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BULLE D’INDICTION DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE DE LA MISÉRICORDE

FRANÇOIS EVÊQUE DE ROME

SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU

À CEUX QUI LIRONT CETTE LETTRE GRÂCE, MISÉRICORDE ET PAIX

  1. Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, « riche en miséricorde » (Ep 2, 4) après avoir révélé son nom à Moïse comme « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments. Lorsqu’est venue la « plénitude des temps » (Ga 4, 4), quand tout fut disposé selon son dessein de salut, il envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. Qui le voit a vu le Père (cf. Jn 14, 9). A travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne,[1] Jésus de Nazareth révèle la miséricorde de Dieu.

  1. Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.

  1. Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ce Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Eglise, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace.

L’Année Sainte s’ouvrira le 8 décembre 2015, solennité de l’Immaculée Conception. Cette fête liturgique montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire. Après qu’Adam et Eve eurent péché, Dieu n’a pas voulu que l’humanité demeure seule et en proie au mal. C’est pourquoi Marie a été pensée et voulue sainte et immaculée dans l’amour (cf. Ep 1, 4), pour qu’elle devienne la Mère du Rédempteur de l’homme. Face à la gravité du péché, Dieu répond par la plénitude du pardon. La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne. En cette fête de l’Immaculée Conception, j’aurai la joie d’ouvrir la Porte Sainte. En cette occasion, ce sera une Porte de la Miséricorde, où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance.

Le dimanche suivant, troisième de l’Avent, la Porte Sainte sera ouverte dans la cathédrale de Rome, la Basilique Saint Jean de Latran. Ensuite seront ouvertes les Portes Saintes dans les autres Basiliques papales. Ce même dimanche, je désire que dans chaque Eglise particulière, dans la cathédrale qui est l’Eglise-mère pour tous les fidèles, ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une Porte de la Miséricorde soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte. Au choix de l’Ordinaire du lieu, elle pourra aussi être ouverte dans les Sanctuaires où affluent tant de pèlerins qui, dans ces lieux ont le cœur touché par la grâce et trouvent le chemin de la conversion. Chaque Eglise particulière est donc directement invitée à vivre cette Année Sainte comme un moment extraordinaire de grâce et de renouveau spirituel. Donc, le Jubilé sera célébré à Rome, de même que dans les Eglises particulières, comme signe visible de la communion de toute l’Eglise.

  1. J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Eglise. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du Concile œcuménique Vatican II. L’Eglise ressent le besoin de garder vivant cet événement. C’est pour elle que commençait alors une nouvelle étape de son histoire. Les Pères du Concile avait perçu vivement, tel un souffle de l’Esprit, qu’il fallait parler de Dieu aux hommes de leur temps de façon plus compréhensible. Les murailles qui avaient trop longtemps enfermé l’Eglise comme dans une citadelle ayant été abattues, le temps était venu d’annoncer l’Evangile de façon renouvelée. Etape nouvelle pour l’évangélisation de toujours. Engagement nouveau de tous les chrétiens à témoigner avec plus d’enthousiasme et de conviction de leur foi. L’Eglise se sentait responsable d’être dans le monde le signe vivant de l’amour du Père.

Les paroles riches de sens que saint Jean XXIII a prononcées à l’ouverture du Concile pour montrer le chemin à parcourir reviennent en mémoire : « Aujourd’hui, l’Épouse du Christ, l’Église, préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité… L’Eglise catholique, en brandissant le flambeau de la vérité religieuse, veut se montrer la mère très aimante de tous, bienveillante, patiente, pleine d’indulgence et de bonté à l’égard de ses fils séparés ».[2] Dans la même perspective, lors de la conclusion du Concile, le bienheureux Paul VI s’exprimait ainsi : « Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité … La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile…. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain : ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies… toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme. Il s’agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins ».[3]

Animé par des sentiments de gratitude pour tout ce que l’Eglise a reçu, et conscient de la responsabilité qui est la nôtre, nous passerons la Porte Sainte sûrs d’être accompagnés par la force du Seigneur Ressuscité qui continue de soutenir notre pèlerinage. Que l’Esprit Saint qui guide les pas des croyants pour coopérer à l’œuvre du salut apporté par le Christ, conduise et soutienne le Peuple de Dieu pour l’aider à contempler le visage de la miséricorde.[4]

  1. C’est le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ, Roi de l’Univers, que sera conclue l’Année jubilaire. En refermant la Porte Sainte ce jour-là, nous serons animés de sentiments de gratitude et d’action de grâce envers la Sainte Trinité qui nous aura donné de vivre ce temps extraordinaire de grâce. Nous confierons la vie de l’Eglise, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ, pour qu’il répande sa miséricorde telle la rosée du matin, pour une histoire féconde à construire moyennant l’engagement de tous au service de notre proche avenir. Combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu ! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous.

  1. « La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde ».[5] Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression de la toute-puissance de Dieu. C’est pourquoi une des plus antiques collectes de la liturgie nous fait prier ainsi : « Dieu qui donne la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié ».[6] Dieu sera toujours dans l’histoire de l’humanité comme celui qui est présent, proche, prévenant, saint et miséricordieux.

“Patient et miséricordieux”, tel est le binôme qui parcourt l’Ancien Testament pour exprimer la nature de Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrètement à l’intérieur de tant d’événements de l’histoire du salut où sa bonté prend le pas sur la punition ou la destruction. D’une façon particulière, les Psaumes font apparaître cette grandeur de l’agir divin : « Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse » (Ps 102, 3-4). D’une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes concrets de la miséricorde : « Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant » (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste : « [Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu’à terre les impies » (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon.

  1. « Eternel est son amour » : c’est le refrain qui revient à chaque verset du Psaume 135 dans le récit de l’histoire de la révélation de Dieu. En raison de la miséricorde, tous les événements de l’Ancien Testament sont riches d’une grande valeur salvifique. La miséricorde fait de l’histoire de Dieu avec Israël une histoire du salut. Répéter sans cesse : « Eternel est son amour » comme fait le Psaume, semble vouloir briser le cercle de l’espace et du temps pour tout inscrire dans le mystère éternel de l’amour. C’est comme si l’on voulait dire que non seulement dans l’histoire, mais aussi dans l’éternité, l’homme sera toujours sous le regard miséricordieux du Père. Ce n’est pas par hasard que le peuple d’Israël a voulu intégrer ce Psaume, le “Grand hallel” comme on l’appelle, dans les fêtes liturgiques les plus importantes.

Avant la Passion, Jésus a prié avec ce Psaume de la miséricorde. C’est ce qu’atteste l’évangéliste Matthieu quand il dit qu’« après avoir chanté les Psaumes » (26, 30), Jésus et ses disciples sortirent en direction du Mont des Oliviers. Lorsqu’il instituait l’Eucharistie, mémorial pour toujours de sa Pâque, il établissait symboliquement cet acte suprême de la Révélation dans la lumière de la miséricorde. Sur ce même horizon de la miséricorde, Jésus vivait sa passion et sa mort, conscient du grand mystère d’amour qui s’accomplissait sur la croix. Savoir que Jésus lui-même a prié avec ce Psaume le rend encore plus important pour nous chrétiens, et nous appelle à en faire le refrain de notre prière quotidienne de louange : « Eternel est son amour ».

  1. Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude. L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois dans toute l’Ecriture : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16). Cet amour est désormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent de Lui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’il accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion.

Face à la multitude qui le suivait, Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9, 36). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait (cf. Mt 14, 14), et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15, 37). Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds. Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son fils unique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour la douleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna son fils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc 7, 15). Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cette mission : « Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Evangile, Saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit : miserando atque eligendo.[7] Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise.

  1. Dans les paraboles de la miséricorde, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un Père qui ne s’avoue jamais vaincu jusqu’à ce qu’il ait absous le péché et vaincu le refus, par la compassion et la miséricorde. Nous connaissons ces paraboles, trois en particulier : celle de la brebis égarée, celle de la pièce de monnaie perdue, et celle du père et des deux fils (cf. Lc 15, 1-32). Dans ces paraboles, Dieu est toujours présenté comme rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi, car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant.

Dans une autre parabole, nous recevons un enseignement pour notre manière de vivre en chrétiens. Interpellé par la question de Pierre lui demandant combien de fois il fallait pardonner, Jésus répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois » (Mt 18, 22). Il raconte ensuite la parabole du « débiteur sans pitié ». Appelé par son maître à rendre une somme importante, il le supplie à genoux et le maître lui remet sa dette. Tout de suite après, il rencontre un autre serviteur qui lui devait quelques centimes. Celui-ci le supplia à genoux d’avoir pitié, mais il refusa et le fit emprisonner. Ayant appris la chose, le maître se mit en colère et rappela le serviteur pour lui dire : « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » (Mt 18, 33). Et Jésus conclut : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » (Mt 18, 35).

La parabole est d’un grand enseignement pour chacun de nous. Jésus affirme que la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants. En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde. Le pardon des offenses devient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux, et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvons pas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère » (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus qui a établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère de crédibilité de notre foi : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7). C’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte.

Comme on peut le remarquer, la miséricorde est, dans l’Ecriture, le mot-clé pour indiquer l’agir de Dieu envers nous. Son amour n’est pas seulement affirmé, mais il est rendu visible et tangible. D’ailleurs, l’amour ne peut jamais être un mot abstrait. Par nature, il est vie concrète : intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l’agir quotidien. La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux des chrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Père aime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsi sommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers les autres.

  1. La miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de miséricorde. La crédibilité de l’Eglise passe par le chemin de l’amour miséricordieux et de la compassion. L’Eglise « vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde ».[8] Peut-être avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la miséricorde. D’une part, la tentation d’exiger toujours et seulement la justice a fait oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Eglise doit aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif. D’autre part, il est triste de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. Sans le témoignage du pardon, il n’y a qu’une vie inféconde et stérile, comme si l’on vivait dans un désert. Le temps est venu pour l’Eglise de retrouver la joyeuse annonce du pardon. Il est temps de revenir à l’essentiel pour se charger des faiblesses et des difficultés de nos frères. Le pardon est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne le courage pour regarder l’avenir avec espérance.

  1. Nous ne pouvons pas oublier le grand enseignement que saint Jean-Paul II nous a donné dans sa deuxième encyclique Dives in misericordia, qui arriva à l’époque de façon inattendue et provoqua beaucoup de surprise en raison du thème abordé. Je voudrais revenir plus particulièrement sur deux expressions. Tout d’abord le saint Pape remarque l’oubli du thème de la miséricorde dans la culture actuelle : « La mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde, et elle tend à éliminer de la vie et à ôter du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée (cf. Gn 1, 28). Cette domination de la terre, entendue parfois de façon unilatérale et superficielle, ne laisse pas de place, semble-t-il, à la miséricorde… Et c’est pourquoi, dans la situation actuelle de l’Eglise et du monde, bien des hommes et bien des milieux, guidés par un sens aigu de la foi, s’adressent, je dirais quasi spontanément, à la miséricorde de Dieu ».[9]

C’est ainsi que saint Jean-Paul II justifiait l’urgence de l’annonce et du témoignage à l’égard de la miséricorde dans le monde contemporain : « Il est dicté par l’amour envers l’homme, envers tout ce qui est humain, et qui, selon l’intuition d’une grande partie des hommes de ce temps, est menacé par un péril immense. Le mystère du Christ… m’a poussé à rappeler dans l’encyclique Redemptor Hominis sa dignité incomparable, m’oblige aussi à proclamer la miséricorde en tant qu’amour miséricordieux de Dieu révélé dans ce mystère. Il me conduit également à en appeler à cette miséricorde et à l’implorer dans cette phase difficile et critique de l’histoire de l’Eglise et du monde ».[10] Son enseignement demeure plus que jamais d’actualité et mérite d’être repris en cette Année Sainte. Recevons ses paroles de façon renouvelée : « L’Eglise vit d’une vie authentique lorsqu’elle professe et proclame la Miséricorde, attribut le plus admirable du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu’elle conduit les hommes aux sources de la Miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice ».[11]

  1. L’Eglise a pour mission d’annoncer la miséricorde de Dieu, cœur battant de l’Evangile, qu’elle doit faire parvenir au cœur et à l’esprit de tous. L’Epouse du Christ adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne. De nos jours où l’Eglise est engagée dans la nouvelle évangélisation, le thème de la miséricorde doit être proposé avec un enthousiasme nouveau et à travers une pastorale renouvelée. Il est déterminant pour l’Eglise et pour la crédibilité de son annonce de vivre et de témoigner elle-même de la miséricorde. Son langage et ses gestes doivent transmettre la miséricorde pour pénétrer le cœur des personnes et les inciter à retrouver le chemin du retour au Père.

La vérité première de l’Eglise est l’amour du Christ. L’Eglise se fait servante et médiatrice de cet amour qui va jusqu’au pardon et au don de soi. En conséquence, là où l’Eglise est présente, la miséricorde du Père doit être manifeste. Dans nos paroisses, les communautés, les associations et les mouvements, en bref, là où il y a des chrétiens, quiconque doit pouvoir trouver une oasis de miséricorde.

