l’Église, tu traverses la mer Rouge. Dans les haltes que tu fais chaque jour au désert, tu t’appliques à écouter la voix de Dieu et à contempler le visage de Moïse qui te révèle la gloire du Seigneur. Mais lorsque tu arrives enfin à la source spirituelle du baptême et que tu es initié par les prêtres et les lévites à ces mystères vénérables et merveilleux que connaissent ceux-là seuls qui ont droit de les connaître, alors, avec l’aide des prêtres, tu traverses le Jourdain et tu entres dans la Terre de la promesse : c’est la Terre où, après Moïse, c’est Jésus lui-même qui te prend en charge et te guide sur la route nouvelle » (Origène [3e siècle], Homélies sur Josué).

 

Psaume 33

La liturgie nous offre les trois premières strophes de ce psaume. Le poème bénit, loue Dieu qui soutient les justes au milieu de leurs épreuves, le Seigneur qui vient au secours du pauvre persécuté en raison sa fidélité à Dieu. Le rapport de ces versets à la 1ère lecture est assez lâche, sinon par l’antienne, tirée du verset 9 ; « Goûtez et voyez ; le Seigneur est bon ! » Par leur première Pâque sur la Terre promise, par les produits du sol, les fils d’Israël ont enfin goûté, après leur long exode, la bonté du Seigneur.

De manière plus large, le psaume est mis en lien avec le Carême, parce que, dans les premières Églises, ce poème scandait la préparation des catéchumènes au baptême.

 

2 Corinthiens 5, 17-21 (Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ»)

Cette page de Paul nous prépare à entendre l’évangile du fils perdu et retrouvé, de la réconciliation entre le père et son fils entre les frères.

Les circonstances de la lettre

Au départ, l’Apôtre tente ici de régler un problème concret : les Corinthiens ont prêté l’oreille à des prédicateurs qui dénigrent sa manière d’exercer son ministère. Quelqu’un a même insulté Paul en public (cf. 2 Corinthiens 2, 5-7). L’heure est venue d’une vraie *réconciliation, qui sera le signe d’une réconciliation avec Dieu lui-même.

La réconciliation, pour une création nouvelle

Le chrétien est « une créature nouvelle ». Mieux vaudrait traduire ainsi : le croyant est « une création nouvelle ». L’accent de Paul ne porte pas sur le statut du baptisé, mais sur l’action de Dieu qui, par le don de la réconciliation ou, synonyme, de la restauration, crée un monde nouveau.

Le chrétien doit quitter « le monde ancien » de la discorde. Dieu a pris l’initiative d’une sorte d’amnistie générale du genre humain. Opérée par le Christ, grâce au pardon des péchés, cette œuvre se prolonge par le ministère des apôtres qui sont les ambassadeurs du Christ, ses représentants attitrés. Et si les Corinthiens restaient fâchés contre Paul, ils l’empêcheraient d’exercer son ministère de réconciliation, qui est aussi « ministère d’une alliance nouvelle » (lire 2 Corinthiens 3, 1-6). Qu’ils se rappellent l’essentiel de l’Évangile qu’ils ont reçu : ce Christ sans péché, Dieu a permis que tombe sur lui le sort des pécheurs (voir Isaïe 53, 4) afin qu’ainsi, le péché étant vaincu, oublié, nous puissions devenir des justes aux yeux de Dieu, des êtres nouveaux dans un monde à qui Dieu a offert et offre toujours sa réconciliation avec nous.

* Réconciliation ? Dans le langage d’aujourd’hui, la réconciliation suppose d’ordinaire une démarche de réciprocité entre deux personnes ou deux groupes. Tel n’est pas le sens du mot grec (katallagè) utilisé par Paul. Le terme, en son origine, a des résonnances politiques. Il s’agit du décret par lequel un souverain rend à une cité les droits qu’elle avait perdus – d’où, sous la plume de Paul, l’image complémentaire de l’ambassade. Après des affrontements séculaires, César avait accordé à la ville de Corinthe une katallagè. Ce n’est pas nous qui nous réconcilions avec Dieu. C’est Dieu qui nous offre sa réconciliation et nous propose de l’accepter.

 

Luc 15, 1-3.11-32 (Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie)

La liturgie de ce jour retient la dernière des trois « paraboles de la miséricorde », celle dite du Fils prodigue, ainsi que le dialogue d’introduction indiquant l’occasion de ces paraboles. Le problème est, à l’origine, celui des fréquentations de Jésus : pourquoi « fait-il bon accueil » à ceux que l’on classe comme pécheurs, qui n’observent pas la Loi ? Voilà le scandale des pharisiens et des scribes : lui, un juste appartenant à leur propre camp, pourquoi s’intéresse-t-il aux ennemis de Dieu ? En fait, comme dans la confrontation entre les pharisiens et les pécheurs, le ressort de la parabole tient dans la confrontation implicite entre le cadet et l’aîné.

Le cadre

Le personnage du fils cadet, représentatif sans doute de certaines fréquentations de Jésus, devait susciter le dégoût des auditeurs pharisiens : gaspillage de l’héritage paternel, vie dissolue, en terre païenne, au contact de cochons impurs et prêt à manger leur nourriture ! Et voici le premier déclic important du texte : dans sa décision de rentrer à la maison, le prodigue, dé »couvrant son indignité, a décidé de se situer en ouvrier, et non en fils, en oubliant ce que c’est peut-être aussi au père de déterminer sa propre réaction.

Nous avons oublié, par lecture routinière, que l’accueil du père tient du scandale : un oriental digne, maître d’un grand domaine, ne « court » pas, surtout pour étreindre pareil voyou ! La clé de cette attitude choquante sonne ainsi : « il fut saisi de compassion. » Il restaure le fils dans sa dignité de fils : vêtement de fête, bague (bague à sceau pour signer les factures ?), sandales du citoyen libre. Le père ordonne la fête. Pour ce fils mort, *le pardon est une nouvelle naissance.

L’aîné

Le récit culmine dans le dernier acte, avec l’arrivée du fils aîné dont on comprend aisément la colère. De nouveau se révèle ce père peu commun : il avait couru sans vergogne étreindre le cadet. À présent il sort au devant de l’aîné – et « le supplie », sans amour propre aucun. Dans la logique de Jésus, ce fils ne comprend pas mieux la fibre paternelle que son cadet : « je te sers… je n’ai jamais transgressé ton commandement… » Lui aussi se situe en serviteur. Il faut que le père lui rappelle le privilège d’une intimité qu’il semble oublier : « Mon enfant, tu es toujours avec moi… »

Le personnage du *fils aîné porte sur lui tout le poids de la parabole et représente l’attitude des pharisiens dans leur relation avec Jésus : ils l’estiment et voudraient le voir rentrer sans compromission dans le rang des justes. Mais lui voudrait au contraire les voir partager la tendresse de Dieu qu’il incarne dans ses fréquentations envers ceux qui sont perdus.

Relecture

Luc, évangéliste et missionnaire, relit la parabole dans le sens suivant : « Le fils aîné représente évidemment Israël, plus confiant dans la justice légale de ses propres œuvres que dans celle que Dieu donne par sa miséricorde, et qui refuse l’intégration des nations, représentées par le fils cadet. La proposition d’accueil reste cependant en vigueur et Israël ne peut donc être exclu, puisque sa situation dépend seulement de sa propre décision… » (S. Beaubœuf, La montée à Jérusalem).

Sauf si des parents entendent aussi incarner la tendresse de Dieu, cette parabole n’est pas une leçon de morale familiale. Mais il y a deux justices : celle qui établit les droits et les devoirs, et celle de l’amour, la tendresse du Père des cieux. Jésus nous invite à la partager en accueillant ceux qui sont perdus, pour qu’ils découvrent qu’ils ont un Père… et des frères.

* Le pardon, une naissance. « Je me lèverai et j’irai vers mon père. Celui qui dit ces paroles gisait à terre. D’où lui vient cet espoir ? Du fait même qu’il s’agit de son père. « J’ai perdu, se dit-il, ma qualité de fils; mais lui n’a pas perdu celle de père. » Il n’est pas besoin d’un étranger pour intercéder auprès d’un père : l’affection même de celui-ci intercède et supplie au plus profond de son cœur. Ses entrailles paternelles le pressent à engendrer de nouveau son fils par le pardon » (saint Pierre Chrysologue).

* Le fils aîné. « La position du fils aîné, dans laquelle nous place la finale du récit, est plus inconfortable que celle proposée par les liturgies pénitentielles; celles-ci se limitent au premier volet et nous conduisent de la sorte à nous identifier avec le cadet – ce qui est probablement plus facile ! Indéniablement, Luc insiste davantage sur le second volet. Quoi qu’il en soit, l’éclairage principal porte sur l’amour et la compassion du père à l’égard de chacun, à l’œuvre tout au long du récit » (H. Cousin, L’Évangile de Luc).