  1. Nous voulons vivre cette Année Jubilaire à la lumière de la parole du Seigneur : Miséricordieux comme le Père. L’évangéliste rapporte l’enseignement du Christ qui dit : «  Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux  » (Lc 6, 36). C’est un programme de vie aussi exigeant que riche de joie et de paix. Le commandement de Jésus s’adresse à ceux qui écoutent sa voix (cf. Lc 6, 27). Pour être capable de miséricorde, il nous faut donc d’abord nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. Cela veut dire qu’il nous faut retrouver la valeur du silence pour méditer la Parole qui nous est adressée. C’est ainsi qu’il est possible de contempler la miséricorde de Dieu et d’en faire notre style de vie.

  1. Le pèlerinage est un signe particulier de l’Année Sainte : il est l’image du chemin que chacun parcourt au long de son existence. La vie est un pèlerinage, et l’être humain un viator, un pèlerin qui parcourt un chemin jusqu’au but désiré. Pour passer la Porte Sainte à Rome, et en tous lieux, chacun devra, selon ses forces, faire un pèlerinage. Ce sera le signe que la miséricorde est un but à atteindre, qui demande engagement et sacrifice. Que le pèlerinage stimule notre conversion : en passant la Porte Sainte, nous nous laisserons embrasser par la miséricorde de Dieu, et nous nous engagerons à être miséricordieux avec les autres comme le Père l’est avec nous.

Le Seigneur Jésus nous montre les étapes du pèlerinage à travers lequel nous pouvons atteindre ce but  : «  Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés  ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera  : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement  ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous  » (Lc 6, 37-38). Il nous est dit, d’abord, de ne pas juger, et de ne pas condamner. Si l’on ne veut pas être exposé au jugement de Dieu, personne ne doit devenir juge de son frère. De fait, en jugeant, les hommes s’arrêtent à ce qui est superficiel, tandis que le Père regarde les cœurs. Que de mal les paroles ne font-elles pas lorsqu’elles sont animées par des sentiments de jalousie ou d’envie  ! Mal parler du frère en son absence, c’est le mettre sous un faux jour, c’est compromettre sa réputation et l’abandonner aux ragots. Ne pas juger et ne pas condamner signifie, de façon positive, savoir accueillir ce qu’il y a de bon en toute personne et ne pas permettre quelle ait à souffrir de notre jugement partiel et de notre prétention à tout savoir. Ceci n’est pas encore suffisant pour exprimer ce qu’est la miséricorde. Jésus demande aussi de pardonner et de donner, d’être instruments du pardon puisque nous l’avons déjà reçu de Dieu, d’être généreux à l’égard de tous en sachant que Dieu étend aussi sa bonté pour nous avec grande magnanimité.

Miséricordieux comme le Père, c’est donc la “devise” de l’Année Sainte. Dans la miséricorde, nous avons la preuve de la façon dont Dieu aime. Il se donne tout entier, pour toujours, gratuitement, et sans rien demander en retour. Il vient à notre secours lorsque nous l’invoquons. Il est beau que la prière quotidienne de l’Eglise commence avec ces paroles  : «  Mon Dieu, viens me délivrer  ; Seigneur, viens vite à mon secours  » (Ps 69, 2). L’aide que nous implorons est déjà le premier pas de la miséricorde de Dieu à notre égard. Il vient nous sauver de la condition de faiblesse dans laquelle nous vivons. Son aide consiste à rendre accessible sa présence et sa proximité. Touchés jour après jour par sa compassion, nous pouvons nous aussi devenir compatissants envers tous.

  1. Au cours de cette Année Sainte, nous pourrons faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique. Combien de situations de précarité et de souffrance n’existent-elles pas dans le monde d’aujourd’hui ! Combien de blessures ne sont-elles pas imprimées dans la chair de ceux qui n’ont plus de voix parce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches ! Au cours de ce Jubilé, l’Eglise sera encore davantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité et l’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et sœurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. Que leur cri devienne le nôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règne souvent en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l’égoïsme.

J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine. La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples. Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles  : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles  : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

Nous ne pouvons pas échapper aux paroles du Seigneur et c’est sur elles que nous serons jugés  : aurons-nous donné à manger à qui a faim et à boire à qui a soif  ? Aurons-nous accueilli l’étranger et vêtu celui qui était nu  ? Aurons-nous pris le temps de demeurer auprès de celui qui est malade et prisonnier  ? (cf. Mt 25, 31-45). De même, il nous sera demandé si nous avons aidé à sortir du doute qui engendre la peur, et bien souvent la solitude ; si nous avons été capable de vaincre l’ignorance dans laquelle vivent des millions de personnes, surtout des enfants privés de l’aide nécessaire pour être libérés de la pauvreté, si nous nous sommes fait proches de celui qui est seul et affligé ; si nous avons pardonné à celui qui nous offense, si nous avons rejeté toute forme de rancœur et de haine qui porte à la violence, si nous avons été patient à l’image de Dieu qui est si patient envers nous ; si enfin, nous avons confié au Seigneur, dans la prière nos frères et sœurs. C’est dans chacun de ces «  plus petits  » que le Christ est présent. Sa chair devient de nouveau visible en tant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré… pour être reconnu par nous, touché et assisté avec soin. N’oublions pas les paroles de Saint Jean de la Croix  : «  Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour  ».[12]

  1. Dans l’Evangile de Luc, nous trouvons un autre aspect important pour vivre avec foi ce Jubilé. L’évangéliste raconte qu’un jour de sabbat, Jésus retourna à Nazareth, et comme il avait l’habitude de le faire, il entra dans la synagogue. On l’appela pour lire l’Ecriture et la commenter. C’était le passage du prophète Isaïe où il est écrit : «  L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 1-2). «  Une année de bienfaits  »  : c’est ce que le Seigneur annonce et que nous voulons vivre. Que cette Année Sainte expose la richesse de la mission de Jésus qui résonne dans les paroles du Prophète  : dire une parole et faire un geste de consolation envers les pauvres, annoncer la libération de ceux qui sont esclaves dans les nouvelles prisons de la société moderne, redonner la vue à qui n’est plus capable de voir car recroquevillé sur lui-même, redonner la dignité à ceux qui en sont privés. Que la prédication de Jésus soit de nouveau visible dans les réponses de foi que les chrétiens sont amenés à donner par leur témoignage. Que les paroles de l’Apôtre nous accompagnent  : «  celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire  » (Rm 12, 8).

  1. Puisse le Carême de cette Année Jubilaire être vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Combien de pages de l’Ecriture peuvent être méditées pendant les semaines du Carême, pour redécouvrir le visage miséricordieux du Père ! Nous pouvons nous aussi répéter avec Michée : Toi, Seigneur, tu es un Dieu qui efface l’iniquité et pardonne le péché. De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés  ! (cf. 7, 18-19).

Ces pages du prophète Isaïe pourront être méditées plus concrètement en ce temps de prière, de jeûne et de charité  : «  Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci  : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs  ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable  ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra  ; si tu cries, il dira  : «  Me voici.  » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais  » (Is 58, 6-11).

L’initiative appelée «  24 heures pour le Seigneur  » du vendredi et samedi qui précèdent le IVème dimanche de Carême doit monter en puissance dans les diocèses. Tant de personnes se sont de nouveau approchées du sacrement de Réconciliation, et parmi elles de nombreux jeunes, qui retrouvent ainsi le chemin pour revenir au Seigneur, pour vivre un moment de prière intense, et redécouvrir le sens de leur vie. Avec conviction, remettons au centre le sacrement de la Réconciliation, puisqu’il donne à toucher de nos mains la grandeur de la miséricorde. Pour chaque pénitent, ce sera une source d’une véritable paix intérieure.

Je ne me lasserai jamais d’insister pour que les confesseurs soient un véritable signe de la miséricorde du Père. On ne s’improvise pas confesseur. On le devient en se faisant d’abord pénitent en quête de pardon. N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve. Chacun de nous a reçu le don de l’Esprit Saint pour le pardon des péchés, nous en sommes responsables. Nul d’entre nous n’est maître du sacrement, mais un serviteur fidèle du pardon de Dieu. Chaque confesseur doit accueillir les fidèles comme le père de la parabole du fils prodigue  : un père qui court à la rencontre du fils bien qu’il ait dissipé tous ses biens. Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l’avoir retrouvé. Ils ne se lasseront pas non plus d’aller vers l’autre fils resté dehors et incapable de se réjouir, pour lui faire comprendre que son jugement est sévère et injuste, et n’a pas de sens face à la miséricorde du Père qui n’a pas de limite. Ils ne poseront pas de questions impertinentes, mais comme le père de la parabole, ils interrompront le discours préparé par le fils prodigue, parce qu’ils sauront accueillir dans le cœur du pénitent l’appel à l’aide et la demande de pardon. En résumé, les confesseurs sont appelés, toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde.

  1. Au cours du carême de cette Année Sainte, j’ai l’intention d’envoyer les Missionnaires de la Miséricorde. Ils seront le signe de la sollicitude maternelle de l’Eglise à l’égard du Peuple de Dieu, pour qu’il entre en profondeur dans la richesse de ce mystère aussi fondamental pour la foi. Ce seront des prêtres à qui j’aurai donné l’autorité pour pardonner aussi les péchés qui sont réservés au Siège Apostolique, afin de rendre explicite l’étendue de leur mandat. Ils seront surtout signe vivant de la façon dont le Père accueille ceux qui sont à la recherche de son pardon. Ils seront des missionnaires de la miséricorde car ils se feront auprès de tous l’instrument d’une rencontre riche en humanité, source de libération, lourde de responsabilité afin de dépasser les obstacles à la reprise de la vie nouvelle du Baptême. Dans leur mission, ils se laisseront guider par la parole de l’Apôtre : «  Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32). De fait, tous, sans exclusion, sont invités à accueillir l’appel à la miséricorde. Que les missionnaires vivent cet appel en fixant le regard sur Jésus, «  Grand-Prêtre miséricordieux et digne de foi  » (He 2, 17).

Je demande à mes frères évêques d’inviter et d’accueillir ces Missionnaires, pour qu’ils soient avant tout des prédicateurs convaincants de la miséricorde. Que soient organisées dans les diocèses des «  missions vers le peuple  », de sorte que ces Missionnaires soient les hérauts de la joie du pardon. Qu’ils célèbrent le sacrement de la Réconciliation pour le peuple, pour que le temps de grâce de l’Année Jubilaire permette à de nombreux fils éloignés de retrouver le chemin de la maison paternelle. Que les pasteurs, spécialement pendant le temps fort du Carême, soient invités à appeler les fidèles à s’approcher «  vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir la grâce de son secours  » (He 4, 16).

  1. Que puisse parvenir à tous la parole de pardon et que l’invitation à faire l’expérience de la miséricorde ne laisse personne indifférent ! Mon appel à la conversion s’adresse avec plus d’insistance à ceux qui se trouvent éloignés de la grâce de Dieu en raison de leur conduite de vie. Je pense en particulier aux hommes et aux femmes qui font partie d’une organisation criminelle quelle qu’elle soit. Pour votre bien, je vous demande de changer de vie. Je vous le demande au nom du Fils de Dieu qui, combattant le péché, n’a jamais rejeté aucun pécheur. Ne tombez pas dans le terrible piège qui consiste à croire que la vie ne dépend que de l’argent, et qu’à côté, le reste n’aurait ni valeur, ni dignité. Ce n’est qu’une illusion. Nous n’emportons pas notre argent dans l’au-delà. L’argent ne donne pas le vrai bonheur. La violence pour amasser de l’argent qui fait couler le sang ne rend ni puissant, ni immortel. Tôt ou tard, le jugement de Dieu viendra, auquel nul ne pourra échapper.

Le même appel s’adresse aux personnes fautives ou complices de corruption. Cette plaie puante de la société est un péché grave qui crie vers le ciel, car il mine jusqu’au fondement de la vie personnelle et sociale. La corruption empêche de regarder l’avenir avec espérance, parce que son arrogance et son avidité anéantissent les projets des faibles et chassent les plus pauvres. C’est un mal qui prend racine dans les gestes quotidiens pour s’étendre jusqu’aux scandales publics. La corruption est un acharnement dans le péché qui entend substituer à Dieu l’illusion de l’argent comme forme de pouvoir. C’est une œuvre des ténèbres, qui s’appuie sur la suspicion et l’intrigue. Corruptio optimi pessima, disait avec raison saint Grégoire le Grand, pour montrer que personne n’est exempt de cette tentation. Pour la vaincre dans la vie individuelle et sociale, il faut de la prudence, de la vigilance, de la loyauté, de la transparence, le tout en lien avec le courage de la dénonciation. Si elle n’est pas combattue ouvertement, tôt ou tard on s’en rend complice et elle détruit l’existence.

Voici le moment favorable pour changer de vie ! Voici le temps de se laisser toucher au cœur. Face au mal commis, et même aux crimes graves, voici le moment d’écouter pleurer les innocents dépouillés de leurs biens, de leur dignité, de leur affection, de leur vie même. Rester sur le chemin du mal n’est que source d’illusion et de tristesse. La vraie vie est bien autre chose. Dieu ne se lasse pas de tendre la main. Il est toujours prêt à écouter, et moi aussi je le suis, comme mes frères évêques et prêtres. Il suffit d’accueillir l’appel à la conversion et de se soumettre à la justice, tandis que l’Eglise offre la miséricorde.

  1. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler le rapport entre justice et miséricorde. Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. La justice est un concept fondamental pour la société civile, quand la référence normale est l’ordre juridique à travers lequel la loi s’applique. La justice veut que chacun reçoive ce qui lui est dû. Il est fait référence de nombreuses fois dans la Bible à la justice divine et à Dieu comme juge. On entend par là l’observance intégrale de la Loi et le comportement de tout bon israélite conformément aux commandements de Dieu. Cette vision est cependant souvent tombée dans le légalisme, déformant ainsi le sens originel et obscurcissant le sens profond de la justice. Pour dépasser cette perspective légaliste, il faut se rappeler que dans l’Ecriture, la justice est essentiellement conçue comme un abandon confiant à la volonté de Dieu.

Pour sa part, Jésus s’exprime plus souvent sur l’importance de la foi que sur l’observance de la loi. C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre ses paroles, lorsqu’à table avec Matthieu et d’autres publicains et pécheurs, il dit aux pharisiens qui le critiquent  : «  Allez apprendre ce que signifie  : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs  » (Mt 9, 13). En face d’une vision de la justice comme simple observance de la loi qui divise entre justes et pécheurs, Jésus indique le grand don de la miséricorde qui va à la recherche des pécheurs pour leur offrir le pardon et le salut. On comprend alors pourquoi Jésus fut rejeté par les pharisiens et les docteurs de la loi, à cause de sa vision libératrice et source de renouveau. Pour être fidèles à la loi, ils posaient des poids sur les épaules des gens, rendant vaine la miséricorde du Père. Le respect de la loi ne peut faire obstacle aux exigences de la dignité humaine.

L’évocation que fait Jésus du prophète Osée – «  Je veux la fidélité, non le sacrifice  » (6, 6) – est très significative. Jésus affirme que la règle de vie de ses disciples devra désormais intégrer le primat de la miséricorde, comme Lui-même en a témoigné, partageant son repas avec les pécheurs. La miséricorde se révèle une nouvelle fois comme une dimension fondamentale de la mission de Jésus. Elle est un véritable défi face à ses interlocuteurs qui s’arrêtaient au respect formel de la loi. Jésus au contraire, va au-delà de la loi ; son partage avec ceux que la loi considérait comme pécheurs fait comprendre jusqu’où va sa miséricorde.

L’apôtre Paul a parcouru un chemin similaire. Avant de rencontrer le Christ sur le chemin de Damas, il consacrait sa vie à observer de manière irréprochable la justice de la loi (cf. Ph 3, 6). La conversion au Christ l’amena à changer complétement de regard, au point qu’il affirme dans la Lettre aux Galates  : «  Nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus pour devenir des justes par la foi au Christ, et non par la pratique de la Loi  » (2, 16). Sa compréhension de la justice change radicalement. Paul situe désormais en premier la foi, et non plus la loi. Ce n’est pas l’observance de la loi qui sauve, mais la foi en Jésus-Christ, qui par sa mort et sa résurrection, nous a donné la miséricorde qui justifie. La justice de Dieu devient désormais libération pour ceux qui sont esclaves du péché et de toutes ses conséquences. La justice de Dieu est son pardon (cf. Ps 50, 11-16).

  1. La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde. L’époque de ce prophète est parmi les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu. Le Royaume est près d’être détruit ; le peuple n’est pas demeuré fidèle à l’alliance, il s’est éloigné de Dieu et a perdu la foi des Pères. Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle : il n’a pas été fidèle au pacte, et il mérite donc la peine prévue, c’est-à-dire l’exil. Les paroles du prophète l’attestent  : «  Il ne retournera pas au pays d’Égypte  ; Assour deviendra son roi, car ils ont refusé de revenir à moi  » (Os 11, 5). Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu  : «  Mon cœur se retourne contre moi  ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme  : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer  » (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit  : «  Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde  ».[13] C’est exactement ainsi. La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle.

Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu  ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon. Cela ne signifie pas dévaluer la justice ou la rendre superflue, au contraire. Qui se trompe devra purger sa peine, mais ce n’est pas là le dernier mot, mais le début de la conversion, en faisant l’expérience de la tendresse du pardon. Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice. Il nous faut prêter grande attention à ce qu’écrit Paul pour ne pas faire la même erreur que l’Apôtre reproche à ses contemporains juifs  : «  En ne reconnaissant pas la justice qui vient de Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. Car l’aboutissement de la Loi, c’est le Christ, afin que soit donnée la justice à toute personne qui croit  » (Rm 10, 3-4). Cette justice de Dieu est la miséricorde accordée à tous comme une grâce venant de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. La Croix du Christ est donc le jugement de Dieu sur chacun de nous et sur le monde, puisqu’elle nous donne la certitude de l’amour et de la vie nouvelle.

  1. Le jubilé amène la réflexion sur l’indulgence. Elle revêt une importance particulière au cours de cette Année Sainte. Le pardon de Dieu pour nos péchés n’a pas de limite. Dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Dieu rend manifeste cet amour qui va jusqu’à détruire le péché des hommes. Il est possible de se laisser réconcilier avec Dieu à travers le mystère pascal et la médiation de l’Eglise. Dieu est toujours prêt au pardon et ne se lasse jamais de l’offrir de façon toujours nouvelle et inattendue. Nous faisons tous l’expérience du péché. Nous sommes conscients d’être appelés à la perfection (cf. Mt 5, 48), mais nous ressentons fortement le poids du péché. Quand nous percevons la puissance de la grâce qui nous transforme, nous faisons l’expérience de la force du péché qui nous conditionne. Malgré le pardon, notre vie est marquée par les contradictions qui sont la conséquence de nos péchés. Dans le sacrement de la Réconciliation, Dieu pardonne les péchés, et ils sont réellement effacés, cependant que demeure l’empreinte négative des péchés dans nos comportements et nos pensées. La miséricorde de Dieu est cependant plus forte que ceci. Elle devient indulgence du Père qui rejoint le pécheur pardonné à travers l’Epouse du Christ, et le libère de tout ce qui reste des conséquences du péché, lui donnant d’agir avec charité, de grandir dans l’amour plutôt que de retomber dans le péché.

L’Eglise vit la communion des saints. Dans l’eucharistie, cette communion, qui est don de Dieu, est rendue présente comme une union spirituelle qui lie les croyants avec les Saints et les Bienheureux dont le nombre est incalculable (cf. Ap 7,4). Leur sainteté vient au secours de notre fragilité, et la Mère Eglise est ainsi capable, par sa prière et sa vie, d’aller à la rencontre de la faiblesse des uns avec la sainteté des autres. Vivre l’indulgence de l’Année Sainte, c’est s’approcher de la miséricorde du Père, avec la certitude que son pardon s’étend à toute la vie des croyants. L’indulgence, c’est l’expérience de la sainteté de l’Eglise qui donne à tous de prendre part au bénéfice de la rédemption du Christ, en faisant en sorte que le pardon parvienne jusqu’aux extrêmes conséquences que rejoint l’amour de Dieu. Vivons intensément le Jubilé, en demandant au Père le pardon des péchés et l’étendue de son indulgence miséricordieuse.

  1. La valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Eglise. Elle est le lien avec le Judaïsme et l’Islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. Israël a d’abord reçu cette révélation qui demeure dans l’histoire comme le point de départ d’une richesse incommensurable à offrir à toute l’humanité. Nous l’avons vu, les pages de l’Ancien Testament sont imprégnées de miséricorde, puisqu’elles racontent les oeuvres accomplies par le Seigneur en faveur de son peuple dans les moments les plus difficiles de son histoire. L’Islam de son côté, attribue au Créateur les qualificatifs de Miséricordieux et Clément. On retrouve souvent ces invocations sur les lèvres des musulmans qui se sentent accompagnés et soutenus par la miséricorde dans leur faiblesse quotidienne. Eux aussi croient que nul ne peut limiter la miséricorde divine car ses portes sont toujours ouvertes.

Que cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination.

  1. Que notre pensée se tourne vers la Mère de la Miséricorde. Que la douceur de son regard nous accompagne en cette Année Sainte, afin que tous puissent redécouvrir la joie de la tendresse de Dieu. Personne n’a connu comme Marie la profondeur du mystère de Dieu fait homme. Sa vie entière fut modelée par la présence de la miséricorde faite chair. La Mère du Crucifié Ressuscité est entrée dans le sanctuaire de la miséricorde divine en participant intimement au mystère de son amour.

Choisie pour être la Mère du Fils de Dieu, Marie fut préparée depuis toujours par l’amour du Père pour être l’Arche de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Elle a gardé dans son cœur la divine miséricorde en parfaite syntonie avec son Fils Jésus. Son chant de louange, au seuil de la maison d’Elisabeth, fut consacré à la miséricorde qui s’étend «  d’âge en âge  » (Lc 1, 50). Nous étions nous aussi présents dans ces paroles prophétiques de la Vierge Marie, et ce sera pour nous un réconfort et un soutien lorsque nous franchirons la Porte Sainte pour goûter les fruits de la miséricorde divine.

Près de la croix, Marie avec Jean, le disciple de l’amour, est témoin des paroles de pardon qui jaillissent des lèvres de Jésus. Le pardon suprême offert à qui l’a crucifié nous montre jusqu’où peut aller la miséricorde de Dieu. Marie atteste que la miséricorde du Fils de Dieu n’a pas de limite et rejoint tout un chacun sans exclure personne. Adressons lui l’antique et toujours nouvelle prière du Salve Regina, puisqu’elle ne se lasse jamais de poser sur nous un regard miséricordieux, et nous rend dignes de contempler le visage de la miséricorde, son Fils Jésus.

Que notre prière s’étende aussi à tant de Saints et de Bienheureux qui ont fait de la miséricorde la mission de leur vie. Cette pensée s’adresse en particulier à la grande apôtre de la miséricorde, Sainte Faustine Kowalska. Elle qui fut appelée à entrer dans les profondeurs de la miséricorde divine, qu’elle intercède pour nous et nous obtienne de vivre et de cheminer toujours dans le pardon de Dieu et dans l’inébranlable confiance en son amour.

  1. Une Année Sainte extraordinaire pour vivre dans la vie de chaque jour la miséricorde que le Père répand sur nous depuis toujours. Au cours de ce Jubilé, laissons-nous surprendre par Dieu. Il ne se lasse jamais d’ouvrir la porte de son cœur pour répéter qu’il nous aime et qu’il veut partager sa vie avec nous. L’Eglise ressent fortement l’urgence d’annoncer la miséricorde de Dieu. La vie de l’Eglise est authentique et crédible lorsque la miséricorde est l’objet d’une annonce convaincante. Elle sait que sa mission première, surtout à notre époque toute remplie de grandes espérances et de fortes contradictions, est de faire entrer tout un chacun dans le grand mystère de la miséricorde de Dieu, en contemplant le visage du Christ. L’Eglise est d’abord appelée à être témoin véridique de la miséricorde, en la professant et en la vivant comme le centre de la Révélation de Jésus-Christ. Du cœur de la Trinité, du plus profond du mystère de Dieu, jaillit et coule sans cesse le grand fleuve de la miséricorde. Cette source ne sera jamais épuisée pour tous ceux qui s’en approcheront. Chaque fois qu’on en aura besoin, on pourra y accéder, parce que la miséricorde de Dieu est sans fin. Autant la profondeur du mystère renfermé est insondable, autant la richesse qui en découle est inépuisable.

Qu’en cette Année Jubilaire l’Eglise fasse écho à la Parole de Dieu qui résonne, forte et convaincante, comme une parole et un geste de pardon, de soutien, d’aide, d’amour. Qu’elle ne se lasse jamais d’offrir la miséricorde et soit toujours patiente pour encourager et pardonner. Que l’Eglise se fasse la voix de tout homme et de toute femme, et répète avec confiance et sans relâche  : «  Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours  » (Ps 25, 6).

Donné à Rome, près Saint Pierre, le 11 avril, Veille du IIème Dimanche de Pâques ou de la Divine Miséricorde, de l’An du Seigneur 2015, le troisième de mon pontificat.

Franciscus

[1] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 4.

[2] Jean XXIII, Discours d’ouverture du Concile œcuménique Vatican II Gaudet Mater Ecclesia, 11 octobre 1962, nn. 2-3.

[3] Paul VI, Discours de clôture du Concile œcuménique Vatican II, 7 décembre 1965.

[4] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 16 ; Const. past. Gaudium et spes, n. 15.

[5] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 30, a. 4.

[6] Prière d’ouverture du XXVIème dimanche du Temps ordinaire. Cette prière apparaît dès le VIIIème siècle dans les textes eucologiques du Sacramentaire Gélasien 1198.

[7] Cf. Hom. 21 : CCL 122, 149-151.

[8] Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 24.

[9] n. 2.