 




4ième Dimanche de Carême par le Diacre Jacques FOURNIER

Consentir à ce Dieu et Père qui nous cherche tous (Lc 15,1-32)…

En ce temps-là,  les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole :
« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”
Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,
car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.
Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier.
Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis.
Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.
Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »

           

            fils prodigueL’Evangile de ce Dimanche est à lui seul un condensé de la Bonne Nouvelle. Trois paraboles s’enchaînent : la brebis perdue et retrouvée (Lc 15,4-7), la pièce de monnaie perdue et retrouvée (Lc 15,8-10), le plus jeune fils qui, ayant choisi au début un chemin de perdition, décide enfin de se repentir et de revenir chez son Père (Lc 15,11-32). Et ce dernier dira en l’accueillant les bras grands ouverts : « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ».

            Trois récits, et pourtant, juste avant le premier, St Luc écrit : « Jésus leur dit cette parabole », au singulier… Autrement dit, tout ce qui suit est comme une seule parabole. Ces trois récits renvoient donc à une seule et même réalité…

            Or, dans les deux premiers, le pasteur et la femme sont deux images qui renvoient à Dieu, ce « Père » qui nous aime avec des « entrailles » de Mère (Is 63,15‑17). Entre Dieu et l’homme pécheur qui l’a abandonné et si souvent offensé, c’est Dieu qui a toujours l’initiative et qui ne cesse de le « chercher avec soin, jusqu’à ce qu’il le retrouve ». Voilà comment Dieu se comporte envers tout homme sur cette terre ! Nous sommes tous des « cherchés par Dieu », des « désirés par Dieu », des « voulus par Dieu », car Dieu est notre Père à tous, un Père qui aime infiniment chacun de ses enfants. Non, « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils qui est la victime offerte pour nos péchés ». (1Jn 4,10). « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,8).

            « Je ne cesserai pas de les suivre pour leur faire du bien, je trouverai ma joie à leur faire du bien » (Jr 32,40-41). Voilà ce que fait Dieu vis-à-vis de l’homme qui se perd dans les ténèbres de son péché… Et quand ce dernier dresse enfin l’oreille de son cœur, il ne peut qu’entendre la Voix de Celui qui n’a cessé de le suivre pour lui offrir toute sa Tendresse, son Amour et sa Miséricorde infinie… S’il accepte de se laisser rejoindre, de se laisser aimer tel qu’il est, il s’entendra dire alors : « Je t’ai suivi jusqu’à maintenant dans tous tes errements. Maintenant, lève-toi, détourne-toi de tout ce qui en fait te détruit, et suis-moi ! ». Et Dieu au même moment lui offrira la Force de son Esprit sans laquelle il ne peut rien… Avec Elle et par Elle, c’est Lui qui le portera et le ramènera à la Maison (les deux premiers récits). Mais rien ne se fera sans le consentement libre et responsable de ce fils perdu, qui, une fois retrouvé par son Dieu et Père, décide de consentir à cet Amour qui le précède : « Je vais retourner chez mon Père, et je lui dirai : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi »… Et il se retrouvera aussitôt revêtu de la plus belle robe de la Maison du Père, celle du Père Lui-même, Robe de Splendeur, de Majesté, de Lumière et de Gloire…               DJF





Rencontre autour de l’Évangile – 4ième Dimanche de Carême

 Ton frère que voilà était mort,

et il est revenu à la vie. ”

TA PAROLE SOUS NOS YEUX

Situons le texte et lisons (Lc 15, 1-3, 11-32)

On peut proposer au groupe une lecture dialoguée en répartissant les rôles : un narrateur, le fils prodigue, le père, le domestique, le fils aîné. Cette manière donnera plus de vie au texte et permettra de mieux situer chaque personnage de la parabole. 

Situons le texte

Cette parabole est la troisième des “ paraboles de la miséricorde ” qui forment le chapitre 15 de l’évangile selon Saint Luc. Les deux premières sont la parabole de la brebis perdue et retrouvée suivie de celle de la pièce d’argent perdue et retrouvée. Avec elles, c’est Dieu, le premier, qui part à la recherche du pécheur jusqu’à ce qu’il le retrouve. Dans la troisième, c’est le fils prodigue qui prend la décision de revenir… Mais le contexte général permet de dire que s’il en est ainsi, c’est que son Père l’a déjà retrouvé, et il a consenti à son appel de revenir de tout cœur à Lui en se repentant de ses fautes. Tout vient de Dieu, tout est Don de Dieu, mais nous sommes tous invités, en toute liberté, à consentir à sa Présence et à sa grâce, une grâce qui nous permettra de revenir à Lui, de nous convertir vraiment… 

Soulignons les mots importants 

Les publicains : qui sont-ils et pourquoi sont-ils mis avec les pécheurs ?

Les pécheurs : ce sont tous ces gens qui sont considérés pécheurs parce qu’ils ne pratiquent pas parfaitement tous les préceptes de la Loi de Moïse, ceux qui sont considérés comme impurs parce qu’ils sont en contacts avec les païens, les infirmes.

Cet homme fait bon accueil… et mange avec eux : Cette fois, c’est Jésus qui accueille, sans doute chez lui (chez Pierre), à sa table.

Pourquoi cela provoque-t-il les réactions des pharisiens ?

Les personnages de la parabole :

Quels sont les mots importants de la parabole? 

            – qui décrivent l’attitude du fils cadet ?

            – qui décrivent l’attitude du Père ?

            – qui décrivent l’attitude du fils aîné ?

Quel est le personnage central de la parabole ?

Qu’est-ce que Jésus nous révèle de Dieu son Père?

 

Ensemble regardons Jésus

Jésus nous révèle le Père : par toute sa vie, son attitude à l’égard des pécheurs, de tous ceux que l’on méprise ou mis de côté. “ Qui me voit, voit le Père ” (Jn 14,9).

 

 

Pour l’animateur

Les publicains étaient, au temps de Jésus, des juifs qui percevaient  les impôts (le denier public) pour le compte des Romains qui occupaient le pays. Ils n’étaient pas rémunérés. Ils se payaient eux-mêmes en augmentant le montant de la taxe prévue. Non seulement ils travaillaient pour les occupants, des païens, mais ils avaient la réputation de s’enrichir sur le dos de leurs compatriotes. Ils étaient considérés comme des pécheurs publics, peu fréquentables. Parmi les Douze, Matthieu était un publicain. Nous connaissons aussi un autre publicain célèbre : Zachée.

            Inviter quelqu’un à sa table, c’est lui montrer de la considération et souvent, de l’amitié. De plus, chez les juifs, le repas avait toujours un caractère sacré. L’évangile nous montre souvent Jésus dans un repas : Noces de Cana, chez Simon le pharisien, chez Zachée, chez Marthe et Marie…On comprend que les pharisiens qui vivaient “ séparés ” pour se protéger et se considéraient comme des purs, étaient choqués de voir Jésus partager un repas avec des publicains.

            Les personnages de la parabole :

            Le plus jeune : “ il part pour un pays lointain – gaspille – vie de désordre – dans la misère – je meurs de faim – garder les cochons (la pire déchéance pour un juif) réfléchit – j’ai péché – partit pour aller vers son Père. ” Ce n’est pas tellement le regret d’avoir rompu avec son père qui le pousse à revenir. C’est la misère et la faim.

            Le Père (personnage central de la parabole). “ Son père l’aperçut (au loin), saisi de pitié, courut, se jeter à son cou, le couvrit de baisers…vite, le plus beau vêtement, une bague, des sandales, faisons la fête. Il sort et supplie son fils aîné. Ton frère était mort et il est revenu à la vie. ”

C’est en mesurant à quel point son Père l’aime et l’a toujours aimé, que ce fils mesure la gravité de son attitude et en même temps éprouve le bonheur d’être pardonné.

            Le fils aîné : “ Je suis à ton service, sans avoir jamais désobéi, ton fils que voilà ”. Lui non plus, il n’a jamais fait l’expérience de la tendresse de son Père. D’ailleurs il se considère comme un serviteur, et non un fils. Il n’aime pas davantage son frère. C’est l’homme de la loi, qui se considère juste, irréprochable et méritant. Jésus vise les pharisiens qui d’ailleurs  comprennent bien qu’il parle pour eux.

Jésus nous révèle un visage de Dieu étonnant : non seulement il ne fait aucun reproche, mais il offre généreusement sa tendresse au pécheur qui se présente avec sa misère et il fait la fête en pardonnant.