[10] Jean-Paul II, Lett. Enc. Dives in misericordia, n. 15.

[11] Ibid., n. 2.

[12] Avis et Sentences spirituelles, § 56.

[13] Enarr. in Ps. 76, 11.

 

En cliquant sur le titre ci-après, vous aurez accès au document PDF pour lecture ou éventuelle impression :

BULLE D’INDICTION DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE DE LA MISÉRICORDE 2015




Session d’Introduction au Cycle Long 2016

Le dimanche 31 janvier, tous ceux et celles qui se sont inscrits à la formation Cycle Long (une journée par mois, pendant deux ans, pour approfondir sa foi) étaient invités à se retrouver au Collège St Michel, à St Denis. Ils étaient environ 220 « première année » et 110 « seconde année » à avoir pu faire le déplacement sur les 391 inscrits…

Dès l’entrée dans la cour du Collège, ils ont été accueillis par des membres de l’équipe Cycle Long (Une trentaine de bénévoles), aidés par des « seconde année » :

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Puis tous les participants ont été invités à se retrouver dans la grande salle d’étude du Collège, où Mario Lauret leur a présenté la Liturgie des Heures (Prière du Temps Présent) et plus particulièrement la prière du matin, les Laudes, que nous avons ensuite célébrée. Une équipe avait préparé les chants, les tons des Psaumes, les lectures, et pour une première fois pour beaucoup, le résultat fut plus qu’encourageant…

Puis l’équipe de Service Cycle Long s’est présentée, groupe par groupe, trente anciens du Cycle Long qui, au bout de leurs deux années, ont souhaité se mettre au service des nouveaux à St Benoît, Ste Suzanne, St Denis (deux groupes, samedi et dimanche) et St Louis (deux groupes, samedi et dimanche)… Et c’est grâce à eux, grâce à leur engagement, que cette formation peut exister…

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Puis nous avons partagé un bon petit déjeuner préparé par toute l’équipe (café, thé, pain, beurre, confitures, croissants, pains aux raisins, pains au chocolat, jus d’orange, etc…).

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Nous sommes ensuite remontés dans grande la salle d’étude, et D. Jacques Fournier a présenté le programme biblique des cinq premières rencontres qui seront consacrées au Mystère du Christ, le thème de l’année…

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Puis ce fut le tour du P. Christophe Kérhardy (SJ) de présenter le programme des quatre rencontres de théologie qui suivront, toujours consacrées au Mystère du Christ.

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Puis le Père Christophe Kérhardy est allé sous un des préaux de la cour, avec les « seconde année », sur le thème « Heureux les Miséricordieux », pendant que le D. Jacques Fournier proposait aux « première année » une introduction à la Bible:

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Nous sommes ensuite allés prendre le repas…

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Et l’équipe de Service avait bon appétit :

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Après la vaisselle, le rangement et le nettoyage de la salle où tout le monde était invité à donner un coup de main, un bon café était proposé. Jocelyne et Nathalie proposaient le livre « Prière du Temps Présent », « L’Evangile selon St Luc », un petit fascicule à diffuser le plus largement possible (Evangile de l’année, donnant une place toute particulière à la Miséricorde de Dieu »), et deux magnifiques témoignages : « Histoire d’une Âme » de Ste Thérèse de Lisieux (Patronne du Sedifop), et « Dans cinq heures, je verrai Jésus » de Jacques Fesch, un des derniers condamnés à mort en France ; il a vécu en prison une magnifique rencontre avec le Christ qui l’a accompagné et soutenu jusqu’à la fin…

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Les « seconde année » furent invités à se retrouver de nouveau sous un des préaux de la cour avec le P. Joseph Lekundayo, sur le thème : « Jésus Christ est le visage de la Miséricorde du Père » (Pape François):

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Pendant ce temps-là, l’équipe de Service présentait aux « première année » tout ce qui fait la vie d’une journée Cycle Long : la prière de la Liturgie des Heures, l’attention à la vie fraternelle, la promotion d’une spiritualité de la communion, l’accomplissement ensemble des différents services nécessaires au bon déroulement de la journée, la manière de vivre un temps de carrefour… Les différents points concrets pour une bonne organisation ont aussi été abordés : privilégier pendant deux ans sa formation par rapport à ses différents engagements, pour pouvoir mieux y revenir par la suite ; penser à prévenir son responsable de groupe si vraiment, un jour, il n’est pas possible de venir à la rencontre prévue ; lui indiquer l’autre groupe où l’on pourra rattraper cette journée de formation ; enfin, ne jamais abandonner sa formation pour des raisons financières : ne pas hésiter à en parler avec son responsable de groupe. Nous sommes là pour nous entraider…

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Et notre journée s’est terminée par la célébration de l’Eucharistie présidée par notre Evêque Mgr Gilbert Aubry, avec la présence des Pères Joseph Lekundayo et Célestin Ranaivoson, curé de la Paroisse Marie Reine du Monde, au Tampon 14° km… Un merci tout particulier à Yolain, à son fils, à Dominique qui sont venus tout spécialement de St Paul pour assurer la partie musicale…

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Nous confions cette année Cycle Long à la grâce de l’Esprit Saint dont la mission première est de nous introduire dans la vérité tout entière, et nous nous appuyons sur cette promesse du Christ : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements », et « le commandement » du Christ « est vie éternelle » (Jn 12,50). « Et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous; et en vous il sera… Et l’Esprit Saint, ce Paraclet que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et il vous rappellera tout ce que je vous ai dit… Quand il viendra, il vous guidera dans la vérité tout entière » (Jn 14,15-17; 14,26; 16,13)…

                                                                                                                       D. Jacques Fournier

 




Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 7 février 2016)

Isaïe 6, 1-2a.3-8 (« Me voici ; envoie-moi ! »)

La première lecture de dimanche dernier présentait la vocation de l’humble Jérémie, tout en omettant l’objection du prophète : « Je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). Ce récit voulait annoncer la mission de Jésus comme prophète des nations. Aujourd’hui nous lisons la vocation d’Isaïe, un noble d’Israël, qui, sans timidité aucune, déclare au Seigneur : Je serai ton messager ; « Me voici : envoie-moi ! » Dieu appelle chacun à son service selon son tempérament personnel.

L’aveu du pécheur

Mais la noblesse suprême d’Isaïe s’exprime dans son aveu, son effroi sacré vis-à-vis de la majesté divine : « Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures… » L’expression annonce celle de Simon-Pierre appelé par Jésus : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (évangile). Tout appelé du Dieu saint devient digne de sa vocation lorsque, quel que soit son rang social, il prend conscience de son indignité.

L’expérience de la sainteté de Dieu

La vocation d’Isaïe a pour cadre le culte du Temple, avec ses portes monumentales pivotant sur leurs gonds avec bruit, au rythme des célébrations, avec l’épaisse fumée de l’encens La triple répétition de l’adjectif « Saint » vaut comme un superlatif. Les « séraphins » n’ont rien à voir avec les angelots de nos peintures. Il s’agit de figures, en forme de serpents peut-être, ornant le Saint (pièce centrale du Sanctuaire de Jérusalem). Leur nom signifie « les brûlants » et l’on comprend que ce soient eux, selon la symbolique du récit, qui brûlent les lèvres d’Isaïe pour rendre pur son message. N’est-ce pas dans l’émotion du culte, à l’instar d’Isaïe, que maint chrétien a découvert sa vocation ?

Saint, saint, saint, le Seigneur ! Cette triple acclamation du Saint, c’est-à-dire du « Tout Autre », entra très tôt dans la liturgie chrétienne, comme elle était entrée dans le Shemoné Esré (les Dix-Huit Bénédictions) du service synagogal : « Tu es saint, et ton Nom est saint. (…) Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on le sanctifie dans les hauteurs célestes, ainsi qu’il est écrit par ton prophète : Saint ! Saint ! Saint est le Seigneur des armées, sa gloire remplit toute la terre. (…) D’âge en âge nous dirons ta grandeur et d’éternité en éternité nous proclamerons ta sainteté. Ta louange, ô notre Dieu, ne quittera jamais notre bouche car tu es Dieu, Roi grand et saint. – Béni es-Tu, Seigneur, le Dieu saint ! »

 

Psaume 137 («Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »)

Ce psaume se divise en cinq strophes. La liturgie n’en omet qu’une, la quatrième, parce qu’elle a moins de rapport avec la première lecture. En effet, ce poème nous permet d’intérioriser, de nous approprier l’expérience spirituelle d’Isaïe dans le Temple de Jérusalem, là où il situe sa vocation prophétique.

Schéma des psaumes d’action de grâce

Les psaumes définis comme « actions de grâce » présentent d’ordinaire la charpente suivante. Retenons divers exemples : (A) une brève introduction de louange : « Je t’exalte, Seigneur » (Psaume 29, 2) ; (B) un récit évoquant l’épreuve dont le psalmiste a été tiré et se résumant parfois en ces termes : « J’étais pris dans les filets de la mort » (Ps 114, 3) ; (C) Le rappel de la supplication que l’on crié au sein du malheur : « J’ai invoqué le nom du Seigneur : Seigneur, je n’en prie, délivre-moi ! » (Ps 114, 4) ; (D) une brève mention de la réponse favorable du Seigneur : « Tu as changé mon deuil en une danse » (Ps 29, 12) ; (E) la promesse de rendre grâce toujours : « Sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rendrai grâce » (Ps 29, 13) ; ou la promesse d’offrir un sacrifice de remerciement au Temple : « Je t’offrirai de beaux holocaustes… » (Ps 65, 15).
D’une part, les poètes bibliques se sentent libres d’organiser à leur gré ces cinq éléménts. D’autre part, ils s’attardent sur le malheur dont ils ont été tirés, ce qui leur permet de souligner la puissance du Seigneur. Dans les ex-voto de chapelles bretonnes, de petites peintures naïves représentent des bateaux en perdition, une manière de souligner la puissance du Dieu qui a sauvé les marins dans la tempête.

Trois lectures du Psaume 137 (138)

Une lecture tant soit peu attentive de ce psaume y retrouvera, dispersés, les cinq éléments classiques. Mais le psalmiste ne s’attarde nullement sur son épreuve (laquelle ?) et son heureuse issue (laquelle ?), au jour où le Seigneur répondit à son appel. Dans les strophes aujourd’hui retenues, le mot Seigneur revient cinq fois. L’auteur s’intéresse à la dernière phase des actions de grâce, à savoir la reconnaissance proprement dite. Ce mot exprime à la fois une opération vérité, reconnaître ce qui est vrai et à qui je le dois, et une gratitude envers celui à qui je le dois. En ce sens se comprend la belle formule liturgique : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. Cela est juste et bon. »
Le poète célèbre l’amour de Dieu à son égard et sa vérité, c’est-à-dire sa fidélité. Tel est le « cercle vertueux » des mots : l’amour de Dieu c’est sa vérité, et sa vérité c’est son amour (ruminons cette idée…) Le psalmiste chante la grandeur du Seigneur, la grandeur de son Nom, c’est-à-dire de son être qui s’exprime par l’amour et la fidélité, par sa parole active qui grandit l’humilié : « Tu fis grandir en mon âme la force », écrit le psalmiste. Mais qui s’exprime en ce psaume ?
1. Le livre des Psaumes intitule ce poème : De David. C’est bien sûr une fiction. Mais, selon cette lecture, le saint roi rend grâce à Dieu pour le rang messianique qu’il a acquis, pour son élévation, ses victoires dont « tous les rois de la terre rendent gloire », subjugués par l’ascension et la grandeur de l’humble pastoureau.
2. Ces rois chantent les chemins du Seigneur, la manière dont il se conduit, et qui révèlent sa gloire. Ces expressions renvoient à maints textes bibliques s’émerveillant du retour des Israélites exilés à Babylone, un événement qui, au moins selon l’idéalisation des poèmes de l’Ancien Testament, a ébahi les nations et leurs rois. Alors, c’est cet Israël libéré qui s’exprime dans le psaume.
3. Dans l’incessante relecture des psaumes au long des âges, la liturgie d’aujourd’hui met en miroir ce poème et l’expérience d’Isaïe (1ère lecture). À celui qui rend grâce, quel qu’il soit, en présence des anges, vers le Temple sacré, se compare la vocation du prophète découvrant dans le Temple la grandeur de Dieu, sa sainteté proclamée par les séraphins. « Me voici : envoie-moi ! ». Avec le psalmiste, Isaïe aurait pu ajouter : « N’arrête pas l’œuvre de tes mains. »

 

1 Corinthiens 15, 1-11 (La tradition de la foi au Christ mort et ressuscité)

L’avant-dernier chapitre cette épître pénètre au cœur de la foi, à savoir la résurrection du Christ, promesse de notre propre résurrection. Paul ramène les Corinthiens à ce fondement du christianisme en recourant au « kérygme (= message en forme de résumé) pascal ».