 

L’ Évangile aujourd’hui dans notre vie

Quelle idée nous nous faisons de Dieu ? Quelqu’un qui nous surveille de haut et de loin ? Quelqu’un qui est prêt à nous punir ? Un Père qui souffre de voir un de ses fils ou l’une de ses filles loin de lui, se détruisant dans une vie de désordre ? Qui attend avec patience le retour du pécheur ? Qui accueille, pardonne et embrasse son fils ou sa fille qui était perdu et qui est retrouvé ?

Quelle est notre attitude vis à vis de ceux qui sont partis? Qui ont quitté la “ maison de famille ”. Quel est notre regard sur ceux qui sont loin ? Quel visage de Dieu je leur présente par mon attitude, par mes paroles ?

La parabole ne dit pas si finalement le fils aîné a répondu à la supplication du père en participant à la fête des retrouvailles : la parabole est ouverte. C’est à chacun de nous de nous mettre à la place du fils aîné et de voir ce qu’il nous reste à faire.

Dans l’Église, nous sommes tous des pécheurs pardonnés. Ce qui nous unit dans la fraternité de l’Église, c’est bien que, tous, nous avons été réconciliés avec le Père et entre nous, grâce au sang de Jésus son Fils.

Mais vivons-nous vraiment en fils et filles bien-aimés du Père et en frères entre nous ?

La paroisse, c’est “ une maison de famille fraternelle et accueillante ” (Jean Paul II). Où en sommes-nous ?

 

Ensemble prions.

Nous voici devant toi Seigneur Jésus, comme le fils qui a dilapidé l’héritage : toi le Fils bien-aimé, conduis-nous vers le Père. (tous)

Nous voici devant toi comme la pécheresse accusée : toi qui es sans péché, donne-nous le pardon. (tous)

Nous voici devant toi comme Zachée le publicain : toi l’ami des pécheurs, apprends-nous à donner. (tous)

Chant : L’enfant prodigue p.184 (carnet paroissial)

ou “  Oui je me lèverai p.185 c.1,6,7, 8, 9

 

 Pour lire ou imprimer le document en PDF cliquer ici : 4ième Dimanche de Carême Année C

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Vivre du Dieu « Source de Vie »…

« Dieu est Esprit » nous dit St Jean (Jn 4,24) et il a créé l’homme « esprit » pour lui donner de pouvoir participer à ce qu’Il Est Lui-même. Notre « esprit » peut ainsi être comparé à une « capacité spirituelle » que Dieu désire « remplir » de ce qu’Il Est Lui‑même : son Esprit qui est Vie…

Le prophète Jérémie présente ainsi deux fois « Dieu » comme étant « une Source d’Eau Vive » :

Jr 2,13 : « Mon peuple a commis deux crimes :

Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive,

pour se creuser des citernes,

citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau. »

Source 3

Jr 17,13 : « Espoir d’Israël, Yahvé,

tous ceux qui t’abandonnent seront honteux,

ceux qui se détournent de toi seront inscrits dans la terre,

car ils ont abandonné la source d’eaux vives, Yahvé. »

Le Psaume 36 présente également Dieu comme une Source :

Ps 36,10 : « En toi (Seigneur) est la source de vie,

par ta lumière nous voyons la lumière. »

St Jean reprendra l’image de l’Eau Vive en expliquant qu’elle représente l’Esprit de Dieu, et donc ce que Dieu Est en Lui-même :

Jésus Miséricordieux

 Jn 7,37-39 : « Le dernier jour de la fête, le grand jour,                                                     Jésus, debout, s’écria :

Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive,                                                      

              celui qui croit en moi !  

selon le mot de l’Écriture :                                                                                        

             De son sein couleront des fleuves d’eau vive.

Il parlait de l’Esprit                                                                                          

             que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui »…

Et puisque Dieu nous a tous créés pour être remplis de l’Eau Vive de son Esprit, tous les hommes ont un désir spirituel, une faim spirituelle, une soif spirituelle… Comme image, nous pouvons prendre notre corps qui a été créé pour vivre de ce qu’il reçoit : nourriture et boisson… Pour cela il dispose d’un « estomac » qui est « capacité corporelle » destinée à être remplie de ce pour quoi elle a été faite… Et lorsque notre « estomac » est vide, tout le corps réclame de la nourriture : nous avons faim, nous ne pouvons plus vivre pleinement, nous expérimentons une souffrance, un mal-être général… Par contre, quand il est plein, nous ressentons une impression de bien-être. Il en est de même de notre dimension spirituelle… Lorsque notre esprit ou notre cœur est vide des réalités spirituelles pour lesquelles il a été créé, nous expérimentons un manque, une faim, une soif de plénitude, le désir d’un bonheur profond qui n’est pas au rendez-vous, un mal-être difficile à exprimer, une tristesse générale mêlée de souffrance et d’angoisse… Et pourtant, Dieu n’a qu’un seul désir : le remplir, car il nous a tous créés pour cela…

C’est pourquoi le psalmiste exprime ce désir avec l’image de « la soif de Dieu », car il est une révélation indirecte de ce pour quoi nous avons tous été créés : pour être remplis de l’Esprit de Dieu, cette « Eau Vive » qui est Plénitude de Vie, de Paix et donc Bonheur profond, la seule qui peut combler notre soif profonde…

Cerf altéré - St Clément RomePs 42,2-3 :

« Comme un cerf altéré cherche l’eau vive,

        ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.

Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant.

Quand pourrai-je m’avancer,

          paraître face à Dieu ? »

Or, comme le disait le prophète Jérémie, en abandonnant Dieu « Source d’Eau Vive », l’homme se prive par lui-même de la Plénitude de cette Eau Vive, la Plénitude de la Vie éternelle… Mais comme nous avons tous été créés pour être comblés, pour être heureux, l’homme va se lancer dans une quête éperdue de bonheur… Et il le cherchera dans une recherche effrénée des plaisirs de la vie, du pouvoir, de l’argent, des réalités matérielles… Mais s’il est sincère avec lui-même, il ne pourra que constater que le vrai bonheur n’est toujours pas au rendez-vous… Alors, faut-il « avoir » plus ? Il essaiera, sans résultats… Peut-être faut-il être plus haut placé dans la société ? Il essaiera, sans résultats… Toutes ces quêtes sont comme des citernes qu’il prend beaucoup de peine à creuser en espérant qu’un jour elles seront pleines d’eau, et donc de vie, de promesses de vie, de rassasiement, de bonheur… Mais comme l’écrit Jérémie, elles sont fissurées dès le départ … Elles ne peuvent retenir l’eau et offrir le vrai bonheur, la vraie vie… L’espérance de plénitude ne peut qu’être déçue… Pire, le fait qu’elles soient à sec est synonyme de mort…

Le Père va donc envoyer le Fils dans le monde pour donner aux hommes de pouvoir retrouver avec Lui le chemin qui conduit à Dieu et donc à l’Eau Vive de l’Esprit qui ne cesse de jaillir de Lui pour combler ses créatures… « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi », disait St Augustin. Le Christ est ainsi venu offrir aux hommes, gratuitement, par amour, cette Plénitude d’Esprit et donc de Vie pour laquelle nous avons tous été créés…

Jésus et la SamaritaineDans l’Evangile selon St Jean, au chapitre 4, Jésus est présenté comme étant assis près d’un puits… Cette image visible est la révélation invisible de ce qu’Il Est de toute éternité : le Fils qui est tourné vers le Père « Source d’Eau Vive ». Voilà ce qu’il reçoit de Lui depuis toujours et pour toujours : l’Eau Vive de l’Esprit. Or, si Dieu est Esprit (Jn 4,24), ce mot « Esprit » suffit à lui seul pour évoquer le mystère de la nature divine, c’est-à-dire ce que Dieu Est en Lui-même. St Jean dira également « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5) et deux fois « Dieu est Amour » (1Jn 1,4,8.16). Ces trois mots expriment donc des aspects d’une seule et unique réalité : cette nature divine que le Père donne au Fils de toute éternité. Et nous confessons du Fils dans notre Crédo : « Il est Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Engendré non pas créé, de même nature que le Père »…

Ainsi, Jésus assis près du puits est une image du Fils toujours près du Père, tourné de cœur vers le Père (Jn 1,18), recevant du Père la Vie que le Père a en lui-même (Jn 5,26). Et il va dire « J’ai soif » à une femme samaritaine… En effet, il est « fatigué par la marche » et « c’était environ la sixième heure, c’est-à-dire midi ». La Samaritaine va s’étonner que Jésus lui adresse la Parole car la Loi interdisait à un homme d’aborder une femme seule, et les Juifs n’entretenaient pas de relations avec les Samaritains, leurs ennemis « héréditaires »… Mais Jésus fait tomber toutes ces barrières car il a, lui, le désir de partager avec elle ce Don de la Plénitude de l’Esprit qu’il ne cesse de recevoir de son Père et qui comble son cœur… Alors, il va lui mettre « l’eau à la bouche » et lui parler de cette Eau Vive en espérant que viendra le moment où elle aussi lui dira « J’ai soif » de recevoir cette Vie dont tu me parles…

Jn 4,10 : Jésus lui dit :

A – Si tu savais le don de Dieu                         Le Don de Dieu est évoqué

                   B – et qui est celui qui te dit :        Jésus demande à la femme

                                    C – Donne-moi à boire,                                      Donne-moi à boire

                   B’ – c’est toi qui l’aurais prié          La femme aurait demandé à Jésus

A’ – et il t’aurait donné de l’eau vive.                Le Don de Dieu est précisé : l’Eau Vive

Le texte est très bien construit : Jésus dit à la Samaritaine « Donne-moi à boire » pour qu’un jour la Samaritaine lui dise « Donne-moi à boire »… Jésus lui révèle ainsi le Don qu’il est venu offrir à tous les hommes : l’Eau Vive de l’Esprit, la seule réalité capable de remplir nos cœurs et donc de nous offrir la vraie Vie, le vrai Bonheur… Voilà pourquoi il nous invite à le demander en St Luc avec une incroyable insistance :

Lc 11,9-13 : « Et moi, je vous dis :

A – demandez et l’on vous donnera ;

         B – cherchez et vous trouverez ;

                  C – frappez et l’on vous ouvrira.

 A’ – Car quiconque demande reçoit ;

           B’ – qui cherche trouve ;

                   C’ – et à qui frappe on ouvrira.

Exemple I – Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson,

                             et qui, à la place du poisson, lui remettra un serpent ?

Exemple II – Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il un scorpion ?

Conclusion : A – Si donc vous, qui êtes mauvais,

                                  B – vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,

                        A’ – combien plus le Père du ciel       (qui est infiniment bon)

                                    B’ – donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

Demander, librement, manifestera alors notre désir de recevoir… Et nous ne pourrons qu’être exaucés car la Source n’a pas attendu notre demande pour couler : elle coule de toute éternité… Le Psalmiste exprime également ce Mystère de l’Amour de Dieu avec l’image du Soleil… Dieu est un Soleil, il ne cesse de briller, il ne cesse de donner la Lumière et il est Lumière… Autrement dit, il ne cesse de donner ce qu’il est en Lui‑même… Dieu est Esprit ? Il est Source, et ne cesse de donner l’Eau Vive de l’Esprit… Se tourner de tout cœur vers Lui, c’est déjà recevoir, gratuitement, par amour… Nous retrouvons cette phrase de Ste Thérèse de Lisieux, à appliquer littéralement à Dieu qui est Amour, et tout spécialement au Père : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». Dieu est Esprit ? Il donne l’Esprit… Dieu est Lumière, Soleil ? Il donne la Lumière…

Dieu Soleil

Ps 84,12 : « Le Seigneur Dieu est un Soleil…

                             Il donne la grâce,

                                    il donne la gloire »…

Alors, si nous répondons à l’appel de Dieu, « repentez-vous, tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les lointains de la terre » (Is 45,22), en tournant notre cœur vers la Source d’Eau Vive, nous serons intérieurement comme un jardin tout irrigué :

jardin arroséIs 58,11 : « Le Seigneur sans cesse te conduira,

il te rassasiera dans les lieux arides,

il donnera la vigueur à tes os,

et tu seras comme un jardin arrosé,

comme une source jaillissante 

                       dont les eaux ne tarissent pas.»

                                                                                   

C’est ce que dit Jésus à la Samaritaine :

Jn 4,13-14 : « Jésus lui dit :

Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ;

mais qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ;

l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle. »

Herbe-arrosée-300x183Et comme « un homme ne peut rien recevoir si cela ne lui a été donné du ciel » (Jn 3,27), celui qui a, c’est qu’il a reçu… S’il a reçu, c’est qu’il est tourné vers Dieu et ouvert à Dieu. Et comme Dieu est Source, il recevra et recevra encore : « C’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein » (Lc 6,38)…

Et le Christ va mourir sur la croix pour que nous puissions recevoir cette Eau Vive de l’Esprit. Là encore, le corporel est signe visible du spirituel. Un soldat romain va transpercer son cœur d’où s’écouleront sur la terre toute « l’eau et le sang » qui le remplissaient (Jn 19,33-35). Or dans la Bible, les deux sont symbole de vie. Ainsi, le cœur « spirituel » est désormais ouvert à tous les hommes et de lui s’écoule pour eux la Plénitude de l’Eau Vive de l’Esprit qui le remplit et qu’il reçoit de son Père de toute éternité… Avec Lui et par Lui, une Source a jailli en ce monde pour combler notre soif intérieure…

Waterfall

Joël 4,18 :

« Une source jaillira de la maison de Yahvé

et arrosera le ravin des Acacias »…

Deux images de l’Ancien Testament sont accomplies. Celle du Rocher :

Ex 17,1-7 : Toute la communauté des Israélites partit du désert de Sîn, sur l’ordre de Yahvé,

            et ils campèrent à Rephidim. Or il n’y avait pas d’eau à boire pour le peuple.

( 2)             Celui-ci s’en prit à Moïse; ils dirent : Donne-nous de l’eau, que nous buvions !

            Moïse leur dit : Pourquoi vous en prenez-vous à moi ?

            Pourquoi mettez-vous Yahvé à l’épreuve ?

( 3)             Le peuple y souffrit de la soif, le peuple murmura contre Moïse et dit :

            Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ?

            Est-ce pour me faire mourir de soif, moi, mes enfants et mes bêtes ?

( 4)             Moïse cria vers Yahvé en disant : Que ferai-je pour ce peuple ?

            Encore un peu et ils me lapideront.

( 5) Yahvé dit à Moïse : Passe en tête du peuple et prends avec toi quelques anciens d’Israël ;

            prends en main ton bâton, celui dont tu as frappé le Fleuve, et va.

( 6)             Voici que je vais me tenir devant toi, là sur le rocher (en Horeb),

            tu frapperas le rocher, l’eau en sortira et le peuple boira.

            C’est ce que fit Moïse, aux yeux des anciens d’Israël.

( 7)             Il donna à ce lieu le nom de Massa et Meriba,

            parce que les Israélites cherchèrent querelle

            et parce qu’ils mirent Yahvé à l’épreuve en disant :

            Yahvé est-il au milieu de nous, ou non ?

Ce texte sera très souvent repris par la suite (Nb 20,1-13 ; Is 48,21 ; Ps 78,15-16 ; 105,41 ; 114,8 ; Sg 11,4). Et l’image du rocher renvoie dans la Bible au Mystère de Dieu (Ps 18,3 ; 18,32 ; 18,47 ; 19,15 ; 28,1 ; 31,4…).

St Paul dira que ce rocher dans le Livre de l’Exode, c’était le Christ…

Jésus Miséricordieux1Co 10,1-4 : « Je ne veux pas que vous l’ignoriez, frères :

nos pères ont tous été sous la nuée,                                                                                          

tous ont passé à travers la mer,

tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer,

tous ont mangé le même aliment spirituel

et tous ont bu le même breuvage spirituel

ils buvaient en effet à un rocher spirituel                                                                                               

qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ. »

Avec le Christ et par le Christ, vrai homme et vrai Dieu, c’est Dieu Lui-même qui a été frappé et l’Eau Vive de sa Vie s’écoule en Plénitude sur les hommes pécheurs qui l’ont frappé pour les guérir petit à petit de leur méchanceté et leur donner enfin d’aimer…

La deuxième image est celle du Temple.

            Ez 47, 1-12 : « Il me ramena à l’entrée du Temple,

            et voici que de l’eau sortait de dessous le seuil du Temple, vers l’orient,

            car le Temple était tourné vers l’orient.

            L’eau descendait de dessous le côté droit du Temple, au sud de l’autel.

(2)             Il me fit sortir par le porche septentrional et me fit faire le tour extérieur,

            jusqu’au porche extérieur qui regarde l’orient,

            et voici que l’eau coulait du côté droit.

(3)             L’homme s’éloigna vers l’orient, avec le cordeau qu’il avait en main,

            et mesura mille coudées;

            alors il me fit traverser le cours d’eau :

                        j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles.

(4)             Il en mesura encore mille et me fit traverser le cours d’eau

                        j’avais de l’eau jusqu’aux genoux.            

            Il en mesura encore mille et me fit traverser le cours d’eau :

                        j’avais de l’eau jusqu’aux reins.

(5)             Il en mesura encore mille,

                        et c’était un torrent que je ne pus traverser,

                        car l’eau avait grossi pour devenir une eau profonde, un fleuve infranchissable.

Fleuve abondant

(6)             Alors il me dit : As-tu vu, fils d’homme?  