Mort et résurrection du Christ

Le Christ mourut « pour nos péchés », à la fois à cause de nos péchés et en faveur des pécheurs que nous sommes, et cet événement est conforme à l’Ancien Testament, par exemple au poème du Serviteur souffrant (Isaïe 52, 13 – 53, 12). Le Christ est réellement mort, puisque « mis au tombeau » (cf. Isaïe 53, 9). Certains courants chrétiens anciens entretenaient une théorie selon laquelle Jésus ne serait pas mort, mais aurait été remplacé sur la croix par un autre : Judas ou Simon de Cyrène, etc… L’islam reprend cette tradition de la « substitution ».
Mais celui qui est réellement mort, mis au tombeau, est, littéralement, le « réveillé », celui que Dieu a relevé de la mort, *le troisième jour, selon une expression du judaïsme ancien, et conformément aux psaumes annonçant le triomphe du Messie (par exemple Psaume 110 [109]).

Le Ressuscité s’est fait voir

La traduction « il est apparu » est trop faible et prête à confusion ; elle laisse entendre que les privilégiés de la période pascale ont eu « des apparitions », comme sainte Bernadette a eu des apparitions de la Vierge Marie. Une meilleure traduction, quoique peu élégante, serait celle-ci : « il s’est fait voir ». Le verbe grec souligne une initiative. Comme autrefois Dieu s’est fait voir à Abraham (Genèse 17, 1) ou à Moïse (Exode 3, 2) pour leur confier une mission,. Le Ressuscité s’est manifesté pour confier la mission chrétienne d’abord au groupe central de Pierre et des Douze, puis au cercle plus large des « apôtres » qui avait pour chef de file Jacques, appelé « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19). Dans ce cercle s’inscrit Paul « l’avorton ». Ce mot n’évoque nullement une difformité physique de Paul ou quelque rachitisme. On le traduira plutôt par « fils posthume », voire né par césarienne. L’apôtre indique ainsi que, par rapport aux autres apôtres qui ont connu Jésus sur la terre, il n’est pas venu au christianime et à son statut missionnaire par des voies « normales ». Mais, ajoute-t-il, dans la ligne de l’annonce de l’Évangile de la résurrection, « qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez ».
Entre les deux groupes d’envoyés pour annoncer l’Évangile, les Douze et les apôtres, Paul situe une « apparition » à cinq cents frères qui, eux, ne sont pas envoyés. Le rappel de leur expérience, en forme de parenthèse anecdotique, veut prouver le caractère massif et indubitable de la manifestation du Ressuscité.

* Le troisième jour conformément aux Écritures. Cette expression du « kérygme » s’intègre dans notre Credo. Elle est moins une indication chronologique des apparitions du Christ qu’une allusion à la tradition juive ancienne selon laquelle, selon une interprétation d’Osée 6, 2, ce « troisième jour » désigne la résurrection des croyants à la fin des temps. La résurrection de Jésus inaugure notre propre résurrection à venir.

 

 

Luc 5, 1-11 (« Laissant tout, ils le suivirent »)

Selon la mise en scène de saint Luc et après le discours dans la synagogue de Nazareth, Jésus s’est rendu à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée. Là, il a libéré un possédé et guéri « la belle-mère de Simon » (Luc 4, 38) – Simon qui n’est pas encore nommé Pierre. Et, « au coucher du soleil » (4, 40), la foule présente à Jésus une multitude de malades et de possédés. Le Nazaréen devient désormais célèbre. On se presse autour de lui pour « écouter la parole de Dieu » laquelle est, selon ce qui précède, « la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu » (Luc 4, 43). Mais le héraut de cet Évangile ne suffira pas à la tâche. Il lui faut des aides.

Simon, Jacques et Jean

Dans le présent épisode, Jésus constitue sa garde rapprochée en recrutant trois disciples : Simon et les deux frères, Jacques et Jean. Le trio sera témoin de la Transfiguration du Seigneur (Luc 9, 28). Pour l’heure, les trois pêcheurs ne se voient pas encore appelés « apôtres ». Ils ne recevront ce titre que lors de la composition de l’équipe des Douze (Luc 6, 13). Mais ici, la scène jette par avance les fondements de leur future mission apostolique et, à la différence des autres évangiles, Luc met déjà l’accent sur « Simon-Pierre », ce Pierre qui deviendra le premier héros des Actes Apôtres.
Nos évangélistes ne sont pas de simples copistes, mais des scénaristes théologiens, chacun d’eux organisant sa documentation en fonction de sa propre compréhension de Jésus, le Maître, le Seigneur ressuscité, et de l’Église. Luc, en cet épisode, construit une scène dans laquelle le lecteur doit reconnaître l’envoi en mission par le Christ ressuscité. Relevons quatre clés d’interprétation de sa manière d’écrire.

Quatre clés d’interprétation

1. Jésus bat en retraite sur une barque pour échapper à la pression d’une foule venue pour écouter la parole de Dieu. L’évangéliste a puisé cette mise en scène chez Marc (4, 1), dans l’introduction du discours en paraboles. Luc souligne ainsi le succès de l’Évangile et, par là, la nécessité pour le Christ (ressuscité) de s’adjoindre des envoyés.
2. Dans les premières Églises, au temps de Luc, circulaient diverses traditions sur Pierre, dont celle de la pêche miraculeuse. Jean (21, 1-8) situe le prodige après la résurrection de Jésus et il reflète vraisemblablement le cadre originel du récit. Sans grande crainte d’erreur, on peut rebâtir ainsi l’affaire : après la disparition de Jésus et lors d’une pêche incroyable, les disciples auront saisi la présence active du Seigneur ressuscité, modèle de leur mission.
3. Quoi qu’il en soit, l’épisode vaut comme une parabole sur la mission chrétienne, parabole que Luc décode en ces termes : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Tout apôtre, tout serviteur de la Parole, peut peiner des nuits et des nuits, des jours et des jours, sans succès. Puis vient une pêche miraculeuse, l’œuvre du Seigneur.
Dans l’Ancien Testament, la pêche ou la chasse (on chassait « au filet », comme aujourd’hui encore dans certaines régions) évoquent le jugement de Dieu capturant celui qui croyait pouvoir lui échapper (Habacuc 1, 14-15 ; Jérémie 16, 16). Les évangiles ont « positivé » cette image : Dieu veut attraper les humains dans les filets de la Bonne Nouvelle qui, à la fois, propose le bonheur et oblige à se séparer du mal (cf. la parabole du filet en Matthieu 13, 47-50).
4. Alors, devant toute réussite inattendue de la Parole, l’Appelé, tel saint Pierre, ressentira un *effroi sacré, signe d’une juste humilité devant la mission qui nous est confiée. C’était déjà l’expérience du prophète Isaïe (1ère lecture).

* L’effroi. Ce mot (en grec thambos) n’apparaît que trois fois dans le Nouveau Testament et seulement sous la plume de saint Luc. Il traduit d’abord la réaction de l’assemblée, à la synagogue de Capharnaüm, quand Jésus chasse un démon (Luc 4, 36). Ce sera aussi la réaction des gens de Jérusalem quand Pierre guérira un impotent (Actes 3, 10). Bref, c’est le frisson qu’inspire une manifestation du miraculeux, du sacré. Mais si Jésus incarne un Dieu Amour (cf. 1 Jean 4, 8.18), pourquoi avoir peur ? Il y a crainte et crainte. Tout amour vrai, même dans les relations humaines, suscite la peur « sacrée » de n’être pas à la hauteur de l’amour qui m’est offert, un sentiment juste, noble et profond, d’indignité.




Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras.»
Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

 

pèche miraculeuse

« La foule serrait de près Jésus et écoutait la Parole de Dieu »… « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44), dit Jésus. Et comment fait-il ? Par le Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole, un Esprit qui est Vie (Ga 5,25), Plénitude de Vie (Ep 5,18) et donc bonheur profond, d’où ce mouvement de foule vers Jésus… « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34), et « c’est l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63) : « Tu as les Paroles de la vie éternelle », dira un jour Pierre à Jésus (Jn 6,68). Il expérimentait, en la vivant, cette Vie nouvelle, et c’était pour lui, comme ici pour la foule, une joie profonde : « Vous avez accueilli la Parole, parmi bien des souffrances, avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6)…
Pour pouvoir s’adresser à tous, Jésus monte dans la barque de Pierre et « il le pria de s’éloigner un peu »… Notons au passage comment le Seigneur et Maître s’adresse ici à sa créature : quel respect, quelle délicatesse ! Et toute la suite ne sera qu’un signe que Jésus va donner à Pierre en lui parlant le langage de sa vie quotidienne : l’eau, les filets, la pêche, les poissons… D’habitude, ces derniers remontent du fond du lac la nuit : c’est donc le meilleur moment pour les capturer. Pierre, en pêcheur professionnel, le sait bien… Mais ici, Jésus va donner un sens nouveau à toutes ces réalités si communes… La nuit va symboliser les ténèbres intérieures dans lesquelles le pécheur ne peut que se retrouver en ayant fermé son cœur à ce « Dieu » qui « Est Lumière » (1Jn 1,5). Or, dans les ténèbres, même si l’on a des yeux, on est comme un aveugle : on ne sait pas où l’on va (Jn 12,35), on ne peut rien faire (Jn 15,5). « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Mais maintenant, ils ont avec eux Jésus « Lumière du monde » (Jn 8,12), Celui-là seul qui, dans le domaine spirituel, peut agir : « La Lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas saisies » (Jn 1,5). Avec Lui, « le Dieu qui a dit : « Que des ténèbres resplendisse la lumière », est Celui qui a resplendi dans nos cœurs », par ce Don de l’Esprit qui se joint toujours à sa Parole (Jn 4,24 et 1Jn 1,5), « pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ » (2Co 4,6). Avec le Christ Lumière, les disciples sont dans la Lumière, et c’est donc dans ce « jour » qu’ils vont lancer les filets en obéissant à son invitation : et « la grande multitude de poissons » prise ce jour-là annonce « la grande multitude » de celles et ceux qui accueilleront, grâce à l’action de l’Esprit en eux, la Parole de Lumière et de Vie proclamée plus tard par Pierre et par l’Eglise… DJF

 


 




« En l’espace d’un instant, Jésus est entré dans ma vie, dans mon cœur. »

« J’ai cru guérir de ce cancer de la langue qui m’a touché en février 2013. Je me suis trompé. Il est revenu. Il y a une guerre au fond de ma gorge. Je me bats, je travaille à guérir. Pour un chanteur, perdre sa voix, c’est la pire épreuve. Depuis l’âge de 18 ans, la chanson est toute ma vie. Deux cents chansons en cinquante ans de carrière, dont trente “tubes”.

Curieusement, alors que je vis pour ma voix et par ma voix, je n’ai pas interpellé Dieu, je ne me suis jamais dit que ce qui m’arrivait était injuste. Peut-être parce que je commence à vivre non plus par ma voix, mais par la foi ? Pour parodier le titre d’une mes chansons – “Le Loir et Cher” –, je dis aujourd’hui : “La foi m’est chère”.

Mon premier cancer avait mis ma vie spirituelle en veilleuse. Je ne pouvais plus lire, ni me nourrir intellectuellement, moi qui suis féru de théologie. Cette rechute me révèle que la vie spirituelle ne se loge pas dans l’intellect, mais qu’elle est la VIE même – la vie de Dieu qui irradie tout l’être, et pas seulement la tête.

Je suis profondément croyant. J’ai vécu un jour un “choc religieux” à Jérusalem, où j’ai rencontré le Christ. Je visitai le Saint-Sépulcre avec ma femme, et là, pressé pourtant par de nombreux pèlerins, soudain, devant le Tombeau, je m’agenouille et me voilà chrétien. Un peu comme Frossard, Claudel, Clavel – d’un coup. En l’espace d’un instant, Jésus est entré dans ma vie, dans mon cœur. C’était très doux. J’ai immédiatement eu la sensation que j’étais sauvé. Tout ce qui m’était arrivé auparavant devenait caduc. La seule chose que je ne remette jamais en doute, c’est l’existence de Dieu.

Je suis d’un naturel plutôt ténébreux, un hypersensible qui s’en fait pour un rien. Je crois savoir où est la sagesse à force de lectures et de rencontres, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Or, dans cette chambre d’hôpital, depuis des mois, curieusement, je n’ai jamais été aussi apaisé. Ce “re-cancer” ne m’a pas brisé : je crois qu’il me grandit.

Dans l’épreuve, quelles sont mes consolations ? D’une part, l’amitié. Je n’avais pas réalisé que j’avais autant d’amis. Dans le tourbillon de la vie “du dehors”, la vie quotidienne, nous ne trouvons jamais le temps de nous arrêter pour voir ceux qui nous sont chers, et les années passent, les liens se distendent… Trop bête ! C’est quand ça ne va pas que l’essentiel resurgit. Et l’amitié fait partie de l’essentiel.

J’ai été soutenu physiquement et psychologiquement par la bienveillance qui m’entoure. L’amour de ma femme, de mes enfants, la tendresse et la compétence du personnel médical et infirmier. On guérit plus vite quand on aime et qu’on est aimé, j’essaierai de ne pas l’oublier.