            Il me conduisit puis me ramena au bord du torrent.

(7)             Et lorsque je revins, voici qu’au bord du torrent

            il y avait une quantité d’arbres de chaque côté.

(8)             Il me dit : Cette eau s’en va vers le district oriental, elle descend dans la Araba

et se dirige vers la mer ; elle se déverse dans la mer en sorte que ses eaux deviennent saines.

(9)             Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra.

            Le poisson sera très abondant, car là où cette eau pénètre, elle assainit,

            et la vie se développe partout où va le torrent.

Réplique de la mosaïque de Madaba

Réplique de la mosaïque de Madaba (6° s) : le Jourdain (et ses poissons) se jette dans la Mer Morte, la Araba…

(10)             Sur le rivage, il y aura des pêcheurs.

            Depuis En-Gaddi jusqu’à En-Églayim des filets seront tendus.

  Les poissons seront de même espèce que les poissons de la Grande mer, et très nombreux.

(11)       Mais ses marais et ses lagunes ne seront pas assainis, ils seront abandonnés au sel.

(12)      Au bord du torrent, sur chacune de ses rives, croîtront toutes sortes d’arbres fruitiers

            dont le feuillage ne se flétrira pas et dont les fruits ne cesseront pas :

            ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire.

            Les fruits seront une nourriture et les feuilles un remède. »

oranger

Le Christ en se présentant comme le vrai « Sanctuaire de Dieu » (Jn 2,13-22), car « le Père est en lui » (Jn 14,11 ; 17,21), accomplira ce texte… Et de son côté ouvert sur la Croix, le côté droit (Ez 47,2) d’après le Linceul de Turin, coulera en surabondance l’Eau Vive de l’Esprit qui purifie et rend la vie aux cœurs blessés par la mort du péché. Ce même Esprit nourrit et donne de porter du fruit en tout temps, des fruits pour la vie des autres… Et même les feuilles deviennent des remèdes pour guérir les malades. Ainsi, grâce à l’Esprit, ceux et celles qui le reçoivent contribuent à la vie du monde en tout ce qu’ils sont et en tout ce qu’ils font… Telle est l’Eglise qui, en témoignant de ce qu’elle a reçu elle-même de la Miséricorde de Dieu, travaille à ce que le plus possible de pécheurs puissent eux aussi vivre ce qu’elle a vécu. «  Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour », dit le Ressuscité à ses disciples, « et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins » (Lc 24,46-48), les heureux témoins…

                                                                                                                      D. Jacques Fournier

Dieu Source d’Eau Vive  cliquer sur le titre suivant pour accéder au fichier PDF pour lecture ou éventuelle impression




Audience Générale du Mercredi 24 Février 2016

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 24 Février 2016


 

Frères et sœurs, dans plusieurs passages des Saintes Ecritures, il est question de personnes puissantes et aussi de leur arrogance et de leurs abus. En effet, la richesse et le pouvoir sont des réalités qui peuvent être bonnes et utiles au bien commun si elles sont mises au service des pauvres et de tous, avec justice et charité. Mais si elles sont vécues comme un privilège, avec égoïsme et arrogance, elles se transforment en instruments de corruption et de mort. C’est ce qui arrive dans l’épisode biblique où le roi Akab veut s’emparer de la vigne de Nabot sous prétexte qu’elle voisine le palais royal. Cependant, Dieu est plus grand que la méchanceté et que les jeux sales des humains. Dans sa miséricorde, il invite à la conversion. La miséricorde peut guérir les blessures, et changer l’histoire. La miséricorde divine est plus forte que le péché des hommes. Nous en connaissons la puissance quand nous rappelons la venue du Fils de Dieu qui s’est fait homme pour détruire le mal par son pardon.

Je vous invite tous à être d’authentiques missionnaires de la miséricorde pour que l’Evangile puisse toucher le cœur des personnes et les ouvrir à la grâce de l’amour de Dieu. Que Dieu vous bénisse !

 

 



 

 




Les cinq Pâques de saint Thomas d’Aquin

Ah ! qu’on est bien dans le ventre de sa maman. Bien au chaud. Vivre et couvert assurés. Et pourtant, sous peine d’asphyxie, à un moment, il faut passer, il faut sortir, il faut « mourir » pour naître et entrer dans la vie. Mourir à une forme de vie, qui est certes bonne en son temps, mais qui est orientée vers autre chose, qui est appelée à se dépasser dans une forme de vie supérieure. La naissance n’est d’ailleurs que le premier des passages qui rythment l’existence de cet être toujours en croissance qu’est l’homme. Il devra ensuite mourir à l’enfance pour entrer dans le monde des adultes, mourir à une certaine idée qu’on se fait d’une vie réussie pour entrer paisiblement dans le troisième voire le quatrième âge. Chaque passage est une crise qui nous place face à l’alternative radicale de la vie ou de la mort. Si l’appel au dépassement n’est pas entendu, l’homme vivote, s’enfonce dans la régression et la tristesse. Qui n’avance pas, recule. Il en va de notre vie comme de la retraite de Russie, s’arrêter, c’est mourir sur place. Oui, l’exode, la pâque, le passage est la loi même de l’existence humaine.

C’est aussi la loi de la vie chrétienne. D’abord, parce que, comme Jésus l’enseigne à Nicodème, on devient chrétien par une « nouvelle naissance ». Il faut renaître de l’eau et de l’Esprit. Il faut mourir à une vie purement humaine, dont les motivations profondes viennent de la chair et le sang, de l’égoïsme naturel, pour entrer dans une vie selon l’Esprit, une vie d’enfant de Dieu, animée par la charité, dont les motivations et les principes viennent de plus haut. Ensuite parce qu’on ne parvient pas d’emblée à l’état adulte dans la vie chrétienne, c’est-à-dire à la sainteté. Le développement en nous de la vie surnaturelle est marqué par toute une série de crises et de passages qu’il faut consentir (non sans lien d’ailleurs avec les grandes étapes de notre vie naturelle). L’aventure de la sainteté chrétienne emprunte donc, à la suite du Christ, un chemin pascal. Nul n’en est dispensé. Mais, s’il y a des lois générales du développement pascal de la vie chrétienne (nous passons tous, par exemple, par une phase de ferveur initiale sensible suivie par un temps de sécheresse), les itinéraires sont infiniment variés. Autre est le chemin de sainteté dans l’amour d’une mère de famille, autre celui d’un militaire… Je voudrais aujourd’hui vous présenter le chemin pascal d’un Frère Prêcheur engagé dans la recherche théologique – et pas le moindre puisqu’il s’agit de saint Thomas d’Aquin. En suivant les grandes étapes de sa vie, je vous présenterai les cinq pâques que Thomas a accomplies et qui l’ont conduit à la sainteté. Pour spécifique qu’il soit, ce chemin éclaire notre propre chemin.

1 – La Pâque de la vie religieuse

Thomas naît en 1224-1225 dans une Italie déchirée par la lutte entre les partisans du pape et ceux de l’empereur Frédéric II Hohenstaufen (1250). La famille d’Aquin, qui appartient à la petite noblesse terrienne, est, dans un premier temps du moins, au service de l’Empereur. Dans son enfance, le petit Thomas a donc baigné dans une atmosphère guerrière. Il a même connu l’« évacuation » d’urgence pour cause d’opérations militaires. Mais, à l’occasion d’une trêve, en 1230, les parents de Thomas l’offrent comme oblat au célèbre monastère bénédictin du Mont-Cassin. Il s’agit d’un acte traditionnel de piété mais il n’exclut pas des desseins plus terre-à-terre. Qui sait si le fiston ne deviendra pas un jour abbé du monastère, ce qui permettrait à la famille d’Aquin d’arrondir ses domaines qui sont justement limitrophes de ceux de l’abbaye…

Pendant une dizaine d’années, Thomas va donc mener la vie des oblats bénédictins. Il est confié à un moine qui est chargé de l’instruire et de l’initier à la vie chrétienne, et à qui – c’est la première parole conservée de Thomas – il ne cessait de demander : « Quid est Deus ? – Dis, c’est quoi Dieu ? ». Toute sa vie sera finalisée par la recherche d’une réponse à cette question vitale, car « la vie éternelle, disait Jésus, qu’est-ce d’autre que de te connaître, toi le seul vrai Dieu ».

En 1239, la guerre reprend. Thomas, qui n’avait pas encore pris d’engagement définitif dans la vie monastique, part étudier à l’université de Naples. Là, il fait une double rencontre, qui va orienter sa vie de façon décisive. D’abord, dans les rues de Naples, il croise ces nouveaux religieux que sont alors les Frères Prêcheurs, et, séduit, non pas par leur réputation intellectuelle, mais bel et bien par leur idéal de pauvreté évangélique radicale, il demande en avril 1244 l’habit de l’Ordre. C’est la première Pâque de Thomas, son premier exode : la pâque de la vie religieuse. « Quitte ton pays, tes parents et va vers le pays que je te montrerai », dit le Seigneur à Abraham. « Va, vends tout ce que tu as, donnes-le aux pauvres puis viens et suis-moi », prescrit Jésus au jeune homme riche.

Saint Thomas a beaucoup écrit sur la vie religieuse. Il y voit un moyen privilégié pour atteindre le but commun à tous les chrétiens : la sainteté, c’est-à-dire la perfection de la charité, le plein épanouissement de l’amour en nos vies. La mort à soi-même que réalisent les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance fait place nette pour l’irruption en nous de la vie de Dieu. Elle nous libère. Cette vie religieuse, Thomas l’a choisie avec résolution, n’hésitant pas à rompre avec sa famille, son milieu social, pour embrasser cette folie aux yeux du monde qu’est l’abjection de la pauvreté volontaire et suivre nu le Christ nu.

Ce choix pour un ordre mendiant n’était manifestement pas du goût de sa famille et ses soudards de frères galvanisés par une mère énergique le récupèrent manu militari. Ils le placent en résidence surveillée au château familial pendant environ une année, mais doivent finalement le laisser partir. Il rejoint alors le célèbre couvent Saint-Jacques de Paris, haut lieu international des études dominicaines.

2 – La Pâque de la vérité

Car c’est à l’université, au cœur de cette étonnante institution d’enseignement et de recherche qu’inventa la chrétienté médiévale, que saint Thomas est appelé à vivre l’aventure de la sainteté. La vie intellectuelle est, en effet, la seconde grande rencontre de son séjour napolitain. Il a su en faire un chemin pascal de sainteté – la pâque de la vérité. Je veux dire par là que saint Thomas n’est pas devenu un saint malgré sa vie intellectuelle ou à côté mais par elle et en elle.

De fait, saint Thomas a une vision très positive de la connaissance. Je dirais même qu’il y a chez lui une véritable mystique de la connaissance. Connaître, comprendre, c’est tout simplement vivre ! La connaissance est la nourriture de l’esprit comme les aliments sont la nourriture du corps. La connaissance consiste à accueillir en soi, dans son monde intérieur, spirituel, la réalité extérieure et donc à s’unir à elle, à la laisser nous transformer. Elle est une forme d’union, d’assimilation entre le sujet qui connaît et l’objet qui est connu. Saint Thomas était fasciné par le verset de saint Jean : « Nous lui serons semblables [à Dieu] parce que nous le verrons tel qu’il est ».

Cette forme supérieure de vie qu’est la connaissance intellectuelle suscite en chacun de nous un désir. Ce désir est excellent, mais il doit être bien orienté, réglé en fonction des finalités profondes de la vie humaine. Sinon le désir de connaissance se transforme en curiosité (un vice qui est tout autre chose que regarder par le trou de la serrure). Un homme qui passerait sa vie à étudier la reproduction des protozoaires ou la résolution des équations du xeme degré aurait gâché sa vie. Il faut étudier primo ce qui est vraiment important et secundo harmoniser la vie d’étude avec les autres aspects de notre vie humaine. Le désir de connaître doit être intégré aux finalités les plus profondes de l’homme (et du chrétien). Par exemple, être mis au service de la charité sans laquelle il n’y a qu’airain qui résonne. Voilà pourquoi, il existe une vertu qui règle l’usage de l’étude : la studiosité (Somme de théologie, IIa-IIae, q.166).

La studiosité nous pousse tout d’abord vers l’effort qu’exige toute acquisition de connaissance. En ce sens, l’étude est une ascèse. Elle se définit, d’après saint Thomas (IIa-IIae, q. 166, a. 1), comme l’application intense, violente même (vehemens), de l’esprit à l’acquisition de la connaissance. Bref, saint Thomas est pour la violence à l’école, du moins la violence qu’on se fait à soi-même ! Un effort est en effet indispensable pour faire prévaloir les valeurs de l’esprit sur les pesanteurs corporelles. Il s’agit d’une pâque, d’une forme de mort, de renoncement, qui ouvre à une vie d’ordre supérieur. Et nous savons bien aujourd’hui que l’ascèse intellectuelle ne va pas de soi dans une culture qui est dominée par l’image, par la satisfaction immédiate des besoins les plus matériels.

Mais il y a davantage. C’est surtout en tant que recherche de la vérité que la vie intellectuelle est un chemin pascal. Qu’est-ce en effet que la vérité ? Saint Thomas la définit comme l’adaequatio rei et intellectus, c’est-à-dire la conformité entre l’intelligence et la réalité. Notre intelligence est dans le vrai lorsqu’elle se représente intérieurement, subjectivement, les choses telles qu’elles sont extérieurement, objectivement. Par conséquent, la recherche de la vérité exige un effort constant d’objectivité, d’ouverture au réel, à ce qui est plus grand que nous. Et je précise que cette recherche « passionnée » de l’objectivité est implicitement une recherche de Dieu. Le réel est en effet l’expression de la sagesse et de la volonté de Dieu. En m’ouvrant au réel, je m’ouvre en fait à Dieu lui-même.

Au cœur de notre vie d’étude doit donc rayonner une docilité radicale au réel. La docilité est cette disposition d’esprit ou vertu rare qui consiste à savoir écouter, à savoir se laisser enseigner. Elle est inséparable d’une profonde humilité devant le réel dans sa complexité. Elle implique un « exode », un décentrage permanent, un véritable dépouillement. Car la spiritualité de la vérité dont a vécu saint Thomas est un combat de tous les instants contre le subjectivisme, cette tendance irrépressible de l’homme pécheur à tout juger en fonction de lui-même, en se faisant le centre. Ce qui est l’expression de notre orgueil. L’orgueil est l’amour de sa propre excellence. Il nous fait aimer quelque chose de bon, certes, mais nous l’aimons non pas parce que c’est un bien objectif, mais parce que sa possession nous met à part, nous distingue des autres, fait que nous sommes différents. Nous aimons telle ou telle qualité que nous avons parce que c’est notre bien propre, notre bien à nous. La vie intellectuelle est un terrain terriblement propice à l’orgueil. Au lieu de chercher la vérité, je travaille de toute mon ardeur à justifier mes opinions propres, à imposer mon point de vue. Je préfère avoir raison tout seul que d’être dans la vérité avec d’autres. Contre cette tendance lourde, il y a donc un combat spirituel à mener.

Le véritable « intellectuel », celui qui cherche vraiment la vérité, est donc par définition un ennemi de l’esprit de parti, un homme ouvert qui cherche la communion dans la vérité objective. Tel est bien le cas de saint Thomas, comme l’a bien noté l’encyclique Fides et ratio : « Intimement convaincu que `toute vérité, quel que soit celui qui la dit, vient de l’Esprit Saint’, saint Thomas aima la vérité de manière désintéressée. Il la chercha partout où elle pouvait se manifester, en mettant le plus possible en évidence son universalité. »

Cette attitude spirituelle lui permit de faire face au grand défi de son temps : l’assimilation de la nouvelle philosophie gréco-arabe. Vous savez, en effet, que le grand événement intellectuel en Occident, à partir du milieu du XIIe siècle, est l’arrivée d’un ensemble impressionnant de textes scientifiques et philosophiques en provenance du monde musulman. On y trouve l’intégralité de l’œ uvre d’Aristote, mais aussi des textes de la pensée grecque tardive et les riches productions intellectuelles que la fréquentation d’Aristote et de la pensée hellénistique avait déjà suscité chez les intellectuels musulmans (Avicenne et Averroès) et juifs (Maïmonide), et qu’on appelle la falsafa. Face à cette nouvelle vision du monde, cohérente et si peu chrétienne, saint Thomas va tenter de tracer une voie moyenne entre l’adoption intégrale et le refus intégral : le discernement à la lumière de la foi, l’assimilation critique.

3 – La Pâque du service de l’Eglise

Revenons à Paris. Le jeune Thomas semble s’y être distingué dans ses études puisqu’en 1248, Albert le Grand le prend avec lui comme son secrétaire-assistant lorsqu’il est envoyé à Cologne pour y fonder un centre d’étude dominicain, qui sera comme la première université allemande.

En 1252, Thomas est choisi par le maître de l’Ordre pour occuper une des deux chaires que les dominicains possédaient alors à la Faculté de théologie de Paris. Pour s’y préparer Thomas, rentré à Paris, doit commenter le manuel de base des études théologiques : les Sentences de Pierre Lombard. Ayant satisfait à cette épreuve, il est reçu Maître en théologie au printemps 1256.