Curieusement, moi qui suis un gourmand invétéré, je n’ai plus de consolation culinaire. Je n’ai même plus le désir d’une bonne entrecôte avec un verre de Saint-Émilion ! On me nourrit avec des sondes et des pipettes. Pourtant, l’autre jour, le goût m’est un peu revenu en absorbant une cuillerée de glace au café. Elle m’a irrésistiblement évoqué La Première Gorgée de bière de Philippe Delerm ! Depuis, je suis plus ouvert aux toutes petites choses de la vie, ces surprises discrètes qui émaillent l’existence et peuvent nous passer sous le nez sans même qu’on les remarque.

Je goûte aussi des consolations plus spirituelles. Ainsi, celle de la patience. Le cancer est l’une de ces épreuves qui vous enseignent cette vertu. Vous pouvez fulminer, vous morfondre, crier, pleurer, cela ne changera rien. N’allez pas croire que je suis un saint homme ! Au quotidien, face aux mini-tracas, je peux être sanguin, colérique, râleur. J’ai tous les défauts de la terre pour les petits soucis. Mais là, c’est autre chose : il y a un “vrai” combat à mener. Ai-je reçu une grâce de Dieu pour cela ? Je le crois. Je sais qu’Il est à mes côtés.

Patience quand j’articule mal, que je suis inaudible. Patience quand la douleur se réveille et me contraint au silence. Patience face aux régressions inévitables, aux déceptions inhérentes, parce que les traitements semblent inefficaces. Patience quand je me fatigue très vite. Patience devant la mélancolie qui m’est familière…

J’étais jeune, j’avais du succès, la vie me souriait, lorsqu’une profonde dépression m’a mis à terre. J’ai plongé très bas. La maladie m’a tenu éloigné de la scène pendant dix ans. J’ai fait une rechute dépressive après mon premier cancer. J’ai survécu au jour le jour, les petites victoires se sont accumulées ; finalement, je me suis retrouvé à quai, quand patatras, le cancer est revenu.

Durant cette plongée dans les ténèbres de la dépression, j’ai connu le chaos. J’ai cherché à en sortir par le “haut”, en tâtant du bouddhisme, de l’hindouisme, en essayant la méditation transcendantale… Mais je me suis rendu compte, progressivement, que tout cela n’était pas un chemin fécond pour moi. J’étais en train de me perdre. J’ai commencé simultanément à m’intéresser à cette part de mon identité que je refusais jusqu’alors de regarder : la religion chrétienne. Et j’ai osé… le christianisme ! Je ne sais si j’aurais eu cette hardiesse sans la dépression, je ne sais pas si je serais allé aussi loin dans cette voie. Une chose est sûre : depuis, Dieu reste l’objet incessant de ma quête.

Je me suis formé tout seul. J’ai beaucoup lu. Des livres qui ne sont pas tous “modernes” : Isaac le Syrien et Thomas Merton, saint Jean de la Croix et les Pères du désert, saint Augustin et l’Introduction à la vie dévote de François de Sales ; Urs von Balthasar et Thérèse d’Avila dont je retiens cette phrase : “Seigneur, si Tu n’existes pas, ça n’a pas d’importance. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour Toi”.

Je suis un homme de peu de foi. Telle est ma tragédie. Ma foi n’est pas un long fleuve tranquille : elle est dans la torture, dans la complexité. J’en suis parfois épuisé. Pourtant, je plains ceux qui n’ont pas la chance de connaître ce tumulte-là. Il fait vivre jusque dans l’Au-delà ! Je ne pense pas que le Ciel se soit mêlé de mon cancer, mais je lui demande de m’aider à avoir la force de le surmonter, de me plier à la discipline indispensable, de faire ce qu’il m’est exigé de faire. Je n’ai jamais prié pour guérir, j’ai plus souvent pensé : “Que ta volonté soit faite”.

Autre consolation que permet le repos qu’impose la maladie, c’est une relecture apaisée de l’existence, même si je n’aime pas trop regarder en arrière. J’en ai fait des bêtises ! La fiesta, les filles, quelques drogues, étaient intimement liées à l’univers de la chanson, surtout dans les années 1960 et 1970. J’ai été un oiseau de nuit. Mais je crois en la miséricorde et au pardon – qui sont les plus grandes consolations qui soient.

Mais il n’y a pas que le pardon de Dieu qui console, il y a aussi… le foot. Je passe du coq à l’âne. J’ai une passion pour le foot. Quand j’ai fini de regarder KTO, que j’apprécie beaucoup, voir un bon match à la télé me fait oublier mes tracas. Après le foot – revenons au spirituel, quand même ! – il y a l’oraison. C’est une forme de prière méditative, une prière du cœur, plus proche de la contemplation que de l’imploration. Sainte Thérèse d’Avila, pour qui j’ai une tendresse particulière, en donne une jolie définition : “L’oraison est un échange d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec Dieu dont on se sent aimé”. Si je ne prie pas, si je ne me livre pas à l’oraison, en quoi consistent ces plages de silence qui me font tellement de bien, au corps et au cœur ?

Un philosophe me console aussi, c’est Gustave Thibon. Je suis fasciné par la vérité et la force spirituelle du verbe de ce génie autodidacte qui a révélé Simone Weil. Je l’ai convié à une émission de télévision à laquelle j’étais invité. Il est venu et a subjugué l’auditoire. Nous sommes devenus amis. Je suis allé le voir plusieurs fois chez lui, en Ardèche. Je fais mienne cette phrase de lui : “Je croyais en Dieu, et maintenant je ne crois plus qu’en Dieu”. Et cette autre : “Dieu ne te délivrera pas de toi-même ; Il te délivrera de la lassitude et du dégoût de toi-même”.

La maladie vous dépossède. Elle vous dénude. Elle vous contraint à vous interroger sur les vraies valeurs. Nous voulons une plus grande maison, une plus puissante voiture, plus d’argent, mais en serons-nous plus heureux ? Je constate souvent chez ceux qui possèdent moins un sourire plus radieux que chez ceux qui ont tout.

“Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu‘il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive”, dit Jésus (Mt 16, 24). Alors je porte ma croix et je découvre que c’est le secret de la joie. Je réalise aussi que Dieu est là afin de m’aider à la porter. Pour la première fois de ma vie, je n’envisage pas une solution à une épreuve que j’affronte. Je sais aujourd’hui que je risque fort de ne plus pouvoir chanter. Ma confiance la plus totale, c’est en Dieu que je la place : “Que ta volonté soit faite Seigneur ! Sans Toi, je suis perdu”. »




4ième Dimanche du Temps Ordinaire – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

CE QUE PARLER VEUT DIRE

3ième dimanche ordinaire c1« Aujourd’hui, en vérité, cette parole de l’Écriture s’accomplit devant vous ». Tous étaient stupéfaits et disaient : « Mais celui-là n’est-il pas le fils de Joseph ? » Alors ils furent pris de fureur contre Lui.
Depuis plus d’un mois, depuis le jour de Noël, nous allons de fête en fête et d’extase en extase, le Christ se manifeste. Il naît comme un enfant. Les bergers viennent d’Orient et lui offrent leurs présents. Puis Il est manifesté à Israël, dans la voix de son Père : « C’est Lui mon Fils Bien Aimé ». Puis Il est manifesté à l’Église par la Vierge Marie : « Faites tout ce qu’Il vous dira ».
Dans toute cette cascade de fêtes, c’est en silence que nous contemplons le Verbe de Dieu. Il ne nous dit rien, Il est là. Sa présence physique charnelle au cœur de l’humanité, sa présence rayonnante qui commence à mettre en mouvement vers Lui toutes les nations parce qu’Il est le Seigneur de l’humanité, attire les foules et les disciples qui sont témoins du Don de l’Esprit, et les invités de la noce qui sont témoins de la surabondante générosité de Dieu. En tout cela pratiquement pas une parole du Christ. Et voici qu’aujourd’hui, brusquement, le ton change, le Christ n’est plus simplement Celui que l’on voit, Celui que l’on regarde, Celui qui est tout simplement parmi nous. Voici qu’Il parle. Et le fait de « prendre la parole » comme on dit aujourd’hui, va bouleverser toute l’économie de ses relations avec ceux qui étaient pourtant les plus proches, les gens de son village, ceux qui le côtoyaient et l’appelaient « le fils de Jo-seph ».
On pourrait dire que, avec Jésus-Christ, il y a deux types, deux degrés de relation. Il y a la relation de la présence, Dieu est là : « Il a planté sa tente parmi nous ». Il vit au milieu des hommes. Il est la sagesse qui prend sa joie parmi les enfants des hommes. Et dans ce coude à coude quotidien, il ne se passe rien, tout juste quelques signes qui déclenchent dans le cœur de quelques hommes avertis prophétiquement une joie profonde, une reconnaissance qui constituent déjà les premiers balbutiements de la foi.
Alors curieusement se déchaîne tout un ensemble de comportements qui, de la part de ceux qui écoutent la voix du Fils de Dieu, la Parole de Jésus-Christ, adoptent des attitudes extrêmement bizarres et contradictoires. Pour ma part, c’est ainsi que j’interprète ce texte que nous lisons en ce jour et dans lequel nous voyons subitement la foule d’abord en admiration, tous sont en extase devant ce jeune prédicateur qui leur dit des choses si belles et qui explique si bien la Torah, et tout à coup lorsque la Parole se fait plus incisive et plus personnelle, elle devient comme le détonateur qui fait exploser un grondement de révolte, elle fait apparaître le refus de l’entendre, voire même le passage à la violence, à la menace, l’Évangile nous dit qu’ils voulaient le lapider.

Parole de dieu
Curieusement d’ailleurs, l’évangéliste note que Jésus passe au travers des rangs qui pourtant doivent être menaçants et qu’Il continue son chemin : la Parole de Dieu traverse l’assemblée malgré le mécontentement et la rage qui se lèvent dans le cœur de ces hommes. Qu’est-ce que cela veut dire ?
En réalité, avec Dieu nous avons nous aussi deux types de relations. Il y a la présence de Dieu, celle que l’on pourrait qualifier d’inoffensive. Il est là, Il ne nous dérange pas trop, Il ne dit rien, Il est d’une discrétion et d’un silence exemplaire. Ça ne nous empêche pas de continuer notre vie avec nos caprices, nos désirs et notre volonté propre, pour aménager les réalités de notre vie comme elles nous plaisent. Dans ce type de relation avec Dieu, il n’y a pratiquement aucun problème, tout va bien. Il se tait et nous continuons à bavarder entre nous et à considérer que la vie est notre affaire. Un peu d’action de grâce et de reconnaissance pour ce Dieu qui nous a donné ce don précieux de la vie ! Mais les relations sont d’une parfaite courtoisie ! On ne le dérange pas à condition qu’Il ne nous dérange pas. Cependant Dieu ne peut pas en rester là. Voici qu’Il parle, et l’exercice de la Parole est toujours un exercice dangereux.
dieu parleQu’est-ce que veut dire parler ? Vous le savez, depuis mai 1968, parler c’est s’exprimer. Quand on est ensemble, il ne faut plus qu’il y ait une parole magistrale qui tombe du haut de la chaire, mais au contraire il faut que se produisent une effervescence et un bouillonnement à la base par lesquels chacun s’exprime. On y trouvait d’ailleurs, dans les années qui ont suivi immédiatement cette époque, un plaisir profond. Chacun avait l’impression d’avoir « senti » quelque chose d’important, même si c’étaient des choses inexprimables. Et l’on faisait parler tout le monde, même les murs, en écrivant dessus des graffitis. C’était extraordinaire de voir toute cette société enthousiasmée par le seul désir de s’exprimer. Depuis cette mode a passé, on s’est un peu lassé. C’est normal parce qu’on n’avait peut-être moins de choses à exprimer qu’on ne pouvait le supposer. Peut-être d’ailleurs que cette expérience passagère nous a montré la misère et la pauvreté dans laquelle nous nous trouvions, alors que nous imaginions que du fond de ce cœur, nous allions, en nous exprimant, extraire des richesses et des trésors : en réalité, nous avons fait l’expérience de l’amertume de notre pauvreté. Mais dans la société où vivait Jésus, dans la tradition dans laquelle Il s’inscrivait, la parole ne servait pas tellement à s’exprimer. Il n’y avait pas de « phénomène de prise de parole ». Car la parole avait d’abord une valeur sacrée, une valeur de communion. La parole n’était pas simplement l’expression d’un sujet qui aurait voulu dire ce qu’il pensait, mais la parole était comme une force qui émanait de celui qui parlait, une force bien plus profonde et bien plus grande que celui-là même qui parlait. La parole c’était le pouvoir d’instaurer une communion, c’était la réalité même d’une force qui traversait celui qui prenait la parole en public et qui faisait l’unité de l’assemblée à qui elle était adressée.
Tel était le statut de la parole prophétique, de la parole lue dans la liturgie. Elle n’était pas l’émanation de l’expérience quotidienne, mais une Parole qui venait de Dieu et qui était offerte au peuple rassemblé. Écouter la Parole était d’abord une grâce, un accueil. La Parole ainsi proclamée devenait opératoire, active et transformait le cœur, elle commençait à convertir, à faire l’unité, à constituer le corps de ceux qui se rassemblent dans l’unité de l’appel de Dieu. La Parole à ce moment-là, manifestait une force et une efficience, qui lui conféraient une réalité presque tangible. Elle n’était pas simplement l’expression de la pensée d’un individu. Elle était le pouvoir qu’a Dieu d’opérer la convocation, l’Église. Car tel est le sens du mot Église, il veut dire « convocation ». Dans ce contexte, la Parole était le pouvoir de Dieu, la puissance de Dieu rassemblant son peuple.foule
Voilà donc ce qui s’accomplissait ce jour-là, en plénitude devant tous les habitants de Nazareth : le Christ Lui-même qui est la Parole de Dieu en personne, venait au-devant de son peuple et lui disait : « maintenant tout ce que Je vais dire et faire n’est que la mise en œuvre de la Parole qui doit vous rassembler ». Dieu ne vivait plus alors simplement dans une convivialité polie et glacée avec des gens qui étaient autour de Lui, mais par le simple fait qu’Il parlait. Il posait à chacun la question : « Veux-tu vivre en communion avec Moi ? Ou bien refuses-tu d’entrer dans le corps, dans l’assemblée que Je viens constituer pour vous, avec vous et parmi vous ? » Tel est le sens de la première prédication de Jésus à Nazareth. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Luc nous fait voir le réalisme de la Parole, ce n’est pas le message, mais l’appel et le pouvoir de convoquer, ce qui est infiniment plus fort. C’est la provocation de chacune des libertés des auditeurs de cette parole du Seigneur et la question est ainsi posée d’emblée : « Veux-tu entrer dans le jeu de la communion avec Dieu ? Ou au contraire, voudrais-tu refuser et continuer de vivre avec Dieu dans cette indifférence et cette coexistence pacifique un peu glacées qui ne te coûtent rien ? »
Ce que le Christ a dit ce jour-là ne se réduit pas simplement à des mots, c’était sa propre personne enracinée au milieu de l’assemblée des hommes et qui leur demandait : « Voulez-vous ne faire qu’un seul corps et qu’une seule chair avec moi ? Ou au contraire voulez-vous mener le jeu de votre solitude et de votre oubli de Dieu ? » Je crois que cette question nous est encore posée aujourd’hui.
AMEN