Thomas prend sa charge très au sérieux. L’enseignement de la théologie n’est pas pour lui un métier comme un autre. Il y voit un authentique ministère, un service d’Eglise, dont l’exercice est animé par une vive charité et mobilise toutes ses énergies. Pour saint Thomas, le théologien est un chaînon dans la transmission salvifique de la sacra doctrina. La sacra doctrina (enseignement sacré) est ce fleuve de vie qui prend sa source en Dieu et qui doit irriguer le monde. Il est constitué par la Parole de Dieu, transmise et interprétée sous l’action de l’Esprit par la Tradition de l’Eglise et actualisée par l’enseignement des théologiens.

Conscient de la dignité de sa charge et des responsabilités qu’elle implique, Thomas va se dépenser sans compter dans sa mission d’enseignement. Comme le demandent les statuts universitaires, il « lit », c’est-à-dire commente, l’Écriture sainte, tient des disputes (débats contradictoires) et donne des sermons universitaires. En dehors de ces activités strictement universitaires, déjà bien capables de remplir la vie d’un homme, il trouve encore le temps de rédiger des ouvrages majeurs comme la célèbre Summa contra Gentiles.

Après trois ans d’enseignement à Paris, Thomas est rappelé en Italie. Il enseigne dans différents couvents de sa province d’origine. A Rome, au couvent Sainte-Sabine, il met en chantier son chef d’œuvre destiné à la formation des débutants : la Somme de théologie.

L’étude ne visant pas la promotion personnelle mais cette œuvre de charité spirituelle qu’est le service doctrinal de l’Eglise, Thomas n’hésite pas à répondre à des demandes multiples et variées qui lui prennent un temps précieux.

Il est sollicité tout d’abord par ses frères. Un chantre d’Antioche lui demande un exposé de la foi chrétienne répondant aux objections des musulmans, un confrère italien sollicite son avis sur la moralité du prêt à intérêt… Il ne s’agace qu’une fois, lorsqu’un fr. Gérard, professeur à Besançon, lui demande si l’étoile des mages avait la forme d’une croix ou d’une figure humaine…

Il répond aussi aux laïcs qui le consultent. Un médecin italien lui demande son avis sur le fonctionnement du cœur. La comtesse de Flandres l’interroge sur la légitimité morale de certains impôts et sur la conduite à tenir vis-à-vis des juifs.

Enfin, les papes eux-mêmes recourent volontiers à ses services. Urbain IV lui demande par exemple de rédiger un commentaire continu sur les quatre évangiles (la Catena aurea), un rapport sur les principaux points controversés entre l’Orient et l’Occident (Filioque, primauté pontificale, purgatoire, matière du pain eucharistique…) (Contra errores Graecorum). Toujours à la demande du pape, il compose la liturgie romaine de la Fête du Corps et du Sang du Christ, promulguée en 1264, et nous chantons encore aujourd’hui les textes de saint Thomas, comme le Tantum ergo.

Quand on sait combien les intellectuels sont d’ordinaire jaloux de leur temps, il y a dans cette disponibilité du fr. Thomas une humilité étonnante, plus encore le signe d’un immense amour de l’Eglise, de cette communauté des croyants dont il a voulu être un serviteur. C’est sa troisième pâque, la pâque du service de l’Eglise

4 – La Pâque de la foi

En 1268, Thomas est rappelé à Paris. Les quatre années qu’il y passe sont les plus fécondes de sa vie intellectuelle. Il abat un travail qui défie l’imagination (12 pages A4 par jour !). Mais il est surtout confronté à la montée en force d’un courant intellectuel qui met en crise l’équilibre de la pensée chrétienne : l’aristotélisme radical ou averroïsme latin. En effet, dans les années 1260, certains professeurs de la faculté des arts (philosophie) sont à ce point fascinés par la cohérence du système philosophique d’Aristote, commenté par Averroès, qu’ils l’adoptent intégralement, sans trop se soucier de le concilier avec la foi. Plus grave, persuadés par Aristote que la vraie dignité de l’homme consiste à mettre en œuvre ce qu’il y a de plus divin en lui, à savoir la raison, ils font de l’étude de la philosophie un idéal de vie à connotation élitiste. Il n’est pas vraiment homme, disent-ils, celui qui ne s’adonne pas à la philosophie (…à Paris, précisera un averroïste du XIVe siècle). Cet idéal n’est pas tout à fait celui de la sainteté chrétienne.

Aussi certains théologiens conservateurs, comme saint Bonaventure, réagissent-ils vigoureusement et n’hésitent pas à jeter le bébé avec l’eau du bain : « Je vous l’avais bien dit. La `nouvelle philosophie’ est dangereuse. Elle conduit tout droit à l’hérésie ».

Saint Thomas est pris entre deux feux. A droite, on lui reproche d’être trop ouvert à la nouvelle philosophie aristotélicienne et à gauche de ne l’être pas assez ! Il élabore alors une stratégie originale : montrer au plan strictement philosophique que l’aristotélisme authentique n’a rien à voir avec les interprétations durcies qu’en a données Averroès. Non seulement l’aristotélisme authentique est compatible avec la foi chrétienne mais il est un instrument hors pair pour la théologie. Soucieux, en apôtre qu’il est, de détourner les jeunes artiens de l’hérésie sans pour autant les obliger à renoncer à la philosophie, il rédige un commentaire « chrétien » de toutes les œuvres d’Aristote, un guide de lecture qui, à la différence de celui d’Averroès, n’éloigne pas du Christ.

Ce débat avec le rationalisme averroïste conduit Thomas à approfondir sa quatrième pâque. La pâque de la foi. L’homme n’est ni le créateur ni le maître du sens. Pour accéder à la plénitude de la vérité, l’homme doit mourir à la prétention de tout expliquer par sa seule raison. Il doit se faire tout accueil à la Parole de Dieu, qui ne contredit pas la raison mais la dépasse et l’accomplit. Face à la tentation qu’a la raison humaine de se replier sur elle-même, saint Thomas fait valoir l’existence en tout homme d’un désir naturel de voir Dieu. L’homme désire comprendre – c’est le fondement de toute philosophie. Il désire connaître les causes, les pourquoi et les comment, et son cœur est sans repos tant qu’il n’a pas saisi le principe explicatif ultime. « L’homme ne peut être parfaitement heureux tant qu’il lui reste quelque chose à désirer et à chercher ». Or le philosophe peut bien arriver à savoir qu’il existe un Dieu, une Explication, mais cela ne suffit pas à apaiser son désir : il ne peut pas ne pas vouloir savoir quelle est cette Explication, quelle est la nature de Dieu. Or cela, Dieu seul peut le lui donner en se révélant à lui, en lui découvrant le mystère de sa vie intime et en l’y associant. Bref, l’entreprise philosophique ne peut arriver par elle-même à son but. Elle appelle son propre dépassement dans la foi et dans la vision de gloire. Elle doit « passer ».

5 – La Pâque de la Rencontre

Au printemps 1272, Thomas quitte Paris pour Naples où il va poursuivre son enseignement et ses travaux intellectuels. Mais le 6 décembre 1273, pendant qu’il célèbre la Messe, se produit un « étonnant changement ». En rentrant à la sacristie, il déclare à son fidèle secrétaire et ami Réginald de Piperno qu’il arrête tout. Il ne peut plus écrire ni travailler. « Tout ce que j’ai écrit me semble si peu de chose, comme de la paille ». De fait, Thomas cesse son activité. Il reçoit peu après l’ordre de se rendre au concile de Lyon, se met en route mais n’arrive pas au terme puisqu’il meurt en chemin, le 7 mars 1274, en l’abbaye cistercienne de Fossanova.

Que s’est-il passé le 6 décembre ? Sans doute un sérieux accident de santé dû au surmenage intellectuel. Mais cet accident s’accompagne aussi d’une expérience spirituelle. Saint Thomas ne renie certes pas ce qu’il a fait ou écrit, mais il est temps pour lui, personnellement, de passer à autre chose. Saint Thomas lui-même distingue deux grandes formes de la sagesse chrétienne. D’une part, la sagesse théologique qui s’acquiert par l’étude et la recherche rationnelle à la lumière de la foi. D’autre part, « la sagesse d’en haut » (Jc 3, 17), la sagesse mystique qui est une connaissance non plus conceptuelle et raisonnante mais expérimentale des choses de Dieu. Prenant appui sur l’affinité que l’amour et la prière tissent entre l’âme et Dieu, elle ouvre – mais dans la ténèbre – d’autres horizons à la connaissance de Dieu.