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 31 janvier 2016)

Jérémie 1, 4-5.17-19 (« Je fais de toi un prophète pour les nations »)

La carrière prophétique de Jérémie commence vers l’an 627 et notre texte présente deux extraits du récit de sa vocation. Mais une *vocation se raconte souvent (et heureusement !) après coup, quand l’élu a expérimenté et compris à quelle mission Dieu l’avait appelé.
Jérémie constate que Dieu l’a choisi avant même sa naissance pour faire de lui un prophète pas comme les autres : « un prophète pour les nations ». Il parle au nom d’un Dieu qui exerce son action non seulement sur Israël, mais sur l’histoire de toutes les nations, et qui juge la conduite de tous les humains.
« Mets ta ceinture autour des reines », ne laisse pas pendre ton vêtement, car tu vas devoir te mettre au travail. « Lève-toi »… Chargé d’annoncer le jugement de Dieu contre un Israël impénitent, le prophète devra faire preuve de courage et subira de dures oppositions de la part des grands de son peuple ; on le jettera même dans une citerne (cf. Jérémie 38). Mais il découvrira qu’il n’a pas à trembler, sous peine de trahir le message du Dieu qui l’envoie et le « délivre » des complots ourdis contre lui. Faux espoir d’ailleurs, car Jérémie finira sa vie en Égypte, là où il ne voulait pas aller (Jérémie 43).
Dès son discours à la synagogue de Nazareth, Jésus se situe dans la lignée des prophètes dont l’action a débordé les frontières d’Israël. Dès ce moment, son peuple cherche sa perte ; mais Dieu le délivre, provisoirement, avant la croix, de ce danger qui l’empêcherait d’accomplir sa mission.

*Vocation et mission. La vocation de Jérémie s’inspire de celle de Moïse (Exode 3, 10-12). Mais c’est dès le sein de sa mère que Jérémie a été choisi et consacré par Dieu à son service. Si sa mission entre dans la catégorie des prophètes, sa vocation est un appel personnel qui fait de lui un prophète unique. De même, Paul revendiquera son rang d’apôtre (1 Corinthiens 9, 1-2), pour légitimer son travail missionnaire. Mais lorsqu’il évoque sa vocation propre (Galates 1, 15-16), c’est à la vocation de Jérémie qu’il se réfère (Jérémie 1, 5) et à celle du prophète Serviteur du Seigneur (Isaïe 49, 1), tous deux choisis dès le sein maternel. Tout croyant connaît cette tension entre le service d’Église qu’il exerce et son appel personnel reçu de Dieu.

 

Psaume 70 (« Toi, mon soutien dès avant ma naissance »)

Cette supplication livre sa clé au verset 9, omis légitimement par la liturgie de ce jour : Ne me rejette pas maintenant que j’ai vieilli ; alors que décline ma vigueur, ne m’abandonne pas.

Une première lecture

Au sein d’épreuves inhérentes à la vieillesse où l’on risque « d’être humilié pour toujours » en un monde devenu hostile, le poète biblique voit dans son Seigneur un rocher ferme, une forteresse, au-dessus de terrains mouvants et autres chaussées glissantes que redoute le troisième âge. L’espérance et la confiance du psalmiste s’appuient sur le souvenir d’une heureuse jeunesse fidèle à Dieu. L’auteur proclame – canne en main, imaginons-le ! – que le Seigneur a toujours été son appui, son soutien. Et cela en raison du projet divin d’accorder justice et salut à son futur fidèle, avant même sa naissance.
Ici se profile l’importance de la mémoire, la reconstruction par la mémoire d’une expérience, celle de la foi et de l’espérance. Au soir de sa vie, le psalmiste ne dit pas que la vieillesse est un naufrage ou que « c’était mieux avant ». Par une mémoire quasi juvénile, il contemple plutôt la fidélité du Seigneur à son égard, au long des ans : « Ma bouche annonce tout le jour », sans nostalgie, « tes actes de justice et de salut » qui m’accompagnent depuis ma jeunesse jusqu’à ma vieillesse.

La relecture liturgique de ce dimanche

Les psaumes, comme tout poème, se relisent sans cesse à travers l’histoire. Avec tous ses droits, la liturgie d’aujourd’hui détourne le sens originel du poème pour l’appliquer à la figure de Jérémie (1ère lecture). On ignore si celui-ci, traîné en Égypte contre son gré (Jérémie 42), a fait en ce pays « de vieux os ». Mais des rapprochements avec le psaume s’imposaient. Il a été choisi comme prophète dès le ventre maternel et appelé quand il était tout jeune, selon son objection, parallèle à celle de Moïse (Exode 4, 10) : « Ah, Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un gamin » (Jérémie 1, 6). C’est en tant que prophète, et non comme vieillard qu’il pouvait dire au Seigneur ; « Ma bouche annonce tout le jour tes actes de justice et de salut. » Il est invité à ne pas trembler dans sa difficile mission, à se considérer lui-même comme une forteresse, parce que, déclare le Seigneur, « je suis avec toi pour te délivrer ».
Bien sûr, tout chrétien, quelle que soit sa place dans l’Église et quels que soient son âge et ses épreuves peut s’approprier ce psaume et proclamer : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge. »

 

1 Corinthiens 12, 31 – 13, 13 (Hymne à la charité)

Depuis le chapitre 7 de l’épître, Paul répond aux questions que les Corinthiens lui ont adressées par écrit. Au chapitre 12, il tentait de classer les ministères, « les charismes », parce qu’à l’évidence, les ministres se jalousent entre eux et sèment la division. Le chapitre 14 soulignera la supériorité de la « prophétie », édification de la communauté à partir des Saintes Écritures, sur l’aspect clinquant du parler en langues. Auparavant, pour introduire ce message, l’Apôtre prend une hauteur lyrique dans ce qu’on appelle « l’hymne à la charité » : la *charité dépasse tous les services ecclésiaux ; elle est offerte à tout croyant comme le « charisme » fondamental, le don suprême de la grâce divine.
Paul recourt ici à un genre grec appelé « éloge de la plus haute vertu » (comparer Sagesse 7, 22 – 8, 1). La 1ère strophe se construit sur l’expression « j’aurais beau ». La connaissance des langues, avec le don de la prétendue langue des anges dit « glossolalie », la prophétie et la science des mystères divins, jusqu’à une foi miraculeuse et même l’ostentatoire distribution des biens aux affamés, tout cela ne vaut rien en l’absence de l’amour.
La 2e strophe personnifie l’Amour auquel 15 verbes donnent les plus hautes qualités d’humilité, de calme, de désintéressement et de totale patience.
La 3e strophe compare le temps présent dans lequel les Corinthiens surévaluent des donc transitoires (la prophétie, le parler en langues), aux temps futurs, l’état adulte qui aura pour repère définitif la vraie connaissance qui consiste dans les trois vertus : la foi, l’espérance et la charité. « Ce qui demeure » : sous la plume de Paul ce verbe signifie ce qui ne disparaitra jamais. Même dans le face-à-face avec Dieu, demeureront la foi comme confiance en lui et l’espérance comme aspiration sans cesse ravivée envers ses dons inépuisables ; mais la plus grande des vertus est la charité. Connaître vraiment, c’est aimer, comme Paul l’a souligné plus haut (1 Corinthiens 8, 1-2)

*Amour ou charité ? Il est difficile de traduire le mot grec agapè employé par Paul. Le mot charité tend à se dévaluer (« faire la charité ») et l’amour, dans l’usage courant, s’assimile trop souvent à l’affectivité, voire à la sensualité. Or, l’agapè, dans le Nouveau Testament, dépasse les variations saisonnières de l’affectivité. Dieu nous a aimés le premier et nous l’a prouvé dans le don de soi que fit le Christ sur la croix. En retour, la charité fraternelle, dépassant gratuitement les affinités familiales et sociales, prouve que nous commençons à comprendre l’amour gratuit de Dieu pour le monde (Jean 3, 16) et à en rendre témoignage.

 

Luc 4, 21-30 (Jésus, comme Élie et Élisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs)

Cette page d’évangile livre la suite de la scène commencée dimanche dernier, à savoir la prédication inaugurale de Jésus dans la synagogue de Nazareth, après son baptême et sa mise à l’épreuve au désert. Cet épisode, propre à saint Luc, permet à l’évangéliste de tracer le programme de son évangile et même des Actes des Apôtres.
Selon le scénario (« cette parole de l’Écriture [= Isaïe 61, 1-2], c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit »), Jésus prononce une homélie dont nous n’avons que la conclusion, due à un revirement de l’auditoire, aussi brusque que subtil sous la plume du narrateur. L’accueil est d’abord favorable : « Tous lui rendaient [un bon] témoignage ». La suite tourne à l’aigre. Si, en effet, le lecteur chrétien (nous !) reconnaît « le message de grâce » livré par Jésus, les Nazaréens, eux, « s’étonnent ». Le verbe peut signifier aussi « admirer » ; mais, chez Luc, le verbe a souvent le sens d’une incompréhension, Le scepticisme se précise par une question : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Le lecteur chrétien, lui, sait depuis la scène du baptême que Jésus est Fils de Dieu, mais pas l’auditoire de la synagogue.
La réponse de Jésus, à travers deux proverbes, précise un malentendu complexe et contradictoire. D’une part, en tant que « fils de Joseph », de classe très moyenne, comment ce prédicateur prétend-il accomplir les Saintes Écritures ? Mais, d’autre part, s’il a des talents de prophète et de guérisseur, pourquoi les exercer à Capharnaüm, et non dans sa propre patrie ? Luc s’exprime ici selon la culture grecque : Quiconque a de merveilleux pouvoirs doit d’abord en faire bénéficier sa cité d’origine. On lui dresserait une statue et la ville y gagnerait en célébrité.
L’affrontement permet à Jésus de préciser sa mission, comparée à celle d’*Élie et d’Élisée. Ces deux prophètes avaient exercé leur ministère hors d’Israël, en Samarie. Le premier avait ressuscité le fils de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 17-24), le second avait purifié l’officier syrien de sa lèpre (2 Rois 5). Certes, c’est en Israël que Jésus ressuscitera le fils d’une veuve (Luc 7, 11-17), mais il louera un « bon Samaritain » (Luc 10, 29-37), un étranger et, dans l’épisode des dix lépreux guéris, le Samaritain seul se montrera reconnaissant (Luc 17, 15-18).
L’épisode de la synagogue devient tragique. Les auditeurs de la synagogue semblent comprendre que leur privilège de Peuple élu est battu en brèche par le programme universel de Jésus. Luc ignore que Nazareth n’est pas bâtie sur un « escarpement », mais il a besoin de ce relief pour signifier un projet de lapidation. En effet, les règles juives de la lapidation consistaient à précipiter le condamné depuis une hauteur et à l’achever à coups de pierres s’il n’était pas encore mort. En d’autres termes, les Nazaréens veulent exécuter Jésus comme faux prophète (comparer Luc 13, 34).
Le dénouement est étonnant : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait (son chemin). » Au vrai, nous devons passer de l’étonnement à l’émerveillement face au génie de l’évangéliste. En effet, par cette phrase, la caméra de Luc sort du champ d’un fait divers pour embrasser toute la destinée de Jésus et de sa Bonne Nouvelle. « Passant au milieu d’eux » : cette expression deviendra, dans le discours de Pierre chez Corneille, un résumé de la mission terrestre de Jésus : « Lui qui a passé en faisant le bien » (Actes 10, 38). « Il allait (son chemin) » : ce verbe annonce le moment décisif et solennel où Jésus commence son voyage vers Jérusalem, verset qui se traduit ainsi, de manière littérale et rugueuse : « Il arriva, comme s’accomplissaient les jours de son enlèvement, que lui-même endurcit sa face pour aller vers Jérusalem » (Luc 9, 51). Il ira vers Jérusalem pour son « enlèvement », c’est-à-dire à la fois sa mort et son Ascension qui ouvriront l’annonce universelle de l’Évangile.
La dimension universelle de la Bonne Nouvelle n’est jamais une évidence, mais un drame, aujourd’hui encore. Pour honorer cette dimension, il nous faut, sans prétention, renoncer à nos privilèges de « bien-pensants » et savoir reconnaître l’accueil des valeurs évangéliques par des personnes et des groupes les plus inattendus. Ce drame de l’ouverture, les premiers chrétiens l’auront vécu dans la tension entre l’Église et le monde juif. La véritable conclusion de l’épisode de Jésus à la synagogue se trouve dans la déclaration finale de Paul à l’adresse des Juifs de Rome : « Sachez-le : c’est aux païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, ils écouteront » (Actes 28, 28).