En Thomas d’Aquin, ces deux sagesses ont grandi ensemble, se sont confortées l’une l’autre. Mais l’heure vient – et nous y sommes en ce 6 décembre – où la sollicitation mystique se fait plus pressante, plus exclusive. Vient un temps où l’homme, y compris le théologien, ne se satisfait plus de la théologie. Certes, la théologie atteint vraiment quelque chose du Mystère de Dieu, mais c’est encore et toujours à la manière humaine. C’est encore et toujours à travers le pesant échafaudage de la rationalité humaine. Des images, des mots, des signes, des raisonnements ! Alors que c’est la Réalité, la Res, que nous voulons. Au-delà de la paille, qui tout à la fois le contient et le cache, nous voulons le Grain. Nous voulons le Pain substantiel qu’est Dieu. L’amour veut la présence sans intermédiaire. La foi veut la vision, car l’intelligence est faite pour la lumière, pour le plein jour. Pas pour l’énigme ni le clair-obscur. « Quand viendrai-je et verrai-je la Face de Dieu ? » (Ps 42, 3). C’est cette pâque ultime que désire saint Thomas : le passage à la claire vision.

Quelques semaines plus tôt, alors qu’il priait devant une icône du Crucifié, saint Thomas entendit le Christ lui dire : « Tu as bien parlé de moi, Thomas, que désires-tu en récompense ». Et lui de répondre : « Rien d’autre que toi, Seigneur ».

 

 Frère Serge-Thomas Bonino, dominicain




St Thomas d’Aquin, une présentation…

Qui es-tu Seigneur ? Je ne t’ai jamais vu. Depuis des siècles tout le monde parle de toi. Discours contradictoires qui me laissent dans le brouillard. Qui es-tu Seigneur ? Où es-tu ? A quoi tu penses ?

Enfant, Thomas a demandé à ses maîtres bénédictins du Mont Cassin : « Qu’est-ce que Dieu ? » Les questions des enfants sont souvent passionnantes. Einstein, le grand physicien, aimait s’entretenir avec les enfants de cinq ans. Cet âge lui paraissait propice à la fraîcheur dans l’expression et à la pertinence des questions qui désarçonnent parfois les adultes.

L’enfant veut apprendre. Il vous est sûrement arrivé de prendre un enfant sur vos genoux pour lui lire un conte ou des passages de la Bible : qui est celui ? Pourquoi cela ? Les questions sont accompagnées de commentaires inattendus, savoureux. Nous comprenons pourquoi Jésus nous dit : « Si vous ne devenez pas comme des enfants vous ne comprendrez pas le mystère de Dieu ».

Tout au long de sa vie Thomas aimera les questions. Chaque article de la Somme théologique commence par une question. Les questions éveillent et l’intelligence et la liberté. Elles donnent le goût de s’engager personnellement dans une réflexion. La foi  suscite la question. La Parole de Dieu donne à penser. Plus on aime Dieu plus on veut le connaître, plus on le connaît plus on l’aime.

Assoiffé de sagesse, Thomas découvre à Naples l’Ordre de saint Dominique qui vient de naître à Toulouse en 1215. Il a le coup de foudre pour l’idéal évangélique des Prêcheurs. Sa famille ne dit pas : « Thomas est un gentil garçon ». Thomas n’est ni mou ni lâche. Combatif, il s’oppose aux projets de réussite sociale prévus par ses proches. La vie de château, la carrière ecclésiastique, les honneurs et les mondanités, tout cela ne l’intéresse pas.  Son cœur est déjà pris. Thomas sait ce qu’il veut. A Naples, à la fin de ses études à la Faculté des Arts, il reçoit l’habit de lumière au seuil de ses vingt ans.

Homme de paix et de prière silencieuse, surnommé « le bœuf muet de Sicile », Thomas ressemble plutôt à un volcan. C’est du feu. Il va accomplir une œuvre titanesque. Son écriture en zigzag révèle un esprit bouillonnant et rapide. Initié aux sciences, à la philosophie et à la théologie par Albert le Grand, Thomas va s’épanouir dans l’enseignement et dans la prédication à Paris, à Milan, à Naples.

L’enseignement de Thomas se caractérise par l’innovation. Il fait du neuf en introduisant la philosophie d’Aristote dans la réflexion théologique. Aristote et sa philosophie réaliste vont marquer l’aventure intellectuelle de l’université de Paris. Ce philosophe grec répondait à ceux qui lui demandaient où il avait tant appris : « Dans les choses qui ne peuvent mentir ». Thomas d’Aquin reçoit la pensée d’Aristote à travers les études d’Averroès, arabe d’Espagne, et de l’iranien Avicenne, deux grands intellectuels musulmans. Pour Thomas, la raison est une participation à la lumière divine. Par la raison, l’homme devient sa propre providence. La raison et la liberté de l’homme sont à prendre au sérieux. Ni le sentimentalisme ni la pensée molle n’ont ici de place. Et celui qui renonce à prendre en main sa vie au nom de sa foi dans les horoscopes commet un péché grave.

Par ailleurs, Thomas sait que la vérité vient toujours du Saint Esprit et que l’Esprit de Dieu ignore les frontières. Esprit libre et universel, il conseille aux étudiants de « graver dans leur mémoire tout ce qu’ils pouvaient entendre de bon, quel que soit d’ailleurs celui qui le leur apprenne ». Innovateur audacieux, il réplique à ceux qui lui reproche d’affaiblir le contenu de la foi avec des commentaires des philosophes non chrétiens : « Je ne mets pas de l’eau dans le vin de la révélation mais l’eau des philosophes devient du vin au contact de la Parole de Dieu ».

L’œuvre intellectuelle immense de Thomas comprend les sciences profanes, la philosophie, les commentaires bibliques, la théologie, la composition de textes liturgique poétiques comme l’Office du Saint Sacrement avec ses prières toujours jeunes comme le « Tantum ergo » ou le « Pange lingua », sans oublier le but et le sommet de l’œuvre théologique : la prédication pour le salut des âmes. Thomas s’est évertué à mettre en lumière la volonté divine de libération et de divinisation de tout homme. Ses sentiments, ses pensées et ses paroles, expriment l’Evangile de Jésus-Christ. En lui Amour et Vérité se rencontrent. Pour aimer il faut être bien dans sa tête. En Thomas l’amour de l’intelligence et l’intelligence de l’amour ne font qu’un. En lui les lèvres, le cœur et la tête s’épanouissent harmonieusement.

A Naples, en 1273, une année avant sa mort, Thomas a prêché le Carême en dialecte napolitain. « Père, sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité » (Jn. 17). Pédagogue, Thomas commente les commandements de Dieu d’une manière simple, imagée, accessible à tous. Le cœur de l’homme, dit-il, est comme un lit étroit qui ne peut pas contenir plusieurs personnes. Nous ne pouvons pas aimer Dieu et l’argent.

Encore une autre image, celui réussit dans la vie mais qui ne réussit pas à donner sa vie par amour ressemble à un cadavre recouvert de pierres précieuses. Il est mort.

Théologien de la loi nouvelle, Thomas se laisse conduire par l’Esprit Saint. Il sait que l’Esprit Saint descend sur l’assemblée chrétienne au moment de la prédication. Le croyant fait alors l’expérience de l’Amour de Dieu répandu dans les cœurs (Rm. 5,5). L’Esprit de Dieu se met à aimer en l’homme : « Dieu est Amour. Celui qui aime demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (I Jn. 4,16).

Thomas est un saint, un mystique. L’essentiel, pour lui, c’est d’aimer comme le montre la scène bouleversante, rapportée par un témoin, où l’on voit, de nuit, Thomas offrir au pied du Crucifix de Jésus-Christ son traité sur l’Eucharistie, avec la question du Crucifié : « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Que veux-tu en récompense ? ». Et la réponse qui vient sublime : « Toi-même, Seigneur ».

A 50 ans, Thomas approche de la mort. Vidé, Thomas ouvre son cœur au frère Reginald de Piperno, son secrétaire, son confesseur, son ami fidèle. Son œuvre lui semble peu de chose par rapport au mystère de Dieu : « Ce que j’ai écrit est de la paille ».

Thomas meurt au monastère cistercien de Fossa Nova, près de Rome,  le 7 mars 1274, en route vers le Concile de Lyon.

La pape Jean XXII l’a canonisé en 1323 à Avignon. Pie V l’a proclamé docteur de l’Eglise en 1567. En 1880, Léon XIII l’a proposé comme patron des universités, des collèges et des écoles catholiques.

La pensée du « Docteur Angélique » continue de façonner sur les cinq continents l’esprit de ceux qui cherchent à mieux comprendre leur foi chrétienne  mais la présence de saint Thomas se fait plus intense auprès de ses reliques que la ville de Toulouse a l’honneur de garder aux Jacobins depuis le XIVè siècle.

Demandons au Seigneur de nous accorder la sagesse dont nous avons besoin.

Louons Dieu pour le don fait à l’Eglise de saint Thomas d’Aquin notre frère.

                                                                                                                           Fr Manuel Rivero, OP