*Élie. Au temps de saint Luc, Élie n’est pas seulement le prophète antique, mais celui dont le judaïsme attendait le retour pour la fin des temps (lire Malachie 3, 23-24). La tradition évangélique a vu en Jean Baptiste ce nouvel Élie (voir Matthieu 17, 9-13). Luc, lui, a contesté cette interprétation et a vu en Jésus lui-même le nouvel Élie, notamment en raison du caractère universel, depuis la Samarie jusqu’au bout du monde (Actes 1, 8), de son Évangile.




Quatrième Dimanche du Temps Ordinaire par le Diacre Jacques FOURNIER

L’Esprit Saint rend témoignage à Jésus (Lc 4,21-30)

 

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.

Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

ste trinité « Dieu est Amour », nous dit St Jean (1Jn 4,8.16), une affirmation valable pour chacune des Trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit Saint…
Le Père est donc Amour : « Le Père aime le Fils et il a tout donné, il donne tout, en sa main » (Jn 3,35). C’est peut-être de ce verset que Ste Thérèse de Lisieux s’est inspirée lorsqu’elle a écrit : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même », un principe à appliquer pour Dieu au pied de la lettre… Le Père est Lumière ? Il aime le Fils et lui donne tout : « Tout ce qu’a le Père est à moi » (Jn 16,15). Le Fils sera donc lui aussi « Lumière » en tant qu’il est « Lumière né de la Lumière », et cela « avant tous les siècles »…
Mais si « Dieu est Amour » et si le Fils est « vrai Dieu né du vrai Dieu », il sera donc lui aussi Amour. Sur la base de ce Don qu’il reçoit du Père, il va donc aimer, et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même »… Le Père aime, il se donne, il engendre le Fils… Le Fils unique-engendré aime, il se donne et du Don du Père et du Fils « procède » « l’Esprit Saint qui est Seigneur » et qui « reçoit même adoration et même gloire » comme nous le confessons dans notre Crédo. Le Fils est « de même nature que le Père » en tant qu’il se reçoit du Père depuis toujours et pour toujours ? Il en sera de même de « l’Esprit Saint » en tant qu’il se reçoit, Lui, du Père et du Fils depuis toujours et pour toujours…
Mais si « Dieu est Amour », l’Esprit Saint lui aussi est « Amour », et « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». L’Esprit Saint Personne divine est donc tout entier Don de Lui-même, de ce qu’il est en Lui-même. Or, « Dieu est Esprit », nous dit Jésus (Jn 4,42), et « Dieu est Saint » (Lv 11,44). Notons ici, à la différence du nom propre « Esprit Saint » qui désigne une Personne divine unique, que les deux mots « Esprit » et « Saint » sont employés en tant que nom commun et adjectif pour nous dire ce que Dieu est en lui-même : sa nature divine… « L’Esprit Saint » Personne divine donne donc « l’Esprit Saint » nature divine… « L’Esprit Saint se cache derrière ses dons » (P. Y. Congar).
Telle est toute l’œuvre de « l’Esprit Saint » Personne divine. Et c’est ainsi qu’il rend témoignage à Jésus. Le Fils nous parle de la Vie éternelle ? Au même moment, l’Esprit Saint nous donne cette Vie éternelle en nous communiquant « l’Esprit » nature divine, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Quiconque ouvre son cœur à Jésus et à sa Parole, ne pourra donc qu’accueillir au même moment cet Esprit qui est Vie… Voilà ce qu’ont vécu ici les auditeurs de Jésus, et plus tard St Pierre : « Tu as les Paroles de la vie éternelle »…

 




Audience Générale du Mercredi 20 Janvier 2016

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 20 janvier 2016


 

Frères et sœurs, nous sommes dans la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens. Tous les chrétiens ont en commun le Baptême qui est, comme l’enseigne le Concile Vatican II, « le lien sacramentel d’unité existant entre ceux qui ont été régénérés par lui ». Et nous sommes tous appelés à redécouvrir ce don et les exigences qu’il comporte, au-delà de nos divisions. Partager le baptême signifie que tous – catholiques, protestants et orthodoxes – nous sommes pécheurs et nous avons besoin d’être sauvés. Nous partageons l’espérance de passer des ténèbres à la rencontre du Dieu vivant, plein de miséricorde. Le baptême crée entre tous les chrétiens un lien indissoluble qui les rend réellement frères, même s’ils ne sont pas encore un peuple pleinement uni. La miséricorde de Dieu, qui opère par le baptême, est plus forte que nos divisions, et nous avons pour mission commune d’annoncer cette miséricorde aux autres, en partant des plus pauvres et des plus abandonnés.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française, en particulier les jeunes venus de France.

Je vous invite à vous unir à la prière de toute l’Église pour l’unité des Chrétiens, afin que nous trouvions les moyens de collaborer ensemble pour porter la miséricorde du Père par toute le terre.

Que Dieu vous bénisse !

 

 




Troisième Dimanche du Temps Ordinaire par P. Claude Tassin (Dimanche 24 janvier 2016)

Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu redécouvre la Parole)

Grandiose scène du Livre ! C’est la fête des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux. Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête exceptionnelle, résultat d’une longue histoire, et dans un contexte peu clair.

Le cadre historique supposé par l’auteur biblique

À partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée. Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398, deux réformateurs juifs vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur laïc. On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler la vie de la Judée, sous l’égide de la Loi de Moïse comme constitution politique légitime.

La scène symbolique d’un nouveau départ de la communauté des croyants

La présente scène solennise cet engagement : on y sent quelque tristesse, celle d’avoir été infidèle aux commandements, et la joie de repartir à neuf avec Dieu. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le texte : Jérusalem s’est déjà reconstruit une muraille, un rempart, mais encore bien fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers son peuple, quels que soient les constructions de clochers et autres minarets, est la meilleure des protections et des remparts.
Dans cette scène grandiose profile déjà *l’office synagogal du temps de Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.

Quand des églises rurales ou urbaines sont « désaffectées », voire démolies, quel avenir construisent, dans l’espérance, les communautés concernées ? Églises détruites au Proche Orient…, transformées en mosquées ailleurs…

*L’office synagogal. Dans la scène de Néhémie 8, l’auteur a en tête le scénario d’un office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras) lit la Loi sur l’estrade qu’on appellera la chaire de Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des bénédictions et des prières (Quand il ouvrit le livre…). Puis vient la lecture. Esdras lisait un passage…, c’est-à-dire le texte hébreu; les lévites traduisaient, en araméen, qui était la langue du peuple – et cette traduction s’appelait le targoum ; et ils donnaient le sens : c’est l’homélie.

Psaume 18B (« La loi du Seigneur est parfaite »)

Ce psaume 18B appartient à un poème qui chante d’abord (psaume 18A) la création divine qui est un récit silencieux pour l’homme : « Pas de voix dans ce récit, pas de voix qui s’entende. » (verset 4). Mais le soleil de la création prend lumière et voix (Psaume 18B) dans la Loi, la Parole, que Dieu offre aux croyants.
Bien entendu, ce psaume 18B fait aujourd’hui écho à la redécouverte de la Loi, de la Parole de Dieu chez les croyants juifs revenus de l’exil de Babylone. Nous notons les termes par lesquels le poète évoque cette Parole divine : charte, préceptes, commandements, décisions. Ajoutons ses effets. Cette parole redonne vie ; elle rend intelligents les moins instruits ; elle réjouit le cœur, rend clair le regard sur le quotidien et sur le monde. Du point de vue moral, elle inspire la justice et l’équité. Elle suscite, chez ceux qui la reçoivent, la joie, l’intelligence, la crainte respectueuse. D’où le murmure du croyant apaisé qui récite la Loi s’appuie sur le roc et son défenseur qu’est Dieu.
Le lectionnaire a sauté cette expression du psaume : « Les décisions du Seigneur sont (…) plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » On comprend cette omission. De nos cinq sens, les chants liturgiques d’aujourd’hui les plus beaux évoquent la vue, l’ouïe, le toucher (« la main »). Mais où sont le goût (du miel !) et l’odorat (« la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement », Psaume 44, 9) ? Le sentir et le goûter entrent aussi dans l’expérience symbolique de la foi.

 

1 Corinthiens 12, 12-30 (Diversité des membres dans l’unité du corps du Christ)

Nous avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église de Corinthe, il recourt à présent à l’image du corps :
1. Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de même le Christ : lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le baptême et l’eucharistie.
2. Le corps n’est pas un seul membre… Paul insiste sur la nécessaire diversité des *membres et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien plus, les parties du corps …) : si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux » (les parties génitales), honorons aussi les membres les plus fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui manifeste l’unité du corps du Christ.
3. Concrètement, parmi ceux que Dieu a placés dans l’Église au service de ses membres, il y a les trois ministères de la Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers services. En queue, Paul met à dessein le « parler en langues » (en langage mystérieux ; voir 1 Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de l’unité, le souci de l’objectif et l’attention aux faibles.

*Le corps et les membres. Au 5e siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se révolta contre le Sénat jugé improductif et nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des membres et de l’estomac, reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet apologue. Mais, pour lui et contre la simple interprétation politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des autres parce qu’ils sont ensemble corps du Christ : leur unité ne vient pas d’une complémentarité sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité – qu’ainsi soit-il !


Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21 (« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »)

Nous entendons d’abord *le Prologue de Luc (Luc 1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de cet évangéliste (avant l’entrée en Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous ne lisons que la première partie de la scène : la suite viendra dimanche prochain !

Le cadre : une première tournée en Galilée

Selon le prélude à ce sabbat, Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée et sa tribune favorite, comme celle des apôtres plus tard, est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour y être mis à l’épreuve, au seuil de sa mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts de Jésus ? À cette question répond la scène de la synagogue de Nazareth.

La mise en scène de l’office synagogal du sabbat

En Terre sainte, on lisait d’abord, en hébreu, un passage de la Loi de Moïse et sa traduction dans la langue vivante, l’araméen. Puis venait un petit texte tiré des prophètes éclairant le passage de la Loi. On passait alors à l’homélie. Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et l’homélie, et le choix des textes bibliques était assez libre. Jésus s’arrête à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé presque tout le rouleau d’Isaïe qui comporte 66 chapitres : c’est bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie (cf. dimanche prochain).

Une lecture du livre d’Isaïe

Le texte d’Isaïe 61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi ») présentait la vocation d’un prophète qui recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne Nouvelle (un « évangile ») de libération en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c’est l’évangéliste qui reconstruit cette scène pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la promesse « du jour de vengeance » que l’on trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d’une année de bienfaits accordée par le Seigneur » est une allusion à l’institution juive de l’année jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés, les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte d’année jubilaire définitive.

Le Seigneur m’a oint

Dans l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être appelés « messies », c’est-à-dire oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le grand prêtre, le prophète. Pour saint Luc, Jésus sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à ceux qui sont opprimés par la société ou par leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui », jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2 « s’accomplit », trouve sa pleine réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons que la mission de ce prophète-messie déborde les frontières d’Israël.

*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En rédigeant ses quatre premiers versets à la manière des prologues aux traités scientifiques ou historiques des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas partie des « témoins oculaires », les apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs, « serviteurs de la Parole », comme le raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la seconde génération chrétienne. Il travaille sur les traditions qu’ont « transmises » les premiers témoins « dès le commencement », c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le baptême de Jésus par Jean, véritable commencement de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface). L’évangéliste se propose d’écrire « un exposé suivi », non point tant chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des premières générations chrétiennes.